lundi 23 décembre 2024

Pourquoi?

J'espère, ô combien... que ce n'est pas toi en moi, qui es de nouveau là; à nouveau dans le cercle, des choses, et puis de la douleur. J'espère que nous ne nous sommes pas, encore une fois, trouvés ici, pour y accomplir encore un tour; avec de menus amendements: une femme, un enfant, un emploi peu ou prou reconnu, pour apprendre, encore, ce que nous avons toujours su: que cela est mensonge.

Et la seule chose que tu aies possédée, dans cette vie tu la veux: l'œuvre capable de justifer l'exhumation dans quelque Panthéon malnommé...

Mais quel cruel tour de t'avoir jeté là, de nouveau, avec tout ce superflu auquel, sublimement, tu avais su renoncer; tout ce tissu d'illusions que tu as tordu de tes rêves en formes poétiques, et qui m'ont dévoilé, trop impermanentement, la transcendance du Vide. Quel cruel tour que de t'avoir donné ce que tu n'as fait qu'effleurer de ton vouloir, prenant bien soin de l'éviter, comme on ferait se brûler volontairement celui qui regardait craintivement les flammes...

Si tu es moi, ou plutôt je suis toi, je ne pardonnerai jamais à l'univers un si tragique affront.

dimanche 22 décembre 2024

Plus grand que l'univers

Tout à l'heure, alors que j'étais prêt à mourir -- comme à chaque seconde désormais --, j'absorbai sa douleur comme une toxine dont je nourrirais mon âme. J'ai la place pour tant de souffrance en moi qu'il m'est impossible de ne pas me souvenir les mots de cet Autre -- qui me ressemble plus que moi-même: "Et mon cœur est un peu plus grand que l'univers tout entier".

Et ma joie, plus infinitésimale que le cœur des atomes.

Oracle radical

Quelle Atropos a pu couper le fil reliant l'humain au lointain firmament? Colonne vertébrale anéantie, transcendance en allée, a fait de l'homme un ver à terre rampant sans plus d'éther. Et si nous n'avions point d'aubier mais n'étions que racine: du ciel aux tréfonds de la terre?

Aphorismes des civilisations exsangues

Âme et corps: impossible eutexie dans le vieil Occident, c'est le cœur en fusion que se pétrifie l'ipse, impassible concrétion de chair posée sur le rayon des sociétés anonymes.

Tout ce qui antan se dressa coule de rimmel en rigoles sur les paupières closes du village global; et les couleurs d'hier circonvoluent nauséeusement: pétroles irisés sur caniveaux boueux.

Ô temps! Ravale tes enfants et leur dessein futile: le souffle monochrome -- civilisations épuisées.

mercredi 18 décembre 2024

Désunis vers

Le soleil pourrait tout aussi bien s'éteindre que rien, dans le grand Tout entier, n'aurait bien vacillé. Alors, que l'âme disparaisse quel changement cela fait? On peut s'éteindre amis humains, calmement et sans peine, car c'est la fin du mouvement qui nous tord les entrailles. L'axe des choses n'en sera bouleversé -- il n'y a pas d'axe à ce qui est. Rien, personne, ne nous regrettera, car ce qui vit est plein de la souffrance en lui, tendu vers l'avenir et la nécessité, oublieux par destin. Vous fermerez les yeux: un monde singulier se drapera dans le linceul obscur de vos paupières: mais il ne s'agit que d'un monde, le seul que vous ayez connu -- et que personne ne connaîtra jamais. Voyez? vous ne perdrez rien, puisqu'on ne se perd pas soi-même, l'on ne perd que ce que l'on possède, et non ce que l'on est. Personne ne vous perdra non plus. Personne ne fait la différence dans ce grand univers; Des civilisations entières demeurent anéanties, du fond d'inaccessibles impasses tracées au fond des âges.

Elles n'ont su faire la différence... Personne ne fait la différence dans ce grand univers. C'est tout ce qu'il faut lire dans mes désunis vers.

vendredi 25 octobre 2024

Vivre et mourir

Brouillon écrit en Juin 2020 pour un projet de roman. Comme cette pĥrase sonne familièrement à l'oreille, comme cette phrase semble presque un destin...
 
Je suis une ordure, enfin... C'est ce que je me dis parfois... Mais là, j'avoue qu'en écrivant cela sur une page de ma mémoire, j'ai plutôt l'impression d'être un simple type lucide qui expose en toute sincérité ses faiblesses intérieures. Mais, derechef, je me ravise et réalise l'aspect purement narcissique de tout ce processus qui prend place sous mes yeux, grâce au reflet des mots...

Ecrire "je suis une ordure", ou le penser seulement, c'est déjà mentir à plein poumon, et tenter de blanchir par cet aveu maquillé de fausse sincérité, la véritable bordille que l'on est, le tas d'ego rassis qui s'amoncelle en nous et qu'on ne parvient pas à digérer.

On a beau dire, on reste tout de même une belle grosse merde.

Voilà le genre de pensées qui me passent par la tête assis à la terrasse de ce café limougeaud -- une ville médiocre et qui s'accorde bien à mon existence pathétique -- d'où je contemple les actifs. Un homme en uniforme bleu marine des employés de la ville exécute sous mes yeux un va-et-vient lénifiant. Il tient dans ses mains un long balai à la brosse très longue, un genre de super-balai en somme, et il rassemble vers un coin du trottoir tous les détritus qui jonchent le sol. Derrière lui, comme un toutou en laisse, attend patiemment une armature métallique de couleur verte au centre de laquelle pend mollement un sac plastique translucide qui ressemble à un préservatif usagé. Le quarantenaire affairé balaye toujours de gauche à droite, et lorsque le tas atteint un certain volume, il se saisit d'une pelle accrochée à la poubelle de compagnie, y fait glisser à l'intérieur le tas d'immondices qu'il jette ensuite au fond du sac plastique. Je me dis en sourdine que chacune de mes éjaculations sont un peu à l'image de ce spectacle: un tas d'immondices gênant qu'on fourre dans un sac en plastique pour ne pas qu'il souille le monde.

Lorsqu'il a terminé avec une portion de la rue et des trottoirs qui bordent les Halles, il attrape sa poubelle par le col, la tire un peu plus haut, vers une nouvelle zone à assainir puis recommence son ballet incessant. J'entends le crissement des poils du balai sur l'asphalte rugueux, la deuxième bière que je termine sans empressement m'aide à saisir ce rythme et à m'y installer confortablement. Voilà quelqu'un qui fait quelque chose de sa vie me dis-je... Quelque chose d'utile et même d'indispensable. Voilà de quoi justifier l'usage d'une destinée humaine, l'occupation spatio-temporelle des quelques décennies que durent habituellement les vies humaines.

À un moment, l'homme en fluo s'arrête, déploie son échine courbée pour regarder autour de lui. Son regard tombe dans le mien qui est autant braqué sur lui que sur la valse des pensées qui investissent le grand bordel de mon arrière-boutique. Et puis soudain j'ai peur. J'ai peur, figé sur mon siège de bistrot gris métallisé, en face de la petite table ronde à bords rouges où finissent de s'évaporer les petits cercles humides laissés par le verre à demi, qu'il voie clair dans mon jeu; que son logiciel identifie ma véritable nature et qu'il s'aperçoive que ma véritable place est au fond de ce sac en plastique qui pend non loin de lui, intestin misérable des villes. Je le vois me fixer, inexpressif: va-t-il venir vers moi? Va-t-il me ramasser à coups de balais pour me jeter au fond de la poubelle, ou bien se contentera-t-il d'un discours rationnel -- qui aurait toutes les chances de fonctionner sur moi --: monsieur, s'il vous plaît, il est temps de rejoindre vos semblables, je vous demanderais de bien vouloir rejoindre le reste des déchets. Je préfèrerais que vous entriez tout seul dans le contenant si ça ne vous dérange pas, j'ai quelques douleurs aux dos que ma femme explique par la posture induite par ma fonction sociale. Je peux, néanmoins, vous tendre un bras sur lequel vous appuyer. Et devant une telle argumentation implacable, je serais bien contraint de me rendre, de faire tomber les masques... Comment me sentirais-je dans le fond de ce sac ballottant? Est-ce que les autres déchets de la ville m'accepteraient? Est-ce que, pour la première fois de ma vie, je trouverais là un semblant de paix, la place qui m'échoit dans l'échiquier cosmique?

Soudain ma conscience se projette sur le monde extérieur, tout entière dans la perception du mur de brisques rouges qui me fait face entre deux voitures garées. Je suis là, toujours assis sur la chaise qui imprime ses lattes sur la chair trop tendre de mes fesses, je suis dans la couleur de ces briques qui gicle sur mes rétines, et l'homme n'a plus sa place dans le tableau synesthésique de mon présent. Où est-il? Ah, je le saisis de nouveau du regard, quelques mètres plus loin en train d'affiner son geste presque parfait, de gauche vers la droite. Il m'aura donc épargné dans cette calligraphie lustrale des rues citadines... Son logiciel de derrière les façades ne m'aura pas détecté, ou bien m'aura-t-il laissé quelque répit, ou encore a-t-il eu la flemme de déplacer un déchet si encombrant. Pourtant, pas loin, au bas de la rue, tout contre les poubelles municipales, reposent un petit meuble de cuisine dont une étagère est cassée, ainsi qu'un matelas autrefois blanc, qui semblait raconter dans la grammaire des fluides, tout un ensemble de tranches de vies, entre banal et sordide. Mais que je suis idiot enfin... Comment pourrait-il bien faire tenir de tels encombrants dans sa petite poubelle... Il doit certainement exister un autre service chargé de les ramasser, et peut-être les a-t-il déjà contacté afin qu'ils s'en chargent bientôt, ou bien ont-ils des horaires de passage déjà déterminés et passeront-ils débarrasser l'espace public de ces objets privés. Je ne sais trop pourquoi l'idée me glace le sang et je préfère quitter les lieux rapidement. Je ferme le cahier sur lequel une page figure quelques gribouillis abscons, le dessin maladroit d'une paire de seins pulpeux et une ancienne liste de courses. Je retourne à mon trou d'un pas précipité, comme un homme investi d'une mission, les consommations déjà payées -- je paye toujours en avance lorsque je bois seul, cela me permet de quitter les lieux du crime, promptement, comme une ombre furtive.

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 En rentrant chez moi, je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'oeil angoissés tout autour, qui sait si l'on ne viendra pas me chercher finalement. Et vous qui vous moquez certainement qu'en savez-vous aussi d'ailleurs hein? En bas de la place de La Motte, je m'engage dans la rue Lansecot, sombre et étroite entre ces hauts murs, avec sa rue pavée qui manque de vous tordre la cheville à chaque pas. Au moins, ici je ne suis pas exposé à la vue des gens, j'anticipe déjà le grand jour et la foule qui ne manquera pas d'éclabousser mes yeux dès que je déboucherai sur le place des bancs... Tous ces gens qui voient clair dans mon jeu, qui me regardent descendre la place et braquent leur regard sur cet étrange soleil noir qui s'en va se coucher pressé dans son écrin de nuit. Mais bientôt j'atteins la rue Vigne de Fer et la population se fait plus éparse, je redeviens l'anonyme bout de chair agité qu'un monde indifférent tolère comme un déséquilibre thermique inconséquent. Enfin je débouche dans ma rue, Ferdinand Buisson: une rue quelconque et triste où je me terre dans un appartement minable en face de l'école de coiffure. Il n'y a que des vieilles dans cet immeuble ancien mal insonorisé, que j'entends tousser la nuit et dont j'entends aussi le jet d'urine puissant qui me fait toujours penser à celui de vaches sans gênes. Je me demande ce qu'ils peuvent bien entendre de moi, tous ces voisins paisibles qui attendent la mort. Mon appartement c'est aussi mon bureau, je travaille à domicile et dès que j'entre dans ma chambre, les papiers en désordre qui jonchent la table de bois peinte en blanc me rappellent au devoir qui m'attends... Olivier Fonseca: c'est le nom du suspect sur lequel je mène enquête. Un gamin de vingt et un an, étudiant en sociologie, fêtard invétéré et baiseur aussi, l'un entraînant souvent l'autre... Bon élève, même brillant devrais-je dire, malgré sa vie dissolue qui n'en laisse rien paraître. J'ai été embauché par la société complétude pour élucider le grand mystère de la désertion de clients qui semblent invariablement suivre le jeune étudiant derrière lui. Olivier travaille pour eux en tant que professeur particulier, il assure des cours de français et d'anglais. Problème: systématiquement, au bout de trois mois de cours, les clients de Complétude confiés à ses soins, cessent de s'adresser à la société pour aller voir ailleurs. L'entreprise soupçonne un non respect du contrat de travail qui stipule explicitement dans une clause de non concurrence que l'employé s'engage à ne pas proposer aux clients ses services sans passer par le prestataire qui l'emploie, et ce durant les deux ans qui suivent la fin de son dernier contrat. C'est une sorte de contrat de mariage capitaliste, mais dans lequel seul l'employé a des obligations.

Mais là, tout de suite, maintenant, ce n'est pas le moment de faire le job. Il faut attendre demain pour que le petit fasse le trajet que j'ai déjà reconnu pour aller chez un de ses clients supposés. Il me reste de longues heures à tuer dans l'appartement sinistre, sinistre parce qu'empli de ma seule présence fantomatique. La seule trace de moi dans cet espace est la saleté qui s'amoncelle, les débris de mon corps qui me rappellent tous les jours que vivre et mourir ne sont que synonymes... 17h27. Étant donné que je suis incapable de m'endormir avant minuit une heure du matin, si tant est que je parvienne à m'endormir, cela fait pas mal de masturbation en perspective...

J'entre dans la cuisine avec son espèce de mur fait de grands panneaux de verre ondulé translucides et j'ouvre le frigo pour y chercher des bières. Que dalle. Niet. Le frigo au bourdonnement glaçant ne contient rien d'intéressant: une boite de cornichons ouverte depuis au moins un an, un pot de moutarde forte, un bac à légumes sale au sein duquel se déroule la pathétique représentation de l'histoire de l'évolution des premières bactéries. Il va me falloir sortir dehors, avec le risque d'être identifié et remis à ma place. Il va falloir que j'aille acheter de quoi tenir cette soirée qui s'annonce si sensationnelle... Bah heureusement qu'il reste ça pour les paumés: une drogue légale qu'il faut bien salement trop aimer pour qu'on y voit un vice. Et... Je crois que c'est mon cas. Rien qu'à voir les regards de la salope de caissière à chaque fois que j'y vais pour me ravitailler. Un karscher son putain de regard... Ça me purifie même l'intérieur de l'âme, ça dissout la moindre impureté, à tel point que j'ai du mal à comprendre, quand j'en pars, comment un tel néant peut encore avoir une silhouette, une démarche et quelque part où aller.

Si j'attends trop la supérette va être pleine à craquer, il faut que j'y aille de suite. Je me dirige vers la petite table qui supporte le panier fourre-tout dans lequel je jette tout ce que je ne sais pas où ranger: tickets de caisse, babioles, cartes postales clés et tutti quanti. En y fouillant pour trouver un reste de monnaie je tombe sur la photo de l'Autre, toujours là, quelque part, comme un tache indélébile sur ma vie. Je soupire en l'écartant et je racle le fond du panier hâtivement pour y trouver quelques pièces d'un et deux euros. Heureusement que l'oubli ne coûte pas trop cher sinon mon cas serait vraiment désespéré.

Je prends les clés à côté du panier et je sort dans le hall sinistre en espérant de ne pas croiser une des vieillasses qui ne manquerait pas de m'exprimer son mécontentement quant à ma façon lourde de marcher sur le lino minable qui recouvre le plancher. C'est que voyez-vous j'entends absolument tout, je ne sais pas ce que vous faîtes le soir si tard, à déménager et courir dans cet appartement! Je pourrais marcher comme une tortue qu'elle aurait l'impression que je cours: elle met trois bonnes minutes à monter un seul étage, en faisant des pauses interminables durant lesquelles elle soupire et souffle pour bien signifier au monde qu'elle endure avec bravoure un véritable calvaire, pour bien nous rappeler que c'est héroïque de vivre à son âge et de monter des escaliers. Mais putain crevez toutes les mamies provinciales revêches, avec vos petites vies routinières dégueulasses qui ne supportent pas que le monde avance en vous laissant derrière! Il ne s'arrête pour personne vous comprenez ça?! Pour personne! Même pas pour la jeunesse récalcitrante.

Je dégringole les escaliers et m'engouffre dans la grisaille de ma rue bordée d'immeubles plus ou moins anciens. Je regarde la vitrine de l'école de coiffure fermée, je me demande combien de petits culs illettrés ont remué là-dedans toute la journée. Je tends les narines pour sentir un effluve égaré mais rien, rien que l'odeur du chantier d'à côté et du vieux ciment des façades.

Au bout de la rue Ferdinand Buisson, à l'angle de l'avenue Baudin se trouve le petit Carrefour City ouvert très tard. Aussi essentiel aux poivrots comme moi qu'un petit marigot d'afrique sub-saharienne. L'enseigne a poussé comme la mauvaise herbe un peu partout en ville, qui ouvrant de nouveaux magasins, qui en rachetant d'anciens. Une putain d'invasion monopolistique. L'économie se porte bien, la teigne du profit se répand sur la peau des sociétés. C'est bien me dis-je en entrant par les portes automatiques, ça fait plus de rêves à acheter pour ceux qui ne savent plus les fabriquer pour eux-même... Je dis bonjour aux deux caissiers dont ma régulière qui me dévisage sans avoir la décence de garder ses pensées pour son arrière-boutique. Elle croit savoir ce que je suis venu chercher et elle a raison, je suis la régularité sans surprise qui lui confirme quotidiennement la solidité du monde, de son monde assuré et bien déterminé.

Bref, je choisis mes munitions pour la longue soirée festive et passe à l'autre caisse. Pas le courage de garder un visage affable pour une catin mal baisée. L'autre type ne dit rien, se contente de faire son boulot et me laisse repartir sans un regard à travers les portes coulissantes. Je remonte la rue et m'enfourne dans ma ruche pour occuper mon alvéole de 515 euros par mois charges comprises. Les Leffe ne sont pas fraîches mais j'en ouvre une sans attendre en fourrant le reste dans le frigidaire angoissant. Ah Dieu que ça fait du bien! Je vais m'asseoir dans le canapé et regarde la bouteille en verre. Sur l'étiquette, à la verticale, est inscrit un numéro de téléphone pour un service de réclamation. J'ai presque envie de les appeler pour leur dire à quel point je les aime, à quel point sans eux la vie serait odieuse et insupportable. Mais je ne fais rien, par flemme d'abord puis par conviction que l'employé qui répondrait ne verrait dans un énième appel sur son temps de service qu'un pensum de plus en attendant la libération.

Sur le téléphone j'ouvre le navigateur et me rend sur mon site porno habituel. Masturbation industriel et alcool de série: la vie moderne, la vraie, la seule.

mardi 22 octobre 2024

Âme-monde

Visiter son âme, du plafond jusqu'aux limbes -- et même au-delà --, quel réconfort peut-il y avoir à cela? Le tourment est une chose qui tord, essore en l'âme toute substance, et les quelques gouttes qui sourdent au-dehors contiennent les principes actifs de toute métamorphose, elles sont l'essence même du conatus. Parvenir au fond de l'abîme pour s'apercevoir qu'il se perd toujours plus loin, qu'aucun fond ne se donne pour fondation et qu'un vide incommensurable est le milieu de l'âme, voilà le sort du tourmenté. Quel électuaire trouvera-t-il, cet homme, pour parvenir à souffrir ce destin?

C'est de son propre sang, de ces rivières de poésie qui semblent sortir du chaos par l'ineffable mariage de la forme et du Rien que l'aliéné tire sa force. Car le sang qui le couvre, épais, obstrue sa vision, certes, mais l'oint d'une aura surnaturelle qui fait de sa silhouette un signe vers ce qui se tient bien au-delà; et les yeux clos laissent toute latitude à l'âme de plonger en son centre où s'offre, panoptique, l'indéfini du monde.

C'est le flux du néant -- de celui qui contient, achevé, toute chose -- que parvient à extraire du cœur de la douleur celui qui endure l'absurdité de l'Être -- parce qu'à tout instant il la mesure de son terrible sentiment.

À tout le moins, la souffrance est la voie de ceux qui font croître le monde.

vendredi 11 octobre 2024

Nécessité de l'art

"Il serait possible que la véritable nature des choses fût tellement nuisible, tellement hostile aux conditions de la vie, que l'apparence fût nécessaire afin de pouvoir vivre."

Nietzsche, Volonté de puissance, t.I, 1. I, §212 (source à vérifier...)

mercredi 9 octobre 2024

Procrastiner légitimement

Il est normal de procrastiner sans cesse la production d'une œuvre d'art dès lors que notre seul standard est une forme de transcendance menant à l'absolu. Il serait impossible d'accepter, dans un tel cas, de voir son échec incrusté dans la minéralité d'une chose pétrifié, dont l'éternité nous humilie et nous fait honte.

Je ne peux accepter certains de mes textes que parce qu'ils constituent la documentation d'un brouillon, et que ce brouillon pourrait, un jour, avoir une valeur de témoignage pour ce que j'aurais un jour atteint l'absolu désiré. Leur valeur est nulle à cet instant et toute spéculative. D'autres textes philosophiques ne témoignent que d'une chose: mon incompréhension de l'époque et mon arrogance vis-a-vis d'auteurs que je n'avais même pas compris. Il faut beaucoup d'humilité mais aussi pas mal d'arrogance pour accepter de s'abaisser par le témoignage de sa propre médiocrité tout en subodorant qu'un jour celle-ci puisse avoir la moindre valeur pourtant...

Il faut tout cela pour supporter le poids de son sillon dans l'existence et de tous ces moi reniés par le présent qui les rend tous caduques. Que cela peut-il donc bien trahir sur celui qui accepte de produire des œuvres censées contituer des morceaux de sa personne? Qu'il s'est pétrifié dans l'ambre du dogme? Qu'il accepte l'extranéité de son œuvre? Ou qu'il n'a pas d'autre choix que de sortir de lui ces tentatives pour rallier l'absolu, afin de s'en servir comme marche-pieds dans cet ascension perpétuelle qu'est la recherche du beau?

La vérité est dans le devenir, dynamique, il faut donc que l'œuvre se fasse inchoative, spermatique, et qu'elle s'insémine dans la temporalité d'une âme hôte et se montre capable de vivre à l'intérieur, symbiotiquement.

Comme il ne faut pas écrire

L'écriture contemporaine est uniment médiocre: elle est le juste milieu entre tous les styles (familier, soutenu, etc.), c'est-à-dire qu'elle est précisément absence de style. On y donne les informations de manière immédiate, sans la médiation d'un monde, d'une temporalité qui s'impose à vous comme une loi physique. Il faut tout dire, et vite. On distingue les rouages de l'intrigue car on voit à travers cette écriture qui n'a plus d'épaisseur et de substance. Lire une ligne de cette littérature c'est connaître l'ensemble des œuvres à la mode. La narration s'étale, monotone, sur la surface plane du récit qui ne constuit aucun sommet difficile, aucun abîme insondable. Le roman d'aujourd'hui est une surface pure, une apparence qui ne fait signe vers rien, vers aucune transcendance véritable car la signification se donne tout entière, à chaque instant, sans besoin de dévoilement.

Probablement, un jour, quand les choses ici-bas iront mieux, une autre époque se penchera sur la nôtre et se dira: c'est comme cela qu'il ne faut pas écrire.

On n'écrit pas un roman comme on ferait visiter son âme à un psychiatre, par de maladroites et infantiles allégories.

mardi 8 octobre 2024

Poetica Philosophia

Le poète, le philosophe, pire: le poète-philosophe; autant d'échecs à créer des mondes. Se précipiter dans le concept, formuler la généralité d'une idée de manière directe , à travers le matériau même de l'idée, que d'inutiles tautologies. Qu'avons-nous à faire de lire une morale, une valeur...? Nous voulons l'éprouver, nous voulons sentir, par l'intéraction avec un monde, l'idée qui ne se donne jamais pleinement; nous voulons chercher, réfléchir à travers la matière aphone, ourdir notre propre vérité, et non écouter la leçon de quelque philosophe qui se charge d'anéantir l'autonomie de notre jugement.

Ce journal indéfini, entropologique, n'est qu'un aveu d'échec: celui d'une demi-poésie qui cache à demi-mots son incapacité à produire une beauté non-verbeuse... Au commencement de toute religion était le Verbe: de quelle tristesse suis-je donc le prophète?

jeudi 3 octobre 2024

Formes de la dissolution

Tout naît de la souffrance, toute individuation est déchirement, toute forme est un déni du fondement. Vagues ondulations sur l'océan du Rien, nous existons comme un écho centripète qui, se refermant sur lui-même, croirait devenir monde. Les sens tournés vers l'intérieur, nous sentons bien, vaguement, que quelque chose nous rattache à ce qui nous excède et nous anéantit, sans toutefois jamais pouvoir en être sûr, sans en pouvoir formuler de connaissance. Notre origine, et surtout notre fondement, ne saurait être objet à nos yeux. Seule la musique: pure ou bien dégénérée en des formes de plus en plus figées et spatiales, entrouvre en notre nécessaire isolement une brèche par où nous croyons percevoir l'informe substance où se trace, éphémère, la forme de notre âme.

Évohé. Emmenez-moi, formes de la dissolution, dans le cœur de l'abîme où je suis né.

Rococo

Le monde extérieur n'existe malheureusement pas. Et ce n'est pas là la lubie d'un être qui aurait fait de la vue son sens supérieur.. Car lorsque je touche ou hume, c'est bien dans le point nodal de ma vacuité que je sens... On a beau faire, tout ce qui nous parvient du dehors, même le son, est pleinement au centre de ce réseau de néant qui tisse, par une compulsion narrative, les mailles d'un monde qu'on aimerait transcendant -- un monde capable de contenir notre risible démesure et de nous imposer sa loi.  Nous ne parlons d'idée que parce que nous en avons une perception confuse, là où l'intuition sensible montre assez spontanément sa complexité dynamique: il suffit de s'approcher un peu plus près de l'objet, parfois d'un pas de côté, pour que toute la perception se réagence en un nouveau système... Tandis que les idées... On ne les perçoit que de très loin, avec les doigts boudinés de l'intelligence à qui il faut un effort immense pour s'apercevoir de sa vulgarité. Nous croyons les idées plus intimes, nous croyons qu'elles sont nous, car nous ne savons pas les sentir avec autant de raffinement que les sensations. Quoi d'étonnant à cela: des millions d'années d'évolution pour ourdir l'interface sensible par laquelle l'espèce a survécu... Tandis que la pensée: tout juste quelques millénaires pour parvenir aux peintures rococos de la métaphysique et de la phénoménologie contemporaine... Des dessins d'enfants voilà tout.

Note à ceux qui resteront

On aimerait parler pour l'homme du siècle prochain mais on ne sait qu'exprimer la médiocrité parfaitement médiane de son époque. Ne demandez jamais pourquoi je suis parti: il y a des choses qui valent plus que l'amour.

samedi 28 septembre 2024

Dithyrambe

De l'aorgique au repos dans ton être

Tu tires cette passivité

Ainsi ta vie bouillonne

Car deux fois contenue:

Par le dessein de la nature

Et par trop d'absolus

 

La totalité de l'en-puissance

A pour signifiant vacuité

Combien de temps encore

Résistera ce corps

D'attente suspendu

Qui te voue sans espoir

À l'irréalité


Peut-être une Action valeureuse

produirait un destin

De ce germe inexpliqué

Mais si dans l'Éternel

Tu veux placer ta fin

Tout bruieras de promesse

Dans le déchirement de soi


La membrane qui clôt ta cellule

Ne te sépare pas seulement de l'extérieur

Mais tout autant de toi-même

Ainsi tu gis sans adresse

Exilé de la forme

Et de l'Illimité


À l'homme est promis l'infini

Certes

Mais seulement s'il empoigne Kairos

Et se résout dans la durée

À l'âme seule est promis le Repos

Par les temps abolis

Des hauts champs-Élysées


Figure du devenir

Ton espoir est mortel

Ton être aussi néant

Te fais tout temporel

Pour le meilleur

Et pour le pire

Tu veux l'Altérité


Animal sans instinct

Se désire minéral

Croyant par ta nature

Et néanmoins sans foi

Tu cherches le Savoir

Et ne trouve que ta loi


Mesure de la mesure

Sans critère transcendant

Ton legs est un parjure

À tous les descendants

Qui rêvent de substance

Et renient le néant


Être de l'oubli

C'est dans la vacuité

Que tu t'acharnes à fuir

Que gît ton anamnèse

Ton essence dynamique

Te voue à l'équilibre

Mais en tant qu'horizon


Ta main ne saurait pas saisir

Ce qui n'est que l'envers

De ta vaine hypostase

Une lampée d'abîme

T'étires du tourment

Jusqu'à la folle extase


Vivre, encore, toujours

Entre les deux Néants

Ivre du vide enclôt dans chaque chose

Et si la mort n'était qu'une inversion

Qui de l'Illimité

Sait déssiner les âmes...

mercredi 25 septembre 2024

La foudre les gouverne

Très bien, j'ai compris

Toi aussi tu veux disparaître

Hétérocosmique

Vers ton Ailleurs tu veux revenir

Et moi d'un souffle

Saisissant la claymore

Telle nécessité

Je m'apprête à abattre

Sur ton être bourdonnant

La mort

Comme le froid sur l'âtre.

Puis je regagnerai soudain

Mon trône ivre d'éternité

Immobile et délivré

Je pourrai disparaître alors

Comme la foudre après avoir frappé

 

Oui comme l'amour

Une fois l'union créée

samedi 21 septembre 2024

Le sans-destin

Rompre avec l'entropie? Devenir comme immortel? Prolonger l'existence par delà les siècles, les millénaires, les éons? On peut comprendre l'attrait d'un tel projet pour l'amoureux de la vie terrifié par la mort, pour le dogmatique capable de combler le vide par ses croyances cristallisées. Mais pour l'entropologue averti, lucidement fixé sur l'abîme au cœur de toutes choses, qu'aurait-il à craindre d'un néant qui est déjà logé dans le noyau de sa chair et de son âme? N'est-ce pas la destruction du temps et de tout ce que l'on aime qui  nous pousse à créer de la beauté, à agiter frénétiquement nos membres et nos idées afin d'ourdir maladroitement des mondes qu'on souhaiterait moins périssables que nous? Quelle urgence pourrait bien ressentir l'extropien de demain dont la puissance de demi-dieu rendra, probablement, l'âme paresseuse et engourdie, lassée avant même d'avoir vécue?

Qui donc aurait envie de lire une histoire qui n'aurait pas de fin? En qui donc le désir ne se tarirait pas de demeurer sans destin?

mercredi 18 septembre 2024

Le solitaire, Autrui et le Réel

Tessiture sentimentale, tessiture linguistique, tessiture ontologique... Tout cela n'est que de peu d'importance face à la tessiture de la souffrance. C'est là la vraie clef pour entendre la vie à travers la conscience, pour se lover au cœur de la déchirure. Exister c'est ressentir l'inadéquation primordiale entre l'intentionnalité de la conscience et le monde qui surgit.

J'ai été suffisammennt arrogant pour penser pouvoir vivre au cœur d'une suffocante fournaise, là où même le sage de Königsberg n'envisageait pas que nulle âme puisse demeurer. Il est possible de vivre sans croyance, sans espoir que tout ceci veuille dire quelque chose, et de bâtir pour soi-même des lois infrangibles. Pour autant la sinueuse déroute d'un tel destin, dont la courbe parfois se mue, rectiligne, en une abrupte chute, mérite-t-elle encore le qualificatif d'humaine? Supporter l'immensité d'un tel tourment, faire de la douleur la seule force de liaison nucléaire de son être, est-ce encore vivre en humain? Peut-être n'est-il pas nécessaire de dérailler la génétique de notre essence, ni même de s'hybrider au minéral presque immortel pour parvenir au-delà de l'humain. Au-delà? Encore un jugement arrogant, encore le préjugé axiologique d'un sens capable d'être attribué au Réel... Élargir la destinée humaine; ne pas dénier au mystique la nature commune des hommes -- le néant est une forme de divinité et l'on peut imaginer que, bien que peu nombreux, certains hommes arpentent et arpenteront la voie qui fait du verbe anéantir un synonyme d'exister.

Vivre sans croyance dans et sur le monde, c'est ne connaître que la présence palpable des autres au sein de l'ignorance et du doute à travers cet appel incessant laissé lettre morte. Car le solitaire ne saurait être solipsiste: la solitude est la déception face aux chemins qu'emprunte la liberté des autres mais en aucun cas leur effacement. On ne peut être seul qu'au milieu de semblables dont l'absence ressentie n'est que le fruit d'une liberté prenant d'autres formes que la nôtre.

Il est usant de désavouer ses congénères, enceints dans les hauts murs d'une foi sédative, mais il est si précieux de capturer, par moments, le regard inquiet qui vous guette, au travers de la meurtrière, et s'aperçoit qu'un monde indéfini existe au-dehors. La possibilité d'un Réel qui écrase le monde où l'on s'enferme est un vertige qui rend tous les humains égaux.

Le Diogène qui dort à la belle-étoile, nu en se moquant des jolies citadelles est un appel pour que chaque âme, enfin, ouvre son œil sur l'Indéterminable -- pour que la Terre devienne ce ciel étoilé où des milliards de vigies éveillées brillent solidaires dans la nuit des confins.

Piège à mouches

Parce qu'il est impossible de n'être jamais à sa place ma vie doit être mauvais rêve; inacceptable de ne valoir pour rien, mon être un grand refus. J'ai tué tant de mouches, j'avoue n'avoir pas cru être un jour vu comme elles: petit amas de nuisance -- mais sans ailes -- qui chatouille les corps, agace les esprits... La société entière est une machine complexe ourdie pour m'écraser.

Le seigneur des mouches

Si Belzébuth est bel et bien le seigneur des mouches, on peut alors affirmer sans mentir que mon existence est dévouée à lui faire un affront quotidien à travers le génocide que j'exécute consciencieusement à l'aide d'outils pourtant primitifs et peu coûteux. Peut-être, alors, que cette forme d'incantation religieuse opérée par le sacrifice des mouches, amène le Seigneur des Ténèbres à braquer sur ma personne sa loupe algique afin de me vouer au tourment infernal sans même attendre la mort. Ce qui expliquerait ô combien pourquoi le monde m'apparaît comme un véritable Pandémonium multi-étagé et fractal...

En tous les cas, je continuerai d'anéantir, avec toujours plus d'efficacité, les diptères importuns qui cherchent à survivre aux dépens de ma chaleur corporelle, troublant ainsi de leur fourmillement épidermique la tranquillité vécue dans la quasi-absence de sensation si propice à l'élévation psychique recherchée dans la lecture. Qu'Il vienne me chercher, j'ai déjà traversé bien des enfers...

mercredi 11 septembre 2024

Entre les îles

S'il me faut dire, encore une fois, dans ce métalangage qu'est la conscience, et d'où jaillit ce méta-texte de ma prose, que tout ceci n'est qu'un brouillon, les traces d'un chemin que d'autres, peut-être, poursuivront aussi, alors ainsi soit-il. Il est tentant, parfois, d'effacer derrière soi, les traces qui nous font pitié, celles-là qui dissonnent, d'après nous, dans la mélodie de nos vœux. Pourtant mentir n'est pas envisageable, devenir comme tant d'autres, fardé d'illusions cosmétiques, vouloir paraître plus que l'on n'est, singer la perfection interdite, et faire de son image un songe irréfragable... Oh non à cela je renonce, préférant me montrer dans l'étendue de mon désastre, capable par moments de brefs éclats de nuit, profonde comme le vide, fenêtre ouverte sur la transcendance. Il est utile de montrer à autrui la médiocrité qui nous fait -- comme lui, comme chacun, et le monde...

Pourchasser l'absolu prend plus, bien plus, que tout le temps d'une vie; et ce sont tous ces petits pas, parfois aussi, tous ces faux-pas, qu'il faut inscrire sur son curriculum vitae, sans fard, sans honte, parce que l'on n'est jamais que ce projet d'être un jour ce qu'on ne saurait devenir...

Promettre, et échouer, voilà la vie d'artiste, mais que son rêve soit si haut que même certains échecs ressemblent à d'autres des succès, des objets qui se donnent, presque tout immédiatement, dans leur entière finalité. Devenir, soi-même comme une nature, savoir ourdir des monstres, pour quelques perles isolées -- qui toutes, un jour, formeront l'archipel où d'aspirants démiurges rêveront leur voyage.

mardi 10 septembre 2024

Faut que ça tourne!

Écrasé aplati tout petit sur le sol. Godasses, comme toutes les godasses, fabriquées, loin d'ici, en série, en usine, en pétrole. Talons qui claquent en chœur, dix-sept heures, l'heure de partir, de rentrer, se tapir, dans son trou. La voiture, le silence, habitacle, surfaces, de métal, en série, en usine, au pétrole, loin d'ici. Cellule refermée sur l'individualisme, c'est l'époque, on suffoque, et on hurle parce que ce qui nous lie aux autres n'est qu'une immensurable déception. Pneus, sur le bitume, grondement, liquide, du pétrole, sur l'asphalte, soufre, oxyde de zinc, clignotants, oubliés, des atomes, encastrés, en nuage, d'électrons. Klaxons, retenus, ou pas, doigt d'honneur, un carrefour, perdus de vue, loin des yeux, près du cœur, dans la haine. Prozac, Gaillac, cognac, tout est bon pour franchir le soir, en hauteur, en couleurs, sur écran, pour tomber au matin, le sang noir, de café, de douleur, de graisse étalée sur l'engrenage de nos vies. Claustration, immanence, tenir la montre, arriver à l'heure, désembouteillé, réembouteillé, recyclé. Recommencer, endurer, supporter, arborer, paraître, se peindre, sur la face, un cosmos, empourpré, pour feindre, une vie rose, en allée, allongée, sur l'ourlet, l'horizon, crépuscule, oublié.

Faut que ça tourne, la Machine, le rouage, les écrous, la chaîne, de montage, démontage, mécanique, du cœur, incandescent, indécent, inondé, démoli. Faut tourner, pousser, ahaner, dans cette roue, tous, ou presque, que ça tourne, que ça fuse, sans que ça cesse, faut des braises, que ça souffle, que ça tousse.

Pourquoi...? 

Pourquoi!? Allons-donc, faut y aller, du nerf, que ça tourne, et roule, et boule, et cool. On ravale, ses insultes, sa douleur, ses minutes, ses heures, ses heurts, son sang, faut que ça tourne, faut du flux, de flous, de sang, de progrès, de frousse, d'effroi, d'hormones, de stress, de vie, de viande, de vide.

lundi 9 septembre 2024

Pulvérulence

Devenir un Crippure, pour de bon, dans la vraie vie, épouser si parfaitement le personnage que l'idée du suicide est un ciel accroché au-dessus de chaque instant vécu dans le monde professionnel, est une drôle d'expérience... Se voir à la sortie des lycées, déambuler dans une foule d'adolescents qui constituent le réseau ourdissant votre valeur propre, celle d'un rebut fossilisé qui représente un obstacle dans le flux de libre-consommation de l'époque... Observer les tenues vestimentaires absurdes, les exo-cerveaux tenus par des mains crispés ou dépassant des poches arrières de pantalons à la mode, fabriqués en série pour durer le temps d'une cartouche de cigarettes... Avancer dans la cohue, se faire bousculer sans un pardon, n'avoir pas même quarante ans et se sentir vieux comme le monde... Avancer mais avec la ferme et si étrange sensation d'aller à contre-courant absolu de la marée du temps, de rebrousser chemin vers un passé fantasmé, vers un vague rêve d'utopie, vers rien. Finalement se rendre compte que le récit de son destin n'est qu'un vulgaire et banal effacement du monde, une déréalisation de soi au profit de tout ce en quoi le conatus hurle décidément avec une intensité qu'on ne saurait concurrencer -- on ne peut concurrencer la bêtise qui s'ignore pour ce qu'elle anéantit sans même le vouloir toute altérité subsistante.

Subsister, tiens... voilà tout ce qui peut résumer le concept de sa propre existence. Résister comme un château de sable qui s'érode résiste à la marée montante, dangereusement attiré par les caresses de la dissolution et la nature océanique d'un être dont l'égo serait pulvérisé enfin, définitivement...

dimanche 8 septembre 2024

Portes de sortie

Toujours à travers un voile de brume se découvre le possible qui fait que l'âme se décide à accompagner la vie qui bruisse en -- et malgré -- nous. Les matins ennuités de la semaine offrent la perspective d'une salvation saturnale, la tâche laborieuse appelle son achèvement dans la libération d'un corps qui fuit le lieu de travail comme un lieu de torture. La vie même semble se résoudre enfin dans la déchéance qui prélude au néant. L'homme est un être qui vit d'espoir et toutes ces portes de sortie dans l'effroyable mécanique de l'existence sont parfois la seule source de joie et le seul sens qu'on puisse trouver à tout cela.

samedi 7 septembre 2024

Scotographie

La recherche de l'absolu est tout autant poison que moteur: c'est elle qui nous fait prendre la plume, elle aussi qui la fait reposer. Ce désir d'abolition ancré au cœur de l'être le plus totalement fini et inabsolu, est peut-être la fondement de cette déchirure qui fabrique le sillon sanglant des destins et dresse le portrait d'une âme toujours à côté d'elle-même.

Vouloir rejoindre l'infini et l'éternité à travers la durée d'une œuvre est peut-être la plus pathétique -- et aussi la plus sublime -- ambition des hommes. N'oublions pas que la plus sombre des tragédies contient en son cœur le noyau le plus lumineux qui soit. Ainsi l'existence humaine est cette ombre projetée à tout va, celle d'un escarpement fait de cassures qui semblent toutes briser la trajectoire qui propulse les hommes de la terre aux étoiles. De la naissance à la mort un compte fini de battements de cœur et l'unité d'un souffle malgré maints visages.

jeudi 5 septembre 2024

Tératologie

C'est fou comme la race humaine comporte un nombre phénoménal d'individus appartenant au genre des sous-merdes. On en compte tellement dans l'occident contemporain que l'on serait tenté d'y voir là un caractère essentielle de la race. Pourtant, il faut se garder de la tentation ethnocentriste et garder l'œil ouvert sur la possibilité d'une infirmation de cette facile induction. Néanmoins, lorsqu'on souhaite lutter contre l'envahissement de cette vilénie venue de partout, on se met à chercher des réponses: la nature humaine est-elle bonne ou mauvaise, est-ce la société qui pervertit les hommes? La méchanceté et la bassesse sont-elles une véritable volonté de nuir ou bien un simple égoïsme forcené qui, en portant l'individu à se préférer sans cesse, lèse indirectement autrui? La philosophie est totalement impuissante à répondre à ce genre de questionnements, tout au plus peut-elle produire une indéfinité de théories à partir d'axiomes qu'elle doit poser sans jamais les vérifier. C'est le cas d'un Rousseau qui fonde sa théorie sur le postulat d'une nature humaine spontanément bonne (du moins portée un tant soit peu à la pitié) et d'une société pervertrice. Mais en ce domaine il est absolument impossible de mettre en place un dispositif expérimentale permettant d'une part de vérifier les prémisses, d'autre part de contrôler les déductions. Il faudrait, pour cela, imaginer une société totalitaire capable de faire des expériences sur les enfants à grande échelle et, même alors, il n'est pas dit qu'une telle société n'impliquerait pas déjà une préformation du caractère chez les enfants...

Comme dans tout ce qui compte dans l'orientation de sa propre vie, on s'en trouve réduit à la croyance et l'hypothèse incertaine... D'aucuns vous diront qu'il est nécessaire de poser des prémisses optimistes afin de constituer le monde dans lequel nous souhaiterions vivre. Simplement cette proposition semble, à l'esprit lucide, bien trop idéaliste (au sens philosophique du terme), voire solipsiste, pour tenir une seule seconde face à la vilénie du genre humain, et au désir de vérité.

Non, il faut vivre en tenant pour acquis que la médiocrité globale est le seul équilibre auquel ait pu atteindre la création à travers notre race dégénérée. Il faut vivre malgré l'exécration quotidienne du "monstre bipède", à travers l'indéfinie variation de ses profils tératologiques qui s'offre à nous dans le prosaïsme de la vie sociale. Il faut vivre avec ses propres transcendances sans plus jamais espérer qu'elles puissent être partagées, même par les gens que l'on aime encore.

mercredi 4 septembre 2024

Parce que c'est notre projet

N'avoir rien à dire n'est pas une bonne raison de se taire. Au contraire, il faut obéir à la routine qui structure l'égrenement des jours, il en va de l'obligation morale d'épouser son conatus et de maintenir suffisamment vif le goût de l'existence. Alors ce ne sont pas quelques destructions écologiques dues, par exemple, aux mines nécessaires à fabriquer les serveurs accueillant cet ornement du vide que constitue ce journal qui vont nous arrêter! Il faut écrire et emmerder le reste du monde parce qu'ici-bas rien ne peut persister sans combattre contre l'univers entier qui agit comme une immense force cherchant à grignoter tout objet moribond à travers d'indéfinies incarnations et leurs formes propres de métabolisme. Et même si notre vie entière et toutes nos productions ne sont, au final, que de vulgaires déclinaisons du vide égotique, il faut les imposer à sa passivité et surtout aux autres égoïsmes qui tendent autrement à saturer l'espace vital ainsi laissé vacant. Vivre, écrire de la merde, pour que d'autres ne le fassent pas à notre place: voilà notre projet et le sens de notre vie.

lundi 2 septembre 2024

Tri sélectif

On n'est rien sans les autres. Chaque jour se remettre à l'ouvrage est une vaine compulsion de broder sur le rien le fin fil d'un récit capable de tisser de sens un enchaînement de phénomènes aussi vains que ceux d'un lieu sans visiteurs -- et cet enchaînement c'est ce soi qu'on tricote laborieusement, à coups de radio-réveils et de cafés, de sucres sur la langue et d'espoirs à peine avoués; peut-on passer sa vie à se sauver soi-même?

Même à avoir amassé les fragments d'une œuvre grandiose, seul dans sa mansarde, il faudra bien qu'autrui daigne y accorder du crédit, ourdisse la valeur à partir d'un regard, puis qu'enfin ces regards s'entrecroisent et se nouent pour forger l'étoffe de quelque chose qui s'insère dans le réseau d'une culture. Sans cela, rien, pas plus d'œuvre que de vie aux confins d'un espace qui s'étend plus vite que nos moyens de le traverser. Tout l'écheveau d'une existence à tresser des fils élimés de vie malade n'aura pas même été une virgule dans l'Histoire, ne pas exister aurait au moins eu l'élégance d'une économie de ressource et de souffrance qu'on peut largement qualifier d'écologique.

Mais non, bien sûr, il aura fallu produire un déchet de plus qu'il faudra recycler...

dimanche 1 septembre 2024

L'oxymore

Il faut se forcer à maintenir une structure quotidienne, voire hebdomadaire, capable de mailler l'informe vide qui nous sert de milieu naturel. Il faut le faire avec acharnement et sans jamais attendre de savoir si cela mène quelque part; car alors le délitement de nos choix, la disjonction de nos désirs, la fragmentation de notre mémoire finit par faire de chaque instant cet absolu sans origine et sans destination -- il n'y a plus un chemin à même de mener l'instant à un quelconque passé ni à quelque avenir... Hors du suicide ou de la destruction de soi, il ne reste qu'à poursuivre les mêmes rituels qui nous servent de jalons et de haltes dans la course vers nulle part qu'est l'existence humaine. Nous devons construire avec, sous les yeux, la dévastation permanente d'une entropie principielle; nous devons aimer avec, dans le cœur, le sentiment de la désunion; se tenir droit avec, dans chaque membre, l'effondrement gravitationnel. C'est toute cette antithèse aux lois de la physique qui constitue au fond notre seule nature d'âme pulsatile. D'un côté la promesse des confins, de l'autre l'angoisse de la poussière. Et voilà qu'entre cela se déroule un destin, dont, d'ailleurs, la nature de destin dépend de cet abrupt couperet que constitue la mort.

Oxymorique est l'existence humaine, voilà pourquoi la haine est si proche de l'amour.

mardi 27 août 2024

Hors-catégorie

"Soyez aimables car ceux que vous rencontrez livrent une dure bataille"

Philon d'Alexandrie

 

Parfois le monde vous accorde une trêve et fait cesser, pour un temps, le déluge d'emmerdes qu'il s'indiffère à voir tomber sur vous quotidiennement -- jusqu'à tassement des vertèbres de l'âme et aplatissement total de l'être. Ces moments là, on peut croiser son semblable sans voir en lui l'insupportable synthèse de sottise et d'assemblage hétéroclite de qualités péjoratives qui le signalent habituellement, de manière presque olfactive, à notre esprit. On peut baisser les armes et cesser de voir les choses à travers le frémissement d'une rage constante, on peut jouer à se faire croire, même, que la guerre est finie, que l'on n'y prendra plus part, qu'on ne s'y fera pas reprendre une énième fois.

Mais c'est sans compter l'éclair fugitif qui vous fait entrevoir soudainement l'épée de Damoclès suspendue dans les cieux, les yeux d'autrui, la malveillance administrative, l'indifférente exploitation de l'homme par l'homme, etc. Trop tard, elle s'est rappelée à vous, vous la sentez effectivement sans même que l'objet vous soit donné par un quelconque sens externe. Impossible de se reposer, impossible de ranger sur le ratelier l'immense fléau qui vous sert de maigre renfort pour repousser le mal qui croît et prolifère dans les débris du "monstre bipède". Ce n'est qu'une question de temps, il faudra de nouveau se faire piétiner heure après heure, éviter les crocs trainantes des hyènes alentours qui cherchent à lacérer tout ce qui dépasse d'idiosyncrasie -- c'est-à-dire à la fois votre indignité et votre dignité -- tout en continuant d'appeler ce jeu la vie cordiale entre sociétaires égaux et fraternels.

Inspire un grand coup agoniste, chaque aube et chaque crépuscule un combat hors-catégorie.

lundi 26 août 2024

L'illusion de la pierre

Parfois le besoin d'écrire éclaire d'un froid scyalitique la vacuité de l'esprit. C'est à ce moment là que l'on voit pendre les radicelles de ses désirs, fondés sur le rien et qui tirent leur vélléité de cet indéfini possible du néant. On aimerait pourtant tout dire, que les mots que l'on agence projettent autour d'eux, lithographie de l'âme, l'ensemble de la vie de l'esprit, qu'ils soient enfin cette pellicule du cinéma intime. Et pourtant, le film projeté reste parfois, si souvent, désespérément opaque et vain, la toile sombre ne laisse entrevoir aucune poussière, pas un photon ne s'en dégage; mais il y a tout le monde autour qui luit de sa présence sourde: les murs du théâtre, les sièges et gradins, les rideaux carmins qui pendent mollement enserrés à la taille par une corde dorée qu'on a noué autour. Et tout ce petit tableau, qui contient en son centre un trou noir, pourrait être une scène projeté sur l'écran de la conscience, et rien de tout cela ne saurait finalement contenir l'œil: tout le monde supposément extérieur ne se donne jamais qu'en tant qu'objet, phénomène qui tient dans le regard des sensations, configuré par l'entendement, saisi comme un tout fini.

Et si la seule réalité était ce soi indéchiffrable et dont les mots ne sont que les créatures anamorphiques?

Même ce journal alors ne serait que la prose d'un Autre et toute la conscience l'illusion de la pierre qui sait son chemin sans connaître sa cause...

dimanche 25 août 2024

Sur l'autel

On peut croire, lorsqu'on est jeune en âme, que la vie est importante et si précieuse qu'elle n'aurait pas de prix. Et pourtant, il suffit d'ouvrir un peu plus les yeux pour s'apercevoir que la mort ne changerait pas grand-chose, pour nous elle serait imperceptible, nous n'en aurions pour ainsi dire pas conscience, nous cesserions tout d'un coup et ce basculement accompli ne saurait être documenté par la conscience abolie qui n'aura connu que l'éternité de sa durée. Pour les autres le deuil est éphémère, fugace, il n'y a guère d'humains qui ne soient empiriquement oubliés -- je veux dire dont l'absence n'implique plus de souffrance de manière effective et concrète, ne déraille plus le train des obligations et des considérations quotidiennes -- totalement au bout d'une année ou deux.

Sortez uriner dehors, dans l'herbe encore humide de rosée sous les traits obliques du soleil matutinal et imaginez que la mort vous foudroie tout-de-go, maintenant dites-moi honnêtement: quelle différence cela ferait-il?

On croit que le bonheur est le "Bien Suprême" mais ce ne sont là que fadaises d'enfants égoïstes ou du moins individualistes. L'humanité recroquevillée sur elle-même cherche à se gaver toujours plus de fruits, de stupre, d'années, d'existence, afin de se contempler dans le miroir de sa vanité.

Peut-être qu'il faut sacrifier sa vie, comme le firent nos ancêtres, à un projet de transcendance qui, seul, pourrait donner de la valeur et du sens à cette aberrante errance humaine. Ce serait alors l'altérité, la négation de nous-même qui donnerait à l'homme sa fin et sa dignité: exister non plus pour produire de l'humanité mais de l'Autre, faire de soi le matériau d'un projet arbitraire et grandiose...

Mais quel projet?

samedi 24 août 2024

Le Job

Le job consiste en une et une seule chose, si tu l'acceptes: faire éclater la forme en la surchargeant de l'intérieur, la laisser devenir peau afin que ton cœur pulsatile et ivre la tende juste assez pour qu'elle ne se déchire point mais garde à jamais les stigmates de ton indéfinie puissance.

Mais pourtant le but serait qu'elle se déchire non? Qu'elle laisse enfin couler l'âme infinie hors de sa conque?

Bien sûr, c'est ce que tu désireras de toutes tes tripes mais cela tu ne pourras jamais l'atteindre et c'est bien là l'aspect tragique de la chose. Pour cette raison je te pose une dernière fois la question âme: veux-tu toujours être humain?

Vivre dans un échec? Exister par la frustration? Arpenter l'innacomplissement? Devenir le point de rupture d'une nature duale? Qui voudrait cela?

Des milliards avant toi ont désiré ce sort, parmi eux quelques-uns sont parvenus à surcharger d'infini les finis phénomènes, mais je vais t'avouer quelque chose: ils ne l'ont jamais su: ils n'ont connu d'illimitée que la souffrance.

Documents tragiques

Oh ce ne sont pas des ruisseaux que je décris en ce journal mais les méandres térébrants d'une psyché en quête d'absolu dans les bornes constrictrices de la finitude. Il n'y a véritablement aucune autre explication à tous ces signes vers une transcendance phantasmée si ce n'est la conviction pleinement vécue par certains que l'existence humaine constitue une errance; que la véritable origine se situe dans l'informe et l'indéfini d'une réalité méontique. L'œuvre est une sonde envoyée dans l'infini et qui cherche à travers le brouillard des phénomènes sublunaires une porte de sortie vers l'Ailleurs. Une tentative de percer le voile de l'étant.

Et nous échouons, encore et encore, en cela l'œuvre d'un homme n'est jamais que la documentation d'un échec, d'une tragédie.

mercredi 21 août 2024

Polymélie

À mesure que la vie dévoile sa nullité à l'homme vieillissant, l'écriture devient un passe-temps à l'intérêt croissant. Auparavant simple exutoire jaculatoire de l'accumulation primitive de puissance ou bien monotone exercice d'entraînement que l'on exécutait machinalement et sans plaisir, l'écriture devient peu à peu cette déchirure dans l'espace-temps à travers laquelle il devient loisible d'oublier, durant quelques minutes, la vanité de toute chose.

Il me semble que plus je vieillirai, plus j'écrirai avec plaisir. D'une part parce que mon corps se mue en une vile structure algique et que dès lors l'inconfort de la position arachnéenne de l'écrivain se dissipe dans la banale souffrance de tout instant, s'égalise pour ainsi dire dans la médiocrité ambiante. D'autre part parce qu'il n'y a plus guère qu'ainsi qu'il devient possible de contempler un tant soit peu de beauté en ce monde. Les lois naturelles, les structures sociales et politiques, enfin les gens, même les plus proches, se révèlent d'une hideur toujours plus grande et l'écriture, aussi pathétique soit-elle, de quelques phrases rythmées sur le papier virtuel d'une énième plateforme à absorber les vies paraît alors briller d'un éclat d'autant plus singulier que rare...

On ne vit pas lorsqu'on écrit, on suspend son existence ainsi que l'infernal processus d'ontogenèse de l'ecceité. On se retire du monde et de sa propre nature pour devenir cet être polymèle fait de tissus de pures relations qu'est la langue. Une pure valeur en somme, c'est-à-dire la sorte de fantôme la plus mystérieuse en notre monde sublunaire.

Tsunami

Il est un trait de caractère dont je me demande s'il appartient à l'humanité ou à mon hideuse et sophistiquée idiosyncrasie. Avec l'âge, en sus de toutes les altérations biologiques qui rongent l'organisme et menancent à tout instant son principe d'unité, viennent se faire sentir, d'abord avec discrétion puis par des pics d'intensité insoutenables, les aiguillons de l'ennui. Cet ennui est le signe indubitable capable d'exprimer, dans sa totalité, l'existence et la condition humaine. Plus rien ne fait bander pour ainsi dire, toute activité ne se révèle que par ce qu'elle est incapable à procurer à l'esprit et au désir d'absolu qui nous habite et nous cloue, de plus en plus fermement, aux ailes de la passivité désabusée. Tout est vain, poursuite inutile du vent, et ces instants où la nudité de l'existence se révèle, pour ainsi dire cellulairement, se multiplient et ôtent, à chaque occurrence, une part un peu plus importante de la naïveté nécessaire à l'homme pour vivre humainenement.

Les enseignements de la physique, qui nous révèle à l'échelle atomique un monde fait de lacunes et de vide, sont tout aussi valables pour cette branche de l'étude de la psyché humaine que j'ai nommé entropologie. De la matière au désir le plus sincère, il n'y a pas une chose en ce monde qui ne soit constitué d'infiniment plus de vide que de substance. Et laissez-moi ajouter à cela, sacrilège des sacrilèges, que pas même la fumeuse idôle du Bonheur ne peut résister à l'analyse lucide de la conscience et ses regards laniaires.

C'est ce même vide, omniprésent, hégémonique, qui vous aspire en toutes vos entreprises et vous retire de la berge ferme des actions concrètes comme un ressac de grand coefficient.

Mais lorsque la mer se retire trop loin, le tsunami arrive-t-il ensuite?

samedi 17 août 2024

[ L'alchimiste ] Minéralisation de l'âme

Tout, sans cesse en l'épopée humaine, s'acharne à faire obstacle au rythme qui pourrait rendre vivable le fléau de la conscience. Structurer minitieusement son quotidien, bâtir une routine capable de mailler l'écheveau fou des jours afin qu'il soit capable de supporter le poids de la déréliction, pour voir après cela, tout saccagé par le passage imprévisible d'un ouragan, d'une âme animée de bonnes intentions, bref de ce gouvernement despotique des foudres...

Se fabriquer un quotidien géométrique afin de ne plus exister que dans la permanence du vide, celle-là même d'où jaillissent les mondes et les improbables formes du chaos sublime. Il ne reste que cela à faire, mais pour y parvenir, tant de sacrifices nécessaires... Se débarasser de ces yeux qui vous guettent, de ces cœurs qui vous hêlent, des jugements qui vous enferrent, de cet amour qui pétrifie, se délier de tout ne faire partie de rien... Mais dès lors qu'un regard vous délinée c'est fini, vous faites partie d'un monde qui vous gouverne de ses principes, votre destin lui-même est cette forme du chaos jaillie de ses lois éternelles.

Exister géométriquement, comme une loi inviolable, voilà qui pourrait rendre l'existence endurable, mais peux-t-on encore appeler cela existence? De créature produite par des principes devenir condition de possibilité de ces créatures que l'on nomme œuvres?

À l'impossible nul n'est tenu mais néanmoins cette société aveugle exige à chaque instant le sacrifice de mon rêve et résout l'équation que je suis avec la lenteur sadique qu'impose la sinuosité de toute tragédie.

Haïr la vie sans oser la quitter, n'est-ce pas suffisant pour faire déchoir une âme en amas de poussière, en  petit tas d'humus?

Limogeage

Être renié par tous est le seul moyen d'être libre

 

Quand sera clôt enfin

Le cercle de ma vie

Qu'en aucune âme

À jamais

Ne sonneront ces cris

Je pourrai disposer

Du monde me faire limoger

Mourir en la ville éponyme

À jamais seul ô combien anonyme

Avoir déçu tout le monde

Encore plus que soi-même

Être à l'acmé de la médiocrité

Jusque dans ses échecs

Il est peut-être temps

Moire

De jeter ce brouillon

Pour un destin plus digne


mardi 13 août 2024

Phainestai

Le bruissement calme des feuilles dans le palmier et le silence de cette après-midi estivale font vibrer la nature d'une présence indéniable et ceinturante. Le reste suit presque spontanément: les vers géophages se faufilant dans le sous-sol, les taupes creusant leurs galeries clandestines sous le potager, les muridés courant entre les herbes, les buses qui scrutent attentivement le sol éclairé par les rayons presque palpables d'un soleil de plomb. Tout existe tellement qu'il est impossible à l'homme conscient de tout cela de ne pas considérer avec acuité la lacune qui lui fait lieu d'intériorité. Toute cette lumière ne fait que le traverser pour se dessiner en sensations qui s'organisent dans la perception d'un monde qui tient toute la place. Le soi n'est qu'un centre absent et fuyant vers lequel le monde centripète fait captieusement signe -- mais dans quel but?

Sa vraie nature?

Le plus effarant dans tout cela, c'est la possibilité toujours latente d'avoir fait totalement fausse-route toute sa vie durant... Qu'il soit possible que tout cette construction vaniteuse et souffreteuse de textes ne constitue au final que de vulgaires traces infantiles sur le palimpseste de la durée, que rien de tout cela ne vaille quoi que ce soit pour qui que ce fut et que, finalement, l'on se retrouve seul face au monde, accroché à une pathétique affirmation de soi qui aura servi de raison d'être à un atome vicié, fracturé, sans autre force de liaison qu'une ivre foi bâtie sur le lit de l'erreur.

D'être véritablement sans valeur, pour quiconque autre que soi-même, et s'apercevoir alors du mal que l'on représente en un monde où tout nous renie, où la physique des particules humaines nous oppose, inébranlable, inflexible, sa loi que tout notre être s'acharne à violer avec une spontanéité incurable et révoltante. Être cela, est-ce encore possible? Est-ce encore vivre qu'un tel destin?

Mais il est encore plus insoutenable de savoir, avec la certitude de l'expérience, que tous ceux qui ont réussi socialement, tous, presque sans exception, n'ont jamais connu, même infinitésimalement, l'ombre de ce doute, le sillon laniaire de la remise en question et de la négation de soi. Tous ces gens apparaissent alors comme des monstres que tout le monde adule néanmoins et que l'on est finalement seul à percevoir ainsi -- ce qui fait de vous-même l'authentique et véritable monstre, idiot dégénéré, toxique, délétère, répugnant, sanieux jusqu'au trognon de l'âme...

lundi 12 août 2024

Frankenstein créature

Réussir, pour un artiste, est gage d'obtenir les conditions optimales d'une création prolifique d'ouvrages, de pouvoir se concentrer pour ainsi dire. Mais, l'obligation de rendement qui accompagne un tel privilège, le besoin de retour sur investissement de ceux qui assurent au parasitisme artistique un alme biotope, ne sont-ils pas le germe certain d'une asphyxie future? L'œuvre ne se nourrit-elle que de contemplation? N'a-t-elle pas besoin aussi de la brûlure de l'exploitation salariale, du mépris de classe, de la privation, du désespoir? On peut imaginer que tout cela se trouve aussi dans une vie oisive de parasite, la vie du synanthrope qui observe ses semblables payer de leur quintessence l'indécent portefeuille de milliardaires sataniques. Lui aussi est un esclave, un prostitué au service de ses créditeurs. Lui aussi contemple, avec plus de liberté encore, l'absurdité de tout l'étreindre, lorsqu'il sirote à la terrasse d'un café le spiritueux qui l'aide à traverser les jours, tandis que des hordes d'humains s'acheminent en masse de leur tanière au lieu de sacrifice journalier.

Mais, tout de même, il peut se dédier tout entier au projet d'une vie qui s'épanouit en œuvre...

L'autre, celui qui demeure dans l'ombre, sans relation aucune pour être coopté dans le petit cénacle, celui qui ne produit pas à la mode du jour mais dans l'espoir d'un autre temps, celui-là ne peut que glaner ça et là de rares instants de liberté créatrice dans le chaos d'un quotidien ordonné par les obligations de survie. Celui-là se déchire dans l'odieux supplice quotidien du tâcheron qui exécute en chapelet des gestes qui ne lui appartiennent pas, et rêve parfois, à l'ombre des matrices, à devenir un parasite, un puceron entretenu par la fourmilière pour ce qu'il sécrète quelque miellat capable de rendre la torture de la horde un peu moins vive et omniprésente. Il vit dans le déséquilibre d'un rêve racoleur et mensonger lui faisant croire qu'être entretenu pour vendre son âme serait plus propitiatoire que d'être une force d'un travail inepte au sein duquel quelques ilôts de répit forment l'archipel d'une œuvre disloquée, lacérée. Mais qu'en sait-il au fond? Et ces maisons closes  au sein duquel officie l'artiste vendu au succès ne sont-elles pas, au final, des abattoirs pires que les usines et bureaux du vulgum pecus?

Se poser la question tous les jours et poursuivre l'atroce accouchement d'enfants difformes et idiots qu'un souffle de rêve maintient ensemble dans la démarche capricante d'une œuvre fantasmée -- Frankenstein halluciné issu de l'effort toujours empêché d'être ce que l'on est en ce monde -- il n'y a rien d'autre à faire... à part se tuer.

La vérité du coq

Rien ne saurait assurer la valeur d'une entreprise artistique. Tout cela pourrait bien être aussi vain qu'un emploi dans la publicité ou la mercatique: aucun critère transcendant, aucune certitude pour celui qui existe. D'ailleurs ce terme même d'exister est fort intéressant par sa nature fallacieuse car au final on se tient sur quoi? si ce n'est sur la propre croyance qu'il y a bien quelque chose sur quoi l'on se tient pour être... Toutes les galaxies littéraires, des plus sublimes aux plus ignobles, sont fondées sur cette illusion primordiale qui est la condition même de l'existence. Il faut croire à la valeur de ses propres valeurs, il faut transmuer le vide en concrétion substantielle et s'y hisser tel un coq annonçant, sans douter d'un iota, que le soleil de la vie se lève -- et tout cela est avant tout fait pour soi-même, ne nous y trompons pas, dans l'unique but de se persuader que: vite! il faut tenter de vivre!

Abattre l'ennemi

Que sait-on de qui vit parfaitement inadapté aux structures qui le portent? Que sait-on de l'infinie brûlure du Sans-repos lancé sur les courbes du temps, à rebours de tous ses semblables, sans frère, sans étoile et sans alter ego? Beaucoup ne savent rien de cette existence nomade qui s'intercale entre les quelques dérisoires vides que laisse encore un système ignoble d'efficacité. Celui qui vit ainsi est sans cesse en danger d'expulsion, d'expurgation, ou pire, de "guérison", si jamais l'on saisit sa délinéation furtive dans les artères de la Structure. Celui-là vit sans jamais savoir sa valeur, parce qu'il ne fait pas partie du réseau axiologique en vigueur, il vit sans jamais savoir s'il n'est pas véritablement un ennemi du genre humain (et non seulement d'un système particulier), s'il ne doit pas être rectifié, s'il n'est pas une erreur de la nature.

Être en marge, penser en marge, ressentir en marge, autant d'excommunications dont on peut tirer quelque orgueil au départ mais dont, avec le temps, on finit par pâtir, s'étioler, s'interroger, se nier. C'est qu'une telle existence demande infiniment plus d'énergie que d'être porté par le courant dominant, elle est sans trêve ni armistice, elle vous ronge jusqu'au noyau et marque votre âme du sceau des parias. Vous ne pouvez vous reposer sur rien ni personne, trouver de répit nulle part -- pas même en soi --, vous êtes sans amis, sans famille, piégé dans l'envers de tout, prisonnier de votre nature qui vous exclut sans appel. Vous faites face au monde depuis la muraille étique de votre silhouette, de votre esprit et son inexpugnable extranéité, vous êtes condamné, en exil, pour toujours.

Même dans les yeux de votre femme vous êtes ce barbare qu'aucune grammaire ne rend intelligible; et le pire dans tout ça c'est que leur monde est ce qui vous maintient en vie -- entérinant ainsi votre nature de parasite.

Alors poète: la mort ne vaudrait-elle pas mieux?

samedi 10 août 2024

Harmonie cellulaire

Pour que tu m'inspires un peu de nouveau

Je donnerais un poumon, le rein, ma peau

Tant les nuits désormais sont atone à t'attendre


On dira -- dira-t-on? -- que je suis écorché

Vif, erratique à côté

Enclavé dans des songes en cendre


Et c'est pourquoi, peut-être, mon esprit est fumée

Dont la braise lointaine est cet absent foyer

Tandis qu'in(can)de(s)cent je saigne


Ai-je encore une veine

Où navigue du sang

Ou ne suis-je qu'effluve

En un lacet de vent?

 

Dans la lave des astres furieux

Je baigne mon cœur injurieux

Sans que rien, jamais, ne m'effleure

 

Pas un secret, même en miettes,

Ne pleut plus sur ma tête

Esseulée sous le linteau des nuits


Monde enfant de Solitude

Brode sur l'âme ennivrée d'habitudes

Le motif adulé de ce libre murmure


Celui-là même par lequel

J'ai connu cet abîme qu'appelle

En moi ce désir de beauté


La vérité du monde est sèche

Quand en vain l'on recherche

En son propre néant

L'harmonie cellulaire


Chante pour moi de nouveau

Je donnerai ma raison, mes yeux et ma peau

Tant en moi s'amplifie le désir de me rendre

jeudi 8 août 2024

Considération inactuelle

De toutes les espèces connues de ce système solaire l'humanité surprend par ce singulier acharnement à vivre malgré la transparente consciente de la mort et de la vanité de tout. Pourquoi? POURQUOI?

Et si toutes les grandes questions métaphysiques trouvaient finalement réponse dans le déterminisme biologique? Il n'y aurait alors pas plus ridicule que la philosophie, à part, peut-être, la religion...

mercredi 7 août 2024

Une violence inhumaine

Ça écrit encore des petites chansons d'amour sirupeuses qui vous collent à la peau comme un sucre coulant, capable de vous figer dans l'ambre de la médiocrité contemporaine et vous dissoudre sur-le-champ l'âme; alors même que des complots s'ourdissent 24h / 24 et qu'on fait sauter des villes entières en publiant des "shorts" sur "youteub". Ça fait des films entre bourgeois parisiens qui forment, tous ensemble, une belle petite famille tuyau-de-poêle au sein de laquelle même les grand-pères ont sauté leurs petits-enfants. Et ça joue les grands coeurs à mettre en scène ses petites peines de couple, ses rêves de transcandants adultères et une vision ô combien subversive de la liberté à travers le libertinage.

Si seulement un quelconque torche-cul pouvait un jour être découvert qui parlerait de vous comme d'un énième peuple élu et vous promettre une terre aussi loin que possible de la Terre... Que de calme alors, que de beauté retrouvée, que de sérénité et d'harmonie.

La pire violence, c'est vous.

Courbe brisée

En regardant le toit, par un sombre hasard, je constate une mousse récalcitrante qui s'installe sur les bords de l'édifice. Étonnant: nous avons fait démousser la maison il y a seulement deux ans maintenant. Étonnant comme l'ordre humain est voué à disparaître sous le grignotement tenace et incessant de l'entropie. Toutes nos entreprises sont aussi vaines que cet éphémère démoussage qui n'a d'utilité que le fugace soulagement procuré à deux êtres dont l'existence même obéit à ce principe: travail, consommation, travail consommation. Aucun effort, aussi inepte soit-il, ne saurait produire dans le monde quelque chose d'absolument durable; mais sans aller jusque là: qui puisse simplement repousser l'entropie assez longtemps pour que cela en vaille la peine.

Vivre vaut-il la peine de quoi que ce soit? Peut-être pour prolonger à travers l'enfantement les espoirs qui nous ont mené là, à l'ourlet d'un destin qui s'achèvera sans faire aucune différence...

Si l'on regarde attentivement l'histoire pourtant, il apparaît assez clairement qu'aucun progrès réel ne permet d'imprimer un sens à la flèche du temps. De la préhistoire à aujourd'hui, toujours les mêmes vices agissant comme les forces cinétiques d'un immene billard planétaire. Une certaine anthropologie nous laisse même entrevoir la possibilité d'une dégradation de l'humanité vers toujours plus de perversion, de désirs non-naturels et pour cela sans limites.

Un humain est pareil à une maison: livré au temps, il finit recouvert de mousse, infesté de parasites, écartelé par les éléments, disloqué fragmenté désuni, sans plus aucun principe d'organisation capable de lutter contre l'engloutissement d'un repos étal. C'est probablement pour cela qe l'instinct vital nous pousse à se reprduire comme des cafards. Parce qu'une vie humaine ne peut que chuter lourdement après la brève ascension d'une jeunesse qui n'est que feu de paille et poudre aux yeux. Aucun individu ne transcendera sa finitude. Faut-il croire que l'espèce y parviendra? Peut-être... après tout qui sait si cette frénésie destructrice qui caractérise notre époque ne sera pas surmontée comme un échec duquel on apprend à se surmonter soi-même. C'est possible et une part de moi, ténue, y croit un peu je dois admettre.

Mais dans l'instant il faut bien constater une chose: dieu que le monde est laid.

lundi 5 août 2024

Le vrai courage

Pourquoi écouter, homme du néant, les jugements recrachés de ces gens effrayés par la mort, vomir à tes oreilles ô combien serait lâche ta fleur de liberté? Eux qui ne savent pas tenir -- ne serait-ce qu'un iota -- le regard de l'abîme, et par là-même s'ignorent infiniment... Rien de plus courageux au contraire que la courbe brisé du destin qui s'abîme -- de lui-même. Adrien, tu sais pourtant, tu sais mieux qu'écouter ces miettes d'hommes jeter de leurs fenêtres le mobilier par lequel ils adornent le Néant. Adrien: ce nom étranger qui sonne intimement sans pourtant vouloir dire une quelconque sottise. Pourquoi choisir un nom différent, et rendre commun -- par un si vain désir de sens -- ce qui est pourtant propre. Le singulier n'a pas de sens, il est le seul à pouvoir exprimer ce qui te creuse tout à rebours de l'être.

Et puis, choisis-t-on quoi que ce soit dans la vie? Même sa mort que l'on croit fleur de liberté? qui n'est peut-être au fond, qui sait, qu'un vulgaire papier à musique ourdi depuis d'innombrables éons par trois tisseuses de nos mésaventures.

Adrien... Tu pérores, encore... T'adresse au silence de ton cœur, dessinant en creux tout le non-amour d'un monde dévoré par l'humain. Parce qu'il n'y a qu'en toi que tu penses trouver ce si parfait miroir d'extrême sensibilité... Saura-t-on jamais s'il s'agit là d'une induction solide? À quoi bon SAVOIR! Que ce mot rend celui qui l'arbore claudicant, de toute sa lourdeur. Mais il n'est pas facile de désempoigner les chimères que tout humain perspire...

Ne plus trouver ni laideur ni beauté qu'en soi-même, comme si le reste du monde habité l'était par une armée de drônes, pilotés par une blafarde nécessité itérative, une sorte d'intellligence naturelle qui n'a pas encore atteint le stade sensible. Se parler à soi-même pour ne plus être seul, quelle effroyable banalité.

Non, la seule liberté -- si tant est qu'une telle chose existe par-delà le simple sentiment -- ne peut -- ne DOIT -- éclore qu'en le suicide; car il est fort probable, chers clones sans cœur, qu'aucune autre partie ne nous attende après.

jeudi 1 août 2024

Aphorisme des interrupteurs

Qu'on ne me parle plus jamais de valeur travail! Obéir à un contrat de travail est du même niveau de réification que la prostitution.


La complexité du monde et des structures de la domination ont pour effet remarquable l'effrènement, de ceux qui n'ont pas le temps, à s'emparer d'une cause tangible et unique -- autrement dit d'un bouc-émissaire --, aspirant goulument l'attention passionnée tandis que prospère, ignoré, l'écheveau causal capable d'expliquer l'injustice.


On hait a priori dans cette époque raffinée: celui qui arbore des opinions étrangères ne saurait les expliquer autrement (selon nous) que par les caricatures dont nous sommes les dépositaires, et à ce titre il ne peut jouir que d'un statut ontologique simplifié -- le barbare et ses déclinaisons (complotiste, idiot, terroriste, fasciste, populiste, etc.).

 

Je n'aurais jamais cru que le démantèlement des nations puisse avoir un tel effet dévastateur sur la cohésion des peuples. S'il ne s'agit pas là d'un démenti criant jeté à la face des contempteurs de l'idéalisme... Une simple idée peut faire tenir les mondes -- pour la simple raison que tout monde est, a priori, une idée.


Ce qui manque à tous les aiprants au pouvoir est un véritable projet démocratique, une volonté enracinée dans les tripes d'acheminer le peuple vers sa destinée souveraine et, tel un enfant devenu adulte, de s'en désaisir. Mais il y a peu de parents dignes jusqu'au bout...


À mesure que l'abêtissement augmente, les opinions deviennent convictions et l'ardeur à les interroger, violence à imposer.


Rendre chaque individu aussi binaire qu'un bit d'information, voilà qui permettra au Grand Ordinateur d'exploiter efficacement le champ fertile des sociétés humaines.


"Je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger" -- et si cet horloger n'était bien qu'une horloge?


Les bons capitalistes -- c'est-à-dire ceux responsables du succès de cette opération -- ont rapidement compris que les idées, comme les vêtements, ont besoin d'être rapidement disponibles (prêt-à-porter) pour ceux qui n'ont pas le temps de les fabriquer. Mieux: qu'il s'agit surtout que nul n'ait plus le temps de fabriquer les siennes afin qu'on leur fournisse en nos enseignes. Ainsi advint la grande manufacture des opinions et son triomphe industriel: le journalisme.

mardi 30 juillet 2024

Une idée lustrale

Hommage à Robert Férillet

Quel ennui que vivre cette époque. L'idée d'une quelconque transcendance est essentielle à endurer le viol de la réalité empirique s'insinuant par le fondement de l'historialité du Dasein sans douceur et sans amour... Mais nous avons au moins pour nous de savoir qu'elle ne baise jamais que des cadavres. À nous autres, les hommes du nihil, les âmes ont déserté depuis longtemps, s'ébattant librement dans une idée du Rien -- lustrale à vous dissoudre.

Esquisses putréfiées: millésime 2020

Redécouverte de brouillons enfouis dans la malle numérique écrit en Juin 2020. Il s'y trouve quelques matériaux pour une idée de roman qui me trotte dans la tête et, depuis, se putréfie lentement dans mon nucléaire oblomovisme.


J'en ai marre des petits écrivaillions de merde, tous ces ouvriers de la lettre! Tu crois que Dieu a pondu le monde en un an? Qu'il a posé son brouillon avant de l'amender encore et encore, par petites touches effrénées?

Mais si c'est ça alors plutôt crever! Y faut que tout ça sorte d'un seul tenant, comme une gros mollard, une toux créatrice! Bam! D'un coup l'univers! Les ilôts galactiques et leur interminable sable stellaire!

C'est comme cela monsieur que je veux écrire moi! Que ça ne soit pas un travail mais le produit presque inconscient et spontané d'une manière d'être. Et ça doit être parfait! Du premier jet tu m'entends!?

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Alors je hurle, je gronde comme une tonnerre d'éclairs purs: GRRRRRrrRRRrrrrRRRRRrrrrr... Et puis la bave aux lèvres je m'interromps, à quoi bon,  je suis bien trop conscient du ridicule. Tout devrait se casser autour, les murs, le plafond, les fenêtres, le quartier, la ville le monde et la réalité. Tout devrait se soumettre et se dissoudre dans l'incommensurable colère de mes nuits blanches, les lois de la physique à genoux face au principe de mes larmes, comme une chienne la réalité, docile et bien craintive, comme on éduque les femmes.

Mais non. Rien... Pas même un frémissement de l'espace-temps, pas une réaction du monde extérieur: RIEN. Et quand bien même je me lèverais pour tout casser, tout envoyer valdinguer, ce serait toujours moi le premier blessé, avec des fissures dans la carcasse et contusions sur les membres. La seule chose qui s'écroule ici c'est moi, moi syphon minable au fond d'une baignoire émaillée qu'est la vie...

Alors bien docilement je referme la bonde, et je regarde s'écouler dans un filet furieux les scories de moi-même. Peut-on parler d'évènement lorsque du vide aspire du vide...?

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Bernard Ragueule, c'est un nom qui me va, ça a des sonorités gutturales qui résonnent comme le cri étouffé des vies qui débutent.

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Tu vas pas me filer ta thune. T'es une conne certes mais tu t'es fait baiser toi aussi par le système. Et c'est peut-être pour ça d'ailleurs que tu es conne. Parce que des sales connards ont bâti un monde pour eux en baisant tous les autres.

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Est-ce qu'il vaut mieux parler au passé lorsqu'on s'exprime à son sujet? Je ne sais pas. Je me souviens de tout néanmoins, des moindres détails, je souffre d'une hypermnésie destructrice qui surcharge le présent de souvenirs. Il ne reste rien alors du présent, ou trop c'est selon, comme s'il était déjà un souvenir comme les autres...

Une question existentielle

Pourquoi diable habiter en ce coin d'univers où tes yeux m'ont élu soleil?

dimanche 28 juillet 2024

Yeux d'humain

Le secret peut vous tuer de plusieurs manières. Il peut d'abord vous transcender si loin hors des cadres de l'humanité qu'il ne reste plus rien de vous-même: une métamorphose totale comme la pratique l'univers par le flux temporel. Mais il est probablement très rare, voire impossible, que cela arrive vraiment. Plus souvent le secret vous rend fou de l'avoir contemplé.

C'est la contemplation du ciel étoilé qui, depuis tout petit, me transporte auprès du secret. J'observe la tache sombre qui nous enclôt tous, grevée d'indéfinis scintillements, et je vois, à travers le prisme déformant de la connaissance, des implosions nucléaires à des année-lumières de distance, je vois les particules radioactives, les vents solaires, les jets de matières, le flux de la lumière dans sa vitesse égale... Tout cet absurde agencement d'improbabilités, de chaos, qui pourtant s'ordonne à jamais inintelligiblement.

On ne possède jamais totalement le secret, il nous effleure, il s'invite en nous celé d'opacité, empaquetant l'incandescence dans les eaux noir d'un Léthé cellulaire. Même quand on croit détenir le secret, il nous est impossible d'en expliquer le contenu, d'en dévoiler quelque chose de positif et de déterminé. On le sent, comme une plénitude que nulle catégorie ne peut capturer. En réalité on ne détient rien du tout, le secret nous quitte aussitôt et nous laisse bouche bée, frémissant du souvenir bouillonant de quelque chose qui n'est plus là, qui n'a jamais été là, qui ne saurait se trouver nulle part...

Même quand on aimerait se perdre dans l'abîme, le regard de l'âme ne sait objectifier ce qui ne saurait l'être: dès qu'il se focalise tout devent flou, tout fuit au-dehors, repoussé vers l'envers d'un horizon qui recule. On sent, du fond de ses entrailles, qu'on aurait pu se jeter tout entier dans le terrible secret, quitte à y laisser sa diaphane peau... mais la réalité nous dément, et cette trace d'infini demeure à jamais en nous la mémoire d'un membre fantôme dont on ne peut témoigner.

Ô combien l'homme a toujours un pas au-delà de lui-même, et qui l'exclut de sa propre identité, la rend irrémédiablement nulle et non avenue...

Tous les trous noirs de toutes les galaxies sont des yeux d'humains -- et de ces yeux jaillissent les mondes.

samedi 27 juillet 2024

Shiva

Vivre? d'accord mais à quoi bon? Gonfler un ego sous la concupiscence de hordes d'anonymes qui rêvent de vous annihilier sous leur éclat possible? Dissoudre cet ego dans le contemplation du Tout, se voir comme concrétion singulière d'une substance uniforme, comme expression de Shiva? Et dans les deux cas, à quoi bon? Pathétique poursuite du bonheur, de l'abolition du cycle -- qui s'apparente au final à une forme de bonheur dès lors qu'on considère le monde comme une illusion propitiatoire aux boursouflures  laniaires de l'ego --: il s'agit toujours de s'excepter d'une condition commune misérable. Et quel genre de pathétique robot sans émotion peut avancer dans l'existence sans la boussole de l'ego, acceptant tout uniment, traversant le magma des relations sociales avec équanimité... Sage? Jamais de la vie! Comment appeler sagesse ce qui n'est qu'un refus de la vie humaine dans les modalités qui la caractérisent universellement?

Non, en réalité je vous le dis: le sage n'est qu'un transhumain comme les autres; qui appelle de ces vœux le surhomme, c'est-à-dire précisément le non-homme.

Et malgré tout, celui qui écrit ces paroles, croyant par là éclairer le monde d'une lumière inédite (ou du moins peu entrevue), doit, pour ce faire, se faire croire à lui-même que l'écriture vaguement poétique qui lui est familière est une sorte d'expression naturelle, dont il n'est que l'instrument -- et non l'auteur --, et qu'il en va ainsi de la participation d'une harmonie cosmique qu'il s'agit d'entretenir bon an mal an...

Et si je cessais de croire à cela -- comme ici -- alors je serais effectué, comme toutes choses, sans plus avoir à prétendre agir en quoi que ce soit dans la responsabilité prếté à tout auteur. D'auteur, je n'en connais pas, si ce n'est trois pies tisseuses de mésaventure, qu'on se figure ainsi afin de mieux pouvoir les détester.

Quelle subtilité que ce texte, mettre en scène le fait d'être dupe de soi-même sans vraiment l'être au fond... Et tout cela pour quoi?

À quoi bon?

Produire un tant soit peu de beauté dans les yeux d'un lecteur...?

Aller aller pauvre âme empruntée: être dupe... sans vraiment l'être au fond...

vendredi 26 juillet 2024

Deuxième cerveau

Si je ne me lève pas au matin, vacillant sur mes échasses molles, claudicant vers l'excitant matutinal comme un camé en manque; si je ne répond pas présent lorsqu'une dent de la Grande Horloge, qui porte mon nom, s'enclenche lourdement; si je ne m'astreins pas à courber ce corps ingrat face à l'écran plus ou moins docile pour y déverser quelques songes aussi vain que la Création -- et qui pourtant forment le noyau d'une vie:

une seule chose en ce méta-système changera-t-elle d'un iota?

Si je ne fais rien, alors rien n'adviendra: je continuerai de vivre la vie d'un genre d'être sis entre le règne végétal et fongique, une synergie d'organes ergotant poursuivront sans relâche leur prêche infâme sous la voûte du Grand Nihil et le souffle transparent de mon haleine continuera à gonfler un genre de tonos qui dessinera sur fond d'azur la silhouette pithécanthrope de ce Je irrémédiablement autre.

Il faudrait arracher une fois pour toutes la conscience du merveilleux système symbiotique de ces cellules, et se laisser guider par le collège infaillible du microbiote intestinal, afin que règne l'harmonie d'un organisme tendu vers un but inconnu de tous et qui semble piteusement défier l'entropie à la manière d'une érection qui s'essoufle face au vide. Ce deuxième cerveau -- sans ombre cette fois-ci -- me paraît digne d'intérêt du haut de sa toute puissante esthétique. La vraie société se trouve au fond des intestins, dans la machine dépourvue de fantôme.

jeudi 25 juillet 2024

Aghori

Est-ce une forme de mort si dramatique, de ne plus donner assez d'importance à ses pensées pour les retenir? Ne plus incruster les mots qui nous enthousiasmaient dans les réticulaires méandres de la mémoire? Rendre le terrible étincelant, voilà un projet qui valait le coup. Le faire à travers pensées et puis mots. Non pas comme ces aghoris qui dévorent la chair humaine et soupent de leurs excréments, mais pêcher dans la sphère des concepts toutes les idées sombres qui circulent en la psyché séculaire, s'en repaître jusqu'à la nausée, et digérer l'horreur pour n'en laisser que matière à formes sidérales.

Je digère l'époque qui est la mienne, et rien ne sort désormais. Qu'arrivera-t-il enfin lorsqu'un niveau d'énergie s'ouvrira de nouveau? suffisamment puissant pour alimenter l'illusion que quoi que ce soit puisse avoir une valeur quelconque -- y compris, et surtout, quelques gribouillis dessinant en creux l'insaisissable mouvement psychique d'une âme à la dérive?

mercredi 10 juillet 2024

Aphorismes de l'entropologie

La résection, ces deux dernières années, du poète en moi fait certainement office d'un genre de résipiscence en apparence cruelle. Mais n'est-ce là qu'apparence? Y avait-il tant de mal à ourdir par d'ineptes glyphes une entropologie?

 

Le noir en l'âme n'est jamais aussi beau que lorsqu'il se donne en parure.

jeudi 4 juillet 2024

Aphorisme temporel

Le sage cherche à habiter l'instant, non à coloniser l'avenir.

Opus X

 À l'unisson de cette époque cet esprit sombre et las s'anéantit. C'est la santé perdue probablement qui bat des ailes allègrement vers d'autres astres dont l'aube entame une ascension. Tout de même j'aurais aimé être là pour mon fils encore vibrant de l'Énergie, capable d'agir ici-bas, de rêver un peu, et d'être, encore un tant soit peu, une âme un corps vivants. Mais tout se joue ailleurs, dans l'oscillogramme sinusoïdale de ma vitalité qui bat des ailes pour s'éloigner -- de moi probablement, comme j'aurais dû le faire aussitôt, ainsi que toutes choses vibrantes... Encore quelques pans de ma vie à regarder le piteux édifice s'effondrer: je peux toutefois me consoler, pour une fois il ne s'agit pas de mon fait mais d'une implacable partition musicale composée par trois pies qui tissent sans relâche la musique du monde.

Que cet opus est triste: nocturne parmi les nocturnes. Toute ma vie j'ai plongé dans les courbes: des lettres des destins des corps, et voici que la mienne semble s'infiniser dans la chute finale.

Quelle transcendance lèvera mes paupières? Je n'aurais jamais cru la souffrance infinie...

Je n'aurais jamais cru la souffrance infinie...

vendredi 31 mai 2024

Déméter (sonnet)

Sonnet écrit début Mars. Il s'agissait d'une contrainte imposée car le sonnet me laisse indifférent...

 

Du siècle mourant résonne l'hallali

L'ère des astres errants à des horizons noirs

Que zèbrent furieuses nos âmes sans mémoires

Homme! Lève-toi! de ces draps trop salis!


Si foulant le destin ton visage pâlit

Empoigne ton courage et n'aie crainte de voir

Ce qu'ont pour toi ourdi les éternelles Moires

Un velours de néant pour te parer de nuit.


La peur, au fond, n'est rien, qui dérobe à ton cœur

Les mesures d'une joie qui se mue en douleur

Il faut vite vivre le présent qui s'effeuille

 

Ou du moins le croit-on faisant fondre le givre

Quand du chaos jaillissent les étoiles ivres

Dressant l'œuvre azurée qu'une humanité cueille

mercredi 22 mai 2024

Métabolisme

Il faut reconnaître la positivité où elle existe: nous passons, tous, y compris nous-même. C'est-à-dire que tout ce qui structure notre dynamique délétère, tous les mécanismes propitiatoires à l'algésie, finissent, eux aussi, par se dissoudre dans le flux métabolique du temps. Prenez une minute pour ressentir le soulagement qui peut découler d'une telle considération: nous-même, notre petit moi souffreteux et claudicant, finirons pour nous transformer suffisamment pour que telle ou telle tropisme incommodant disparaisse enfin sans crier gare.

Un jour, peut-être, c'est l'indifférence qui remplacera la souffrance produite par la lucidité -- celle qui nous rend apparents les fils qui tissent un monde et révèlent de manière éclatante et indubitable la médiocrité de tout.

mardi 14 mai 2024

Exhausser

Des niveaux d'énergie que d'exister, et j'existe au plus bas du bas des vibrations primordiales, proche de l'absorption définitive dans le grand vide -- non pas celui qui contient toute chose en son indétermination, mais celui qui ne veut plus rien dire. À de rares moments d'un quotidien uniforme -- qui à force de me repasser m'enferme en ses deux dimensions -- je tente d'un effort sans espoir de rallier le niveau supérieur. Comme les souvenirs sont vifs en moi de l'ancien temps où brûlait en mon for un cœur d'étoile en fusion... Le réacteur mort de ma vitalité redémarre, parfois, par quelques soubresauts pathétiques qui ressemblent plus, au fond, à de poignants sanglots. Personne ne comprend cela, les autres autour de vous continuent de percevoir votre forme imprimée sur la matière du vide, comme avant, ils continuent d'être affecté par le son de vos paroles qui franchissent le bord de vos lèvres, comme avant, ils contemplent votre regard franchissant cet ourlet de vos paupières, comme avant, observent le mouvement de vos membres qui singent une existence normale, comme avant... La solitude qui en découle est plus absolue que ne l'est Dieu Unique... Personne ne saura ce qu'il en coûte d'être là, comme une ombre que tout le monde confond avec l'être même, crucifié sur la surface d'une énième caverne que les badauds fascinés habitent -- sans même pouvoir envisager un instant qu'il existe autre chose. Tant pis, je combattrai implosif à l'intérieur de cette citadelle de silence, j'y souffrirai de maux réels -- et qui sont incapables, ne serait-ce qu'un instant, de harponner les bons mots capables de tisser un pont vers un Ailleurs... Peut-être au fond qu'un jour, un saut ontique me verra débouler dans la marée lumineuse qui fut ma demeure d'alors, et tout, de nouveau, se mettra à pulser du rythme de cette énergie qui sait créer des mondes nouveaux.

Chacun de ces poèmes d'ethiops sera le témoignage de mon travail pour réintégrer cette noosphère que j'ai quitté il y a maintenant plus d'un couple d'années. Comme une marée montante, je n'ai de cesse que l'océan furieux de mon âme lèche le noyau de mes cellules, qu'il comble de vitalité le désert de mon corps; et lève cette houle qui soulève cœurs et âmes, exhausse les pensées à des cimes d'horizons.

Évohé! Évohé!

Chant du cygne ou non: que mes mots m'exhaussent aujourd'hui!