dimanche 24 décembre 2023

Mise en abyme

On n'échappe jamais totalement à son époque, je crois. La liberté de s'arracher aux chaînes du déterminisme n'est jamais asbsolue, en fait, peut-être est-elle toujours entière, car il n'y a pas de demi-liberté... Simplement, dans le fond de notre captivité, nous ressentons l'appel de l'avenir qui gonfle nos voiles vers l'ailleurs, jusqu'à nous déchirer parfois.

En ce sens, je suis l'enfant des nos "démocraties" modernes: individualiste jusquà la moelle, aussi réflexivement conscient que l'on peut l'être sans se détruire totalement: dangereusement atomique. Et toutes les figures rupestres de cette intemporelle caverne sont le hurlement d'une âme emmurée qui souffre d'avoir réalisé l'achèvement individualiste. Une âme qui cherche la sortie au cœur même de son noyau, qui se croit vaste et infinie pour ce qu'elle observe ses reflets dans une infime chambre aux miroirs: et c'est alors le monde entier qui n'est qu'une  habile et captieuse mise en abyme.

Je suis la poésie d'un individualisme aporétique et destructeur, contre-nature et qui, de toutes façons, s'éteindra avec le siècle.

vendredi 15 décembre 2023

Diane

 Il y a des forces à l'œuvre en ce moment même, et qui agissent depuis des temps plus anciens, des forces qui résultent d'une multiplicité innombrable d'événements qui se sont abattus sur un état du monde comme une bruine au départ insensible. La guerre est dans les murs de notre présent, comme une note qui ne résonne pas encore mais pourrait être la résolution d'une tension accumulée.

Je reconnais dans le goût du présent l'ombre menaçante de la guerre.

Siècle: sois prudent car le Réel, trop souvent, est un mur qui surgit.

mardi 12 décembre 2023

Aphorisme de l'action

"Si vous êtes un geste, restez donc avec les autres, qui m'attendent, dans ce rendez-vous raté qu'est la vie."

Alvaro de Campos

jeudi 7 décembre 2023

[ Terres brûlées ] Nécrosynthèse

Être une station d'épuration dans le monde pestilentiel d'aujourd'hui. Embourbé dans la glaise purulente du siècle, tout au fond des eaux usées, parmi les particules d'antibiotiques, de métaux lourds et de micro-plastiques. Attendre dans les eaux croupies, parmi les odeurs injurieuses, brasser le sang souillé la sanie flavescente, infusion de toxines à vous brésiller l'âme: ô poison psychotrope...

Être stercoraire jusqu'à vous rendre nauséeux, que s'accroche à votre peau l'odeur méphitique des coprolites infâmes que vomissent les âmes stationnaires et qui marinent dans le temps perdu, le temps déçu, qui n'ouvre sur nul avenir.

Je prends plus que ma part de la souillure environnante et pareil au jasmin, je filtre un philtre excrémentiel pour en exsuder le dosage subtil qui donne à mes écrits ces senteurs si florales. La poésie n'est rien d'autre que ça, fouiller dans les décombres, se nourrir de la mort et de la pourriture, produire les chants fertiles où poussent coquelicots et muguets, où croît l'épi tout blond des blés -- et se décline en maints bouquets l'œuvre alme d'un projet.

Projet pancaliste s'il en est, la vie n'a d'autre but que produire des formes qui, toutes, rendent un hommage singulier à l'ordre du cosmos.

Être propre, toujours sourire, afficher au-dehors des façades polies, optimisme béat qui ravie les idiots, s'habiller de velours et de froufrous prisés, exhaler le parfum de chimies hygiénistes, paraître, paraître, toujours paraître n'avoir rien en soi d'inavouable ou de sombre, aucune opacité pour voiler le teint clair de face immaculée. Bien porter tout en devanture, sans arrière-boutique déguisée, sans porte dérobée... Techniciens de nos propres surfaces, il faut être étincelant et beau sous le jour scyalitique qui s'effraie de la nuit.

Poète porte en toi la ténèbre honnie, avale un crépuscule à chaque aube qui luit, mâche, digère, intègre les obscurités liquides qui s'écoulent dans nos caniveaux, râcle les égoûts, cloaque des nations, sois celui qu'on fuit, celui qu'on trop médit, celui qui détone par trop dans les salons fleuris de tons artificiels. Absorbe la critique et tous ses adjectifs saturés de crainte qui se plantent en ton cœur et veulent te coudre peau neuve. Laisse faire le monde, laisse le viol avoir lieu, sacrifie ce moi mondain qui n'est rien, rien d'autre qu'un pantin agité par les moires, semblable à tous les autres dans la fourmilière excitée de survivre.

Par une porte dérobée, sous le mur en trompe-l'œil fais tourner l'atelier de tes broderies scripturaires. Que chaque organe tisse la mélopée tragique et que s'opère alors la nécrosynthèse fabuleuse par laquelle sourdent du venin en toi les fleurs intemporelles.

Encore un peu plus de souffrance, le monde aura besoin de toi pour se remémorer l'antique savoir aujourd'hui malmené: l'humain n'est rien d'autre qu'humus enraciné dans le tourment.

mardi 28 novembre 2023

Inspiration

Enfermez-vous dans votre esprit, dans le puits de votre âme, sans porte ni fenêtres, laissez mijoter cette volonté directement branchée aux étoiles, jusqu'à ce que ce frémissement de l'être se fasse ébullition et que toute votre personne perce des trous dans le tissu de l'être. Laissez l'énergie accumulée se concentrer jusqu'au noyau de vous-même, jusqu'à devenir aussi dense que mille galaxies, jusqu'à ce que s'effondre le gaz de vos pensées sur l'atome de néant, et devenez cette étoile noire qui contient au-dedans d'immenses portions d'horizon sidéral. La frustration, l'absence d'expression façonne les étoiles et relie l'âme aux sphères de la beauté cosmique. Il faut alors attendre et trouver un moyen de faire sourdre la perle patiemment polie. Et c'est cela la poésie, rien d'autre.

Il n'y a pas de travail dans la création poétique, mais le simple mouvement de l'être qui devient.

La production de l'oubli

Écrire est ma destinée, comme douter, c'est-à-dire penser; c'est-à-dire, en l'ocurrence, penser à quel point une telle phrase est inapte à entamer un poème digne de ce nom, à exprimer une pensée suffisamment singulière pour ne pas avoir été écrite en quantité industrielle... Surtout, ne jamais être entier; voilà ce que ma jeunesse a retenu de cette foudre qui gouverne les mondes et frappe impromptue mais inexorable.

Il n'y a que dans quelques écrits que je trouve ecore de la valeur à quelque chose qui m'appartienne, à quelque partie de moi -- sont-ce bien là des parties de moi ou bien des partitions trouvées sur le manteau céleste? Toujours une pensée en face d'une autre, toujours l'ambivalence de toute chose.

Il est des êtres qui, probablement, ont été conçus pour s'annuler tout en étant, âmes précoces qui répétent la dissolution avant l'heure fatidique. Obstacle que la vie place d'elle-même sur son chemin, vois comme l'art t'as surmonté pourtant... Encore et encore, la poésie te donne tort et pose en les filets du monde un compte positif. La mousse de l'âme, semblable à celle de l'infinitésimal, arrache par fulgurances, de son vide spatio-temporel, quelques fragments d'étoile s'accrochant à nos cieux pour être contemplés -- et vécus.

Les œuvres, à plus ou moins long terme, retombent dans cet espace réel du possible que l'on ne peut pas voir, ou seulement pressentir. Que tout cela soit déjà oublié, pourquoi devrait-ce me déranger?

Toute création est production d'oubli.

lundi 20 novembre 2023

Mektoub...

 Combien de litres d'existence acide me faudra-t-il encore avaler, du fond de mon regard vers les autres? Ces autres en face de moi qui déverse, lassablement, ce discours insensé de la doxographie en des cerveaux éteints. Quel jeu jouons-nous eux et moi, quelle fonction représenté-je en ce système épuisé que mes artères vaines font tourner malgré moi? Malgré moi? Malgré cette forme minimale de consentement qui pousse un homme à ne pas se laisser mourir...

Le désespoir habite les murs que je hante en fantôme noir, concrétion d'idées incomprises, et inaudibles en ce vide noétique où ne résonne que l'absence de goût pour la pensée. Nous avons fabriqué cette dépouille où s'enferment les âmes qui n'ont point d'horizon pour s'épanouir, point d'autre issue que ces écrans vers l'infini, vers la consumation du temps et du possible. Du contenu pour vase de Danaïdes.

On se constitue aussi par ses refus et tous les miens m'ont mené là, sans que je sache évidemment si ma présence dessine encore un de ces contretemps tragiques qui font la mélopée de mon destin. Rien de ce que j'aime ne semble être préservé par le siècle qui s'échine à expulser mon âme par ce cloaque où j'erre encore obstiné. Comment est-il possible d'avoir ainsi été construit par un monde qui dès l'achèvement disparaît aussitôt, comme un parent démissionaire qui abandonne son enfant aux renards qui ne savent qu'en faire? Je suis le produit d'une époque qui se dérobe sous mes pieds, et toutes les valeurs, tous les rêves, tous les amours qui constituent mon essence déployée ne sont que vagues souvenirs d'une devise plus en cours aujourd'hui. J'ai dans les poches des montagnes de pièces qu'il me faut déposer sur le chemin du néant, autant de fragments de ce moi sans valeur marchande qui me déréalisent aussi sûrement que les mots de ma bouche en des psychés sans langue articulée -- et tout cela qui fait de moi l'obsolescence insensée d'un monde encore capable de procurer, pour celui qui sort de l'immédiat pour se construire, la possibiltié de joies réelles, la possibilité d'un monde encore ensemencé.

Mektoub... Jusqu'à la nausée.

samedi 11 novembre 2023

Aphorisme génétique

 Du venin, aussi, faire des fleurs.

Aphorisme épistémique

 La vérité ne veut rien dire; elle n'est qu'une présence.

jeudi 9 novembre 2023

Aphorisme algésiques

Le point de contact entre la souffrance et la mort est-il le même pour tous?

Existe-t-il des hommes suffisamment noirs pour que nulle souffrance ne puisse s'échapper de leur enceinte?

Le manque est la raison du monde.

À travers l'homme lucide étincellent les ombres.

Impossible

Je perds la trace de la musique, à mesure de silence, à mesure d'inexpression, l'issue se referme, tout reste enclavé dans cet enfer insulaire de la conscience... Et la musique des autres ouvre des avenues entre les arbres qui défilent, l'espace, géométrique, qui dessine sur mes sens des nuanciers de théorèmes semble m'emmener par-delà cet instant qui hurle dans mes veines, vers un ailleurs transcendant qui toujours se dérobe, comme cet horizon que j'ai tant désiré atteindre.

Je m'ouvre, entame une métamorphose, et tout redescend aussitôt: perdue la possibilité d'une compréhension nouvelle, perdue la possibilité d'un nouveau paradigme qui m'offrirait enfin les axiomes latents sous l'œil incandescent. Ma vie, comme mon écriture défunte, me refuse encore le franchissement de cet ailleurs lustral -- et je ne peux que pressentir encore le code d'une musique, cette clef de sol qui me délierait de mes chaînes, de ce moi entravé dans une cartographie vaine et impossible.

Impossible: c'est cela... Impossible comme mon existence, comme une incohérence passagère dans la méthématique universelle, et qui subsiste incompréhensiblement...

dimanche 29 octobre 2023

Songes vespéraux

Il ne s'agit pas de scruter la page du cahier, comme s'il se fut agi là du champ indéfini de sa vie, pour voir jaillir de son indétermination les formes d'un destin...

Le crépitement de la pluie, le souffle des ventilations, les ombres projetées, forment la mécanique absconse d'un monde en apparence étranger et qui, seul, semble accaparer la substance de l'être. Le soi, alors, n'est plus qu'une imprécise idée, bien plus friable encore que quelques croyances d'enfant qui semblent bien ineptes tant elles étaient infondées.

Existe-t-on vraiment? A-t-on jamais existé?

samedi 21 octobre 2023

Aphorismes du passage

Lentement les chemins s'abolissent et l'airain sombre des guerres marque l'aporie du siècle.

Sous le marbre du siècle, gît l'âme en vie des hommes.

Il s'agira désormais de passer au travers...

Passer au travers de tout, voilà le destin qui est mien.

jeudi 12 octobre 2023

Kairos

 Au-dehors, tout un monde innocent existe. Les feuilles en plumeaux de l'albizia qui se contractent autour de l'eau qui perle sur chaque arête. L'herbe rase où scintille un tapis de rosée matinale, sable aqueux d'univers infinis que la lumière traverse... Les chênes imperturbables montent la garde autour de la clairière, forment un rempart contre la brûlure des cieux, contre le froid, contre la pluie diluvienne. Des guildes végétales se réveillent doucement, traitent l'information lumineuse pour produire le vivant qui s'élève, inexorable, sans égard pour l'entropie qui n'est qu'un vain concept.

Tandis que tout cela est au bord de mon être, à la lisière du néant, je m'interroge sur ma place en ce lieu. Que tout cela vive me réjouit mais ne m'apporte nulle joie. La joie est un sentiment qui relie le sujet à lui-même, or rien ne me relie désormais à la vie de mes entrailles. Aucun motif personnel ne me pousse à traiter l'information des astres afin de construire un château de chair fragile qui porte en lui la mort. Vivre? Pour quoi faire? Quel secret l'univers peut-il m'apprendre sur moi-même, quelle rôle à jouer dans le concert de ce qui naît?

Le monde existe et je ne vois aucune raison d'en faire partie; tout me pousse au-dehors, par-delà, vers d'intouchables horizons où s'abolissent les concepts -- tout me pousse par-delà ma nature, par-delà l'existence insulaire de la conscience absolue, par-delà la responsabilité d'être la cause de soi-même, de ces pensées d'ombres et d'amertume.

Avec le temps l'émerveillement devient si rare, si fugace. Tout s'égalise dans une médiocrité décevante et sans espoir possible. Les hommes ne sont ni mauvais ni bons: ils sont ce qu'ils sont, une diaprure contradictoire qui rend le concept même de moralité caduque.

La contemplation de quelques vérités -- pas de ces vérités positives auxquelles croient encore les fanatiques, de celles que l'on pourrait tenir dans sa main et posséder exclusivement pour se démarquer d'autrui; je parle de vérités négatives -- m'a fait goûter à des possibles qui semblent ne pouvoir se réaliser qu'en une profonde conversion, de l'ordre de celles qui requierent l'abandon sans regret d'antiques formes transcendantales. Une conversion aussi radicale que la mort.

Toute joie se paie en ce monde isosthénique: impossible de falsifier les comptes pour obtenir un résultat positif. L'indifférence est l'horizon de toute existence.

D'aucuns ont pavé la voie, serait-il temps de les suivre?

samedi 30 septembre 2023

Nouvel Ordre

 Un nouvel ordre s'est installé sur les terres contemporaines, sédimenté dans le lit des pensées, ensemencé  en l'humus de l'âme humaine. Ce nouvel ordre est celui de l'efficacité, du chiffre, de la honte prométhéenne, de l'adaptation, de l'individualisme forcené, d'une anomie qui brise les chaînes des nations, communautarise à outrance et fait des univers clos sur eux-mêmes s'entrechoquer dans un espace public exigu et délabré. Les remous médiatiques alimentent cette érosion presque achevée du lien social, rien ne lie les individus les uns aux autres, une démocratie tocquevillienne s'est parachevée dans l'anéantissement de toute cohésion: même au sein de la famille, parents et enfants demeurent séparés par une infinie distance, lovés dans deux univers inexorablement forains, parce que le temps qui les sépare suffit à défaire presque entièrement les mondes.

Je suis la maladie de ce siècle, son symptôme purulent: sur le sillon de mon destin sanieux je fais pousser de singulières canopées littéraires, pour que d'autres que moi s'abritent à l'ombre d'une poésie.

Le Nouvel Ordre produit une nouvelle âme, agonisante et lacérée, scrofuleuse, hurlante, purulente plaie de la liberté bafouée, de philosophie ravalée qui suffoque à l'intérieur des édifices urbains, des banques et magasins, des panneaux publicitaires, du souci pragmatique et omniprésent de survivre toujours plus. C'est cette âme qui s'adresse à vous, individualiste puisque fruit de nos contemporaines "démocraties" -- individualiste à en mourir et qui cherche partout un pont pour joindre autrui --, déréalisée puisque sans issue pour naître en nature, et sans nature d'ailleurs.

Un monde où l'intelligence est bergsonienne, interaction matérielle exclusive, science positiviste et sans conscience puisque ignorante de ses soubassements philosophiques. Dieu que les professeurs sont bêtes aujourd'hui, tous remplaçables par de purs algorithmes, passeurs de compétences à de petits êtres qui ne voient pas d'autre cime que l'efficacité: cruelle efficacité que des machines déjà présentes surpassent sans effort.

Voici le Nouvel Ordre contre lequel je me bats, celui où je meurs, lutte et aime encore; celui où je pense envers et contre tous, persuadé qu'existe encore ce fondement commun d'où nous nous sommes élancés en directions contraires.

Nouvel Ordre: serai-je ce chaos d'où naissent les étoiles qui dansent?

jeudi 21 septembre 2023

Aphorismes étatiques

 Le fondement de l'ineptie administrative est l'absence de confiance entre les membres d'une Nation. Tout l'appreil étatique n'est qu'une immense structure visant à suppléer la confiance entre des citoyens étrangers les uns aux autres.

 

L'État est un substitut de la confiance.

 

Le seul (?) substitut de la confiance est la force.

Aphorisme philosophique

La philosophie est une science de la croyance.

mardi 19 septembre 2023

Faire surface

 Petit coin isolé dans le vaste univers, assorti d'ombres folles ô souvenirs de jamais; pourquoi donc, ô pourquoi chaque épreuve pointe vers toi..? Ordre que j'invente aussi loin que possible de vous; juste un coin de la nuit, sans photons pour obscurcir le grand ciel, pour cacher la vérité des abîmes, ô ma joie... Ma joie... Ma joie... informe obscurité, chose sans-fond, voyelles sans consonnes: 

ÉVOHÉ!!

Je voyage dans les jungles de mon imagination, au sein de paysages lunaires, chaos granitiques, surfaces lisses où le regard porte au loin. L'amour des océans c'est le désir des images simples qu'on peut parcourir, indéfinitivement. Dans le nu, dans l'apparence sobre épurée gisent les possibles de ma joie, celle qui me fuit dans le monde saturé de vos élans, de vos pulsions, d'images criardes, d'informations encodées, des plates nourritures du siècle sans psyché.

Je regarde les moutons qui font face au mouton que je suis, assis dans la résignation et moi debout sur le promontoire érodé d'un statut qui se ment. Je regarde ces reflets de moi possibles, et je méprise, trop souvent, ce que j'ai néanmoins été. Combien d'âmes seront sauvés de ce siècle..? Par moi? probablement aucune. Qui sait... Considérations vaines de l'égo qui inspire, se gonfle dans l'angoisse, survit lui-aussi, comme une chose existante et prise au piège.

Je regarde vos yeux qui regardent les peintures rupestres de ces contemporaines cavernes, nomades cavernes, dont les ombres si puissantes font regretter d'être là, dans l'entrelacs d'un réel ininterrogé -- vieux mur croulant sous les plaisirs immédiats qui séduisent parce qu'ils se donnent aisément. Que fais-je ici à gagner ma vie, à remplir une mission ô si haute et noble: ourdir le nouvel Ordre d'adeptes forcenés, sans envergure, sans même le concept de porte de sortie?

Je voyage en mon for intérieur, parle aux étoiles qui peuplent mes pensées souterraines. Je parle en vain mais je vis, mes mots mordorés brillent d'une énergie qu'un moi mondain n'a plus -- caricature anonyme et impersonnelle dans de publiques structures qui moulent infiniment des masses.

Petit coin isolé que je suis, que je vise, d'un regard porté vers l'extérieur et qui retourne tout de même le monde à l'envers, pour y voir, perpendiculaire, l'âme qui se plante en la glèbe des choses, reliant la surface du monde à une dimension supplémentaire et superfétatoire.

La société est merveilleuse, il suffit pour y être heureux, de s'aplatir enfin totalement: il n'y a qu'ainsi qu'on fait surface.

On s'aplatit... écrasés de bonheur.

dimanche 17 septembre 2023

Agonie au néant

 Le sens d'une vie tient à peu de choses: il réside parfois dans l'ineptie la plus totale et insoupçonnable pour un éventuel observateur extérieur; il gît, en ce qui me concerne, dans ce journal et ses polymorphies.

Pourtant, je n'écris plus. Écrire cela, c'est avouer que ma vie se disloque dans la souffrance physique, psychique, sociale et métaphysique. Me lever me coûte de plus en plus, va jusqu'à arracher des larmes de mes yeux qui souhaiteraient demeurer clos... éternellement clos.

S'il reste des plaisirs dans cette vie bien rangée et socialement épanouie, il n'y existe nulle joie. Le plaisir de créer se tarit peu à peu dans les obligations infinies, dans l'orchestration tonitruante du temps, dans l'hémorragie de toute liberté au sein des innombrables moules sociaux. Le travail n'a pas de sens, la parentalité non plus, d'autres feraient tout cela bien mieux que moi, à n'en pas douter.

Ce journal demeurera inconnu du monde, tout comme l'âme en chantier qui lui sert de fondement. Ce chantier, d'ailleurs, est désormais naufrage, celui d'une âme-en-crépuscule... Impossible de savoir la valeur qu'il aura dans l'histoire des hommes. Et si ma sensibilité aiguisée, qui me porte vers la littérature classique et rend mon goût sûr de son acuité, m'assure parfois que quelques joyaux littéraires se cachent en ces ruines et échaffaudages -- tels des promesses de civilisations futures --, il m'est impossible d'en avoir le cœur net. La vérité commence à deux, elle est un consensus, et l'on ne peut avoir raison contre les autres, si tous l'ignorent...

De toute façon ma vie ne me permet plus d'écrire. La maladie ronge mon corps, rouille la coque de ce bateau de Thésée presque méconnaissable. La douleur de vivre parmi les hommes enfin déchire mon âme, brûle mes sentiments, calcine mes pensées.

Une vie... cela pourrait être autre chose, n'aurais-je eu de cesse de me dire tout au long de cet étrange parcours. Tout m'est tellement étranger et inésthétique, que la seule curiosité qui me reste est pour outre-monde, pour le repos éternel et l'abolition de mon principe. Je ne crois pas qu'il existe un autre lieu pour les âmes humaines, pas d'autres existences, pas d'espoir.

J'aurais eu, tout de même, une âme intéressante, rationnellement puissante, avec une force de déduction et d'abstraction qui parfois m'étonne moi-même... Mais cette qualité aura contribué à m'éloigner sûrement de mes semblables, encore et toujours plus. Incompris, moqué, encore et toujours plus... Jusqu'en ma profession... ce qui révèle ô combien ce monde est sans âme aujourd'hui.

J'aurais pu faire quelque chose de beau, dans une autre société, lors d'une autre époque, dans d'autres civilisations. Mon endurance et mon obsession pour la vérité aurait pu alimenter tant de découvertes. Mon amour pour la beauté, et ma compassion pour tout ce qui souffre, auait pu sublimer tant de laideur, créer tant d'oasis fécondes pour d'autres âmes assoifées...

Tant pis, tout cela ne fut pas. Peut-être aurais-je le privilège absurde de relater encore un peu la dissolution de mon être, dans de rares sursauts d'énergie vitale; continuant de faire ce que j'ai presque toujours fait: m'adresser au néant.

vendredi 11 août 2023

Pour aller où?

 Qu'aurons-nous à nous dire, lorsque tu sortiras de tes babils; du décalage insurmontable de nos deux temporalités? Car nos deux présents ne coïncideront, pour ainsi dire, jamais, il ne peut y avoir de réelle égalité entre la profondeur de mon présent -- toujours se creusant -- et la surface du tien. À moins qu'en un présent ne se tiennent pas nécessairement tout le passé, et qu'il en aille avec le temps comme avec ces régions de l'espace inexorablement trop lointaines pour interagir de nouveau avec notre lieu...

De toute façon qu'aurais-tu à penser d'une âme inadaptée à l'existence? une âme qui croit savoir quelque secret sur la vacuité de la vie que l'écrasante majorité ne veut pas voir dans cette irrépressible obstination de vivre néanmoins?

Je n'ai probablement pas l'étoffe d'un tuteur, et resterai à jamais trop étranger à la joie d'être pour t'insuffler le goût de croître et de vivre en ce décor. J'ai cherché, longtemps, l'envers de tout cela... et me suis lassé de ne rien trouver. Ou plutôt de trouver quelque chose que j'aurais préféré ne pas avoir à voir.

Je ferai de mon mieux pour que tu restes à cette échelle de la nature où se meuvent les êtres, et que point tu ne t'élances en ces pérégrinations ontologiques par lesquelles l'âme ivre d'ailleurs se fourvoie pour toujours en un changement irrécusable de paradigme, à la recherche de ce référent absolu qui fait l'étoffe de toutes les œuvres, de tous les chants et de tous les sublimes.

Quitter la finitude... mais pour diable aller où?

dimanche 6 août 2023

Sept milliards de Pythies

 À quoi aura bien servi l'éclosion laborieuse de ce style? nouvelle forme biologique dans la symphonie du vivant. À quoi bon? Cette aisance avec laquelle je peux rédiger ces complaintes, à quoi servira-t-elle? Je peux dire "j'ai vécu", par elle j'ai véritablement vécu: c'est-à-dire que je suis devenu. C'est peut-être la plus haute valeur possible au fond...

Pourtant, c'est toujours la société qui ourdit les valeurs, en garantit le cours. Or nulle société n'a jamais prêté attention à cette petite animalerie pathético-poétique, cirque ambulant d'un solipsisme ubique et éternel. Pour que j'ai réellement existé, pour que ce en quoi j'ai mis toute mon obstination et ma persévérance, tout mon plaisir aussi, pour que toute cette sublimation de souffrance ait une quelconque valeur il faudrait que le monde s'en aperçoive, qu'il s'y abreuve et goûte l'ambroisie venimeuse de mes mots; et qu'il prononce enfin son verdict.

Sans cela, tout ceci n'a pas existé autrement qu'en tant que rêve récursif d'une conscience totalitaire et impérialiste. Le réel n'aura pas eu lieu voilà tout.

Est-il posible que ma vie soit étrangère au réel..? Est-il possible aussi que tout cela ne soit qu'illusion de beauté pour une âme immature?

Sept milliards de Pythies doivent désormais répondre, maintenant que se disloque ma créativité.

vendredi 4 août 2023

Aphorisme du souhait

 Qu'est-ce que je souhaite? Je veux contempler le monde mourir, et m'éteindre avec lui.

naissance sociale, mort astrale

 Tous ces chants dévastés méritent bien mon silence. Autant de bruit doit bien enfin ressortir sur un fond de néant approprié. Voici mon silence monde... Inécouté... comme le reste de cette errance musicale.

Une concession suffit à faire s'effondrer l'édifice branlant d'une vie. Me voilà donc éparpillé, sur le sol des conventions sociales, rangé dans une boîte orthogonale, pareille à des millions d'autres adjacentes. Une femme, un travail, une maison, un crédit, un enfant, un foyer donc, et tout cela qui aspire le suc de ma vie, de cette chimère qu'est mon temps.

Les fruits intemporels qui un jour sont sortis de moi, et que je hante désormais -- mi-émerveillé, mi-honteux --, n'ont plus le temps de pousser, de s'extraire du monde et de ses cycles récurrents. Je n'ai plus d'énergie pour chanter, plus d'énergie pour voir et mordre le réel pour en ramener les formes épiphaniques. Plus d'énergie pour la joie. Plus de création. Plus de verbe.

Et tout ce qui consolidait le fondement de ma vie n'est plus qu'un souvenir brumeux tapi dans l'ombre du présent étique: la sensation d'un membre fantôme. J'ai abdiqué face à la vie, j'ai fini par me fondre dans le courant des hommes -- et chaque jour je souffre de ressembler un peu plus à chacun.

Pour cela la poésie m'a désertée. Je ne suis l'élu d'aucuns vents, d'aucun souffle, d'aucune tragédie. Je vais passer mes jours à vivre pour les autres, à me fondre dans la race, dans cette continuité biologique qui réclame son dû depuis les premiers jours.

Il n'y aura plus de création. Je n'en ai plus la force. Je m'éteins à demi dans ce destin en série, désintégré pour de bon dans la matrice sociale de la convenance. La joie enfuie est remboursée sous la forme d'un salaire mensuel qui me permet d'être dans tous mes objets, dans tous les projets de vie qui saignent le présent pour irriguer l'aérien avenir.

Je n'ai plus la force d'écrire. tant pis, cela aurait fait belle histoire...

mardi 11 juillet 2023

Le synthétique et l'analytique vus par le hasard

Le hasard est un terme qui, plus qu'une réalité ontologique, semble recouvrir une réalité épistémologique trahissant une ignorance des causes déterminantes d'un phénomène. En ce sens, pour Cournot, le hasard peut être défini comme l'enchevêtrement indéfini de chaînes causales indépendantes qui s'entremêlent pour former le nœud du phénomène imprévu.

"M. Dupont se lève de bon matin et va chez son dentiste; sa sortie est déterminée: déterminisme pathologique (inflammation de la gencive, par exemple), déterminisme psychologique (confiance de M. Dupont en son dentiste), déterminisme social (l'heure du rendez-vous est fixée par le praticien). Dehors il fait une tempête déterminée par des conditions météorologiques et d'ailleurs prévue par l'O.N.M. Conformément aux lois de la mécanique le vent détache d'un toit une énorme tuile branlante. La tuile tombe selon la loi de la chute des corps. Seulement, et c'est ici qu'apparaît ce que Cournot nomme le hasard, la tuile tombe juste sur la tête de M. Dupont." (Logique, court traité de philosophie, André Vergez et Denis Huisman, p. 89) . Le hasard est ici le point de rencontre de ces séries causales indépendantes: toutes sont individuellemnt déterministes, mais leur conjonction produit de l'imprévisibilité.

Seulement l'indépendance des séries causales ne saurait être postulée trop rapidement, il faut ici nous demander s'il ne s'agit pas plutôt d'une indépendance due à l'ignorance. En effet, deux séries causales en apparence indépendantes ne le sont qu'à partir d'un certain référentiel d'étude qui ne laisse apparaitre aucun lien direct et évident entre les séries. Toutefois, le fait que celles-ci puissent s'entremêler et se rencontrer pour produire un phénomène qui s'érige en produit de leur commuauté montre une chose: les deux séries existaient sur un même plan, plan lui même causalement déterminé, et qui donc est apte à les subsumer sous une même explication les réunissant toutes deux. Pour le dire autrement, il existe toujours un référentiel, une certaine échelle dans laquelle fusionnent les deux séries pour n'en faire qu'une. Si ce référentiel n'existe pas encore: il est le but de la science.

Ainsi, pour reprendre notre exemple, nous pourrions affirmer qu'il était possible, en amont, de prendre une échelle plus large par laquelle sont réunies toutes ces séries causales et au sein de laquelle l'événement malheureux est tout à fait prévisible. C'est d'ailleurs totalement le cas, en réalité, puisque toutes les séries citées sont déterministes. Si elles sont en apparence indépendantes elles n'en demeurent pas moins spatialement contigües, ce qui explique qu'en dézoomant nous puissions observer la trame globale qui les unit dans un même motif. Ce qui produit l'indétermination du résultat est la synthèse des séries qui multiplie exponentiellement la complexité du calcul à réaliser (notamment en démultipliant le nombre de facteurs causaux). Le hasard est dans ce cas imputable à la complexité mais non à l'imposibilité en droit de déterminer l'effet de cet enchevêtrement de causes.

On peut aller plus loin et imaginer qu'une théorie physique ultérieure, de la même manière que les lois de Maxwell ont permis d'unifier les phénomènes électriques et les phénomènes magnétiques, permettra d'expliquer tout événement énergétique comme déterminé par des principes et lois unifiés.

Ce problème est en fait très semblable à celui qui amène à distinger le synthétique de l'analytique. Ce qui nous apparaît synthétique dans la connaissance ne l'est que par l'ignorance des principes fondamentaux sous lequels sont contenus les jugements précédemment étrangers. Autrement dit la connaissance produit les principes unifiant ce qui relevait de l'hétérogène avant qu'on les ait découvert. Le mouvement scientifique est tout entier tourné vers la production de principes qui subsument les phénomènes et jugements en apparence étrangers pour les unifier par la tautologie.

Il n'y a donc que de l'analytique dans la connaissance car le synthétique n'est que l'effet d'une certaine échelle par laquelle nous analysons les phénomènes et sous laquelle ils nous paraissent étrangers, plus ou moins disjoints. Connaître c'est précisément changer d'échelle (à la fois spatialement et temporellement) pour qu'apparaisse enfin le plan sur lequel le divers des phénomènes se résorbe dans une causalité commune les déterminant tous.

dimanche 23 avril 2023

Aphorismes anti-scientistes

La vérité est cette recherche d'un autre que soi à qui se soumettre.

La vérité est, par essence, pure hétéronomie.

samedi 1 avril 2023

Aphorisme du "matérialisme"

 L'homme du vingt-et-unième siècle a fait de ses besoins des désirs.

mercredi 22 février 2023

Aphorismes de l'âme-seule

Qu'est-ce qui plaît dans l'œuvre qui nous touche, celle qui nous fait voir en l'auteur cette âme-sœur qui fait de nos pensées des bouquets de vertige? Ce n'est certainement pas l'âme-seule.

Ce n'est pas l'âme seule qui est belle mais la manière dont elle se marie à quelque chose d'autre.

L'âme ne s'offre que vếtue d'altérité, chaque œuvre en est une exuvie.

mardi 21 février 2023