Il faut les étouffer les gens comme moi, sinon ils crèvent de leur propre vacuité. Si on ne harponne pas chacune de leurs secondes par le tribut de l'attention et du regard d'autrui, par une incalculable dette envers les êtres et les choses, alors ils percent tout instant de mille abysses insondables, criblant les minutes d'un vide qui renvoie l'écho débilitant du rien qui s'observe.
"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose" Léo Ferré
vendredi 25 juillet 2025
lundi 26 août 2024
L'illusion de la pierre
Parfois le besoin d'écrire éclaire d'un froid scyalitique la vacuité de l'esprit. C'est à ce moment là que l'on voit pendre les radicelles de ses désirs, fondés sur le rien et qui tirent leur vélléité de cet indéfini possible du néant. On aimerait pourtant tout dire, que les mots que l'on agence projettent autour d'eux, lithographie de l'âme, l'ensemble de la vie de l'esprit, qu'ils soient enfin cette pellicule du cinéma intime. Et pourtant, le film projeté reste parfois, si souvent, désespérément opaque et vain, la toile sombre ne laisse entrevoir aucune poussière, pas un photon ne s'en dégage; mais il y a tout le monde autour qui luit de sa présence sourde: les murs du théâtre, les sièges et gradins, les rideaux carmins qui pendent mollement enserrés à la taille par une corde dorée qu'on a noué autour. Et tout ce petit tableau, qui contient en son centre un trou noir, pourrait être une scène projeté sur l'écran de la conscience, et rien de tout cela ne saurait finalement contenir l'œil: tout le monde supposément extérieur ne se donne jamais qu'en tant qu'objet, phénomène qui tient dans le regard des sensations, configuré par l'entendement, saisi comme un tout fini.
Et si la seule réalité était ce soi indéchiffrable et dont les mots ne sont que les créatures anamorphiques?
Même ce journal alors ne serait que la prose d'un Autre et toute la conscience l'illusion de la pierre qui sait son chemin sans connaître sa cause...
mardi 13 août 2024
Phainestai
Le bruissement calme des feuilles dans le palmier et le silence de cette après-midi estivale font vibrer la nature d'une présence indéniable et ceinturante. Le reste suit presque spontanément: les vers géophages se faufilant dans le sous-sol, les taupes creusant leurs galeries clandestines sous le potager, les muridés courant entre les herbes, les buses qui scrutent attentivement le sol éclairé par les rayons presque palpables d'un soleil de plomb. Tout existe tellement qu'il est impossible à l'homme conscient de tout cela de ne pas considérer avec acuité la lacune qui lui fait lieu d'intériorité. Toute cette lumière ne fait que le traverser pour se dessiner en sensations qui s'organisent dans la perception d'un monde qui tient toute la place. Le soi n'est qu'un centre absent et fuyant vers lequel le monde centripète fait captieusement signe -- mais dans quel but?
mercredi 8 mai 2024
Le Trou
Est-il vraiment nécessaire de se faire comprendre d'autrui? Comme s'il fallait sans cesse justifier son existence et tout ce petit mobilier insipide qui -- le croit-on -- constitue ce qu'on est? Est-il si intolérable de laisser le monde -- une partie du moins -- vous vomir et mépriser? Le Surhomme n'est pas de ceux qui réclament l'amour d'autrui: je suis tout sauf un Surhomme.
Alors, cahin-caha, je tente d'expliquer à l'autre qui fait face ce qu'il en coûte d'être moi. Mais les mots vous font tantôt paraître hyperbolique, tantôt euphémique. Que d'emphase et de broderies ne faut-il pas déployer pour rendre un tant soit peu palpable à autrui ce grand trou noir qui vous habite; dévore votre présent d'énergie, absorbe la vitalité en cathéter invisible jusqu'à laisser ce petit tas d'ombre salie qui coule entre les murs de son destin ce bien triste sillage.
Rien ne saura donner la mesure de la souffrance qui est mienne -- aussi risible soit-elle... De quoi me plains-je enfin..! À celui qui sent, de toutes les manières, le nuancier du vide par tous les pores de son âme, celui-là sait la profondeur du tourment qui charrie les fragments perdus de soi au travers des jours. Et je l'aime comme un frère algique écartelé par les étoiles -- lui aussi. En ce qui me concerne, je ne les regarde même plus, clos sur le centre actif de ma déréliction je me fige en posture de garde, protégeant de mes membres frêles et improductifs les organes vitaux qui me maintiennent, végétativement, en survie. Je peux me prévaloir de la santé de mes intestins qui déversent leur torrent quotidien d'excréments qui n'ont pas même pour eux d'être le souvenir de plaisirs réels, mais plutôt le fantôme affairé de mes angoisses à reboucher le trou.
Le trou: tout est affaire de trou. De l'enceinte jusqu'à la tombe: un trou pour se chuter.
lundi 11 mars 2024
Aphorisme du zéro et de l'infini
"Moi, qui n'ai jamais rien fait dans ce monde,
Moi, qui n'ai jamais su vouloir ni savoir,
Moi, qui ai toujours été l'absence de ma volonté"
Alvaro de Campos
jeudi 18 janvier 2024
Échec et feu mat
Je ne comprends pas vraiment ce phénomène, pourquoi ce feu dans cet âtre fait danser en son cœur de si sombres flammes. Sur les parois se réverbère une obscurité opaque sur laquelle bute mon regard aporétique. Je voulais qu'il m'éclaire et voilà qu'il me montre un trou noir qui piège la lumière: feu, abîme -- au fond âme bien mienne.
Pour allumer ce feu, il me faut dépenser une énergie absente, à crédit. Feu inversé inondeur de ténèbres. Je paie des pulsations intimes de mon être les vacillations hypnotiques de ta combustion. Exsangue, je ne peux plus écrire de musique, produire ces formes de la seule chose qui vaille en ce monde: la beauté. Égaré dans le noir désir de ces flammes obscures, je constate: je n'ai plus rien à éclairer. Plus rien à dire, à chanter.
Échec, le feu est mat.
vendredi 15 mai 2020
Aphorismes consciencieux
Source musicale:
lundi 23 septembre 2019
Océan Océan
À perte de vue la poussière des choses, le temps a tout poncé. Point de variété bariolée et tapageuse, juste les nuances bleues de la mer et beiges du sable.
Océan, simple et sans choix, tellement intense que s'y tait la conscience.
Océan, Océan: tu es trop fort pour elle, qu'elle se taise à jamais...
Dans l'océan s'éteignent mes pensées. Ce monde est si présent que chaque voix se tait. Goutte parmi les gouttes, chose bien à sa place, pleine et dépourvue de vacuité.
Océan, Océan: tout est bien ainsi.
jeudi 12 septembre 2019
Je suis le vide entre les pas
Je suis l'autre côté des choses
L'envers sur qui l'on pose
Un regard étonné
Je suis l'ectoplasme des limbes
Métamorphe un peu dingue
Dissous dans les vapeurs d'alcool
Je suis celui qui n'était rien
Abscons et sans destin
Je suis la mort déguisée en humain
Je ne suis pas un chant de fleurs
Plutôt bouquet de tous les pleurs
Le crépuscule de tout bonheur
Je suis ou ne suis-je pas
Qui sait ce genre de choses
Je suis le vide entre les pas
J'essuie mes larmes au coin des pages
Et vous buvez mon lent naufrage
Je suis la forme d'un nuage
Je suis... Enfin je croyais être
Ici, cela ou autre chose
Façade clairsemée d'innombrables fenêtres
Suis-je un fragment du monde
Ou un regard sur lui
Une simple distance entre les infinis?
Je suis tout et puis rien
Je ne suis personne et c'est très bien
Je pourrais être chaque humain
Un beau jour enfin
Je deviendrai quelqu'un
Je pourrai dire "je suis"
Sans remettre à demain
mercredi 9 janvier 2019
Hors du vieil alphabet
Il ne faut pas que la musique cesse. Et pourtant, je sais que je cesserai d'écrire, bientôt, d'écrire pour ne rien dire, pour simplement chanter le temps qui passe, et le sentiment d'exister. Le silence qui déjà s'allonge entre les battements de mes frappes sur le clavier, annonce celui, trop long, qui viendra. Celui qui ponctuera sans marque et sans nul alphabet, le sommeil qui ne viendra pas, le manque de volonté, l'hésitation, le doute et les ruminations sans fin d'une raison qui cherche à se résoudre dans l'acte de défaire chacune des prémisses du raisonnement.
Musique puisses-tu ne jamais cesser. Et si la vie refuse de tenir dans le vieil alphabet, alors que mon coeur, que mes pensées, que mes idées, battent pour toujours le tempo du destin, qui va tambour battant. Dans le bruit ou les silences, il y a toujours quelque chose qui passe et s'en va son chemin, comme d'ineptes actes illustrent les destins sans signe, qui gisent bien en-deçà, au fond des mélodies qui ne se chantent que pour soi.
Ces mots ne sont rien, rien d'autre que le tapotement de mes doigts sur le bureau d'un soir qui s'étire. Et que sait-on de la musique entendue, lorsqu'on observe quelqu'un battre d'ennui le rythme qu'il a en tête? Tirer de ses abysses sans fond, à l'aide des formes qu'adoubent les grammaires, voilà ce que c'est qu'être un pécheur de vide. Nous cherchons tous à notre manière à tirer des vacuités intimes l'objet fini et flatteur qui justifierait à lui seul le fait que nous restions sur le bas-côté de nos vies, à observer le monde nous passer au travers sans trop savoir comment, sans trop savoir pourquoi.