samedi 24 décembre 2016

Un paquet de linge sale

Je me lève de ma vie comme d'une nuit où l'alcool a creusé son sillon d'oubli dans la mémoire. Hagard, luttant contre un mal de crâne et des pertes d'équilibre qui me font tanguer sur l'océan étale du sol. Qu'est-ce qui s'offre dans ce jour déjà bien entamé? Un combat douloureux pour évacuer le poison du corps, reprendre les rênes et continuer d'avancer jusqu'à la prochaine ornière, au prochain abîme dans lequel on portera d'abord le regard, l'air de rien, puis au sein duquel on finira par chuter en levant les yeux au ciel pour ne pas voir le fond sans fond - mais de quoi d'ailleurs?

Je me lève de ma vie, vaseux et comme prisonnier de cette trajectoire d'existence, de ces sens humains, de ces idées et sentiments, et de cette antique croyance que ce qui mène ma carlingue usée jusqu'à la lisière incertaine de ce présent n'est autre que le libre-arbitre. Mais je ne suis pas mes sens, puisque je suis capable de le penser, je ne suis pas ces idées et je ne suis pas non plus ce libre-arbitre. Par conséquent c'est bien tout cela qui me mène ici et au-delà, tout cela qui fait qu'encore une fois, je me réveille d'un oubli profond, pathétique et dérisoire tentative de sommer l'existence de livrer tous ses secrets, tentative non assumée de mourir un peu, pour voir...

Je me lève de ma vie, énergique et pourtant sans projet. J'ébroue les quelques restes collants d'une semi gueule de bois qui fait comme des flaques sur le sol, là où passe mon corps. Des flaques inégales de moi-même, des fragments que j'ignore parce qu'ils ne sont déjà plus moi.

Je me lève de ma vie, sans trop savoir comment, sans plus vraiment comprendre qui "Je" est ni pourquoi "Je" fait ce qu'il fait.

Je me lève et je vois ma vie comme un paquet de vêtements froissés à mes pieds qui ne veut plus rien dire. Un paquet de linge sale qu'il me répugne d'enfiler.

jeudi 15 décembre 2016

A simple song

Si je n'avais pas les explications cohérentes de la science sur certains points, je me laisserais volontiers aller à des associations d'idées que mon esprit produit naturellement dans cette féérie soliptique qu'il entretient avec lui-même. Les jours de lune rousse, lorsqu'elle semble surveiller la Terre de près, dénuder les âmes pour faire ressortir à la surface ce qu'il y a d'instincts refoulés, comme celui de hurler à la lune tel un loup heureux d'être là, je croirais véritablement qu'elle est l'oeil de toutes les fins, qui guette et se fait présent pour exhorter les humains à danser sur le fil ténu de l'instant.

Pourquoi ne suis-je pas resté dehors une bonne partie de la nuit à observer cette lune? Quelle servilité face aux structures acquises de la routine m'a poussé à m'encastrer, coi, au sein de mes mètres cubes d'existence...

La lune est là qui regarde, et je m'y plonge entier, mais seulement en pensée, comme tous mes voyages entrepris qui ne se feront jamais, parce qu'ils ont déjà été réalisés - dans ma tête... Je ne regrette rien, les choses aperçues me prêtent leurs formes et j'utilise celles-là comme un patron pour mes rêves éveillés. Je préfère habiter mon monde, et puis, de toute façon, avons-nous le choix...

J'ai aboli la science et je n'ai mis à la place que la simple forme des discours, je n'ai gardé que leur féminité exquise et qui, depuis tout jeune, me fait phantasmer. La forme des discours est le théâtre de bien de mes pensées, de mes émotions. Et chaque silence est là pour relever ces courbes dont l'âme se saisit pour inventer la seconde qui se livre. Le silence pour relever les formes, les formes pour éclairer le silence.

Mon curriculum vitae est une forme esthétique de vie, mais combien sont capables de voir cela? Combien mesurent la beauté de certains sacrifices, et la force de certains choix? Combien sont à même de goûter la prosodie d'une existence dont les propos sont abscons et sans importance? Combien voient comme moi nos vies comme une musique pure, allettrée, une suite de couleurs intervallées, un jeu de différence et d'écho?

Qu'à cela ne tienne si je ne suis rien pour tous, je sais moi, les heures de cheminement pour en arriver à danser sur ce pas délicat, qui pare mes traits de ce regard lucide et serein, et d'un sourire discret où se relâchent tout ce qui encombre et que l'on veut s'accaparer. Pour qui joue-t-on son existence? Pour les autres qui n'en font qu'une interprétation personnelle et nécessairement infidèle - ou fidèle par hasard, presque par une erreur de la nature -, ou pour soi-même et ce monde qui n'est que la surface où se projettent nos formes sur le réel indéterminé?

Lorsque la métamorphose du temps viendra éteindre ma conscience, j'espère avoir un dernier regard sur l'ensemble de ma vie, pour la concentrer en un dernier symbole qui ne tracera ses courbes qu'en mon for intérieur, muet, invisible, et beau dans cette finitude qui permettra au néant de le saisir en lui. J'aurais dansé sans que personne jamais ne le voit, j'aurais chanté sans même que l'on s'en doute, j'aurais mis mon destin en musique et la musique s'est éteinte, diffusée en mon sein dans un voyage ahurissant.

Personne ne saura jamais car la tonalité de sa vie est un secret qu'on emporte au-dedans de soi.

Mais, dans son projet fou de toujours créer le nouveau, la nature parfois, a des ratés - mais sont-ce bien des ratés? - et produit de son sein deux instruments si proches qu'il en sort le même son. Et alors le réel s'y heurte en écho selon deux tonalités si semblables qu'on pourrait presque les confondre. Viendra un jour cet instrument fraternel.

Toute lecture est un duo, plus ou moins accordé.

La saveur des jours

Qu'y a-t-il donc dans les jours, pour que les hommes continuent de s'y abreuver; quelle essence fait battre les coeurs et bande les volontés? Il m'arrive d'avoir la forme  de réponses possibles, ainsi, je continue chaque matin, de verser mon thé noir dans la tasse, d'écouter le bruit des autres qui s'agitent au dehors, pendant que secrètement, coule la bile noir de mon tourment, dans quelque souterrain de la psyché.

Chaque instant est une couleur qui n'a nul vide en elle, une couleur sans questionnement et sans ailleurs, réponse absolue à toutes les questions: c'est à dire la seule et unique qu'est cet instant. La mémoire crée des unités à travers les transitions, retient les couleurs qui ne sont plus et interroge leur déclin, la mémoire fait naître la volonté contraire, aiguise la frustration qui dormait insensible.

De quelle saveur se repaissent les humains dans le temps qui passe entre leurs mains?

Il m'arrive de savoir cela sans le connaître. Nul texte jamais ne jaillit de ces secondes.

jeudi 8 décembre 2016

Volonté

J'ai lié choses désunies d'un effort infini
J'ai retardé l'effet du temps en collant des fragments

Qui suis-je?

Des poussières j'ai invoqué les formes déliées
Redessiné un monde autrefois oublié

Qui suis-je?

Je trace des chemins à travers le vide
Je darde mes rayons confiant mais lucide

Qui suis-je?

Je suis cela qui pèche au milieu des limbes
Les lueurs précieuses qui désormais te nimbent

Qui suis-je?

Je suis ce qui crée et ce qui détruit
Je suis ce qui fait taire la nuit

Qui suis-je?

dimanche 4 décembre 2016

L'erreur du Léthé

L'on imagine pas ce que c'est d'être mâché par un félin aux crocs acérés...Vous voilà fragmenté en minuscules quartiers, dissout dans la chaleur visqueuse d'un sang épais, collé aux poils de la gueule, emporté par le mouvement sauvage d'une force incontrôlable. Puis la pluie se mit à tomber... Lavant ma présence de la gueule de l'animal, me faisant quitter les couleurs or de blé de ces poils où je vivais une mort heureuse, aux creux de la puissance. Je traverse l'air, dégouline par terre, agglomérant de mon humidité les grains de poussière d'une terre battue. Mais bientôt la pluie se fait diluvienne, et les petits rus qui couraient sur la terre se firent plus pesants, véritables torrents creusant leur lit de boue sur la terre aride. Je filais, dans un ruissellement féroce, éclatait dans les bulles créées par la chute violente des billes translucides qui se déversaient avidement. Je ne me souviens que du tumulte et du grisement procuré par la vitesse, enfin je vivais à cent à l'heure, fonçait sans nulle hésitation, moi qui restait auparavant pétrifié par la moindre décision, procrastinait à outrance pour phantasmer une vie épousant la nécessité des Moires.

J'ai fini par échoué dans le ventre pansue d'un marigot où venaient s'abreuver la nuit toutes sortes d'animaux. Je n'ai pas bien compris qui me buvait alors, mais j'entamais la courte traversée qui me mènerait d'un gosier à des reins, où  macérait un liquide urinaire prêt à être expulsé pour un dernier vol à la chute programmée. Je retombais vers le sol qui m'avait mené là.

Un curieux bipède passant par là, récoltait dans sa grande besace toutes sortes de terres aux couleurs ocres plus ou moins foncées. D'un geste expert il me prit dans ses doigts et me faisait retomber au sol en une pluie poudreuse et légère. Promptement je fus soulevé par un curieux objet concave pour être enfermé dans une boîte où une terre semblable à la mienne dormait d'un sommeil minéral. Noir. Secousses qui me faisaient penser que l'être qui m'avait ravi était tout de même bien maladroit, avançait sur la peau du monde d'un pas lourd et sans grâce. Mon voyage cahoteux cessa lorsque je fus rendu à la lumière sur une grande table où étaient rangées d'innombrables boîtes alignées qui formaient un nuancier gracieux à la douce gradation. Alors que je me reposais, prenant peu à peu mes repères en ce lieu peu familier, je fus mélangé sans ménagement à un liquide, puis un pointe acérée me perça de part en part. Me voici de nouveau accroché à un croc, bien que moins redoutable que ce que j'avais connu jusqu'alors. Au bout de cette mine, je m'étalais en arabesques incompréhensibles, en boucles enlacées qui séchaient rapidement sur une surface lisse à l'odeur agréable.
J'étais offert à la vue de tous, étalé sur des pages et des pages d'une histoire absconse dont je servais de signe.

Après des semaines de ce régime, l'obscurité se referma sur moi, par couches successives et lourdes entre lesquelles je n'avais pas la force de bouger. Un cuir relié contenait le mille feuille de mon existence, posé verticalement sur une étagère étrange où bien d'autres que moi vivaient un exil obscur et confiné. J'oubliais le rythme des secondes et me liait aux ans, lorsqu'un beau jour, mon intimité fut violée brutalement par un flot de lumière. J'étais ouvert à tous les vents, et la lueur vacillante d'une flammèche ténue éclaboussait sur mes pages sa tiède chaleur. Je ne sais si le bipède qui me tenait entre ses mains délicates était le même qui m'avait incrusté en ce lieu étrange, espace à deux dimensions dont le hasard avait fait ma demeure. Parfois un doigt boudiné et rose se posait sur mes formes, et caressait mes courbes avec une attention minutieuse. Pendant combien d'années m'avait-on parcouru ainsi?

Je me souviens alors du crépuscule de cette existence de papier, tout avait commencé dans une grande chaleur, fournaise invraisemblable qui accélère le temps, retire l'eau des choses et rend la peau si légère qu'elle se brésille au vent et s'éparpille à terre. Je perdais, une fois n'est pas coutume, mon unité d'antan, entamait dans les airs un ballet hypnotique au sein duquel se fragmentait mon existence qui n'avait pas de fin. Je partis, dans les sifflets du vent et les veines du monde.

Combien de temps encore devrai-je être tout, devenir chaque substance, emprunter chaque cycle, parler toutes langues, couler, voler, chuter, hurler et me taire?

Emporté par les cycles infernaux du cosmos, d'un mouvement perpétuel impulsé par on ne sait quel cruel horloger, je songe en moi-même que nulle éternité ne peut être endurée sans le précieux oubli...

Liquiderme

Songes si légers
Depuis tout jeune je suis
De tout lieu l'étranger
Né de vents âgés

Et de gouttes de pluie

Le train m'a toujours animé
Parce qu'il est comme vous
Flux d'esprit enclavé
L'écrin sans lieu des trésors

Qui se tiennent au dehors

Le rythme de Raison
Est ma seule maison
Je l'ai joué sans cesse
D'une ardente passion

Au-delà des joies, par delà les détresses

Je suis l'enfant des mots
Que Pensée entretisse
Un souffle qui se glisse
À travers les hameaux

Puis s'en repart au loin

Vers l'irréalisé des choses non vécues
Où dorment rêves et projets
Espoirs de lendemains non avenus
L'encre de l'âme et ses jets

Dessine mon sillon ténu

Les idées parfois
Sont des rais de lumière
Quand d'autres prennent foi
Moi je suivrais l'éther

Choisit de toute onde la plus éphémère

Liquide et aérien
Je ne suis point terrien
Ma forme est indécise
Mutine, imprécise

Se transforme et n'est rien

Comme le sens des phrases
Qui coule dépourvu de base
Comme concepts et preuves
Vois comme Vérité

À toute heure se fait neuve

Roule roule petit ruisseau d'idées
Laisse le lit de mes pensées
S'incruster sur ces pages
En un monde inventé

Dans une forme indéfinie

Ce
Qui
Coule
En ces
Tuyaux
N'est qu'une
Ancienne peau

samedi 3 décembre 2016

L'or et la boue

Parmi les multiples voix qui parlent à travers l'accord de mon être, existent deux antagonistes qui s'aiment pour la consubstantialité qui les lie. Il s'agit d'abord de celle qui se prend pour Jésus, non point sauveur de l'humanité, mais voix de l'humilité, voix de l'amour et de la sainteté. Cette voix, parfois me dit des choses inavouables que je confesse ici: elle me dit que je suis beau et bon, elle me dit que mon esprit est acéré et sait suivre la trace de cette chose en quoi croient les aveugles: vérité.

À côté d'elle, il y celle qui se rit de moi, qui me tourne en ridicule et me dit que je suis pathétique, risible dans mes rêves de grandeur qui n'existent que dans la cellule ratatinée de ma case où s'agite en vain ce corps si faible et qui ne réalise rien.

Deux opposés qui entrent dans une dialectique intéressante puisque propre à insuffler un mouvement perpétuel: le syndrome de Jésus est tourné en dérision par la part avilissante de ma conscience, puis la part infatuée s'empare de ce rabaissement en y faisant miroiter l'esthétique presque chrétienne et sublime de la misère d'un homme, de ses limites et faiblesses. Puis c'est au tour de la voix acerbe de reprendre aussitôt ce jugement pour en faire suinter la prétention avec son cortège d'exhalaisons méphitiques, telle une humeur sanieuse que l'esprit expulse.

C'est un des cycles qui fait avancer mon esprit.

Et vous?

jeudi 1 décembre 2016

Mélancolique par nature

Je tremble parfois et les larmes me viennent face à certains souvenirs. Certains de mes phantasmes, certaines scènes, que j'imagine seulement et néanmoins jamais produites, m'arrachent de ces hurlements silencieux du fond des entrailles, de ceux qui restent au-dedans comme une musique que l'on ne sait plus interpréter, mais dont la force arrache toute l'eau de vos yeux.

Être du passé, être une mélodie ramassée dans une durée, c'est être sensible aux secondes écoulées, c'est être mélancolique par nature, c'est cela d'être humain. Quant à être lucide, il s'agit de voir ses propres mains, presque sans âge, d'une vieillesse éternelle que la mort même ne saura figer, perdre de leur force, et sûrement relâcher ce qu'elles avaient pourtant tenu. Être lucide c'est entre autres bien regarder le glissement des images qui sombrent au sein de mers opaques d'où rien ne pourra les tirer.

On a beau s'entraîner, se préparer à ça, il y a toujours un coup qui vient frapper, au travers de la garde, et force la conscience à arrêter sa danse, à regarder le chemin qu'une bien longue nuit efface...

jeudi 24 novembre 2016

[ LE SYSTEME DU JE ] Logique, physique, éthique, logique...

Il est si simple d'oublier; n'est-ce pas d'ailleurs le mouvement naturel des choses que l'entropie désagrège sans se soucier de nous. Qu'est-ce que le souci pour une loi du monde... D'ailleurs si je devais être strictement kantien, je serais contraint d'admettre que nous contenons en nous, la forme de l'entropie, nous sommes dans notre rapport au réel un dénouement inexorable de nous-même...

On peut oublier les leçons qui nous ont tant servi par le passé. Je ne cesse d'en être la victime, dans un mouvement de vie cyclique qui me fait oublier les petits ingrédients si simples du bonheur. Mais si mes joies sont si fortes n'est-ce pas au prix de terribles souffrances? Il s'agit là d'une évidence: la joie se mesure au regard de la peine. Alors tout est pour le mieux.

Cependant, lorsque je tente d'entretenir le rêve, un peu idiot peut-être, de maintenir une longévité à la paix que j'ai pu si souvent ressentir, je m'aperçois de l'effort harassant que cela suppose. Il faut sans cesse configurer la conscience vers cet horizon, la rendre attentive et comme obsédée par ce bien-être. Tant d'efforts pour maintenir les formes d'un château de sable qui s'en ira de toute façon. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui en fait la valeur? Et les récits de ces effritements, les souvenirs de ces mini-drames alimentent tant de plaisir chez d'éventuels spectateurs - et dieu sait que l'on peut être spectateur de soi-même.

Il est étonnant de voir comme l'écriture ne reflète jamais qu'un moment de ma révolution intime, celui du tourment qui semble totalitaire et qui pourtant, annonce des moments de grâce si profonds qu'ils ont, je crois, su irradier loin à travers l'espace-temps. Peu importe, ce sont d'autres témoins de cela, pour d'autres formes d'expressions.

Il m'arrive de me demander: ai-je vraiment le choix de la forme de ma vie? Est-ce bien moi qui décide de la fréquence de ces ondes sur lesquelles je vibre? Cette réponse que je n'aurai jamais n'est pas indispensable à se choisir une position. Toute représentation du monde sert une éthique, c'est la fiction explicative du monde, les forces de synthèse qui vont permettre à l'homme de placer des cieux autour de lui et une assise plus ou moins solide où imprimer le poids nul de ses pas.

Certains Anciens savaient cela: la philosophie est un cycle sans fin et sans destination finale. Elle est un système de création de comportements, on peut en changer le moindre ingrédient à volonté, ou le moindre agencement de ces ingrédients, pour obtenir une autre attitude face au réel, une relation et un monde différent. La logique sert à élaborer une physique (et par soubassement nécessaire une métaphysique) d'où naît assez naturellement une éthique, c'est à dire un mouvement de vie avec sa démarche propre. Certains passent leur vie dans un seul système qu'ils tentent de figer de toute leur volonté, quand d'autres expérimentent à n'en plus finir la variété possible de cette dynamique créative: logique, physique et éthique.

Pour comprendre cela, faîtes l'expérience suivante: à un fait ou un ensemble de faits (mais l'un et l'autre sont au fond la même chose selon le point de vue), tentez de fournir une explication. Par exemple vous développez telle maladie, vous avez le choix entre trouver une explication psychosomatique (tel traumatisme ou angoisse a produit cette expression pathologique de mon corps) ou encore plus matérialiste (mon organisme étant fatigué et exposé à une forte concentration d'agents pathogènes, il a développé une maladie), ou encore multifactorielle (à savoir que la conjonction des facteurs matériels et psychologiques ont mené à la maladie), ou bien encore sceptique (peut-être qu'une de ces explications est juste, peut-être pas, peut-être le sont-elles toutes...), j'en passe et des meilleures. Ce qui compte c'est que quel que soit le choix que vous ferez, celui là donnera du sens à ce qui vous arrive, il sera le liant de la trame narrative que vous écrivez de votre propre destin. Un même individu peut très bien trouver un grand réconfort dans l'approche psychosomatique, et le jour d'après passer à l'explication matérialiste et y trouver tout autant de réconfort.

Pour tout évènement, a fortiori qui vous concerne personnellement, vous demandez une explication, c'est le mouvement inné de la conscience qui unifie le divers de l'expérience. L'explication, c'est à dire au final la représentation d'un monde avec ses lois est une condition de l'existence humaine. Même celui qui vouerait sa vie au pur hasard, bâtit sa destinée en fonction d'un principe: le chaos. Ce faisant, il unifie et arraisonne ce qui pourtant échappe à toute rationalisation, il fait du chaos une loi explicative de sa vie et se représente un monde paradoxalement ordonné sous le signe du chaos, au sein duquel il pourra agir sereinement. Par conséquent, et cela il l'ignore, sa vie n'a rien de chaotique...

Nous pouvons tirer une conclusion/hypothèse de tout cela: la pensée peint des représentations mentales des évènements et ce faisant produit un monde, c'est à dire une unité suffisamment déterminée pour qu'une attitude, un mouvement, des gestes, des directions, des décisions puissent être entrepris. Toutes les fictions que nous nous jouons n'ont d'autre suite logique que l'éclosion d'un positionnement, d'un choix et d'un geste. Ainsi, la dialectique permettant de résorber la dualité pensée/action est composée de ces trois moments: logique, physique, éthique, autrement dit, langage, savoir (en fait représentation et donc croyance), action.

Mais pour celui qui, conscient de cela, sait écouter et accepter l'existence possible de ces indéfinis systèmes dialectiques, l'action est le fondement d'une métamorphose de son langage puisqu'elle lui fournit des expériences nouvelles et d'autres explications possibles des évènements vécus, qui peuvent déboucher sur de nouvelles représentations d'où écloront bientôt de nouveaux comportements. Cette dynamique est un flux vital qui ne doit pas cesser, de la même manière qu'une eau doit courir pour rester saine.

Ne soyez pas une eau croupie...

Scolie: la sorte d'individu qui se vante de n'appartenir à nul monde et d'être en permanence en transit entre les lieux et les ères ne fait pas partie de la caste des voyageurs. Celui qui reste dans le train ne fait jamais l'expérience d'une autre terre, d'un autre rythme que celui de sa propre fuite. Et quel est donc l'objet de cette fuite, si ce n'est le refus de la condition humaine, qui est une condition cosmique (par essence?). Celui qui s'installe dans le mouvement pour le mouvement, sans plus jamais vouloir habiter un monde déterminé, cherche en fait à hypostasier le temps. Autrement dit il cherche à substantifier ce qui n'est qu'une médiation temporelle: il s'agit là d'une tentative de reniement de la détermination achevée au profit du processus lui-même. Ce faisant, il triche et se ment, habitant la terre indéterminée et désunie de sa propre force de représentation, ne voyant pas qu'elle n'est qu'une méthode aux productions indéfinies. Il faut croire un temps en un monde pour qu'il existe et se constitue, or cet individu ne croit qu'en sa capacité à croire (c'est à dire à bâtir des mondes) tout en reniant les productions de sa propre croyance, se condamnant par là à un exil de tout, et surtout de lui-même.

mardi 22 novembre 2016

Fiola Triolet

J'ai rencontré Fiola Triolet elle était ivre de violette
Ces boucles étaient rondes comme les clochettes
Qui tintent entre les doigts l'été

Je l'ai regardé qui passait là,
L'esprit léger musicaux petits pas
Qui claquent un rythme délicat

Dans son dos des ailes battaient sobrement
Dansons le ciel efface nos tourments
Qui s'y noient si délicieusement

Mon coeur voudrait conserver pour lui
Ces heures pétillantes de pluie
Que Fiola plante dans la nuit

Oh la douceur de ses gestes
Corps enfantin délié de tout lest
Je t'en prie reste

J'ai rencontré Fiola je n'ai su la garder
Je l'ai vu passer là sans trop se retourner
S'effacer du cadre d'un destin dégradé

Qui dont capturera ma fée
Quel être serait si parfait
Qu'il renouerait pour moi ce que le temps défait?

Son nom?
Fiola, Fiola Triolet
Deux mots des promesses à n'en plus compter

On l'a vu pour la dernière fois
Sauter dans les flaques d'un trop grand poids
Eclabousser d'innocence la face des rois

On l'a vu près des lacs du tourment
Où boivent les âmes chues du firmament
On l'a vu sur ma peine lovée dans un chant

Fiola, Fiola Triolet
Dis te souviendras-tu?
Son rire bruisse comme un champ de blé

Je prie seulement, pour qu'il ne se soit tu...

dimanche 20 novembre 2016

L'amour brisé des gens qui s'aiment

J'aimerais que l'on puisse réparer les amours brisés comme on le fait des pare-brises des autos. Un simple coup de fil, rendez-vous est pris chez un expert, le tout prend quelques minutes et on repart avec un véhicule aux vitres neuves. Peut-être quelque époque viendra où de telles choses existeront, mais ils sera probablement trop tard pour nous, le véhicule qui nous a mené si loin pourtant restera à la casse.

J'aurais pu prendre la moindre lueur de tes yeux et allumer des cieux nocturnes plus brillants que des amas d'étoiles, j'avais le souffle d'un amour infini pour cela et qui peut raviver d'une cendre la flamme enfuie depuis longtemps. J'ai ce pouvoir en moi, au moment même où j'écris ces lignes, au moment même où ma vie n'est qu'une existence à tes côtés de fantôme. Je me lève dans l'écho de tes rires et je m'endors dans le poudroiement diapré de tes yeux, je vis des expériences auxquelles tes réactions ravivées donnent un relief nouveau, indispensable à faire un monde où la dimension de mon amour existe.

J'écris des musiques hélicoïdales qui sont, maintenant je le sais, l'imitation trop imparfaite du sillon de tes cheveux dans l'air. Je ne suis pas réparateur d'amour mais qu'est-ce que j'ai de force en moi pour faire vivre ta personne, je me découvre des ressources insoupçonnées, tout ça sans effort. Je tombe au détour de mes périples intérieurs sur de nouveaux souvenirs dont j'avais oublié l'existence, il me suffit d'un geste, d'une parole, d'une scène pour que ma journée se perde dans la fragrance de tes parfums et le mouvement impur de tes mains.

On peut faire tant de choses avec les débris d'une vie commune. J'en ai suffisamment pour que ta chanson ne cesse jamais. Je possède en mon arrière-boutique des bibliothèques entières d'observations anthropologiques sur ta personne, des milliers d'heures d'images capturant le style de ta vie, et des pelletées de sentiments qui redonneraient un souffle animal à l'immobilité minérale des morts.

Je sens couler sur moi tes larmes anciennes et j'entends tes paroles en différé, celles-là même qu'une peur ancienne m'empêchait de goûter en ta présence, et qui pourtant aujourd'hui dessinent sur ma face épuisée des sourires interminables et niais.

Je monte encore dans ce véhicule au rebut, j'y dors même souvent, je vibre et danse parce qu'il est le symbole d'un idéal infrangible peut-être, mais que je poursuivrai sans faille jusqu'aux confins de ma pensée.

Lorsque j'ai vraiment trop peur, du monde et des masques qu'il revêt, je me cloître dans un baiser de toi à la durée suffisamment longue pour que s'apaisent mes angoisses. Il y a de grands lambeaux de moi dans ces baisers incommensurables.

Il se pourrait bien que je vive éternellement, ou d'une durée indéterminée et suffisamment longue pour que la fourmilière humaine si efficace fasse advenir la caste des experts en amours brisés... Qu'arrivera-t-il alors? Il me faudra en contacter un pour lui montrer l'engin abandonné, il sourira certainement devant les dérisoires tentatives de réparation que j'aurais exécutées, mais je crois qu'il respectera profondément le soin que j'aurais apporté à chaque fragment, tous les croquis que j'aurais dessinés, ces musiques composées pour rappeler le bruit de son moteur, les films qui tentent de redonner un mouvement à ce qui gît pétrifié.

Peut-être que l'on me proposera un emploi, moi l'inutile, on m'aurait trouvé là une fin agréable aux autres...

Peut-être qu'un jour je serai cet homme qu'on appelle lorsqu'il faut réparer l'amour brisé des gens qui s'aiment sans savoir comment...

Le symbole muet des vies

Ce n'est de la faute de personne si je n'ai pas su m'adapter à la société... Ou est-ce au monde lui-même? Toujours est-il que je n'ai pas su. Je n'ai pas vraiment voulu aussi, je crois que c'est pour cela que je pleurais beaucoup enfant. Je n'ai jamais accepté la résistance du réel à mon imaginaire soyeux. Dans ma tête, je suis réellement ce que je veux être. Les musiques n'ont pas besoin d'être écrites pour me procurer le sentiment qui doit en résulter,  je le goûte a priori comme s'il suffisait de penser au concept d'une pomme pour en avoir le goût. L'imagination m'a toujours prémuni des efforts auxquels contraint le réel - je dis cela et pourtant l'imaginaire est bel et bien une réalité, il est d'ailleurs la seule réalité que nous ayons.

Et tout me semble infranchissable depuis le prisme parfait de l'en puissance. Toutes réalisations contenues dans l'irréalisé, tout achèvement dans l'inachèvement. Sauf peut-être le mien? Mais cette destination n'est-elle pas une illusion, comme toutes le sont? Qu'arriverait-il si je vivais satisfait? Serais-je heureux ou bien plus vide encore? Et si je suis si vide aujourd'hui, est-ce parce que je suis satisfait?

Tant de fois les roues de ma raison ont imprimé leur trace dans la terre meuble de la réalité immatérielle. Tant de fois j'ai suivi des chemins, débroussaillé des terres en friche, franchi lacs et forêts... Je pourrais écrire un guide de la survie imaginaire et tout le monde pourrait mourir enfin dans le concret, s'abandonner aux mensonges qui constituent mon royaume mais dont je suis persuadé qu'ils ne mentent pas vraiment...

J'ai parfois l'impression de heurter sans cesse les bornes des formes humaines et je suis fasciné par cet Autre, cet envers interdit comme le sont les galaxies lointaines où ont échoués tant de mes songes, grèves stellaires aussi lointaine que les destinations finales.

Je vais toujours trop loin et trop vite, je ne suis pas la mesure, je joue en décalé et me retrouve inexorablement en avance sur l'orchestre des choses, sur le rythme naturel de l'accomplissement de toutes vies. Soliste impatient qui poursuit ses fausses notes parce qu'il veut toujours des choses toucher la frontière. Et cette frontière une fois atteinte est à ce point intolérable qu'elle devient la racine d'un tourment indéracinable, un tourment essentielle.

J'occupe mes heures, mes heures d'à côté, mes heures toujours en retard ou en avance sur le tempo, seul, avec la musique des mots qui n'obéit qu'à moi. J'ai trouvé ma patrie, dans les vastes pleines du concept, où l'on parle de formes sans pouvoir en saisir, où il est question plus de leur condition de possibilité que de leur éventuelle réalisation.

J'occupe mes heures, je m’empaquette dans les mots et me défait doucement comme la cigarette qui de solide se fait évanescente fumée se dissipant dans le jeu des métamorphoses.

Et moi, vers quoi me dissipé-je? Vers quel plafond les particules de mon énergie s'agrègent-elles, insoupçonnées, témoins silencieux d'une existence fugace et discrète?

C'est probablement dans tout ce que nous ne voyons pas que nous devrions chercher la trace des destins, l'histoire des choses que l'on ne pourra plus reconstituer: le symbole sans signification d'un sens oublié.

mardi 15 novembre 2016

Esthétique du vide

On me dit parfois qu'en courant après toi, je cours après une illusion, mais tous les rêves et toutes les intentions ne sont-elles pas des illusions? Ne passons-nous pas notre vie à passer à côte des choses que nous visons sans jamais les atteindre pleinement?

Les projections ne sont que les ombres de formes qui dorment en nous, alors je n'ai pas de honte à courir après un rêve de toi qui bruisse en mes cellules.

Les feuilles frémissent dehors, sous la respiration du monde, tandis que je m'endors chaque nuit dans les émanations de tes boucles brunes et sucrées.

On me dit que je m'accroche, que je me complais, mais je n'ai point de libre arbitre en ces choses, je ne choisis pas ce que je veux et encore moins ce que j'aime.

Les avis de chacun ne sont que le reflet de leur propre expérience, parfois elle peut s'accorder à la nôtre, et parfois ce n'est pas le cas, il s'agit pour vous d'un autre puzzle et quelques pièces manquantes laissent un vide béant dans l'ensemble. Mais les vides peuvent être esthétiques à leur manière...

Ne trouvez-vous pas beauté en la chute du faucon chassé? Dans le râle d'agonie du gibier? Dans le souffle silencieux des morts? Dans les traces du tourment sur les joues des gens? Dans le crissement des choses qu'on déchire? Le battement du temps qui défait les formes: celles des visages aimés, des actions accomplies et des vies vécues...

On me dit parfois tant de choses que je ne sais plus qui croire: ma pensée limitée ou bien la parcelle des autres? Et pourquoi pas ne plus rien croire, ou bien tout c'est selon...

Mais je regarde des cieux si bleus qu'ils me font pleurer tant ils me rappellent l'absence de tes yeux. Comme les bonheurs sont creux quand ils ne sont plus partagés, avec toi seulement...

Ah comme ton absence est belle dans le nombril de mon errance, elle qui me fait chanter des hirondelles dans un babil en déshérence. Regarde tous ces poèmes, tous ces vains griffonnages sur les murs d'une caverne, offrandes et hommages à une déesse qui n'en veut point.

Pourquoi continué-je à croire en toi quand il y a tant à voir dans les tréfonds du rien...

jeudi 10 novembre 2016

Empruntez mes secondes

Ne pas trahir le sentiment inital, voilà ce que chacun des mots, ainsi que leur agencement, doit s'attacher à faire. Je ne parviens que trop rarement à ce résultat délicat. Faire en sorte qu'une phrase, à la grammaire si éloignée(?) de la noèse sentimentale, puisse reproduire, à sa manière musicale, les intervalles de la psyché, ses gammes et ses accords.

Je me demande parfois quel sentiment vous agite à la lecture de certains textes...

Minuit quanrante-deux, je sais désormais une chose, je la sais parce qu'elle relève de l'expérience, et qu'elle constitue donc un jugement synthétique a posteriori: c'est bien la nuit que s'opère au mieux la transsubstantiation de mes sentiments profonds en une surface sémiotique; elle-même transmuée de flux photonique à vibration moléculaire (si vous lisez à haute voix), et puis à cette vibration de l'âme qui semble agiter tous les organes à la fois, la tonalité du sentiment vécu, ineffable et donc intraduisible.

Je fais un bien piètre ouvrier de l'écriture, poète que je suis, chanteur accroché aux basques de l'oisiveté. Je ne construis jamais un texte, je l'expulse hors de moi, dans une expression brève et aussi intense que possible, telle une calligraphie de l'âme qui signe d'un mouvement ce qui n'a de nature que pour soi. Je jette et je m'en vais... Beaucoup de repos et de concentration pour une si brève libération jaculatoire... Jamais je ne retravaille, la chose demeure comme elle est sortie. Demain est un autre jour, il faudra recommencer d'autres gestes, créer d'autres harmonies, peut-être plus heureuses...

Les samouraïs pratiquaient la calligraphie, je suis un calligraphe qui pratique le combat. Peut-être qu'à chaque humeur alphabétique de mon âme (comme tous les hommes je partage le goût des concepts vides), je lance une estocade censée vous ôter la vie, du moins dérouter le rail de votre existence afin de vous amener sur une déclinaison improbable et impromptue?

Je parle de mon écriture comme je pourrais parler de n'importe quelle autre chose... Je l'ai assez répété, ce qui compte c'est ce style, ce rythme que vous impose la structure de mes phrases, ces intervalles que je choisis entre les idées, ces accords que j'arrange et qui sont parfois le fruit du moment, parfois le fruit d'un bourgeon lointain, planté là par quelque lecture marquante ou autre expérience de la vie courante.

Je suis un style, c'est à dire un moyen de locomotion pour le corps et l'esprit. Je vous emmène, sur mon esquif usé qui ne possède aucune ancre, avec ses voiles qui se gonflent quand elles veulent, et qui après d'interminables heures de mollesse se tendent brusquement d'une énergie inouïe, d'un seul souffle qui laissera faire ensuite l'inertie. Sur quel océan naviguons-nous ainsi? Celui de nos minutes perdues, celui du sens interne où l'on aime à se claquemurer pour écouter le clapotis de l'eau sur l'écorce de la conscience, c'est à dire celui de nos solitudes qui passent comme des ombres furtives et que personne ne connaîtra jamais...

C'était une figure bien compliquée que j'ai tracée aujourd'hui... Il me faudra encore d'autres traits, d'autres essais, pour extirper de cet entrelacs ontique, les fils aux jolies couleurs qui m'ont mené jusqu'à ces secondes là.

lundi 7 novembre 2016

L'écorce d'un doute

Me voilà dans un parc, dans le but d'écrire quelque chose dicté par ma volonté propre, mais je me demande, au vu du résultat, dans quelle mesure je ne suis pas moi-même écrit, déversant alors ces mots qui n'étaient pas ceux de mon rêve.

J'avais telle idée, et me voici pétrifié dans mon élan, comme emmuré dans le béton d'une nécessité qui en a décidé autrement.

Je me révolte un peu, je pose le stylo et cesse le mouvement.

Pourtant ce geste est bien à l'opposé de l'intention initiale... Cette grève aussi, l'ai-je vraiment voulue?

dimanche 6 novembre 2016

Dans les plumes de la nuit

C'est dans les plumes de la nuit que se cachent les plus lointains souvenirs. Et puis, surtout, les plus fugacement intenses, charriés devant l'esprit par un envol des barrières et des inhibitions qui permettent à une conscience d'exister sans sombrer. Il est tellement facile de sombrer sous le poids des jugements lucides...

Alors la nuit, le voile se détend, et tout reflue à la surface comme une mauvaise marée qui viendrait bouleverser la géographie de l'âme, transformer les bancs de sable, rogner un peu sur la dune qui protège la végétation et sa vie fragile.

Dans les plumes de la nuit se nichent mes plus beaux sentiments, les plus effroyablement belles houles de la psyché où s'élèvent les vagues de mon amour, à travers les brumes de cette détresse existentielle qui fait de l'homme au troisième oeil l'écho d'une souffrance originelle.

Dans les plumes de la nuit d'aucuns parviennent à dormir, dépourvus d'origine, déposés par le rivage du sommeil comme une conque voyageuse par inertie... D'autres veulent percer les horizons, et jusqu'au moule de leur forme intime, sentant là quelque étrange facétie des phénomènes dans le fait de vouloir figer l'informe au sein d'une délinéation bien déterminée, dans le fait de vouloir segmenter la droite sans fin. Une sorte de nécessité vitale (mais qui peut s'avérer si délétère) fait cogner la volonté contre les barreaux du présent, et de l'ici, dans cet en-soi qui n'en est pas vraiment un parce que jamais au repos, toujours s'extrayant de lui-même pour s'observer et se surmonter encore. Quelque chose réclame gloutonnement une mue de tous les instants, un dépouillement de toutes les peaux comme si nulle n'était suffisamment chatoyante et diaprée pour offrir à l'oeil toutes les nuances encore impliquées dans le noyau d'une vie.

La seule fission qui advienne alors, dans son exaltation libératrice, se cantonne pour moi à quelques notes de musique et notamment à l'écriture poétiquement prosaïque de ces quelques sentiments, fondus dans le moule d'une langue inadaptée à tout sentiment, et pour cela délicieusement appropriée à refléter la lourde condition de l'homme: tragique incomplétude, nécessaire inadéquation. Entre la pensée et les choses...

Dans les plumes de la nuit qui se referment frissonnent mes questionements, mes humbles doutes quant à tout, les regrets qui viennent poindre à la lisière de l'âge mur, les craintes et les déceptions, les espoirs qui meurtrissent et tout leur lit d'incertitude.

Dans les plumes de la nuit, comme quelques perles mal assorties mais source d'une lueur chaleureuse - comme peuvent l'être les diffusions de la lumière des hommes, comme des myriades de fenêtres aux tons différents sur la façade d'un immeuble sans début ni fin - : la mélodie de ces sentiments intimes qui se tiennent la main dans l'unité d'une conscience qui les rêve tout en n'étant rien d'autres qu'eux.

Dans les plumes de la nuit, accrochées au néant, autant de mains tendues vers une source d'amour, vers un oeil irrémédiablement ouvert lui aussi sur le cours des choses, et qui capterait dans son abîme, avec une infinie empathie, le clignotement de mon existence, les soubresauts d'un tourment qui brûle au fond de l'être comme un pétrole aussi précieux que létale.

Dans les plumes de la nuit, ces quelques phrases comme un collier, lorsque mutines elles s'échinent à dédaigner un sommeil trop étale.

Dans les plumes de la nuit, ce message aux confins...

vendredi 4 novembre 2016

D'où jaillissent les mondes

Je me souviens ces jours où la vie roulait, fendait l'air vers le ciel d'une intention, se souciant guère de sa possible réalisation. C'étaient les jours heureux où d'aucuns me suivaient, et même s'ils avaient tort, cela participait à leur cheminement propre, leur liberté avait besoin d'une tutelle (dont ils s'apercevraient un jour qu'elle n'est rien d'autre qu'eux...); et j'étais un navire commode pour emporter sur mon large pont les rêves d'autres humains. Je cherchais sans cesse, soulevant l'assise céleste des étoiles pour observer l'envers des choses, je voulais savoir quand bien même il n'y aurait rien à savoir, je voulais enrichir mon expérience de l'ignorance, je voulais étendre mon monde et j'arpentais sans relâche toute dimension inconnue.

Sisyphe redescend chercher son rocher inlassablement parce que Sisyphe est vivant, et s'il décidait d'arrêter il  n'y aurait plus rien alors, plus qu'un supplice bien pire qu'une mort anticipée. J'ai oublié de vivre.

Il me faut repartir arpenter les sentiers de la connaissance, il me faut regarder ce que les autres ont construits de royaumes féeriques où endormir leurs jours. Il me faut les comprendre et en incorporer les principes constructeurs, il me faut continuer d'apprendre des croyances cohérentes pour avancer et construire mes propres châteaux de sable. Je serai la marée haute qui viendra sans pitié effriter les fondations de tous mes édifices, traces tangibles du jeu de l'âme. Tout nomade est un ami du temps, obéissant à la nécessité de manger ses propres enfants.

Depuis trop longtemps j'ai cessé de jouer, mais je dois reprendre la route, produire mes propres histoires et partager mes contes auprès de quelques curieux de passage. Les gens aiment écouter l'odyssée d'autres humains, je dois redevenir le barde itinérant qui connaît les royaumes intérieurs où d'autres n'ont pas le temps ou pas le goût de s'aventurer. Je dois dire l'étrange qui est pourtant le reflet familier de chacun, je dois redevenir l'étranger qui est partout chez lui parce qu'il apporte à tous une part d'humanité souterraine ou parfois oubliée.

Je dois ramener les ombres de la caverne sous le soleil des hommes car c'est bien de l'obscurité que jaillissent les mondes.

jeudi 3 novembre 2016

[ LE SYSTEME DU JE ] Scepticisme et croyance

Il est assez paradoxale pour un sceptique de n'admettre aucune croyance, or c'est pourtant ce qui m'est arrivé depuis quelques temps. Il est remarquable à ce sujet de voir la décision kantienne totalement opposée: "j'ai donc du abolir le savoir pour laisser une place à la croyance" (CRP, Kant). C'est pourtant clairement Kant qui a raison, à savoir qu'uniquement sur une inconnaissance totale (qui est la même chose qu'une connaissance partielle) peut croître sans limite la croyance. Le terreau même des croyances est l'ignorance. Ainsi, une ignorance assumée et comprise (c'est à dire non a priori mais a posteriori, fruit d'une remontée de la connaissance jusqu'à ses racines arbitraires) est le terreau privilégiée d'une croyance éclairée et non aveugle, c'est à dire non susceptible de se transformer en conviction dogmatique.

Ainsi, la croyance est la fleur, le doute la tige et l'arbitraire (ou ignorance) le terreau. Ainsi, la position du scepticisme, en invalidant toutes les prétentions du savoir, réhabilite la croyance. Le sceptique choisit un monde, celui de sa culture, puisqu'il ne peut y avoir d'existence humaine totalement acosmique. Choisir un monde c'est choisir une croyance, mais, pour un sceptique, il s'agit d'en demeurer conscient et de pouvoir à chaque instant considérer les autres mondes possibles comme de potentielles habitations.

Ce qui fait la force du scepticisme c'est sa grande maîtrise de l'outil qu'est la raison. En effet, la raison traverse croyance et connaissance en ce sens qu'elle prend racine dans l'ignorance qui produit la croyance, et parvient à éclore en une connaissance. Mais seuls les dogmatiques isolent ainsi la fleur du terreau originaire, créant par là un système artificiellement clos, lors même que le vrai circuit d'une raison suivie avec rigueur est celui-là: ignorance -> croyance (axiomes) -> connaissance -> ignorance. Car au bout de la connaissance, il n'y a qu'un retour possible à l'ignorance pour échapper à la régression à l'infini que produit inévitablement la connaissance. Ainsi, la connaissance est un système de croyances organisé. C'est en transmuant les croyances initiales en principes axiomatiques, que la connaissance émerge et forme un monde. Mais c'est en parcourant celle-ci dans une régression à l'infini (du moins en l'inférant) que le savant parvient de nouveau à la croyance à travers la découverte des contradictions et des limites de la démonstration rationnelle. De là, il ne peut que retourner à l'ignorance, mais une ignorance a posteriori que je qualifierais d'éclairée. C'est là l'ignorance sceptique, féconde en mondes, et surtout propice à la liberté pour tous les mondes d'exister.

La puissance de la raison réside aussi dans son terreau irrationnel qui la contraint à admettre la validité de l'irrationnel, de l'a-rationnel. Rien n'est impossible pour le bon scientifique, le penseur logique et rigoureusement rationnel: voilà sa conclusion ferme.

Il semble que le réel soit particulièrement sensible à la croyance, c'est notamment ce qu'une bonne compréhension de l'histoire des sciences montre abondamment: le réel collabore avec un système de croyance (un système transcendantal) pour former un monde. Le monde de l'aveugle ne nie pas celui du voyant et inversement, tous peuvent coexister dans la relation si singulière qu'entretient un système transcendantal avec un réel protéiforme et indéterminé (pour ce que nous pouvons en juger).

Je m'avance alors à une hypothèse qui paraîtra peut-être farfelue à certains (mais qui me démontrerait son invalidité?): la grande tâche de l'humanité sera, dès qu'elle aura saisie l'enseignement du scepticisme, d'apprendre à trouver une place à la croyance et de savoir au mieux l'utiliser pour bâtir le ou les mondes dans lesquels elle souhaite vivre.

De quel étrange bois?

Qu'ai je bien pu perdre en route, pour me sentir aussi vide? Quel trésor enfoui dans les décombres d'un passé rutilant ne m'offre plus aujourd'hui les caresses lénifiantes de sa clarté profonde? Serait-ce toi, encore?

Il m'arrive par moments de me sentir comme une eau croupie, sans mouvement, sans point de fuite pour qu'advienne le flux courant qui produit un destin. Je suis désormais sans avenir, sans trajectoire et sans horizon. Cloîtré dans une zone de confort où stagnent les eaux dormantes du possible, privée du filtre d'une terre à travers laquelle jaillir à l'air libre des actes mondains, dans ce monde où vivent les hommes et la somme fondue de leurs actions.

Il est certes agréable de n'être qu'un oeil, glouton et riche de tant d'images, de tant de savoirs qui se défont dans l'inconnaissance. Il est parfois profondément épanouissant d'être la tranquillité contemplative d'une conscience pure, mais inéluctablement, un ressac finit par vous ramener vers l'intranquillité intrinsèque qui a pu produire ce moment de répit.

J'ai des fourmis dans l'oeil, il me pousse mille pattes depuis la rétine, et la surface lisse de ma cornée frémit et bouillonne de tant d'intentions, bande l'arc de sa volonté hégémonique vers bien des cieux, dispersant ainsi mon énergie en vaines contemplations oisives qui toutes s'annulent pour me laisser sans direction.

Trente années d'existence pour en arriver là: au milieu d'une mer de possibles où proviennent de chaque directions d'exquis parfums incomplets, que seules les effluves des autres peuvent compléter...

J'aimerais être un héros de guerre, sans crainte, farouche et craint - j'aurais pu l'être si je n'avais pas arrêté le combat...

J'aimerais être un écrivain, plein de romans et de philosophies aux architectures sublimes - j'aurais pu l'être, si je ne m'étais pas abandonné à l'inertie...

J'aimerais être l'homme aimé de toi, le soleil que tu disais t'éclairer - j'aurais pu l'être, si je ne m'étais pas enfui en moi...

J'aimerais être ce pirate informatique à la puissance illimitée, sachant des choses que tous ignorent - j'aurais pu l'être, si je n'avais pas rejeté les machines et le réel virtuel...

Aucun bourgeon n'a pu devenir une fleur, chacune de mes humeurs passant sur tout cela comme un mauvais hiver qui stoppe tout, emportant promesses de fleurs et de fruits dans un vent de dédain et de mélancolie.

Quelle est donc cette espèce d'arbre que je suis, avec en son centre une sève qui ne circule plus qu'en boucle restreinte, n'alimentant qu'un coeur de vie, embryon pétrifié sur le chemin de sa croissance et qui toujours rebrousse chemin vers son néant d'origine? Il y a des arbres qui sont beaux et appréciés, par ce qu'ils offrent d'eux à la lumière, par leurs formes esthétiques et leurs couleurs diaprées, mais que pourrait-on faire d'un arbre où tout n'est que richesse ravalée, harmonies celées qui se taisent dans le silence mat des fibres?

J'aimerais que quelqu'un d'autre donne un sens ma vie... En ce qui me concerne j'abhorre bien trop cette expression pour m'en préoccuper.

mercredi 26 octobre 2016

Je casserai tes ailes

Chuis pas convaincu, mais puisque ce blog est une collection de textes dont je ne suis pas convaincu......... fuck it!

Texte écrit en vérité il y a quelques semaines maintenant.

Dans chaque nouvelle étreinte je paye un peu mon du
À notre flamme éteinte, à toi que j'ai perdue.

Le soir je trinque à ma liberté retrouvée
Je déambule hagard à moitié fragmenté

Quelle importance si je ne suis plus entier
Pour celles vite rencontrées

Et les gens veulent l'attraper
Le fantôme éthéré

Qui lance sur son passage
Des chansons, ton hommage

Prisme partiel rayonnant sous les feux
De la lumière aux ténèbres, liberté dans les yeux

Mains effilés qui te tiennent
Mais n'attrapent que vent

Voudraient assécher leur peine
Au rythme décadent

Je connais un esprit-fontaine
Qui jaillit dans la plaine

Quelques gouttes en réserve
Pour t'abreuver de sève

Les actes insensés et vains
Ne sont-ils pas plus fins?

Le mouvement absurde
N'est-il pas plus subtile?

Onde aérienne figure de brume
D'un destin si gracile

Brise là ton mouvement
Chute donc, redescends!

Je casserai tes ailes
Nul ne demeure au ciel!

Je casserai tes ailes
Je casserai tes ailes!

Sur le tissu des choses

Qu'arrivera-t-il le jour où les mots ne me feront plus bander? Où les paroles que je murmure à l'oreille des lacs d'impureté renverront des reflets de désir qui n'auront nul écho en moi. Qu'arrivera-t-il lorsque nulle étincelle n'embrasera plus mon foyer qui s'éteint?

Il me semble parfois porter mes pas à la lisière de cet infernal désert. Ce purgatoire plus effroyable que toutes les géhennes parce que la vie y est laissée à sa plus simple expression: sans beauté, sans émotion, sans tragédie ni sublime, sans musique et sans rythme...

Si c'est là ma direction alors je m'y acheminerai en regardant par terre, pour ne pas voir le chemin à parcourir, chemin éternel qui n'est frappé d'aucun désirs. Je fais confiance à la vie dans les épreuves qu'elle s'échine à placer sur ma déroute. Je lui fais confiance non par connaissance, ne parlons pas de chimères, mais par choix, non par croyance, je suis trop sceptique pour cela, mais je le répète, par choix.

Reviendras-tu pureté perdue, ne reviendras-tu pas? Qui s'en soucie, dès lors que loin des mains atrophiées de la volonté humaine, se tisse le tapis des Moires?

J'aime à dérouler le fil de ce destin et me laisser bercer par la transition des couleurs, mélodie chromatique où s'enchaînent notes en arpège et accords en mineur.

Envers et contre moi, je continue de créer mon sillon dans la matrice nocturne, qu'Atropos vienne couper le fil, moi je continuerai d'emprunter tous les détours sans plus me demander où tout cela nous mène, ni quel motif étrange l'humaine destinée peut bien produire sur le tissu des choses.

mardi 25 octobre 2016

L'amour du chemin

Rappelle toi la leçon des stoïciens: il faut viser un telos (but) mais le skopos (la cible atteinte) échappera de toute façon à ta volonté.

Ainsi peut-être qu'il ne faut pas abolir tout projet, mais voir ce dernier comme un horizon apte à mettre en route la volonté, à servir de but qu'on ne cherche évidemment pas à saisir (même les enfants comprennent bien vite qu'ils ne peuvent toucher le ciel sans que celui-ci se dérobe). Aimer le premier pas, aimer le mouvement qui emmène, plus que n'importe quel résultat, point d'arrêt transitoire.

Ainsi lorsque tu décides de t'engager sur un chemin dont la destination est ton horizon temporaire, fais en sorte de ne pas vouloir anticiper le contexte futur. Trop de conjonctures différentes peuvent advenir (que nul ne saurait prédire), conjonctures qui s'opposent et dessinent un contexte flou n'offrant nulle assise pour déterminer le penchant d'un coeur. Contente toi du moment présent, qui t'offres, si tu sais écouter, la tonalité de chacun de tes élans, comme celle d'un arpège. Suis cet élan, sans empressement, et aime le cheminement dont la destination n'est qu'un prétexte au voyage.

Souviens-toi petit homme, et cesse de retomber dans les erreurs passées...

Abolir le futur

Abolir le futur, et voir les flux néfastes s'éteindre et se faner...

Qu'aurait été la vie dans une langue sans futur pour conjuguer les maux d'une âme divisée?

À quoi ressemble un monde où les horizons ne sont pas harponnés pour être ramenés insatiablement vers le présent qui passe? Un monde où lorsqu'on peint les cieux, on prend la peine ensuite de tout effacer, pour laisser voir à l'autre les vastes étendues telles qu'elles sont, pour lui.

Abolir le futur pour de meilleurs lendemains...

À quoi ressemble une vie sans projets? Ou qui accepte sans frustration de les voir déroutés?

Ma flèche est parée, la corde est tendue et je suis prêt à tirer, seulement je n'ai cure de toucher ma cible...

J'aimerais pirater le monde et abolir le futur; du moins le fais-je pour moi-même...

lundi 17 octobre 2016

Sortir du néant

Peut-on sortir du néant? Tel une Cité-cage que l'on quitterait par un portail ouvert, juste en sifflant sous un porche un peu sombre? Perdu au milieu des Plans, peut-on rattraper l'identité perdue que l'on ne connait plus aujourd'hui qu'en tant que nom, en tant qu'entité transcendée qui se tient devant nous, étrangère?

J'ai pris bien des portes, sans savoir comment faire marche arrière, et les voix de la nuit me hurlent de ne plus le refaire. J'ai peur, au centre de cette aiguille d'existence, dans cet espace percé de toutes parts, j'ai peur d'emprunter les routes croisées... Pourtant, je trace un chemin vers un ailleurs inconnu, mon refus est une affirmation que j"ignore.

Comment sortir de ce vide? Vacuité trompeuse, fondement du mouvement. Je me sens trop libre en toi, je n'aime que ton silence et tes promesses non murmurées, tout le reste me lasse d'avance. Je ne veux rien choisir que toi, mais lorsque je t'embrasse, tous les cieux s'éteignent, et l'existence même est virtuelle, totale et virtuelle. Je ne touche à la plénitude qu'en perdant la consistance d'être quelque chose, qu'à travers les brumes du rien.

Ce monde est une boule furieuse, qui tourne et dont je suis le centre indécis, l'élan immobile qui tend vers tous les horizons.

Comment sortir du néant?

Comment sortir de ses désirs?

Qu'est-ce qui peut changer la nature d'un homme?

Peut-on sortir de son propre néant lorsqu'on l'a finalement atteint? Peut-on s'échapper du centre de soi-même, celui-là même qui est contiguë à tous les firmaments lointains?

J'aimerais redevenir quelqu'un.

mardi 11 octobre 2016

Entre les photos

Chaque texte écrit est pareil à une photographie d'un mouvement en train de se réaliser. Le texte est un point d'arrêt dans le sillon mouvant de la pensée. En cela, il est difficilement acceptable puisque, contrairement au cinéma, il est assez difficile de reconstituer cet élan à partir des instantanés que sont les textes. Aussi inchoatif qu'on le veut, chacun de nos écrits est une peau morte qui ne veut plus rien dire du processus d'où elle est née, qui ne parle plus du corps dont elle est issue. Aussi, j'ai délaissé la philosophie pour la musique des poèmes et de la prose qui n'a d'autre souci que de créer sa dynamique mélodique à travers l'harmonie des sons et des idées. Chacun de mes textes "philosophiques" est sans valeur et ne reflète rien de ma pensée. Pensée principe, pensée méthode, pensée qui n'est qu'un mouvement et non une trajectoire; pensée dont on ne peut saisir l'essence qu'en étant l'algorithme même qui la fait jaillir à chaque instant. Ce qui importe ce ne sont pas les formes, mais la métamorphose qui est le code qui parvient à réaliser la transformation: processus de perpétuelle destruction, c'est à dire de construction.

Beaucoup de photos dans les galeries de cette oasis virtuelle, mais le film se joue ailleurs, bien ailleurs, dans l'histoire qui se trame entre chacun de ces instantanés.

lundi 10 octobre 2016

L'espoir surmonté

Il est toujours étonnant de voir comme nous aimons nous rendre pirates cherchant le moindre indice menant à son trésor dès lors que nous avons perdu l'amour. On cherche à percer le coffre-fort de chaque regard et de chaque geste: il faut interpréter, ratisser au peigne fin, se repasser sans cesse chaque scène afin de saisir le moindre indice, de constituer dans sa tête une petite fiction qui nous permettra de vivre un peu avec l'espoir au ventre. Ce fumeux espoir qui nous fait croire que si l'être aimé s'est tenu si près de nous et a hésité à tel moment puis a prononcé cette phrase sur tel ton, alors c'est qu'il nous aime encore, c'est qu'il existe un lieu, une île au trésor, sur laquelle accoster; et enfin se reposer de tant de vagabondage.

Combien l'esprit est une machinerie complexe, un rouage infernal qui broie le moindre grain, et veut tracer, coûte que coûte sa route d'espoir frelaté dans les données indifférentes et brutes du réel.

On lirait même le ciel pour voir si, par hasard, telles étoiles n'étaient pas alignées ce soir là, ce qui voudrait peut-être dire qu'une éventuelle providence voulait nous faire passer un message... Et cette automobile qui a klaxonné précisément lorsqu'elle a passé ses mains dans ses cheveux, quel sens faut-il y démêler? Ce clignement d'oeil un peu trop rapide, cette façon dont le monde s'est refermé sur nous comme dans un film où tout le reste passe au second plan, que faut-il y voir? Et ce sourire un peu trop spontané et franc, le nombre de battements de coeur que tu as prêté à cette conversation, pourquoi? Qu'est-ce qui a été dit par là?

Détective dément, archiviste compulsif qui classe et range et trie et applique ces algorithmes de l'espoir qui ont mené bien des navires sur les récifs de l'illusion.

Mais pourtant je suis du réel moi monsieur! Je suis de ceux qui marchent sur un fil tendu à travers le vide, tout en regardant sous leurs pieds, sans peur et sans attentes; de ceux qui vivent sans projet, se laissant chuter de seconde en seconde, pas dupe de la fiction qu'est leur monde, conscient de la finitude d'un espace et d'un temps qui ne peuvent épuiser le réel qui est tout, et non cette chose déterminée dans laquelle nous vivons, cet univers-destin où nous nommons les choses.

Fou, l'homme est fou, l'espoir accroché à la peau comme une teigne tenace, l'espoir qu'il faut débusquer à tout prix, exsuder par tous les pores, étrangler dans son lit, jeter tous ses enfants au fond d'un puits sans fond.

L'espoir c'est ce chemin vers la folie qu'il faut effacer, c'est cette poitrine qu'il faut laisser exsangue.

Ulysse averti a pourtant bien du mal à résister au chant de tes sirènes.

Vanité et poursuite du vent: Sisyphe est heureux n'est-ce pas?

Sisyphe est heureux parce qu'il sait que la pierre roulera au bas de la colline.

Sisyphe est heureux car il n'a nul espoir.

La haine

Parfois, j'ai envie d'envoyer chier tout le monde, du petit barbu que tu embrassais, à ton joli minois qui le mériterait. J'aimerais briser les doigts de cet employé de pôle emploi qui attrape son quadrillage et le presse sur moi afin que je m'intègre aux cases, quitte à déchirer chaque morceau de moi. Je rêve de réduire en capilotade des flics carapacés, hérissés de matraques, de faire voler en éclats leurs casques fragiles comme la paix qu'ils encagent. J'ai des absences, je parle à la société, aux journalistes dans les télés, je leur lève un majeur tout en leur disant d'aller se faire enculer. J'emmerde de manière totale tous ceux qui avec leurs bons sentiments voudraient me voir sur leurs rails, un personnage docile pour animer leurs rêves. Une part de moi dit à mes amis d'aller vider ailleurs leur consolation collante et malodorante, qu'ils me laissent partir me noyer dans l'océan nocturne, disparaître dans ma fureur. J'ai attrapé toutes mes pensées et je leur ai tordu le cou, j'ai disloqué les membres de tous mes sentiments, j'ai tourné le dos à toutes les morales en les conchiant allègrement. Peut-être qu'un dimanche, j'irai casser des urnes de vote et puis toutes les gueules outrées qui me traiteront d'irresponsable. J'irai aussi à l'intérieur de leur âme pour saccager leurs convictions et laisser la lueur nue de leur existence dépouillée face aux confins du vide, bien en face du réel indéterminé. Je prendrai des rendez-vous chez tous les psy-quelque chose de la planète et je manipulerai si bien leur esprit configuré, que je piraterai leur conscience et prendrai le contrôle de leur volonté. Je parlerai aux scientifiques et tous les dogmatiques de tous poils, j'irai jusqu'au terreau arbitraire de leurs croyances et je les enterrerai à l'intérieur, leur bourrerai la bouche de tout le néant originel. Je casserai les routes avec mes mains d'acier, détruirai à coups de tête les supermarchés, les banques et les institutions glacées.

Je regarderai tes yeux qui cherchent les miens, et je dissoudrai nos regards dans un vide absolu, dans un adieu dérisoire. Puis je m'en irai seul, nulle part, et je dirai des mots pour me défaire de ma peau, de ma chair, de mes os, de mes pensées et de ma vie. Je me brésillerai au vent en une dernière haine.

Éclabousser mes murs

Ecrire parfois est un simple moyen pour moi de ne pas être seul. Surgie de nulle part, tu es venu encore éblouir de tes feux ma nuit étoilée. Tous les astres soufflés par ta présence ardente, toute lumière émane de toi et de toi seulement. Puis l'astre s'est enfui et ma nuit a coulé sur le jour, mais une nuit sans étoiles pour me guider, sans alphabet céleste grâce auquel je me raconte des histoires. Il y a ces murs enfermant cette vacuité relative de vingt et un mètres carrés, et ma carcasse courbée sur le clavier, abritant dans son antre un trou noir plus glouton que celui de chaque galaxie: mon amour.

Tu es passée comme une éclaboussure lumineuse qui m'a laissée aveugle et idiot, sous un ciel atone parce que je ne puis plus le faire parler.

J'écris pour ne pas laisser l'angoisse et la peur des fantômes m'envahir, j'écris pour que ces moments de silences plein de menaces larvées s'effacent dans mon chant, ma plainte éternelle, mon tourment d'origine.

Je n'ai rien à dire, je cherche à me rassurer dans le son de mes mots, je me berce par ma voix. J'ai besoin de parler lorsque je t'ai senti et que toutes les langues se sont éteintes pour s'incarner dans ta présence muette et tes gestes gracieux. Coincé dans ta bulle expressive et sensuelle, j'étais le piédestal sur lequel tu brillais bien plus fort que n'importe où ailleurs.

Tu n'as pas idée du sentiment d'amputation que je peux ressentir lorsque tu n'es plus là, porté par mon amour, et ma souffrance de vie que je tisse de lettres pour te chanter tout bas...

Je vais cesser d'écrire et tous ces murs blancs vont s'animer des ombres du passé, des monstres que ma peur fait danser et qui fait que le temps est le préliminaire d'une chute annoncée que l'on attend sur l'ourlet de chaque seconde.

Quand tu le voudras, tu pourras habiter ces murs, et chasser de ta voix le vide existentiel qui pourrit l'atmosphère.

Dis, reviens soleil, éclabousser mes murs...

mardi 27 septembre 2016

In you I'm lost

En toi je suis perdu.

Des fragments des membres, des parties de mon être qui dérivent dans tes yeux, le long de tes cheveux bouclés, et dans tes gestes gracieux. Toi, l'être tombé des cieux, sur ma vie solitaire où je vivais heureux.

On a vu des lambeaux de ma peau qui s'attachaient encore à la tienne, des restes d'espoirs qui suivaient le ballet de tes beaux mouvements.

Je t'ai revu, là, dans cet espace-temps, en passager de la vie (comme toujours), assis dans ce tramway qui m'emmenait je ne sais où. Je t'ai revu là-bas, de l'autre côté de la glace, métaphore de tout ce qui nous sépare aujourd'hui, et qui pourtant, m'a projeté vers toi.

Sur ton visage, il y a tant de mes regards qui s'inventent des terres natales, érigent des pierres tombales. Tu es la frontière du monde où je voudrais me déverser tel un océan sur une terre plate.

En toi, j'ai perdu cette forme d'amour que les humains aiment tant.

En toi je suis perdu.

Archi-proté-omni?

Des fruits mûrs au-delà des frontières de ma bouche.
Rouge carmin de tes lèvres mordues, groseilles pourpres sur le bout de mes lèvres, ma chute ascensionnelle vers tes fruits défendus.

Enfin je puis goûter, de ces routes inempruntées.
Je cours, je flâne et vole; je tâte touche et presse tous les boutons de fleurs de l'existence.

Mes désirs sont des bulles qui prennent la couleur des campanules, et sous l'étrange cloche se dorent la pilule.

Des battements de coeur qui sont comme des danses, et des danses que je me prends à danser, comme une pluie d'été qui roule sur tes hanches.

Je connais des croisières sur des océans inversés, où coulent vers le ciel les quelques songes à ton sujet que je jette sur le pont, comme une poignée de galets.

Des portes au mystère aboli mais dont pourtant toujours renaît l'attrait nouveau.
Je prends des ponts au hasard, je traverse toutes les teintes de noir sans trop m'y arrêter.
Je fends tous les brouillards, s'y découpent d'innombrables silhouettes où glisse mon regard qui continue toujours. Aucune ne ressemble à la tienne.

Des jeux sérieux m'accaparent, de ceux où l'on mise avec sa vie comme s'il s'agissait d'un vulgaire vêtement que l'on mettrait en gage.
Et je gagne en perdant, de belles vahinés me jettent autour du cou des colliers de fleurs, corolles bariolées caressant mon visage.
Je mange des mets exotiques, et d'autres plus communs, j'ai l'appétit de tout, j'explore comme des contrées, tous les goûts que l'on peut rencontrer.

J'escalade toutes les montagnes, malgré mon vertige, et je regarde autour comme une statue figée.
Je me laisse embrasser par tous les vents, toutes sortes de désirs lèchent ma peau douce, je suis de tous les vices et délices.

J'ai appris à ramper, marcher, courir, glisser, voler et tout ce qui existe entre ces mouvements.
Régulièrement, il m'arrive d'arpenter des galaxies foraines et d'incruster ma nomade existence sur le dos de planètes inhabitables où je m'épanouis pourtant. Je vis sur tous les rythmes, je trace mon sillon sur des surfaces intouchables et stocke ma mémoire en des supports virtuels.

J'existe sans vraiment être, je souris dans les larmes et pleure au sein des rires.

Je me vautre allègrement, et sans cas de conscience, dans tous les paradoxes, je me laisse attraper par des mains curieuses, puis je glisse bien loin, ailleurs, vers d'autres Betelgeuse.

Ah j'oublie les chants qui tous se donnent la main pour tisser de musique des demeures vibratoires. Mes pensées sont de toutes les formes pulsatiles, elles n'obéissent à aucun devoir.

J'emprunte toutes les morales, puis je les rend à l'arbitraire, chacun est libre de croire.
Alors je crois, puis me fait apostat, mais quelque chose en moi, ne peut se lasser de croire en toi...

Je connais tous les êtres, je participe à chaque relation, ubique, je deviens tous les points, et me fais ainsi chaque vue. Du regard dégoulinant à celui qui rayonne, je ne renie nul étant, je deviens et claironne.

J'ai eu tous les enfants du monde, j'en ai aimé certains et puis détesté d'autres.
Je suis celui qui cogne et celui qui caresse, celui qui aime déchirer et celui qui console.

Je vis dans toutes les époques, des teintes primaires du néandertal au raffinement doré de la Renaissance, je prends le ton, me laisse peindre, enguirlander, embrigader, aliéner, aimer, voler, mais toujours, je m'en vais.

J'ai cousu mes poèmes les uns dans les autres afin qu'il ne fasse qu'un seul grand destin, celui d'un être littéraire, et j'aime à voir les lecteurs confondre le reflet avec l'objet reflété.

Être partout et nulle part, voilà ce qui me plaît, une ombre dans ton coeur, sur la rétine un éclat de couleur.

Je suis le marron qu'il y dans le rouge et le vert dans le jaune, j'ai mis toutes les couleurs dans la profondeur de mon bleu, et des univers en jaillissent en pagaille avec des étoiles violettes et des soleils noirs.

J'ai observé un jour la formation des vagues, j'ai pu déterminer la méthode qui les fait exister. Je suis désormais chaque vague, je puis les faire déferler en des mondes intérieurs bien réels, où viennent des surfeurs qui sur leur peau se démènent.

Je parle et tout advient, je fais et tout s'écrit, quelque part, en chaque lieu parce qu'un lieu est partout et que partout ne réside en rien.

Je suis le resquilleur de tous les trains, assis près de la fenêtre que l'on croit transparente, mais que laisse-t-elle transparaître? J'ai aimé toutes les gares sans jamais y poser mes bagages, j'ai caracolé même sur de curieux nuages, et me suis dispersé sur tous les toits du monde en de furieuses pluies.

Derrière chaque rideau, j'attends insaisissable, j'ai connu les secrets de tant d'illusionnistes, j'observe clandestin, un pieds dans toutes les coulisses.

S'il reste des faux-pas, je les ferai croyez-moi, et les autres aussi, et chaque fragment à l'intérieur de chaque fragment, je les arpenterai d'un mouvement, je serai la lueur multicolore aux transitions soudaines et douces.

Je contiens dans un livre sans mots et sans phrases aucune, toutes les fins de tous les romans écrits et à venir.

Je reviens d'un pays qui s'appelle "néant", ou "indéterminé", ou encore "le réel", et j'y retourne quand je veux, sans passeport et sans identité. De lui je ramène l'informe, cette pâte interdite, et je façonne à partir d'elle des mondes à volonté, des choses délimitées, des formes et des forces qui relient les choses.

Je suis marié à une femme pour qui je suis infidèle, elle est tantôt sucré tantôt salé, tantôt suave tantôt sauvage, elle a le goût de l'indéterminé. Jamais je ne le tromperai, mais il est aussi vrai que jamais je ne lui appartiendrai. Je suis le fidèle amoureux d'elle et de toutes les autres.

Je suis sorti victorieux de toutes les disputes, je connais bien des arguments, et l'opposition qui les annule pleinement. Je suis sceptique non par goût, mais à cause de la nécessité que j'ai d'être tout.

Autant dire que je ne suis rien car c'est le seul moyen d'être tout.

samedi 17 septembre 2016

Au bord des précipices

Toujours perché sur cette crête, au bord de tous les précipices, mon chemin...

Là-haut, là-bas, tant de questions se sont dénouées, et qu'ont-elles emportées de moi? Certainement le superflu, les concrétions que l'effet de mon souffle a pu former sur la matière des choses. Tant de questions s'en sont allées, se sont tues d'avoir pu trop crier.

À travers les abîmes, je goûte leur silence et récolte apaisé le bruissement des choses que le réel m'offre sous des formes adaptées à mon être. Puisses-tu me régaler de bien des formes encore, à commencer par les miennes, et mon destin métamorphique qui me fascine tant que je lui prête la linéarité ondulante des mots, le rythme des musiques, et la beauté des regards qui savent aimer.

À travers les abîmes, au bord de tous les précipices, mon chemin...

vendredi 2 septembre 2016

Le bruit des campanules

Toi qui regarde les campanules de souvenirs qui éclosent en ces textes, que retiens-tu du peu de beauté que tu glanes en ces champs dévastés (et malgré tout si fleuris...)?

Moi je ne retiens rien dans mes filets que le contentement du geste créateur, le repos sans effort du mouvement accompli dans sa vertu première.

Depuis les sombres réseaux du néant qui quadrillent mes sous-sols, s'élèvent les cultures qui en ces sous-terrains foisonnent, et qui, par l'ultime effort d'une technique devenue soi, perce la croûte résistante qui semble séparer le royaume imaginaire du monde.

Qui goûte mes physalis aime à briser toutes les cages, qui se délecte des arômes poétiques, quels qu'ils soient, est le passager de tous les sons accordés, des musiques libérées.

Chaque lecture est une lunule qui vient mourir sur la fleur des mots, et emporte avec elle la seule réalité qu'ait cette fleur: la sensation éphémère des choses qui glisse et se transforme; le froissement de soie que font en coulant sur les joues tous les silencieux pleurs.

Quelque part se déverse l'existence, en un lieu qui n'est rien.

jeudi 1 septembre 2016

Esquisse pour tes cieux lointains

Céleste aujourd'hui, et demain souterrain, je mêle au cieux mes croyances en rien, gargouille oubliée sur le rebord d'un mur de dame Société. Céleste et bas comme un abysse enflammé, aussi brûlant que les entrailles d'un tourbillon damné. Pourquoi écrire des vers pour te rendre hommage, pourquoi ne pas aimer la prose au rythme plus discret que les criantes roses?

Ceci est ma réponse à ta requête, le sang lettré de l'âme qui jaillit de ma tête. Futile, aussi futile que la première pierre, et pour cela tellement indispensable. Tu voulais un poème et voilà un diadème de banalité pérenne à t'enfiler dans les yeux.

Que penses-tu du profil de ces phrases qui te taillent avec application un portrait passe-partout, le chant qu'on chanterait à n'importe quelle inconnue, un chant qui parle plus du chant lui-même que de la délinéation de tes courbes et du fracas de tes silences.

Je ne te connais point Céleste, ciel vieilli par les hommes qui en ont fait leur palimpseste. Je ne te connais point tout comme mes compères qui jettent vers tes profondeurs des rêves à n'en plus savoir que faire. Des bibliothèques de qualificatifs et de mondes inventés ne parlent que de toi, de tes tréfonds lointains.

Céleste toi, tandis que moi je reste ici, où le lieu s'abolit, d'où partent mes regards qui coulent sur ta peau mes rêves colorés, mes sondes bigarrées.

Tu as pour moi toutes les couleurs, même celles que je ne saurais inventer.

Quand d'aucuns souhaiteraient que tu restes, moi je suis de ces passagers du destin qui ne font que passer, et aiment le reflet fugace des terres vite traversées.

mercredi 31 août 2016

Mon(?) âme

Mon âme, top 10 sur les destinations les plus visitées, des fourgons de touristes tous assortis sur la même unité, unité de stockage, unité de pensée, unité de conformité. Impudique j'ouvre toutes les portes, ou presque, laissant entrevoir la profondeur de mes égouts et de ces terres arides et brûlées où suppurent les cadavres d'illusions, aux côté de ceux, bien réels, que l'humanité aura su produire avec tant d'imagination et d'indifférence. Indifférence? Non de passion, avec la certitude des justes, avec cette foi qui vous fait abattre l'altérité avec autant d'aplomb et de conviction que celui qui s'avance serein vers un paysage en trompe l'oeil.

Ces zones où se reflètent la vérité fascinent et écoeurent à la fois le chaland, cette vérité aux reflets impersonnels et au goût de l'indifférence, cette vérité qui vous renverra son meilleur reflet sous peine que vous lui soumettiez votre croyance, telle une putain vénale. Pourtant, comme cette dernière, jamais personne ne la possède, même pas celui qui ferme les poings pour la battre, celui qui la met en scène et l'expose dans la rue aux yeux de tous, celui qui s'en nourrit, celui qui s'en réclame.

Mon âme est une île privée ouverte au public, une station de radio mélancolique et usée, qui tourne en boucle les mêmes mélodies mineures, celles-là qui vous parlent des heures qui jamais ne reviennent, celles qui s'accumulent dans le filet des mémoires et dont l'écho perdu alimente toutes les peurs.

Mon âme sait faire des baisers glacés, de ceux qui vous ankylosent les membres et affolent votre coeur.

Pourtant, derrière les mots, derrière tout cet enchevêtrement de peintures exécutées pour être affichées, placardées, existent d'autres cieux plus cléments, et des élans d'amour si grands qu'ils te prennent la main pour s'envoler au-delà des grands champs.

Mon âme est comme le monde, elle a la teinte de tes regards, le timbre de ton attention, simple support de tes tentatives pour te saisir un peu.

samedi 27 août 2016

Regarder les funambules

Aujourd'hui j'ai beaucoup dormi. Le poète en moi avait longtemps gardé sa bouche close, il n'avait fait parler que ses regards et ses gestes, alors les mots, je crois, devaient un peu lui manquer. C'est pourquoi, je pense, il est venu me visiter, d'une visite onirique dans laquelle il s'est revêtu de la peau de Pessoa. J'ai ainsi pu me balader avec le poète portugais, observer son étrange comportement, pareil à la fuite d'un stylo tenu par un dessinateur amoureux qui jamais ne décolle la mine du papier. Je lui ai posé les questions que je me pose à moi-même; et c'est moi-même qui répondait; parce que Pessoa était le masque que je portais. On a toujours besoin d'être un autre pour exister, je crois.

Je lui posais des questions, j'en avais mille en tête, que dis-je j'en avais des pelletés de cieux étoilés, et souvent il m'invitait à réfléchir et à trouver les réponses pour moi, les réponses déjà données par le présent et par l'état du monde tel qu'il est, celui qu'on ne prend pas assez la peine de lire parfois. Puis à la fin, il s'est enfui en courant, je n'ai pas trop compris pourquoi, il a couru rejoindre ses gestes silencieux et la musique inentendue de son existence. Il n'y avait pas d'anxiété dans cette fuite, il ne semblait pas y avoir de sentiment particulier à la base de ce départ précipité, seulement l'inéluctabilité du temps qui passe et de la fin des choses qu'on ne peut retenir.

Je me suis réveillé avec quelques phrases en tête que j'ai jeté sur un écran: le poète avait voulu parler. Quelques gouttes de larmes binaires ont ainsi imprimé leur trace sur ce terrain virtuel que j'occupe par moments.

C'est la rémanence des souvenirs qui donne de la perspective et reflète le présent. C'est précisément ce processus qui est à la base de la conscience, et c'est précisément celui-là qui se trouve à la source de la mélancolie du poète et penseur lucide. Au fondement de notre manière consciente de vivre: la création du temps qui s'écoule, le récit, l'histoire, et l'oubli qui nous effraie parfois mais fait de quelques uns des funambules agiles sur le fil de leur destin. Au fondement de chaque chose son opposé. C'est tous nos malheurs qui donnent leur complexion à nos bonheurs.

Je n'ai pas d'enseignement à donner, tout cela ne me sert à rien, tout ce que j'apprends me sert à être plus léger, c'est à dire à désapprendre encore plus. Je sais qu'on est un bon paquet comme cela, funambules, joueurs heureux, amoureux du style et de la forme; parce qu'il n'y a que la forme qui donne ici du fond à l'existence.

Avec le style de la vie

Faire des vers et les enfiler comme des bijoux pour son âme.
Avancer dans la mort avec le style de la vie, impétueux et arbitraire, absurde comme un air de musique jeté sur un réel sourd et muet.
Comme une étoile filante, se savoir condamné et redoubler d'ardeur, briller de mille éclats, se parer de couleurs pour éclairer le monde de sa lueur, pour faire ressortir toujours plus de petits détails et déterminations sur les ténèbres impliquées.

Mes plus beaux poèmes sont des coeurs en fusion de poésies, des textes en partance pour un lieu d'existence, encore coincés en gare.
Mes plus beaux poèmes sont l'immobilité féconde qui précède le mouvement.
Ils dorment et bruissent de tous les réveils.

vendredi 12 août 2016

La guerre des points

Un homme observe une feuille et la décrit de couleur verte, tandis qu'un autre, positionné à l'opposé de lui, n'aperçoit que l'autre face de cette même feuille, dont la couleur tire plus sur le jaune pâle. Un troisième larron, perché sur une branche, et voyant, grâce à la courbure de la feuille une part des deux faces, affirmera qu'ils ont à la fois tous deux torts et raison. Puis un jour, un biologiste avec son microscope viendra éclairer l'intérieur de la feuille, tendant vers le minuscule - qui est en fait tout autant gigantesque que le majuscule -, pour y voir autre chose, agencement de cellules aux couleurs insoupçonnées.

Tout est point de vue, tout jugement est point de vue. Certains, amassent en un point de vue, la somme d'autant de points de vue que possible. Mais ils ne sont jamais qu'un point de vue qui tente de se souvenir et de maintenir dans sa singularité, la multiplicité conçue par addition grâce à la force de l'imagination qu'est le souvenir. Peut-être les points de vues amassés ne sont-ils plus valables. Et de toute façon, il en existe encore combien comme ceci? À quelle distance de l'infinie est-on plus près de la fin?

Et les hommes de se disputer pour savoir qui voit le mieux, qui est le point qui serait le centre du monde, qui détient l'angle le plus essentiel sur les choses, choses qui ignorent ces chimères et qui continuent d'être là dans cette générosité plurielle qui permet aux mondes d'exister en quantité indéfinie.

Il existe des points de vue, et des points de vues de points de vue - qui ne sont que des points de vue eux aussi. En quoi le monde qui se peint depuis un point serait-il plus faux ou plus juste que depuis un autre?

Nous sommes tous à notre juste position - juste parce qu'elle est celle que nous avons au présent -, tous une fenêtre donnant sur le réel un aperçu unique et incommensurable.

Fragment nocturne

Mon écriture est un tapis de rosée qui se pose sur l'herbe fraîche de mon existence, les restes de ma mélancolie stellaire que la nuit fait resurgir.

Tu souhaiterais savoir ce qu'est pour moi cette femme... Elle est le scintillement timide mais persistant d'une étoile dans le ciel de mes sentiments. Elle est la seule étoile dont la lueur parvient à mon oeil au milieu de l'iridescence aveuglante de cette aurore qui n'en finit pas de déborder sur ma nuit.  Cette aurore au feu si fort qu'il semble avoir décroché de mes cieux tous les astres lointains.

Juste une petite étoile solitaire dans le ciel, et tout cela est déjà beaucoup...

La sagesse du lac

Le lac s'est effondré en lui-même. Cela fait en son centre comme un vortex crépusculaire où fuit sa substance. Mais ce qui s'évade quelque part, resurgit toujours ailleurs. Jusqu'à ce qu'un monde, un jour, me fasse mentir. Il me faudra alors apprendre à sentir autrement...

dimanche 7 août 2016

Journal d'un principe

Perché sur une branche de la vie, avec son code inventé, son alphabet hélicoïdal, je vois chuter les corps célestes. Pluie de lumière qui fend les ombres, mouvement indéfini que mes pensées épousent, comme des grains de sable qui marqueraient le temps. Les souvenirs parsemés au pied de ma branche, font sur le sol une étrange semence qui donne ses fruits dans mes sentiments vécus, racines invisibles qui s'accrochent à l'âme et en portent les fleurs.

Peut-être qu'une forme de loi de la thermodynamique, nous pousse à avaler notre passé pour exister sur la crête émoussée de l'instant. J'avale mes moments vécus et cela me fait d'autres présents, ou plutôt le même long présent qui se nuance et se fond dans son prolongement comme une mélodie sans origine ni destination.

Somnoler sur une branche et chuter vers l'indétermination, ravaler ses mots car la poésie est un sentiment musical. Change-forme sur sa branche jette sur le réel son voile diapré de couleurs, de sons, et d'autres formes qui sont la signature de ce qu'est son rythme et sa structure ancrée sur l'informité de sa base.

Ne cherchez pas le sens de cette phrase, le sens, pour quoi faire? Cherchez-vous une recette afin de cuisiner votre futur sentiment? Vous le vivrez, mais le sentiment n'est pas le produit de la recette, car l'application même de celle-ci est le sillon sensible du sentiment. Ridicule, abjecte: ne pouvons-nous garder que la sensation intime d'un rythme, comme une béquille sur laquelle caler son souffle et continuer le mouvement que d'insondables causes ont provoquées.

Je suis là, comme un déferlement de vague indéniable, façonné par les regards du monde dont je fais partie. Change-forme aux indéfinies facettes, faites jouer sur moi vos reflets miroitants, que mes formes étincellent de diamants colorés, qu'elles se rendent opaques, comme tamisées par l'abat-jour de la chair qui fait briller notre lumière toujours plus loin vers l'intérieur. Précisément là où la lisière de l'intériorité se confond avec les franges du dehors. Précisément là, en cet endroit de la relativité, c'est à dire précisément partout.

Artisan de phénomènes, forme transcendantale, source d'univers, mathématicien et artiste, musicien joué par ses airs, airelle vermeille, oiseau aux ailes déployées, reflet changeant et versatile, poisson fuyant dans les fleuves du temps, étincelle de vie, bruissement du vent et des choses éparses...

Petite trille avalée par des silences qui ne veulent pas s'éteindre parce qu'ils n'existent qu'entre les mots et les sons qui ne cessent point. Délinéation incandescente d'énergie pure, sans trop savoir ce qu'est la pureté... Mots jetés là et qui retombent sur la papier, inertes et disgracieux, fanés d'avoir été coupés, n'attendant que de pouvoir boire l'imagination des dieux. Démiurges. Démiurges déments qui se cherchent des raisons sans fin, oubliant qu'une méthode est un principe inépuisable.

Principes amnésiques, nous rappellerons-nous un jour - qu'il n'y a rien à se rappeler?

lundi 1 août 2016

Les butineurs d'étoiles

Les butineurs d'étoiles sont les yeux qui se fixent au flanc des feux lointains qui percent la nuit noire. Dans ta source alme et destructrice, je plonge mes rêves les plus étranges, mes antennes d'humains qui trempent dans l'ailleurs. Je voyage jusqu'aux coeurs en fusion avec les ailes de l'imagination, abeille stellaire qui prend de vos ventres les atomes et forme la matière des songes avec vos radiations mortelles. Je fais partie de ceux qui comprennent la mort comme une naissance et inversement.

Les butineurs d'étoiles sont les souffles longs expirés vers les cieux étoilés, les respirations qui se calent sur le rythme des pulsars, le chuintement de l'air figurant l'éjection du centre des quasars. Et mes secondes sont des fontaines, pareilles à ces objets sidéraux qui éclaboussent la toile blanche de notre esprit de leur lumière infatigable.

Les butineurs d'étoiles remontent pour un temps l'entropie, en chantant sur leur passage: "entropie, entropie, je sais que tu ronges ma durée, pourtant sans toi je n'aurais pas de vie. Entropie, entropie, vois comme mon dérèglement te fais mentir, et pourtant, tout dans mes mouvements te rends honneur. Entropie, entropie, le flash de mon existence dans ta nuit pleine, est une désagrégation que seul ton règne rend possible."

Poussières d'étoiles dans mes cellules, et sables interstellaires aux tréfonds du ciel. Je me baigne dans les océans, qu'ils soient d'eau ou de feu, qu'ils soient de nuit ou de lumière.

Les butineurs d'étoiles sont là, rêvant du fond des puits, concentrant en eux-même mille rêves réunis. Des fonds obscurs de la psyché, de l'inconscience ou se tient debout la conscience, du sommeil de l'humanité, les butineurs veillent sur le vacarme silencieux des grands espaces,sur l'ouverture du monde qui se dilate comme sous la caresse charnelle de nos doigts si habiles, mais impuissants à toucher l'horizon.

Les butineurs d'étoiles sont là, et seront la conscience qui gardera son oeil ouvert, fera danser sur scène, ombre chinoise un peu absurde, le mythe d'une origine, et l'illusion tenace de toutes les apocalypses.

Depuis l'écho de mon enfance, jusqu'aux trajectoires de l'avenir, les butineurs d'étoiles étaient, sont et seront toujours là.

dimanche 24 juillet 2016

En ton nom

- "C'est bizarrement fait la vie hein..."


- "C'est pour qu'on ait toujours quelque chose à surmonter ma fille, des raisons d'être heureux parce que ce n'est pas donné, pour que la métamorphose continue par le devoir qu'on a à toujours se changer, à toujours devenir plus et autre, cette mémoire du chemin que sont les humains.

C'est pour que la joie soit un met raffiné et prisé, pour qu'existe la distance dans laquelle se love la liberté (ce qu'on nomme ainsi du moins), pour que par le vide advienne le mouvement nécessaire à la surprise, à tous les sentiments qui sont des élans et des aspirations.

C'est pour que toi et moi puissions nous aimer dans un possible, pour qu'il existe autant de chemins que l'on peut imaginer (et bien plus encore), pour que rien ne soit définitivement ordonné, immuablement reposé en soi-même, c'est pour que les mondes se déploient en tous sens, pour que tes cheveux reprennent leur danse.

C'est une chienne pour qu'on veuille la dompter, farouche pour qu'on désire l'apprivoiser, indépendante et capricieuse pour qu'on aime la posséder, suffisamment douce pour qu'on aspire à la quitter, et puis pleine d'amour afin qu'on ait la liberté de la détester un peu, beaucoup, passionnément.

C'est pour qu'on la regarde et qu'on parle d'elle simplement...

Pour qu'on trouve des raisons à ce qui n'en a pas."

jeudi 21 juillet 2016

Ontologie relativiste

La chauve-souris qui ressent le monde en ondes acoustiques, la mouche dont la vitesse d'appréhension (et donc la perception du temps) excède largement la nôtre, la taupe aveugle, la plante dont l'interface sensitive demeure pour moi impénétrable...

Tous ces êtres, toutes ces formes transcendantales qui, reliées à une même chose, construisent pourtant un monde irréductible au nôtre, une représentation unique liée à la singularité de la relation qui les unit à un réel indéterminé, docile et protéiforme.

Et il est encore de dogmatiques histrions qui parcourent le monde en prêchant la vérité, leur vérité, comme s'ils détenaient dans la finitude de leur relation privée avec le réel, l'unification absolue, l'essence tant phantasmée de toute chose, la chose en soi.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'une ontologie de la relation. Non je m'égare, nous n'avons nul besoin d'ontologie, peut-être simplement de "tout sentir de toutes les manières"...

Car ce qui est à chérir dans une ontologie relativiste, c'est la diversité des mondes à laquelle chaque objet participe, chaque point d'une maille sans haut ni bas.

Moi qui ne suis pas nitzschéen (ni même rien du tout d'ailleurs), je vais aller dans le sens du philosophe au marteau: j'impose en ce monde la valeur qu'est la diversité, la nécessité pour moi que toutes les réalités possibles puissent cohabiter, afin que se dérobe toujours plus loin, l'ornière de la vérité, le danger d'absolu qu'elle représente.

Arcifère sans cible

Certains s'adonnent au rhum et d'aucuns au rosée
Tandis que moi économe, j'ai peur de trop oser
Lorsqu'en tes rêves d'hommes je voudrais m'imposer

Mon âme, mon âme - quelle étendue recouvre ce concept?
S'avance là sans armes, dans ses propos ineptes
Tu seras mon grand drame, mon ivresse incorrecte

Ah poètes de déroutes, toujours à parader dehors
À crier fort le doute, à l'extérieur du corps
Quand les autres s'en foutent, et voudraient les voir morts

Tu m'as tué, étripé mutilé
Tu m'as donné ce verbe illimité
J'ai inhumé mon coeur en ton pré illuné

Les musiques qui vibrent détruisent d'anciennes formes
Me poussent à me croire libre, et par delà les normes
Dans ta mélancolédie ivre, mes illusions s'endorment

Et ça coule dans les veines, comme un alcool mauvais
L'impuissance vaine, et le remord larvé
Ça frotte et puis ça traîne, un destin énervé

Lorsque le venin arrive en haut
Quand mon chagrin monte au cerveau
Jaillit alors ma prose de tous mes caniveaux

Emonctoire souillé, ma main danse et s'agite
Mes vestiges fouillés, à tous les vents s'effritent
Le corps veut expulser, toute l'âme détruite

Tu m'as aimé, ému et remué
Tu as fait de l'enfant un homme plus complet
J'ai refusé tes voeux, pour ça je suis damné

Mon coeur est condamné, ma voix est enchaînée
Mes doigts sont ligotés, mon coeur apprivoisé
Je me vois là disposé
Sous un regard intranquille

Regarde mon existence vile
Lorgnant avide sur les merveilles
Qui gisent sous tes cils
Et tiennent en leur inétendue mon amour en éveil

Insomniaque troisième oeil
Tu enfiles les deuils
Sur le collier de la mémoire
En motifs brodés par les Moires

Un jour se penchera le soir
Et tout redeviendra noir
Comme ternissent les espoirs
Et se consume l'oeuvre d'art

Un jour se réuniront les possibles
Dans un instant indicible
Arcifère sans cible
Se rendra sous tes cils

dimanche 17 juillet 2016

En quarantaine

Eh toi! Homme sans localité, chose sans qualité: es-tu vraiment un homme d'ailleurs?

Peux-tu me dire ce que sont ces sensations qui roulent et grincent dans le fond de mes entrailles, font de mes expériences du sable avec lequel je m'acharne à construire des châteaux que tous les vents balayent? Nul autre lieu d'existence que l'écoulement du présent où rien ne dure, rien ne demeure. J'habite dans l'impermanence du devenir qui arrache un à un mes membres et mes engouements, dissout dans l'écho des souffles expirés chacun de mes élans. Aspirer à l'éternité, toujours, comme la vie aspire à la mort. Mais pourquoi? Et pourquoi la question du pourquoi?

Curieux humain qui bâtit sa sérénité sur une éternité immuable et contre-nature, que tout dément à chaque instant. Unités inexistantes dans lesquelles nous aimerions habiter comme si nous pouvions les délimiter, et les figer hors du cours fluent du chuintement du temps. Dès la maternelle nous devrions apprendre à vivre dans les eaux tumultueuses où se défont les choses, où un objet n'a pas la place d'exister, où seules tintent les notes fondues des sensations qui nous acheminent jusqu'au bout de nous-même. Pourquoi ne nous avez-vous pas appris à être heureux dans le cours fluide des sillons de vie, pourquoi ne pas nous avoir appris à chérir le deuil autant que la naissance, la destruction autant que la construction (si tant est qu'on méprise suffisamment le relativisme pour ne pas confondre les deux choses)?

Que serait un enfant qui apprendrait à vivre en acceptant le désaisissement qu'effectue le temps sur chaque chose? Je me prends parfois à rêver accoucher d'un tel monstre de beauté... Moi qui ait préféré la stérilité des concepts abstraits, au ventre chaud et grouillant d'une femme, la fractale des questionnements (motivée par l'illusion des réponses bien déterminées) au tournoiement délicats de tes cheveux frisés...

Aujourd'hui je me trouve idiot et usé par toutes ces errances, seul, avec autant de réponses qu'une algèbre sans chiffres, dépourvu de l’oxygène de ta peau et de la quiétude aphasique des moments pleinement vécus.

Haha! Qu'il est beau le héros tragique, même pas héros mais simplement handicapé par son ego, cette boursouflure de l'être qu'il faut souffrir pour le simple plaisir de la voir un jour mutilée et de goûter enfin la légèreté d'être au monde s'en s'embarrasser d'un soi trop pesant; d'un soi qui aspire le regard devant chaque reflet, d'un soi qui projette en avant de lui un avenir, anticipe ses effets, et toujours, jette un oeil anxieux et mélancolique sur les traces pourtant intangibles de son passage. Merci Aurore, merci d'avoir détruit cette ombre démesurée, ce prédateur de toute existence unifiée.

Mais je vais encore aujourd'hui, avec une béance à l'âme, sentant comme un membre fantôme cette entité enfuie qui se débat encore dans ses moignons et m'empêche par ses cris, de goûter pleinement le repos illettré.

Je reconnais aujourd'hui ce grincement pour ce qu'il est: la carriole rouillée où se tiennent enfermées, mes questions de toujours, elles que j'ai mis en quarantaine mais qui continuent de peser sur mon destin comme le rocher d'un Sisyphe.

JE VOUS LIBERE, JE VOUS LIBERE

Et toute les libertés commencent par des revendications, par des mots et des cris, puis se réalisent enfin dans le silence des gestes déliés, dans l’étincellement mutique des sensations, dans le courant du temps sans raisons.