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jeudi 3 octobre 2024

Formes de la dissolution

Tout naît de la souffrance, toute individuation est déchirement, toute forme est un déni du fondement. Vagues ondulations sur l'océan du Rien, nous existons comme un écho centripète qui, se refermant sur lui-même, croirait devenir monde. Les sens tournés vers l'intérieur, nous sentons bien, vaguement, que quelque chose nous rattache à ce qui nous excède et nous anéantit, sans toutefois jamais pouvoir en être sûr, sans en pouvoir formuler de connaissance. Notre origine, et surtout notre fondement, ne saurait être objet à nos yeux. Seule la musique: pure ou bien dégénérée en des formes de plus en plus figées et spatiales, entrouvre en notre nécessaire isolement une brèche par où nous croyons percevoir l'informe substance où se trace, éphémère, la forme de notre âme.

Évohé. Emmenez-moi, formes de la dissolution, dans le cœur de l'abîme où je suis né.

lundi 26 avril 2021

Poussière gesticulante

 Il est singulier de vivre cet état paradoxal d'avoir le sentiment de désirer une situation, la réalisation d'une certaine œuvre, et dans le même temps l'inappétence totale de mener à bien cette entreprise même. Quelle étrange tension entre l'idéalité du rêve que l'on suppose objet de son propre désir et son incapacité manifeste à devenir principe d'une action volontaire... Ne serait-ce pas que ce rêve, que nous prenons pour l'objet d'un profond désir, n'est qu'une image que l'on surimpose à l'objet véritable? Mais pourquoi donc effectuer un tel geste? Pour quel profit?

Une voie d'explication possible serait la conscience que tout objet du désir n'est que prétexte à faire perdurer l'état même de désir comme fondement de l'existence et, par conséquent, de la vie même en tant que processus biologique temporel. La conscience ainsi lucide face au leurre que représente tout objet de désir se retrouve alors face à la nécessité du désir en tant que principe nécessaire de l'existence. Ce désir nu, sans plus aucune transcendance, devient alors réflexif et ne peut plus, dès lors, que porter sur lui-même. Mais l'intelligence nous a révélé l'impossibilité d'une telle modalité du désir pour servir de fondement à l'élan vital humain en tant qu'il se vit comme une chose pour soi, c'est à dire comme puissance d'être et non pas comme être en soi, défini une fois pour toute. Il est alors d'une urgence vitale de fixer au désir un objet transcendant capable d'ouvrir le système de la conscience, de l'égo, vers une altérité qui servira précisément de principe au processus de devenir. On se fixe alors pour objet de son désir une action, un état, que l'on n'avait auparavant encore jamais réalisé, certainement parce qu'il ne constituait pas la source d'une réelle appétence, capable de contrebalancer d'autres élans contraires. Et nous voilà à poursuivre une chimère, à ressentir jour après jour une mortifère vacuité qui enfle et enfle sans jamais cesser face au constat amer de notre indétermination, de notre inaptitude à devenir l'auteur de nos rêves supposés, le héros de notre propre destinée.

Mais alors, que faire pour remédier à cela? Est-il vraiment possible de ne plus rien désirer? Même un bouddhiste invétéré désire la cessation du désir, court après quelque chose, un état toujours plus pur et autre qui le pousse à entreprendre le voyage de son inexistence. Qu'en est-il de celui qui ne souhaite pas cesser de désirer (c'est à dire mourir), mais qui ne sait pas vers quel objet porter son désir? D'ailleurs, parler de savoir en matière de désir n'est-il pas inapproprié? Le désir peut-il, tel un cancer psychique, se retourner contre lui-même? Dans quel enfer vit un tel homme?