dimanche 28 décembre 2014

La source des chants

Fuir et s'en aller de songes creux en rêves trépassés
Passer d'un ciel à l'autre
Tel une musique aux notes reliées

Chaque matin se réveiller
Et voir devant soi un ciel cotonneux
Mille couleurs quand n'existe pas même un bleu

Les paysages traversés aux familières figures
Le sentiment des pierres qui s'écoule de nos mains
L'intention de la Terre, projection de nos rêves
Et nulle part néanmoins de sens au lendemain

Les lignes de l'horizon qui ne sont pas des lignes
Le rythme de nos chansons qui ne sont pas des signes
Rien, pas même un signifié ne résiste au réel

Chaque phrase un entrelacement de matière
De courbes se prenant la main
Pourtant au sein de chaque poussière
Des traces de jugements humain

Et moi je vois chaque aube de ma vie
Se dévêtir un peu
De tous les vêtements et avis
Du monde observé par mes yeux

Ces dieux qui mentent
J'observe la vallée
La courbe de ses pentes
Le grand complot des qualités

Chaque soir je vois le monde se déshabiller
Sans fard, sans grandeur et
Sans les mots dont je me sers pour exister

Si le monde est muet
C'est qu'il nous faut parler

Pourtant je vois cette porte
Dont il ne reste pas même un carré
Sa trajectoire circulaire
Soutenue par aucun mouvement

Je crois en des forces
Quand le réel est sans causalité
À l'infini des possibles
Et ces catégories qu'ignore la réalité

Il n'y a que les choses pour lesquelles un seul mot suffit
Comme un même cri humain déchirant le voile du silence
Et dans ce bruit primaire se construire une carte où vivre et chanter

Que reste-t-il de ces mots?

Om

Lettres effacées
Plus de conscience
Et le monde insensé

Ommm

Tout juste un son dissonant
Cherchant sur l'Univers à s'accorder

Ommmmmmmmm

Et mon chant se termine
Où il n'a jamais commencé

samedi 27 décembre 2014

Le tintement de mes formes

J'ai parfois le sentiment détestablement narcissique et prétentieux d'avoir un trésor en moi, la possibilité d'inscrire dans la poussière du temps une histoire grandiose à l'éclat singulièrement aveuglant. Cependant je me sépare toujours de lui, j'en remercie ma vieille conscience, et, le considérant de loin comme un objet curieux, fini par le ranger dans un coin de ce que je nomme "ma personne", l'acceptant comme un compagnon de route cheminant à mes côtés. Je n'inscris rien d'autre que mon sentiment de pouvoir inscrire de somptueuses oeuvres qui seraient autant de coeurs pulsatiles, nurseries d'univers à la diaprure flamboyante, capables de faire d'un unique son, d'une même couleur, la déclinaison interminable d'une variation infinie; le même est dans l'autre et l'autre dans le même.

Et si je dis que mon âme est une source de poésie intarissable et que j'accouche d'oeuvres aussi profondes que l'éternité comme on respire, est-ce équivalent que de le faire? Si je prétends pouvoir faire l'impossible, est-ce que je le réalise pour autant? Et si je le réalisais, je serais l'univers, et tout ce qui est et n'est pas. Toujours cette inclinaison pour la partie d'être le tout, pour la propriété d'être la chose et l'effet d'être sa cause.

Ah que ce bavardage pseudo-philosophique m'écoeure, je renonce à la philosophie, je renonce à toute connaissance, me contentant de mener ma barque. Car que reste-t-il lorsqu'on a montré que la connaissance théorique, métaphysique ou ontologique, est une chimère, un monstre du langage? Il reste à l'homme la nécessité de regarder en face son destin solitaire, sa condition de créateur de mondes. Voilà tout ce qu'il reste au bout de l'inconnaissance: la nécessité de créer et d'observer toute oeuvre comme une vérité absolue et totale, traversant d'autres dimensions de vérité absolue et totale.

Sachant cela, je secrète lentement et sans grande conviction, que voulez-vous je n'ai jamais su croire, ma prose médiocre censée être le produit de mon être, les phrases insensées de mon coeur qui s'arrête. Quel monde suis-je donc en train de créer par cet acte? Quel drôle de mère je suis, abandonnant ses enfants pour le plaisir pur d'enfanter et enfantant dans la douleur en prorogeant autant que se peut la prochaine portée. Mais le réel à chaque oscillation atomique me viole et fait de moi sa voix, l'instrument par lequel il joue la tonalité que je suis, connaissant parfaitement mes limites et mes singularités angoissantes, sans vergogne il me fait tinter chaque fois qu'il le peut, en jouant de mes formes disgracieuses, comme on caresserait la femme que l'on a toujours connu et aimé.

Inter-monde

Je vis dans des demeures somptueuses mais je n'appartiens pas à leur monde. On me tolère, parce que je suis né dans cet univers et qu'il serait inacceptable et contradictoire de me renier ce droit du sol et du sang. Je vais et viens dans ces belles maisons acquises par des vies de labeur et de thésaurisation, moi qui ne possède rien d'autre que la besace percée de mon présent, par laquelle s'échappe l'amour et la vie à mesure que je cours après. Je vis dans ces territoires élégants tout en me demandant durant combien de temps encore je serai amené à les parcourir, rêvant de vastes déserts sablonneux et riche d'une sobriété subtile. Mon esprit, sans cesse se meut ailleurs et se fait infidèle, mais pas ingrat, à cette luxuriante oasis qui m'accueille comme une partie d'elle-même, sans même poser la question de ma présence ici.

Renverserai-je un jour cet inconfortable facilité qui me fait évoluer par la seule force de l'inertie au milieu de ces murs joliment agencés? Contrairement à tout ceux qui ont su se rendre maître et possesseurs de ces convoitées forteresses, je ne fournis nul effort et nul travail. En vérité j'abhorre le travail, du moins dans son acception contemporaine, dès lors comment pourrais-je me prévaloir d'habiter en ces demeures?

Mais je ne fais qu'attendre, attendre est tout ce que j'ai su faire: mes impulsions sont brutales et puissantes mais cette intensité n'est mise en acte que pour mieux pouvoir me reposer et observer les innombrables remous ainsi provoquées, ondes sur la surface de ma vie qui deviennent de véritables vagues qui me portent sur leur épaule et m'emmènent à la rencontre de ma fin. Voilà ce que j'aurais été, clandestin de tout et de moi-même.

Une part de moi est bien trop conscience pour que je puisse accepter de devenir chose, il semble qu'une implacable force me maintienne à jamais dans l'écart et la distance, faisant de moi un mouvement de rien, un simple dévoilement sans substrat, une propriété du néant qui sent plus que jamais qu'aucune substance ne réside en son fondement.

J'habite donc ces demeures, j'en rentre et j'en sors, ressentant dans ces douces transitions le plaisir des inter-mondes et des voyages permanents, ceux-là même qui font de chacune de mes haltes, de simples escales sur le chemin de je ne sais quoi et de je ne sais quel curieux destin d'inexistence. Suis-je seulement un voyageur? Dès que je souhaite capturer une métaphore de mon réel opaque, je me trompe immanquablement, me croyant voyageur je m'aperçois sédentaire et baroudeur par intermittence. Tout est toujours relatif et question de point de vue, n'en déplaise à ce professeur qui tenta un jour de m'imposer sa définition d'une philosophie, heureusement farouche et libre malgré sa volonté, martelant hors d'haleine qu'aucune philosophie ne saurait accepter une relativité totale. Je l'observais en silence défendre sa relation à la philosophie, poursuivant l'absolu en fermant à jamais les yeux. J'accepte tout et reconnais toute relation comme vraie dans son système particulier, je n'ai nulle vérité à défendre, je suis en paix.

Ainsi je marche d'une maison à l'autre, vers des gens m'incluant dans leur sérail et me croyant des leurs pour la simple et bonne raison que je suis né parmi eux et suis leur sillage depuis toujours, comme un enfant sage qui ne saurait où d'autre aller.

Et sais-je seulement aujourd'hui où aller...?

jeudi 18 décembre 2014

Routine et improvisation physiologique

Avec le temps, il m'a été donné l'occasion d'accumuler un certain nombre de savoirs empiriques sur la manière d'employer le corps à travers le sport. Le sport est un véritable langage qui s'apprend et le pratiquer en artiste est une entreprise de longue haleine qui nécessite une véritable synergie entre la pratique et la réflexion.

On est souvent tenté lorsqu'on pratique un sport, et je pense surtout au développement kinésthésique en général, de suivre fidèlement une rigoureuse routine. Celle-ci rassure et structure puisqu'elle fournit au pratiquant un cadre propre à créer une familiarité ainsi qu'un référentiel procurant la possibilité de mesurer une certaine progression. Toutefois la routine est aussi un dangereux piège pour le sportif et j'expliquerai pourquoi après avoir développé quelques points d'intérêt qu'elle apporte malgré tout.

Lorsqu'on débute une pratique sportive en général, il est certainement très utile d'élaborer une structure d'entraînement avec plusieurs mouvements qu'il faut répéter un certain nombre de fois. Ainsi il est possible de mesurer la progression tout comme il est aussi donné l'occasion de bien intégrer certains mouvements sans se disperser. Un pratiquant se retrouvant sans guide et sans orientation serait vite déboussolé par l'océan des possibles, à tel point que tous ces possibles se réduiraient finalement à rien (la possibilité infinie étant une impossibilité et inversement). Il lui faut de préférence organiser son entraînement. La répétition acharnée de certains mouvements est un très bon moyen de fixer des habitudes au sein de la mémoire corporelle. En outre, la répétition et l'effort pour en augmenter le nombre posent souvent des questions intéressantes au sportif à travers toute une série de signaux que va exprimer le corps. Les courbatures sont par exemple une information que l'on doit apprendre à interpréter et à comprendre. Mieux, les blessures sont une véritable bénédiction lorsqu'elles ne sombrent pas dans le handicap trop lourd et irréversible.

La blessure est inévitable et c'est à elle que se heurtera quasi inévitablement tout sportif qui voudrait répéter un mouvement de manière systématique et prolongée. Elle témoigne de la mauvaise exécution de ce mouvement ou bien du mauvais contexte dans lequel celui-ci est exécuté. Le pratiquant apprend alors que pour contourner cette barrière, il doit réfléchir à sa pratique et comprendre le langage du corps et sa grammaire. Petit à petit et par un travail patient ponctué de tâtonnements et d'erreurs, le sportif apprend à identifier plusieurs causes, il se dote alors de méthodes lui permettant face à une blessure, d'éliminer une à une les causes non efficientes afin de trouver le plus rapidement possible la source de la blessure. Sans la répétition qui vient pousser le corps dans ses retranchements, il se pourrait qu'un mauvais mouvement soit détecté bien moins vite, étouffé sous la résilience idiosyncratique de chacun.

Ainsi, dans la répétition et la durée, s'inscrivent des apprentissages essentiels qui seront un socle indispensable à qui veut comprendre le langage de son corps. Mais encore, ce lent travail de solidification pose les bases d'un schéma corporel solide en établissant une certaine force de fond qui sera par la suite mobilisée à bon escient dans l'exécution de tous les mouvements de la vie ainsi que d'éventuels mouvements futurs encore inexpérimentés.

Cependant, combien de pratiquant se laissent prendre au piège de la routine et dès lors qu'ils ont trouvé une certaine zone de confort, à la fois dans l'exécution et dans la progression, ne dévient plus d'un pouce de leur programme établi? Combien alors se retrouvent face à l'incapacité de leur corps à mobiliser correctement une force pourtant durement acquise lorsque les exercices changent et induisent une sollicitation physiologique différente? Qui n'a pas expérimenté le trouble de ce sentiment d'impuissance a priori injustifié finira par en faire l'expérience. Voici les leçons que j'en ai tiré.

La routine est un piège d'abord physique puisqu'elle fige le corps dans des schémas rigides qui en réduisent la fonctionnalité à des gestes très précis et ordonnés. Le corps au départ très malléable et polyvalent devient alors pareil à une pièce mécanique, parfaite dans l'application de certaines forces et parfaitement incapable de la moindre nouveauté. Un piston conçu pour se mouvoir verticalement ne pourra pas exécuter une force horizontale, la routine fait du corps une pièce mécanique au schéma verrouillé. Mais la plus grande addiction est psychologique puisque la routine en familiarisant à un même effort et à une même souffrance (souffrance relative et non existentielle) en font un rituel dépourvu de sens qui perd alors tout son caractère d'épreuve. De plus, l'accoutumance tend à lisser les sensations du corps qui, par manque de variété, perd en sensibilité, de sorte que le pratiquant ne sent plus dans ses infinies ramifications chaque subtilité des mouvements qu'il effectue. L'habitude rend incapable d'un véritable effort et peu à peu réduit l'interface de sensibilité du corps tout comme sa volonté.

Un sportif entraîné et éprouvé à la routine gagne donc énormément à en réduire l'usage à l'apprentissage très ponctuel de mouvements ou plus généralement à la formation d'une force musculaire particulière. La routine peut donc trouver grâce à ses yeux, mais lorsqu'elle demeure de courte durée et abandonnée une fois l'objectif atteint. La sensibilité physique est une véritable interface, le corps est au départ plutôt informe en ce sens où il peut prendre diverses formes, c'est à dire s'adapter à divers mouvements. Toute routine tend à le figer dans une forme de sensibilité réduite. Ainsi briser la routine par la variété des exercices a pour grande vertu d'augmenter l'interface de sensibilité physiologique en rendant le pratiquant apte à sentir son corps de diverses manières, faisant ainsi ressortir la singularité de chaque exercice. Le développement kinesthésique est pareille à une étendue que la variété augmente et étire sans cesse, c'est donc grâce à son étendue que vont pouvoir se développer les diverses nuances qui forment le soubassement d'une mélodie et du plaisir de jouer de son propre corps. Si la routine, permet au départ de créer la sensibilité kinesthésique en la parcourant de manière intensive (de plus en plus profondément au sein d'un mouvement particulier), la diversité permettra ensuite de placer cette intensité dans une sensibilité extensive seule à même de procurer au pratiquant ses gammes, c'est à dire ses bases harmoniques dans la pratique du corps.

Rompre avec la routine c'est aussi savoir replacer le corps dans l'inconfort, qui se transforme peu à peu alors en simple nouveauté. Plus le pratiquant prend le temps d'apprendre de nouveaux mouvements, plus le fondement kinesthésique qu'il a construit sera mobilisé à bon escient et ce dès la découverte d'un nouvel exercice. Apprendre réduit le temps d'apprentissage, découvrir augmente la capacité à recréer de la familiarité kinesthésique car on ne subit plus alors le nouveau mouvement comme une contrainte entièrement façonnée par l'extérieur, mais on est à même de l'expérimenter de l'intérieur, comme un mariage entre la souplesse de notre forme propre et les contraintes extérieures imposées par les spécificités de l'exercice. Prenons l'exemple de la planche: pour un pratiquant sachant diversifier son entraînement et évoluer dans le changement, il sera certainement moins difficile de dépasser la barrière imposée par la souplesse des poignets nécessaire à la réussite du mouvement, parce qu'au lieu de faire du sol et de l'angle formé par la main et le bras un obstacle extérieur que l'on subit, l'athlète retrouvera au contraire de quoi mobiliser une souplesse déjà rencontrée et travaillée dans d'autres mouvements pouvant s'approcher des mêmes réquisits. Ainsi franchir le pas sera moins long car la forme sensible propre à ce mouvement aura probablement déjà plus ou moins une place dans l'extension kinesthésique de l'athlète et il ne s'agira dès lors plus que de développer en intension cette note singulière. Pour l'adepte de la routine n'ayant jamais placé son corps dans une situation s'approchant des contraintes de la planche, il s'agira alors de repartir quasiment de zéro en cherchant à créer de rien cette forme kinesthésique encore inexistante.

Il est important de voir notre sensibilité physiologique comme une forme ou plutôt comme une forme de formes. Plus la méta-forme est informe, c'est à dire plus elle s'inscrit dans le temps et la transformation (exploration ou voyage), plus elle sera à même de contrôler au mieux et de jouer avec une vaste diversité de formes différentes. Au contraire, plus cette méta-forme est figée dans une manière bien particulière de jouer, moins elle sera à même de composer des mélodies et rythmes variées. On peut poursuivre l'analogie musicale plus loin en comparant l'athlète au musicien, un musicien débutant va continuellement répéter ses gammes et apprendre par la répétition des morceaux tout faits, tandis qu'un musicien plus avancé cherchera à développer son oreille et sa capacité d'improvisation et d'harmonisation avec d'éventuelles stimulations pour lesquelles il ne s'est pas spécifiquement préparé. À terme, le but ultime de l'athlète est de pouvoir continuellement développer son corps à travers le simple plaisir du jeu et de la libre création.

Traversée du désert

La plupart des gens, lorsqu'ils ont traversé des évènements douloureux, s'astreignent à ne pas les ruminer, ils parviennent, par un tour de passe-passe psychologique, à lubrifier si bien toutes pensées reliées à cet épisode de leur vie que chacune d'elles glisse prestement sur la scène de la conscience, sans s'attarder, sans même se signaler. Ainsi s'écoule le temps et l'humeur noire de l'esprit qui secrète ses pensées sans être entendue. Bien sûr, ne pas objectiver ces sentiments en pensée, ne pas les offrir en un objet de manipulation pour la conscience ne les rend pas moins effectifs, un lent travail sous-terrain est à l'oeuvre, tectonique de la psyché qui parfois fait retentir à la surface un assourdissant grondement qui fait trembler le coeur.

Mais je n'ai pas la chance de fonctionner ainsi: je ne fais que ruminer les pensées, je me vautre dans toute l'étendue de ma souffrance. Quand les autres cherchent la proximité de leurs proches ou même d'étrangers à la compassion de passage, je plonge au coeur de la solitude et traverse mon enfer intime sans même en chercher les limites. Je ne sais combien de temps durera la traversée, je marche les yeux rivés sur le sol que j'arpente, jetant parfois un coup d'oeil vers le passé, vers l'avenir et vers les directions possibles, mais toutes n'offrent à ma vision qu'un désert monotone, la même nécessité de se porter soi-même à travers l'inconfort du monde.

De ce trait de caractère peuvent ressortir deux conséquences: soit ma volonté cède et le désert a raison de ma carcasse assoiffée, soit je ressors de là vivant, dur comme le roc, à même d'affronter mille autre déserts semblables. Pourtant, même dans le dernier cas de figure, une incicatrisable blessure demeure à jamais présente.

mercredi 10 décembre 2014

À travers le trou noir

J'ai traversé des trous noirs que même les dieux évitaient
J'ai renversé le destin en le foulant aux pieds
Je me souviens...

L'envers de chaque chose était une musique incertaine
Le son de l'indéterminé impossible à transcrire
J'ai volé dans les airs de ces tonalités foraines
J'écoutais l'univers et le voyait sourire
J'ai tant aimé vivre...

Les feuilles vertes et leur mystère immense
Enfant, j'interrogeais, je désirais savoir
Tragédie d'une impossible connaissance
Qui regarde le monde tel un simple miroir
J'ai cru ce que l'on racontait...


Je chemine aujourd'hui au fond de mes entrailles
Et cherche sans un bruit le sillon de mes rails
Dans l'étoffe uniforme de la pierre à la vie
Demeure la fonction qui me maintient ici
J'en ignore la raison...

Je suis un lourd fragment d'inétendue
Je suis le temps qui passe par le train des pensées
Comme une mélodie qui se veut entendue
Par l'intégralité des autres passagers
Je n'est plus qu'un chant...

En fonçant loin de moi, je me suis déchiré
J'ai commencé à voir ce que le monde a fait
De ma chair, et des joues caressées
Du sillon impossible de tout ce passé
Je me suis détesté...

Maintenant je m'en vais loin de ce miroir
Qui place devant moi du matin jusqu'au soir
Le reflet honni de celui que je suis
Antique clandestin que le bonheur a fui
Je resquille la nuit...

Je renie la conscience, j'abolis la distance
Je veux coïncider avec ce je ne sais quoi
Avec ce doux repos que semble la folie
Je voudrais m'en aller...

Quand je marche la nuit sur les trottoirs oubliés
Quand je balance mon pas furieux sur les pavés salis
Je décline un peu dans chaque larme essuyée
Je sème derrière moi tout l'espoir aboli
Je rejoins la folie...

Quand tout est terminé qu'il ne reste que moi
Substrat de vacuité qui ne se connait pas
Source pure encore intransformée
Que nul dieu cruel n'aura jamais souillée
Je demeure muet...

La voix se tait le corps prend le relais
Les battements du coeur marquent le rythme de la peur
L'air qui vient à manquer agite et compresse le coeur
Quelque chose insiste pour se dévoiler
Je vomis la terreur...

Sous les étoiles une sorte de tronc soutenu par deux branches
S'avance encore malgré lui sous les feux du silence
Fragment matériel solidaire par causalité
Petit tas de matière d'où te viens l'unité?
Je suis effectué...

À chaque trajet menacent les gouffres
Qui se tiennent tapis au sein du moindre souffle
Les amis de la vitesse qui voudraient tant que j'accélère
Braconniers de lumière assoiffés de mon air
Je traverse l'enfer...

Et le traverse encore moi qui ait le vertige
Je regarde l'abîme qui me regarde aussi
Et je tombe vers lui, je lui donne ma vie
Ma peur, la volonté, mon désir aussi
Et je m'offre à la nuit...

Tant de morts relatives qui me laissent renaître au sein d'un autre paradigme
J'aurais voulu pourtant que le dernier soit mon ultime paradis
Mais la volonté est une invention cruelle
Conçue pour être éternellement bafouée
J'ai pourtant cru en elle...

Être maître, être acteur, celui qui ferait battre ton coeur
J'ai longtemps cru que tout ce que je voulais advenait
Peut-être est-ce le cas, aurais-je alors souhaité cela?
J'ignore toutes ces choses...

Comme j'ignore toute chose d'ailleurs
Et si je crois connaître c'est que je ne sais rien
Et si je ne sais rien c'est que je suis inepte
Tant pis, il me reste l'humilité qui côtoie la grandeur
Il me reste l'amour qui tempère ma laideur
J'aime à n'en plus exister...

J'ai contemplé les cieux aux infinies nuances de mon aveuglement
Chaque étoile y était le brasier infernal de mes vains jugements
Mes aurores ne furent qu'un espoir que le temps détruirait
Je suis l'auteur de tant de promesses que le vent essuierait
J'étais si jeune...

Ma vieillesse est une jeunesse refusant de s'éteindre
La conscience qu'il ne reste que la mort à étreindre
Comme un dernier amour, aussi fort que la mort
Crépusculaire étreinte qui plierait l'Aurore
J'ai recherché la fin...

Comme on chercherait l'âme soeur
Moi qui n'ait pas de frère et encore moins de coeur
Mon âme est seule ici, à force de n'être rien
Je ne sais si je suis, pas même un simple chien
Je survis en moi-même...

Même toi aube dorée, soleil matinal qui fait naître l'envie
Tu n'as pas su enterrer ma conscience et l'incurable ennui
Qui me déporte des choses, et malgré moi m'emmène
Par-delà tout présent, en dehors de moi-même
Je t'ai suivi pourtant...

Je t'ai suivi docilement dans la rue des caprices
Emprunté chaque détours que tu nommais délice
Accroché mon bonheur le long de tes cheveux
Substitué à l'air le parfum de tes yeux
J'ai tout donné pour toi,
J'ai fait ce que j'ai pu...

Peut-être qu'au fond c'est ce que trop longtemps j'ai cru,
Il est tellement facile de croire en ses propres limites
De contenir en soi des distances précises
Des périmètres circonscrits dans des bornes figées
Les frontières sont tangibles
Je croyais les toucher...

Mais l'horizon est vague et transcende les murs
Que les sens s'acharnent à vouloir ériger
Il me faut bien, humain, tenir un semblant d'unité
Sinon qu'aurais-je à être
Et qu'aurais-je à penser...

Tu peux profiter de mon corps et aussi de l'esprit
Saisir sans un effort ce qui n'a plus de prix
La valeur de la vie vois-tu m'a désertée
Et puis je n'étais pas ce que tu convoitais
Le savais-tu...?

Ce que je raye et esquinte avec tant de constance
C'est ce contours de moi-même qui ne renferme rien
Regarde je me blesse pour sentir l'existence
Et révéler au jour le non-coeur qui est mien
Nous étions si semblables...

lundi 8 décembre 2014

La caresse du destin

Je suis comme la fleur qui reste dépendante du soleil et de sa propre lenteur à croître pour en chercher l'éclat: il suffit d'un nuage pour venir mettre en péril mes efforts lamentables. Si je n'étais pas aussi allergique à la croyance, je pourrais bien croire qu'un dieu farceur écrit le destin de tous les hommes en réservant à certains les plus cruelles de ses farces, les plus sombres de ses détours, les plus tortueuses de ses idées. Mais je ne crois pas en un dieu alors je subis la réalité qui s'exécute et s'acharne à me cacher le soleil de ses innombrables nuages.

Les pires scénarii se réalisent toujours et les choses les plus improbables adviennent, imprévisibles et absconses, absconses comme le réel qui ne s'embarrasse pas d'une encombrante et inutile sémantique humaine. L'autre vient mêler son chaos, celui-là même qu'il porte malgré lui parce qu'un monde aphasique l'a placé là sur son petit dos d'humain, traînant sur lui un destin incompris dont il faut pourtant se sentir l'auteur. Y a-t-il un auteur à tout cela? Les pierres, les étoiles et jusqu'au vide intersidéral sont-ils les responsables de ces facéties qui sont autant de brûlures infligées à la chair de l'âme? Vivre parmi les humains, pour un homme, est un pré-requis indispensable, dès lors comment vivre parmi le monde forain qui n'a de sourires que ceux qu'on lui prête, et d'intentions que les nôtres qui nous deviennent étrangères par on ne sait quel jeu de dupe que se joue la conscience?

Pourquoi ce qui est arrivé hier est arrivé? Parce que je l'ai voulu et provoqué? Est-ce la synergie de deux volontés se penchant l'une sur l'autre et se fondant en un instant ou bien est-ce l'effet d'une chaîne causale infinie, entrecroisement d'une myriade d'indénombrables fils, ou bien n'est-ce rien d'autre qu'un arbitraire hasard, mot déterminé pour une imprononçable vérité?

Et qu'est-ce que ces histoires de subir ou d'agir, que sont donc ces déterminations? Il n'y a probablement pas de but à ce qui arrive, et l'autre qui s'en vient mettre le doigt précisément sur l'endroit le plus fragile et douloureux de mon être, parce que son désir l'y pousse, n'a certainement pas plus d'intentions que notre pantin de corps qui joue la musique qui le fait danser. Ces choses là arrivent, elles peuvent anéantir, elles peuvent ressusciter aussi, elles n'ont d'autre valeur que celle de nos sentiments et notre manière de les interpréter.

Je veux tellement comprendre que la douleur de la faille m'est quasiment insupportable, comme cette légèreté frivole avec laquelle le réel s'insère dans les interstices ravagés de ce qu'on nomme identité, y installe sa gratuité en faisant imploser tous les espoirs et toutes les attentes... L'autre que l'on n'attendait plus est revenu: l'espoir s'éveille alors, encore, fol espoir qui enchaîne à la folie; mais la venue n'est pas celle que l'on croyait bien sûr, le monde que notre volonté appelle par ce vide qu'elle s'acharne à instaurer dans l'actualité du présent -comme pour lui laisser une place d'éclore -, ce monde là n'est pas, et l'autre nous le fait sentir à sa manière de traverser nos murs imaginaires, en faisant mentir la carte illusoire par la vérité muette et asymbolique du territoire. L'autre est passé à travers nos espérances.

Dois-je comprendre quelque chose ou continuer de vivre dans l'absence de sens, portant malgré moi des espoirs qui sont autant de pièges que je place devant mes pas, portant la souffrance d'un désespoir injustifié: celui de croire que le monde est régi par les catégories de l'entendement.

Je porte mon amour, voilà bien la seule chose que je porte bien haut et sans regret ni sans peur. Puisse un jour cet élan éternel de mon coeur éphémère te redonner la confiance que tu cherches dans le bouillonnement incessant des naissances, quand tout ce que tu peux vouloir est inscrit de tout temps dans le sillon de ma volonté, et ne vacille pas malgré les mauvais tours du sorts, bien ancré dans l'écrin tendre de mon regard, celui qui te prend malgré toi et t'emmène dans un monde que tu ne peux pas voir. Le verras-tu un jour...

dimanche 7 décembre 2014

Jamais le même

J'entends si souvent les gens lancer de grandes phrases éculées dans la granularité de l'air: "il faut aller de l'avant" en est un exemple que chacun utilise lors d'un deuil, que ce soit celui de personnes que l'on a perdu ou bien celui de nos espoirs déçus. Ils partent, vont voir ailleurs et reviennent plein de cette certitude d'avoir évolué parce qu'ils ont vécu d'autres choses et ils appellent cela aller de l'avant. Faire un pas de côté n'est pas aller de l'avant. Abandonner est une chose simple, à chaque abandon pourtant ce ne sont pas des chaînes étrangères et aliénantes que nous quittons, mais nous-même que nous trahissons. J'ai appris au cours de ma courte vie à ne jamais abandonner, ni moi ni les autres. Aller de l'avant pour moi c'est se heurter mille fois à la difficulté, mille fois échouer et revenir frustré, fatigué voire blessé. Pourtant, je persévère et à la mille et unième fois, quelque chose arrive, je me suis étendu au-delà de ce que j'étais, ouvrant des possibles, faisant de mon être un ensemble propre à accueillir de nouveaux mondes auparavant inaccessibles et seulement rêvés. L'amour dans sa forme la plus générale, la moins déterminée, est le moteur de cette persévérance, de cette confiance en l'autre. Il y a des choses que j'aime au point de ne jamais les abandonner, continuant mon chemin par devers l'échec, portant ma souffrance à fleur de peau, la projetant dans chaque regard et chaque courbe de la pensée. Je continue d'avancer imperceptiblement lors même que l'obstacle semble me barrer la route inexorablement. Certains observateurs extérieurs pourraient facilement ne percevoir que stagnation et vain acharnement, pourtant, quelque chose chemine avec ma volonté jamais trahie, quelque chose marche dans l'ombre, dans les sous-sols du moi, d'antiques strates psychologiques se mettent en branle, sans bruit, jusqu'à la libération finale. Combien s'arrêtent avant cela, épuisés, impatients? Je continue ma route et me heurte à des obstacles infranchissables qui seront malgré tout franchis, par la force de ma confiance en l'humain, par l'amour que je porte en ces horizons que je contemple et chéris.

Ne pas abandonner, ni les gens ni soi-même; c'est ainsi que je vais de l'avant, dans ma curieuse trajectoire faite de retour en arrière qui n'en sont pas. Je ne rencontre jamais le même les gens que j'ai connu.

mercredi 26 novembre 2014

Un asile pour les regrets

Je ne vois que des gens durs autour de moi, de véritables pièces de métal incassables, avançant face au rafales de la vie sans jamais plier, sans regard en arrière. Je crois qu'ils acceptent leur sort et la nécessité qui l'accompagne, ils cessent de lutter face à ce qui s'impose à eux de tout le poids du réel, d'ailleurs il me semble évident que cette attitude est un comportement instinctif de survie.

Je ne sais où est passé le mien, je ne cesse de tomber et de regarder en tous sens, cherchant dans le regard d'autrui la moindre trace de compassion et de révolte face au destin: "on ne peut pas accepter cela n'est-ce pas? La volonté est plus forte que tout non?", et je veux de tout mon coeur ce qui n'est pas. Mais le plus dur reste vraiment cette capacité qu'ont les autres à absorber la contrainte du réel, son indifférence et sa manière de broyer tous les espoirs par la seule action implacable du temps. Je ne peux tolérer cela, tel un enfant qui refuse de grandir, je place ma volonté comme la force ultime qui gouverne l'univers, mon univers. C'est pour cela que je reste toujours en arrière, dernier de la Grande Course, traînant le pas les larmes aux yeux: j'essaye de ralentir la course du monde en tirant vers l'arrière, j'essaie d'instiller en autrui la croyance en une forme d'éternité permise par notre volonté versatile.

Et je crois que dans cette entreprise désespérée, je retiens quelque chose de ce sur quoi vous passez avec force et courage, je retiens une image vivante et inchoative de vous même, de ce que vous étiez, de ce que nous étions. Je donne ma vie aux souvenirs, je donne ma vie aux humains et à cette foi inébranlable que j'ai envers la volonté: celle d'être en paix, celle de s'aimer et celle de ne laisser personne sur le carreau.

Une image me vient à l'esprit: celle d'une mémoire organique soumise aux vicissitudes du temps mais qui, par un effort démesuré de volonté et d'espoir (ou devrais-je dire d'obstination), parvient à faire vivre dans l'éternité d'un présent inaltérable tous les élans de son coeur, chaque monade rencontrée.

Jamais je ne ferme quoi que ce soit, je suis un asile pour tous les regrets, je resterai je l'espère une terre d'accueil pour tous ceux qui m'ont connu et qui voudraient redonner une chance à quelque chose, à ceux qui comme moi pensent que seule la volonté est source de réalisation. Je demeure pour tous, les bras ouverts et tendus vers vous, toutes les erreurs, toutes les fautes, tous les coups seront de toute manière pardonnés. Vos rêves en moi seront toujours possibles parce que je ne renie nul passé ni nul avenir, et ce que j'ai une fois aimé reste à jamais un cierge allumé dans mon temple.

Une donnée commune

Je pourrais faire comme ces vieux qui ayant perdu leur conjoint continuent de lui parler comme s'il était là. J'aurais voulu parler à ma grand-mère et lui dire ma tristesse pour qu'elle me réconforte à sa manière silencieuse. Ma grand-mère n'est plus là bien que le souvenir de sa présence soit incrusté en moi. Je sais qu'elle aurait eu des mots qui m'auraient arraché à ma solitude, les mots de ceux qui reconnaissent la souffrance comme une donnée commune.

Je donnerais bien des moments de ma vie pour rester encore assis avec toi, à te parler de ma conscience et à écouter la tienne. Je m’assoirais dans cette chambre de maison de retraite à côté de toi et nous laisserions le temps passer, ensemble; éternellement ensemble dans nos solitudes.

Une donnée éternelle

Chacun de mes mots est un battement de coeur supplémentaire. Le vrai, lui, a cessé de fonctionner depuis longtemps déjà, récitant le rythme d'un amour aboli. J'ai échoué à vivre ma vie, j'ai renoncé à vivre, même le soleil s'est détourné de moi, je n'en garde que des souvenirs tandis qu'il passe sur la vie des gens et les éclaire de ses rayons ardents.

J'écris: c'est ma malédiction, les mots sont la pierre que je roule en haut de la colline, les mots sont ma chair qui est morte et que l'aurore a emporté, les mots sont mon souffle, celui-là même que j'ai perdu dans mes journées grises et sans lueur, dans ce désert glacé où je suis pétrifié.

Je ne suis pas irremplaçable, le train de la vie ramasse d'autres passagers, ils s'assoient sur mon siège et soufflent leur haleine sur la vitre à travers laquelle j'ai contemplé tant de paysages. Ma conscience de l'impermanence est une donnée éternelle, c'est pour cela que je renferme en moi cet amour qui ne s'émousse pas avec les jours. Je garde en moi, présent, le souvenir de tous les voyages, la chaleur de ton regard et la lumière de tes sourires.

Je n'ai jamais été un soleil, c'était bien moi la lune, et mes plus beaux moments furent ceux où tu m'illuminais de tous tes feux. Aujourd'hui satellite fantôme tournant dans le vide sidéral, j'offre la face consternante de mes nombreux cratères, puits de ténèbres dans un désert rocailleux. La vie, un jour a trouvé son chemin en moi, j'en suis le fossile épuisé que personne ne ramassera jamais.

mardi 18 novembre 2014

La connaissance ultime

Je vous dois peut-être quelques mots sur La vérité ultime, celle-là même que j'ai percé il y a quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Vous aimeriez peut-être savoir quelle est-elle, en quoi consiste son contenu, vous aimeriez probablement connaître la connaissance des connaissances, le secret même des choses? Sans doute cela rendrait-il votre vie bien meilleure, du moins plus facile, vous avanceriez vers la mort sans plus de crainte aucune, la certitude au coeur, comme un paladin aguerri voyant dans chaque goutte de sang versé la gloire d'un Dieu certain.

Au bout de la connaissance, pourtant, il n'y a plus rien. Là-bas, dans ce pays lointain dont je suis revenu, n'existe que le Réel inconnu et inconnaissable; la connaissance repose sur l'inconnaissance. Au bout de cette médiation sans fin n'est rien d'autre que l'arbitraire de toutes les croyances, ce même arbitraire qui fait que vous tenez debout dans un monde familier alors même que vous ne pouvez savoir s'il est un monde ou non. Il n'y a pas de fin à la connaissance, comme il n'y a pas de fin à vos croyances, tout ici est acte de la volonté, celle de croire ou de ne pas croire, celle de persister ou de ne pas persister.

Toute explication, toute théorie, tout modèle censé représenter la réalité est absolument valide-invalide. La raison, cette façon de faire avancer l'esprit, est une monture docile qui vous mènera partout: il existe un chemin pour parvenir à toutes les erreurs.

Voilà ce que m'a appris la connaissance, elle m'a appris à rendre les armes et à ne plus lutter. Je suis aujourd'hui le maître de la raison, comme le possesseur d'une méthode éprouvée. Je pose des axiomes, exécute des syllogismes, crée des concepts qui sont autant d'ensembles au sein desquels je comptabilise d'autres ensembles. Donnez-moi une proposition et je la rendrai vraie, ou fausse, c'est selon votre bon vouloir. Les faits ne sont que de peu d'importance, toujours limités à l'appréhension que nous en avons et donc toujours aptes à être inclus dans une théorie qui embrasserait les faits comme les non-faits.

Voilà, vous êtes libres désormais, peut-être trouverez-vous la vie plus simple. Moi je n'ai pas encore su quoi faire de cette liberté, puissiez-vous en faire meilleur usage. Croyez ce que vous voulez, bâtissez les mondes propres à soutenir l'édifice de vos rêves, et surtout, "soyez aimables car ceux que vous rencontrez...".

L'essence de tes mains

Les mots des autres et leur chaleur, aussi réconfortants soient-ils, n'auront jamais la douceur de tes mains qui parcouraient mon torse et apaisaient les brûlures du destin. Les mots des autres sont un outil bien commode grâce auquel je me penche sur leur âme et capture quelques mouvements d'un intérieur indicible qui consent à se perdre. Jamais cependant je n'ai pu aller dans cet endroit lointain où tous mes rêves se sont perdus: l'intérieur de ta tête. Je n'ai jamais pu écouter ton âme qu'à travers le style de tes mouvements externes, tes gestes et leur tonalité gracieuse, ton corps était ma seule clé pour parvenir à toi. Tu parlais si bien d'un langage que je comprenais si peu mais qui me fascinait pour tous les grands espaces vierges qu'il évoquait à mon ignorance. Des yeux constellations pareils à deux univers jumeaux que je ne pouvais visiter que de l'extérieur, que par le feu qui voulait bien filtrer vers ma réalité.

J'ai tellement vidé les mots que c'est probablement mieux ainsi, qu'aurais-tu donc eu à m'apprendre: je connais leurs détours, chaque impasse et chaque boucle. Un geste de toi est ce mot étranger, habitant d'un pays qui ne figure sur aucune carte, héritier d'une tradition foraine et ancestrale qui transcende tous les discours sages, signe d'une temporalité excédant tout logos. Ton âme était ton corps que j'apprenais à lire; non; pas à lire: à écouter.

Tous les livres sublimes ne m'apprennent rien, ils ne font que dire ce que je sais déjà, tout au plus ont-ils parfois un peu d'avance sur mes propres mots. Invariablement ils me renvoient à moi-même, à cette musique triste qui dénoue les mots et ne conserve que le ruban sonore d'une vibration fondamentale présente jusque dans la vacuité même. Dans tes sourires à toi, dans la forme de tes bras fins qui emplissaient le vide, dormait un je ne sais quoi indicible qui m'invitait à partir vers le plein, vers l'être qui aurait résolu toutes les dualités. Avec toi il n'y avait rien à comprendre, juste à vivre. Il n'y a réellement rien à comprendre: il m'aura fallu du temps pour contempler cela, moi l'être gourd avançant difficilement avec les roues carrées du langage. Tu me présentais cette évidence dans une immédiateté qui m'était interdite, moi le médiateur invétéré, toujours du mouvement cherchant la trajectoire à retenir, celle que l'on peut inscrire sur une carte; comme si nous arpentions tous le même monde...

Je lis les mots des autres semblables, en un sens, à ce que je deviens, et je comprends ce qu'ils disent, je comprends par la lecture, en synthétisant, laborieusement. Au lieu de comprendre, peut-être sentirais-je un peu plus si j'étais en leur présence et observais leurs façon d'exister. Je t'ai senti exister devant moi, contre moi, avec moi, je n'avais pas de mots et je cherchais partout à dire la conscience de ces sensations atemporelles. Toujours ce décalage qui me porte à faire signe vers mon vécu silencieux, toujours cette déportation qui m'emmenait loin de toi, comme un ressac après chaque moment vécu qui me voyait rechuter dans cette attente insatiable qu'est la conscience (volonté d'occupation hégémonique de l'esprit). Je ressens maintenant avec douleur tous ces murs que je dressais, refus de vivre, d'être ce qu'on est, soif de cette conscience qui donne l'illusion d'être ce qu'on est tout en sachant qu'on n'est pas seulement ça. Le champ de la conscience sera peut-être un jour expliqué par la physique et sa théorie éponyme: l'attention consciente apparaîtra peut-être un jour comme une vibration sur une sorte de champ, potentiel énergétique remplissant de manière probabiliste un vaste espace. Ce caractère spectrale de la conscience serait alors expliqué par sa nature étendue et indéterminée. Peu importe tout cela.

Il y a des mots qui font du bien et des mains qui ne sont plus là. Ceux-ci décalent encore et toujours la vie hors d'elle même, quand celles-là en étaient l'élan même, celui que j'ai perdu, l'essence de tes mains, le souffle de ta joie dans mes voiles détendues.

lundi 17 novembre 2014

Les bonnes et les mauvaises pièces

Les relations humaines ne sont pas un jeu de puzzle où chaque personne serait une pièce qui s'emboîterait parfaitement dans l'espace vacant, ses bords adjacents à ceux d'autres pièces, chaque courbe en épousant une autre. Il n'y a pas de bonne et de mauvaise association entre les humains. On peut aimer plus que tout une pièce aux arêtes coupantes et dont la délinéation contrarie la nôtre, dont la proximité crée du jeu et de multiples frottements nécessitant d'infinis réajustements. Ce jeu même est l'amour.

Je ne crois pas aux bonnes ni aux mauvaises pièces. Je crois en autre chose, une sorte de sentiment sublime d'amour qui vous envahit face à la contemplation de l'autre, peu importe si cet autre s'accorde ou non (et demandez aux sites de rencontre selon quel algorithme on calcule cet accord?) avec notre mélodie. Deux instruments qui veulent s'accorder jouent la même note, puis si les musiciens désirent vraiment jouer, ils procèdent à quelques réglages jusqu'à trouver cet accord délicat.

L'amour, comme l'harmonie, est une forme de volonté.

Dernier obstacle

Si j'avais fait d'autres choix, peut-être mon destin aurait-il eu plus de classe. J'aurais pu faire un enfant à la Femme, après ça j'aurais bien pu la laisser partir au gré du vent, se séparer de la malédiction que j'incarne, j'aurais au moins compté pour quelqu'un. Il y aurait une femme qui me garderait dans son coeur et accolerait à mon nom l'image sacrée de "père de mes enfants"; il y aurait cet enfant que je n'aurais jamais connu et qui aurait pour père ce poète maudit traînant sa mort dans les rues du monde entier, empaquetant dans sa tête une poignée de mots chantants. Après cela j'aurais bien pu crever dans un caniveau, une bouteille à la main, que m'importe, j'aurais vécu et compté pour quelqu'un, j'aurais été la source de sentiments intenses, d'un amour qui existerait bien plus que je n'aurais jamais su le faire.

Au lieu de ça je suis aujourd'hui seul, sans Elle, sans personne d'autre que les différentes tonalités insupportables de mon moi multiple. Les seules actions nobles dont je suis l'agent se déroulent dans ma tête, lorsque je revêts par exemple le costume de cet Adrien héroïque qui se dresse devant le mépris des autres et protège ceux qu'il aime. Même chez lui pourtant se cache quelque chose de nocif: l'héroïsme se mue trop souvent dans ma tête en d’insoutenables scènes de violence où s'exprime je ne sais quelle rage qui m'habite: je brise l'autre de tout mon désespoir, j'éradique à grand coup de destruction la peur que je suis. Si je venais à mourir, je ne serais rien de plus pour quelques êtres qu'un agréable souvenir, qu'une "belle histoire", qu'une promesse et que sais-je encore... Je ne suis la cause de rien ici, je n'ai créé qu'un univers intime de mots que je suis probablement le seul à trouver poétiques. Je n'habite que des rêves d'enfants que chacun de mes textes piétine impunément.

Je crois, décidément, que je n'ai rien à faire parmi vous, vous qui vous levez le matin avec un but en tête, vous qui vous levez heureux et énergiques avec l'envie fondamentale d'avoir seulement envie, de s'engager avec vos semblables dans d'innombrables projets. Moi je regarde l'impermanence comme une nécessité qui me plaque au plus près de mon coeur et vous la regardez comme un risque minime tout juste remarquable.

Il y a des gens qui voient la vie comme un présent à l'incommensurable prix, il y en a dont la volonté est si forte qu'elle submerge allègrement la raison et le doute, marquant l'avènement de l'homme sur le Réel inconnu. Je ne suis pas de ceux là. Je me demande trop souvent pourquoi je continue et lorsque je m'interroge sur les plaisirs à amasser en cette vie, je secoue la tête de droite à gauche, conscient que ces choses là ne me sont plus rien aujourd'hui, que chaque désir est un petit mensonge de plus que l'on se fait pour parcourir encore un bout de chemin. Je n'ai plus envie d'être humain, je ne veux plus être cette ignorance crasse qui ne sait pourquoi elle vit et continue malgré tout de gesticuler, de courir, de vouloir, de croire. La vie ne me réserve que des déceptions: celle des désirs assouvis, celle de l'incessante perte que nous fait subir le temps, celle de ma force vacillante, celle de l'éternelle victoire du doute, celle de l'amour qui s'éteint. Je ne vois aucune raison de vivre. Ma volonté est si nulle que je suis incapable de mettre fin à mes jours, préférant attendre que tout cela se termine, d'une manière ou d'une autre. Inévitablement un obstacle viendra un jour barrer la route de la carcasse que je traîne sans conviction: je ne vis plus que pour le trouver.

Je me souviens pourtant toutes ces pensées ruminées dans le feu de ma vie passée (celle-là même que je regrette aujourd'hui) et qui pourtant ne me parlaient jamais que de solitude et de liberté. J'ai compris quelque chose aujourd'hui, peu importe que ce soit quelque chose que le temps annulera demain pour réintroduire le doute à la place: la liberté est impossible à vivre sans cesser de vivre car il n'y a qu'un moyen de vivre et c'est de croire en quelque chose. La liberté est l'expérience du possible or l'expérience du possible est l'expérience du doute, ce même doute qui me ronge à chaque instant et fait bientôt de ma coque pourtant jeune une carcasse rouillée qui souhaite regagner le port. Vivre la liberté c'est précisément ne plus vivre comme un homme, c'est vivre dans l'éternité minérale des dieux, semblable à une pierre, bienheureuse et tranquille dans son repos absolu. Mais nul humain ne vit comme un dieu et s'approcher trop près de cette absolue liberté, c'est accepter de demeurer malgré tout à distance, vivre l'alternance effrénée de la croyance et du doute, scintiller par intermittence comme un pulsar fou qui s’essouffle pour finalement s'épuiser en une sombre et froide étoile.

La malédiction de l'homme c'est qu'il ne peut être autre chose que lui-même tout en étant pourtant intrinsèquement attiré par tout ce qu'il n'est pas. L'homme-interface ne se connaît d'ailleurs que sous la forme d'une ouverture à l'Autre. On peut vouloir être libre autant que l'on veut, on reste irrémédiablement soi, ni libre ni esclave, ni beau ni laid, ni bon ni mauvais; tous ces concepts dans lesquels on aimerait se perdre sont des états-limite, des horizons que l'on n'atteint jamais. Il existe malgré tout des hommes qui aiment la liberté plus qu'eux-mêmes et choisissent de donner leur être pour alimenter le sien; mais je n'ai pas ce privilège moi qui suis tous les hommes et moi qui ne suis rien.

dimanche 16 novembre 2014

Le clochard philosophe

Par terre, un vieil homme à la barbe immense, se balançait assis en tailleurs en psalmodiant quelques propos qu'on ne distinguait pas vraiment. Assis sur la bouche d’égout, une vapeur dense et brumeuse l'enveloppait en remontant vers le ciel. On pouvait voir partout autour de lui, sur les pavés gris du trottoir, d'étranges arabesques dessinées à la craie. La pluie qui commençait à tomber effaçait peu à peu les inscriptions qui incrustaient d'esthétiques circonvolutions sur le sol. Chaque goutte faisait l'effet d'une bombe qui s'abattait sur la craie friable et légère qui s'envolait alors en tous sens. L'eau qui ruisselait dans les innombrables craquelures du béton finissait de brouiller l'étrange texte que ce curieux individu avait inscrit sur le dos de la rue. À côté de lui des piles de papiers formaient de petits tas qu'il continuait d'alimenter d'une écriture automatique, vomissant des mots à l'aide d'un stylo bic sur tout support apte à les recevoir. Des lignes et des lignes semblaient dormir à l'intérieur de tous ces mille-feuilles qui jonchaient le sol. Soudain une rafale de vent souffla plus fort qu'habituellement, et les piles de papiers s'éparpillèrent au vent, voletant en tout sens, se collant brièvement sur certains passants qui les froissaient en boule avec agacement ou bien y jetaient un oeil curieux avant de lancer un regard étonné vers le vieil homme. D'ailleurs un examen plus approfondi corrigeait tout de suite cette première fausse impression: le visage n'était pas celui d'un vieillard. L'immense barbe qui cachait la majeure partie de son visage accentuait la dureté de ses traits, elle avait beau être grise, son porteur ne devait pas avoir plus de quarante années. Ses yeux n'étaient pas particulièrement expressifs, on les aurait même cru vides tant ils semblaient contempler une réalité absente et lointaine. Ce regard effacé ne quittait pas la feuille sur laquelle se fixaient les mots avec régularité, l'homme se balançant toujours d'avant en arrière, oscillant lentement sur un rythme lénifiant. Il ne semblait pas préoccupé par la dispersion soudaine de ses feuillets, il continuait son action, inébranlable et absorbé.

Tandis que des feuilles chutaient en flottant tout autour, l'homme évoquait la placidité d'un arbre automnale faisant face aux rafales du vent, imperturbable, ne concédant à sa fureur qu'une poignée de feuilles nervurées qui étaient la rançon de la vie. D'autres rafales continuaient d'arracher les feuilles à la solide présence de leur auteur, la pluie les plaquaient avec détermination sur toute surface possible. Une des feuilles vint se coller contre un mur, passant juste devant le visage d'un homme visiblement préoccupé qui jeta tout de même un oeil sur le curieux objet qui venait de filer à travers son champ de vision. Il s'arrêta et semblait lire avec attention les lignes serrées, figurant une écriture penchée et élégante. Après un temps suffisant pour déchiffrer les phrases malgré l'encre qui commençait à suinter sous l'effet de la pluie, il se retourna brusquement et scruta en se mordillant la lèvre inférieure le scribe barbu qui se dodelinait dans ses vêtements sales. Son regard captura cette étrange photographie qui l'accompagnerait dès lors: le ciel gris de la ville faisant chuter sa pluie sale sur les gens pressés et cet homme assis calmement en tailleur sur une bouche d'égout, concentré sur sa tâche, recouvrant d'une écriture dense et précise des piles de feuilles vierges. Autour, chaotiquement suspendues dans l'air, des dizaines de feuilles manuscrites pareilles à de multiples ramifications que le vent faisaient danser. Adolphe sortit alors de sa torpeur et se dirigea vers le clochard enveloppé de vapeur et de sa muraille de mots dansants.

Hallali

Vient ce moment si certain où les trompettes se taisent
Et les cuivres mats et profonds très lentement s'apaisent
Dans quelque livre, quelque héros décline et prend fin
Une musique grave sonne la victoire du destin

Le jacassement de ceux qui savent résonne
Agaçant jusqu'au silence à la patience d'or
Ils écriront l'histoire, eux que rien ne raisonne
Tandis que je remonte seul à ma naissance et dors

Cela n'est pas grave chante la forêt matinale
Et la rosée qui scintille de répondre en lumière
Que nulle faucille ni aucun point final
N'ont jamais été plus qu'un amas de poussière

Je laisse le vieux monde à ses aurores gaies
Abaissant sûrement mes voiles fatiguées
Sous la nuit étoilée aux songes infinis
Je m'enlace au vieux port pour ne jamais tanguer

jeudi 13 novembre 2014

Le cimetière ambulant

Il y a des soirs où dormir est impossible. On pense à tout ce dont la vie nous dépossède peu à peu, à tel point qu'il ne semble rester que des pertes et des deuils.

La conscience est alors un visage penché sur la vitre du compartiment d'un train fendant la campagne des souvenirs à toute allure. On aperçoit à peine le visage d'êtres aimés, juste assez pour les reconnaître et voir la nuit les engloutir avec voracité, laissant dans leur passage une rémanence lumineuse, queue de comète des destins. Partout autour les gens des étoiles filantes qui vont mourir là d'où l'on vient, avec le reste des choses que l'on quitte.

Vient un moment où tous ces visages, tous ces lieux, tous ces moments se projettent sur le ciel nocturne pour former d'indéterminées constellations. Nous sommes sortis du train, sortis de la Terre et flottons là, sous le ciel de nos deuils. Chaque étoile se met à danser dans le vide intersidéral et l'on se fait le spectateur impuissant de sa rêverie somnambule, comme on est celui de sa propre vie.

Ces images ne sont pas le fruit de la volonté, elles surgissent, suscitées par on ne sait quelle rancoeur face au destin, et nous rappellent alors que l'abîme de la folie n'est qu'à un pas de côté. Il est alors si étonnant que la normalité soit un état commun.

Je deviens fou et étrangement conscient du fait que je ne peux aucunement influer sur ce processus. Ma folie est le produit d'une sur-rationalité, peut-être d'une méta-rationalité, d'une raison qui aurait trouvé son origine et la sortie d'un processus sans fin dans son fondement contraire.

Dans le cinéma de ma tête je tiens des conversations avec une multitude de gens, je vis des pelletées de possibles à la seconde, j'enterre des futurs par vécu d'anticipation: fosse commune de mon théâtre intime. À chaque instant je ferme des portes que j'avais entrouvertes sans même avoir levé le petit doigt. Et j'accomplis ce rituel de mon inexistence avec le souvenir omniprésent des morts et de tous les amours perdus. Chaque instant et chaque chose est hantée par un passé ensablé que ma naïveté s'acharne à exhumer, ivre de donner vie à tout ce qu'elle a un jour contemplée, luttant contre l'oubli.

Pourtant je suis moi-même, par mon incurable suspension existentielle, un véritable tueur en série. En ne choisissant pas j'élimine quantité de chaînes causales qui gisent dans ma citadelle intérieure, j'étouffe des embryons de vie qui deviennent alors l'aliment de la mienne. Je suis un cimetière ambulant, redoublement du temps, assistant faucheur.

Peut-être ne suis-je pas humain? Je n'ai nulle volonté aujourd'hui. Peut-être ne suis-je qu'une loi de l'univers s'exécutant selon une nécessité implacable, sous-routine du temps qui fait passer toute chose? Peut-être ma conscience n'est-elle qu'un effet de la récursivité de mon algorithme, le contrôleur et le témoin du bon déroulement d'une fonction létale.

Je suis aussi creux que le coquillage que l'on place contre l'oreille et qui rend le son de la mer, je rends le son de la vie mais celui-ci n'est qu'un écho de tout ce que je ne suis pas.

mercredi 12 novembre 2014

Savoir vivre

J'ai été rien du tout. Tout juste ai-je été quelque chose dès ma naissance: être brut et sans lacune, plein et présent. Ma conscience n'a été qu'un lent et incessant effort de déréalisation pour me ramener au possible des sens encore impliqués dans le signe indéfini. Je n'aurai pas su vivre... Dès lors à quoi bon attendre des autres qu'ils se défassent avec moi dans l'inexistence?

Je comprends tous ceux qui se sont détachés de moi. Je ne me comprends pas moi-même. Je suis une somme d'échecs d'autant plus tristes que toutes les conditions étaient réunies pour qu'ils n'adviennent jamais.

Je n'ai pas su vivre voilà tout.

Dorénavant j'avance avec mon amour solitaire au ventre et un regret dans la tête. Je serai peut-être prof si l'inertie de ma force me porte jusque là. On m’appellera probablement Cripure, les élèves se moqueront de moi et des ténèbres que je porterai dans la classe. N'ayant plus d'ego ni plus aucune fierté, quelque être dans le besoin trouvera le moyen de profiter du peu de choses que j'aurai à offrir. Je m'éteindrai tout seul entouré de mes souvenirs et, qui sait, peut-être que je serai en paix.

Les pensées n'ont pas d'auteur

J'ai connu toutes les opinions, tous les systèmes de pensées. Je ne comprends pas les philosophes qui s'acharnent à vouloir être originaux alors qu'ils ne sont qu'une énième déclinaison du même théorème bien connu. Ils lisent un auteur et sont fascinés par sa pensée, c'est alors qu'ils décident de jeter au public leur interprétation de cet auteur, avec l'espoir de la reconnaissance du génie de leur point de vue, comme s'ils étaient les véritables auteurs de ces pensées. Pire, la plupart prétendent même avoir fondé un nouveau théorème et parviennent à se convaincre qu'une variation dans la formulation pourra leur apporter l'originalité qu'ils n'ont pas. Ils ne font que mettre leur nom dans l'Histoire. Les pensées n'ont pas d'auteur.

Les philosophes ne m'apprennent rien, j'ai découvert en un ou deux ans toutes leurs ontologies, toutes leurs métaphysiques raffinées. Trois minutes d'émerveillement puis une vie de désillusion et de lassitude. Je suis probablement trop résigné aux leçons de la raison pour croire, comme eux, en la vérité. Ma génialité est d'être parvenu à épuiser le génie pour m'apercevoir que derrière lui demeure une banalité qui s'ignore.

Je suis désespérément plongé dans la banalité de la lutte des hommes face à l'indétermination du réel. Je suis un homme banal dans une situation banale à qui on rajoute chaque jour une somme trop importante de banalité dans les oreilles.

mardi 11 novembre 2014

Second regret

Aujourd'hui quelque chose m'a frappé violemment, et ce de telle sorte que je me retrouve encore plus ignorant qu'auparavant, encore plus douteux et incrédule. J'ai peut-être eu tort, je me suis peut-être aveuglé tout seul. À force de ne rien vouloir ou de vouloir d'une volonté à rebours, qui, au bout d'un moment, ne veut plus que ce qu'elle ne voulait pas auparavant, voilà que je me retrouve dans l'inexistence la plus totale, absent de tous les mondes et de tous les coeurs.

J'étais persuadé de poursuivre l'état qui m'aurait permis de vivre heureux avec la personne aimée, envers et contre cette personne qui n'avait de cesse de vouloir autre chose. Je croyais dur comme fer, une fois n'est pas coutume, détenir un savoir qu'elle ne possédait pas: ce qu'elle désirait menait à notre perte et ce que je poursuivais malgré elle aboutissait à l'équilibre. Cet étrange paradoxe amena l'être aimé à s'enfuir, chercher la paix là où elle pensait la trouver, me laissant alors seul avec mes convictions abjectes et ma certitude d'être abandonné.

Pourtant une chose ironique se passa: aussitôt seul, l'insoutenable de ma trajectoire m'apparut, je le vis de plein fouet et n'eus alors plus la force ni la volonté de continuer sur ma lancée. Paradoxalement, tout ce que l'être enfui avait souhaité, devenait ma volonté présente, et tout ce que je croyais bon m'apparaissait comme une grossière erreur, un curieux mensonge émergé de mon esprit par un processus inconnu de moi, caché et mystérieux, que je devine pourtant essentiel. L'autre est partie tandis que je restais sur mes positions dans un refus obstiné, et si tôt que je fus seul, l'envie de partir devint une évidence.

Je ne sais quelle leçon tirer de cela. J'avais visiblement tort quant à mon analyse. J'ai vécu sous la coupe d'une certaine peur: peur de l'avenir incertain (moi qui n'aime pourtant rien plus que l'indétermination et le doute), peur de faire coïncider mes envies avec celles d'un autre être, peur d'un choix et de ses conséquences. J'ai été moi-même l'artisan d'un mécanisme élaboré d'illusion et d'auto-persuasion dont je suis devenu le prisonnier, pantin inerte exécuté par ses propres lois jusqu'à ce qu'il ne reste rien autour, rien d'autre que le piège qu'il avait construit.

Je veux partir et retrouver l'autre dont les mots prennent aujourd'hui du sens. Moi qui me suis trop souvent cru maître du langage, il me semble m'être perdu dans l'illusion du sens comme en une pièce emplie de miroirs. Aujourd'hui, à tête reposée je peux lire les mots qu'elle me disait autrefois et constater la validité de ses propos, la constatant d'autant plus que je relis les miens qui m'apparaissent comme une vulgaire suite de mots ineptes et sans valeur intrinsèque.

Mes paroles n'ont été que des formes, précisément parce que je pensais ne croire en rien lors même que dans chacune de mes phrases s'exprimait la croyance en la forme, en l'indétermination fondamentale de toute proposition. Les mots m'ont éloigné de l'autre, érigeant leur haute muraille d'ambiguïté, alors que mes sentiments profonds, si je m'étais contenté de les vivre, étaient sans  ambivalence aucune: amour sans équivoque.

La seule conclusion que je suis en  mesure de tirer pour le moment est celle-là: peut-être avons-nous tort lorsque nous sommes face à un choix, de vouloir en calculer chaque chaîne de conséquences, d'utiliser l'outil de la langue pour vivre par procuration ce qui ne saurait être anticipé, ce qui relève de l'imprévisible et de la création. J'aurais dû suivre mon coeur muet et partir puisqu'une partie de moi est fondamentalement ce souhait de tout quitter, j'avais probablement trouvé un des rares êtres qui pouvait supporter et aimer ce destin avec moi.

Je me retrouve aujourd'hui ahuri et seul, entouré par mes fautes et mon incompétence à vivre. Pour la seconde fois de ma vie, je regrette de n'avoir pas su trouver le calme et l'humilité nécessaire pour plonger au-dedans de moi et porter un regard lucide sur ce qui s'y passait. L'esprit, je crois, n'a jamais été un outil de prospection du futur, il ne doit servir qu'à éclairer le présent de tout le passé.

Je ne connais qu'une vérité: celle de l'expérience présente et des sensations. Mon présent est une douloureuse volonté de partir et d'avouer à l'aube qu'elle comprenait peut-être mieux la nuit que celle-ci ne le pensait, et que cette dernière souhaiterait consentir à se pencher, confiante, sur leur union sacrée, car enfin que serait la nuit sans une aurore après?

lundi 10 novembre 2014

La conscience des autres

Je me suis tellement plié aux conventions et aux volontés des autres que je leur prête cette même capacité, probablement à tort. Il ne me viendrait jamais à l'idée de pester contre la pluie ou bien d'éprouver durant de longues minutes de la rancœur contre l'orage qui m'aura contraint de débrancher mon routeur, pourtant je grogne contre le comportement de mes semblables dès lors qu'il ne rentre pas dans certains schèmes attendus. Je ne devrais plus faire ça. Je ne sais pas ce que sont les autres, ni même de quelle intensité vibre leur conscience. Si je suis si conscient c'est parce que je m'imagine sans cesse d'autres points de vue que le mien, j'imagine l'autre, puis les autres alentours et ceux un peu plus loin, j'imagine même le regard des êtres qui vivent au milieu des étoiles, que sais-je encore. C'est la concentration de tous ces référentiels en un même point qui fait l'acuité de ma conscience: je suis autrui, je suis tout le monde, tous ceux que j'imagine et tout ce que j'imagine. La conscience est ce champ, maintenu par une interaction forte et centripète, elle est pareille au coeur de l'atome. Il faut une grande force pour briser cette liaison.

De combien de points de vue la conscience de ceux qui m'entourent se constitue-t-elle?

La non-écriture

Ce livre, le livre de ma vie, est tout ce que j'ai. C'est le non-projet de mon destin, la non-réalisation de ma non-volonté, le non-livre de ma non-écriture. Je dois être une sorte de réincarnation de Pessoa sauf que ma malle est ce minuscule fragment de toile numérique perdu quelque part (j'aime d'ailleurs à penser à la non-localité des données transitant sur internet qui s'apparente à une forme d'ubiquité). L'écriture de cet homme était exquise, je ne sais ce que vaut la mienne. Que sera-t-elle dans dix ans, et sera-t-elle encore? De combien de non-livres serai-je l'auteur? Je me le demande. Il y a déjà, depuis quelques années maintenant, la très retentissante non-sortie de mon ouvrage d'épistémologie où il est question du concept de connaissance. Il y a aussi ce non-recueil de poèmes sublimes que j'affectionne tant.

Quand je dis que ce non-livre est tout ce que j'ai, c'est probablement bien vrai puisque je ne possède rien d'autre. Le reste, je le suis et c'est peut-être bien plus intéressant que la possession d'un non-livre. Vous ne saurai jamais qui je suis, qui j'étais. Quelle genre de persévérance se cache dans mes gestes lorsque je fais du sport, avec quel amour de la souffrance libre j'élance mes membres dans l'effort, atteignant de nouveaux possibles. Vous ne connaîtrez pas ma façon de vibrer lorsque je pince les cordes de ma guitare, ni les tonalités qui m'emportent et sur lesquelles je compose. Vous ignorerez ce que j'éprouve en présence de mes amis et la franchise avec laquelle je leur parle. Tout cela passera avec moi, il n'en demeurera rien à part quelques images dans quelques têtes, et qui finiront pas perdre leur couleur et leur netteté avant de totalement disparaître.

Non ce qu'il reste d'un homme c'est tout ce qu'il n'est pas: ses mots qui sont sa manière à lui d'agencer ce qui appartient à tous, en bref tout ce que la réalité voudra bien conserver de ses traces. Probablement que nous autres qui ressentons le besoin d'expression travaillons ces traces avec un peu trop de narcissisme. Même mes traces sentent le doute, elles auront au moins fidèlement conservé une chose de moi, mes traces à demi: non-livres, non-réflexions, non-expressions. Toutes ces choses que j'expulse à demi parce que je ne les aime pas assez pour croire que le monde serait plus beau avec, ou bien parce que je n'assume pas assez mes limites artistiques, ou bien parce que j'ai trop peur d'être encore plus seul une fois la main tendue vers autrui: et si personne ne comprenait ce que je dis, et si personne ne goûtais la musique de ma tête?

Il est plus respectable d'attendre la mort pour s'exposer aux autres et encore plus louable de ne pas s'afficher sur chaque mur et d'attendre sagement, dans le silence de sa petite place, le regard curieux qui s'attardera ou non. Le futur délivrera bien une poignée d'amis qui feront chanter mes mots avec leur propre talent et se retrouveront eux-même à travers ce qu'ils croient percevoir de moi. Je les aime d'avance tout comme ils m'aimeront pour être un indice de leur non-solitude. Puisse le goût que j'ai mis à agencer ces mots leur paraître le plus pur possible.

Thermodynamique

Il m'arrive de penser que le monde n'est rien, et qu'il est en fait ce que ma croyance accepte d'en faire. Je ne crois pas en la liberté. Aucun de mes choix n'a jamais été producteur d'un futur prévisible et déterminé à l'avance. Peut-être suis-je capable de prendre un choix, librement cela je ne le crois pas, mais ce choix devenant lui-même une cause (insérée dans une chaîne dont elle n'est qu'un maillon) produira des effets qui sont le produit synergique d'autres chaînes causales, innombrables. Le futur ne m'appartient pas. Le petit maillon que j'apporte ou croit apporter dans la production de l'avenir n'est qu'un minuscule postillon dans l'océan des causes. L'univers s'exécute sur moi comme sur toutes choses. Cette pensée me procure une paix profonde.

Je peux abandonner ma vie, demeurer spectateur, acteur tronqué qui voit une ombre se déplacer toute seule parmi la scène sociale, réaction à des évènements multiples et imprévisibles pour un homme. J'ai trop longtemps nommé cet état "bonheur", moi qui abhorre le bonheur, cette drogue des dépendants à la certitude. Je dois aujourd'hui lui donner un nom qui convient mieux: paix, apaisement, repos, désaisissement. J'aime le repos que me procure le constat triste et joyeux de ma vie, de cette débâcle sociale qui m'ancre un peu plus à chaque évènement tragique dans l'envers d'une vie dont l'endroit est un enfer épuisant. Je suis en paix quand je regarde ma démotivation totale face à tout effort pour occuper un quelconque statut social, lorsque j'observe les passions qui s'animent puis se taisent et les gens qui courent de l'une à l'autre avec empressement, tout en pouvant croire indéfiniment que chacune d'entre elle est éternelle. Moi, mes passions sont vraiment éternelles puisqu'elles ne sont pas vécues du dedans, mais du dehors, dans mon petit coin d'absolu silence où je regarde les autres et peut les aimer sans que l'amour ne s'érode. Les autres m'oublieront peut-être et finiront par ne plus aimer, mais je ne les oublierai jamais et jamais ne cesserai de les aimer.

Je pourrais même, je crois, ressentir un profond apaisement face à l'expérience d'une mise à mort. Jusqu'au dernier moment j'ouvrirai mes trois yeux bien grand et ferai face à la mort, un sourire sur mes lèvres invisibles, conscient de la comédie humaine et de son ineptie, conscient de l'inutilité de tous les mouvements et gesticulations qu'un jour, deux petits principes de la thermodynamique viendront apaiser définitivement.

Je suis prêt pour l'éternité, comme pour n'importe quel spectacle à venir.

Langages de l'univers

Aucune oeuvre n'est parfaite. Mes plus beaux chefs-d'oeuvre sont tout ce que je n'aurai jamais écrit, comme cette immense somme philosophique qui démontre par une rationalité quasi mathématique l'absurdité du concept de connaissance. La connaissance aura été mon grand problème dans la vie, c'est probablement ce que j'aurai toujours poursuivi, et ce jusqu'à la fin, alors même que je n'y croyais plus. Peut-être un jour écrirai-je ce livre aride pareil à une démonstration mathématique qui déroulera comme un calcul la démonstration de l'impossibilité de la connaissance, en attendant, ce sont les effets de ce savoir que je décline dans mes textes.

Quelle curieuse contradiction: je prétends connaître qu'il n'y a pas de connaissance. Me voilà encore enfant trop gourmand, quêtant par-delà tout bon sens un soi-disant absolu. Qui n'aura pas succombé aux charmes de tous ces mensonges: absolu, vérité, fondement, origine... J'en étais dépendant plus que quiconque et traîne encore, dans ma prétention au sevrage, des relents de cette addiction.

Je ne sais rien voilà tout, pas même s'il est possible de savoir quelque chose, pas même ce que c'est de connaître. Je crois que la connaissance est une image inhérente à l'humanité, conséquence d'une conscience qui objective et sait, ou plutôt ressent, que le sujet et l'objet se tiennent dans un milieu qui les excède; une conscience qui peut prendre ce milieu pour objet tout en sachant que ce nouvel objet lui aussi se tient dans un milieu, etc. La conscience est la cause de l'infini, de l'absolu, de tous ces curieux paradoxes qui font d'une entité coincée dans la causalité, dans l'espace et le temps, une tension vers un ailleurs, un effort vers l'unification (au sein d'une même chose) de tous les multiples, de chaque occurrence singulière.

Mais la conscience est-elle réellement une? Ou bien cette unité n'est-elle qu'une condition de chaque pensée, de chaque état de conscience qui pour pouvoir se distinguer lui-même des autres, et pour pouvoir distinguer quoi que ce soit, est contraint d'être une forme de dénombrement artificiel de choses indénombrables puisque de nombre il n'y a point. Les différences négligeables qui font que l'homme juge une expérience parfaitement reproductible sont-elles vraiment négligeables? Qui peut le dire? Mettez ce que vous voulez dans la conscience, elle en fera toujours quelque chose dont elle se distinguera et qu'elle placera en face d'elle, et partout autour, la répétabilité infinie de ce processus d'attention et de pensée se fait latente, faisant de la conscience cette ouverture totale, interface vers l'illimité.

Mais y a-t-il réellement illimité? La croyance en une infinité d'état de conscience et, par conséquent, en un caractère infini de l'espace et du temps (condition de toute expérience et donc de tout état de conscience) n'est-elle pas une simple inférence à partir d'un passé limité et emmagasiné dans un présent lui aussi circonscrit? C'est probablement la faute à ce présent mal définie (qui n'est d'ailleurs pas circonscrit), ce présent extatique et punctiforme qui par essence ne se laisse jamais saisir. Vivant dans ce présent, ou plutôt devrais-je dire étant ce présent, nous ne pouvons envisager le monde sous d'autres caractères que ce que nous sommes, que notre manière d'en faire l'expérience. Alors le monde, pour nous, est naturellement infini, tout comme nous semblons l'être à travers ce présent qui dure éternellement, du moins le temps de la vie. (Mais y a-t-il seulement une chose autre que notre vie qui a réellement existé pour nous?) Voilà comment nous résolvons la contradiction d'être finis tout en nous faisant une idée bien finie de l'infini: nous nous vivons sur le mode de l'infinité: infinité des expériences, infinité des possibles.

Je ne sais même plus comment une discussion sur la connaissance a bien pu glisser sur ce terrain, je n'en suis plus vraiment sûr. La connaissance qui d'ailleurs, paradoxalement, est le fondement de notre compréhension du monde alors même qu'elle suppose une fin et la saisie exhaustive des éléments constituant son objet... Curieux paradoxe là encore: nous admettons que le réel est infini et pensons pourtant pouvoir le connaître à partir d'éléments fondamentaux et originaires...

Je crois qu'il nous faut, pour le moment, mettre fin à cette prétention à la connaissance spéculative et théorique, à toute modélisation de la réalité. La compréhension est un terme qui tient plus du domaine de l'activité, elle se comprend si l'on limite la connaissance qu'elle implique à une technique, à une recette causale afin de produire et reproduire des phénomènes. Quant à savoir ce que sont ces phénomènes ou même pourquoi ils sont tels qu'ils sont et pas autrement, ou encore quelle est leur nature (question si étrange qu'elle n'a aujourd'hui pour moi plus aucun sens), passons ou plutôt demandons-nous si ces questions ont bien un sens et si elles sont légitimes (voire même si elles le seront un jour). Voilà je crois le rôle de la connaissance, rôle pratique aux résultats purement fonctionnels. Nos savoirs sont des savoirs-faire et j'ose même douter du sens et de la possibilité d'une autre modalité du savoir. Dès que la connaissance veut s'élever par-delà les faits et la mécanique causale, elle se heurte à la nécessité du modèle qui n'est qu'une image, or l'image est la façon purement humaine de se représenter une réalité que d'autres espèces se représentent autrement. Les fonctions mathématiques sont la formalisation de processus, elles sont une recette et donc un savoir-faire. On ne peut même pas aujourd'hui produire de modèles cohérents qui s'accordent avec les formules mathématiques de la science: preuve que la réalité semble excéder de toutes parts notre capacité à s'en faire une image.

L'homme est un langage, et comme tout langage, offre des limites qui sont le terrain propice à l'éclosion d'une créativité infinie. Probablement, et je l'espère de tout mon coeur, existe-t-il dans ce monde d'autres langages que l'humain avec leur poésie particulière. Il existe bien les animaux, certes, mais je veux dire encore plus dissemblables, des langages qui sont l'image d'une réalité fantastique et étrange. Peut-être, un jour, les rencontrerons-nous. Saurons-nous seulement les voir? Et s'ils étaient déjà là, partout, sous nos yeux aveugles...?

mardi 4 novembre 2014

Le cycle des nuits

Je suis un meurtrier aux mains entachées de lumières
J'ai tué dans ma vie tant d'aurores et de prières
Que chaque jours de l'humanité
Ne sauraient les compter

Des destins étranglés au petit jour
Et des futurs muets depuis toujours

Regardez les possibles qui se pressent
Dans mon présent qui de gonfler ne cesse

Un merveilleux suicide au bout de tel détours
Une gloire factice au confort de velours
Un mariage peut-être, et pourquoi pas l'amour
La solitude au bout de chaque pas
Le désert comme église à ciel ouvert
Ou bien la ville et son regard pervers

Rien autre que l'indéterminé
Opaque et sans éclat
Car le futur pour moi
N'est qu'un terrain miné

La Femme, sur chaque dos et dans chaque chevelure
Mes désirs piratés par sa crinière et cette folle allure
Elle aussi est un matin qui reste endormi
Coincé dans les draps ourlés par un mauvais génie

Et ce quelque chose de la vie qui ne cesse de marcher
Avec son rythme et son tempo qui veut tout arracher
Force l'instant sur le suivant à se pencher
Et mon coeur indécent à trop vouloir s'épancher

L'aurore, toujours comme une promesse murmurée
L'erreur que mon coeur ne m'aura jamais pardonné
L'aurore, tragique bonheur qui souhaite m'éviter
Et fait de ma nuit l'insoutenable vérité

Tant pis, mon coeur presse en lui
Tous les matins du monde
Mon coeur cette sonde
Qui retient le futur enfoui

Et me fait vivre dans chaque instant
Mille autres vies que la mienne
Prend les pensées d'autres gens
Et les retient dans ma peine

J'aurais connu tous les chemins
Sans même en emprunter un seul
Et reconnait tout lendemain
Comme un morceau de mon linceul

Pourtant, dans cette richesse inouïe
Il m'arrive bien étrangement
De regretter certaines nuits
Où sur la rive tu m'attendais sagement

jeudi 23 octobre 2014

Du présent vers le passé

Dès que je ressens un certain sentiment, dès que je vibre d'une certaine tonalité existentielle, il me faut l'écrire, en décliner les nuances en autant de textes probablement tout autant intéressants qu'inintéressants, c'est selon. Mon écriture n'est pas cette amande opaque à la lueur mat qu'il faut explorer en profondeur, ce n'est pas une énigme codée à travers les vers d'une poésie qui, volontairement farouche, ne se livrerait pas dans l'instant. J'écris simplement, sans mystère, éclaire les profondeurs afin que le plongeur puisse voir autour de lui l'univers triste ou coloré qui s'y déploie. Je donne tout, c'est probablement pour cela que mes vers sont médiocres et que la versification libre m'apparaît la seule supportable (et délectable aussi). La prose est décidément ce qui me va le mieux, j'y exprime platement mes pensées, je les offre tel que je peux, avec mes limites, avec cette barrière sans cesse repoussée qui me contraint à les tronquer. Au fond que sais-je, peut-être qu'en me lisant, vous redéployez la richesse perdue par les mots, l'écriture n'étant plus qu'une fructueuse collaboration entre vous et moi (ou devrais-je dire entre moi et moi...?).

J'écris envers et contre tout, surtout contre mon devoir. Je suis tout envahi par le plaisir que j'ai à écrire, chose plutôt récente d'ailleurs, me prenant parfois à assimiler cette obsession à une sorte de nécessité. Combien de poètes ou d'artistes sont tombés dans le piège de se croire l'instrument d'une certaine nécessité naturelle, combien en lisant Kant ou Schopenhauer se sont sentis pareils à des élus, flattant ainsi leur ego, buvant à la prose d'autrui le doux nectar d'une raison d'exister singulièrement parmi la masse inepte des hommes? Je ne suis pas de ceux-là, à peine l'idée me traverse qu'un violent dégoût m'envahit, que voulez-vous je ne suis jamais entier, ou plutôt je ne suis entier que dans le doute. Je ne peux croire un seul de mes mensonges, je ne crois pas une seule de mes croyances, je les utilise comme objet d'exploration, voire de création, mais je ne peux y attacher une quelconque valeur particulière. Je n'écris pas par nécessité, ou plutôt, peut-être écrivé-je par la nécessité arbitraire dans laquelle je suis de suivre mon seul plaisir égoïste. Point de gloire ici, point de hautes aspirations.

Que sont les hautes aspirations d'ailleurs? Qu'est cette farouche conviction d'être le sauveur d'une humanité décadente, d'être le héraut du futur et du dépassement, et du progrès? Tous les hommes qui se sont crus en avance ne sont à mes yeux que des désespérés qui n'ont trouvé comme seul subterfuge pour survivre à leur désespoir que de l'ériger en qualité supérieure trop précocement éclose et par conséquent brûlée par le climat inadéquat de l'époque. Ce sont des fidèles: fidèles à leurs mensonges, ou de manière plus neutre, à leurs opinions. Mais ce qui peut donner le change c'est la manière flamboyante et parfois exquise avec laquelle s'exprime ce désespoir sublimé en ardente conviction, de combien de lourds joyaux l'histoire s'est ornée grâce à ces désespoirs surmontés par la foi? Ceux qui annoncent le crépuscule des idoles n'y échappent pas, ils se font simplement eux-même dernière idole.

Ma fâcheuse tendance à vouloir réduire tous mes semblables à la vanité est, je crois, une manie de vouloir faire des autres ce que je pense à mon sujet. Peut-être ai-je trop honte d'être seul vaniteux en ce monde et je trouve alors en la raison une allié pratique pour démontrer mathématiquement la fatuité de tous. Qu'il est aisé de contredire tout acte désintéressé par un rigoureux raisonnement écoeurant d'évidence. Ayant sali tous les autres il m'est maintenant plus supportable de vivre mon petit narcissisme d'écrivain, de salir les mémoires numériques d'une temporalité à déployer. Mes textes sont des éjaculations littéraires, il suffit de l'ovule d'une conscience pour que je renaisse flambant neuf en contrebande, pirate de l'esprit. Je méprise mon acte d'écrire pour tout ce qu'il produit, je me méprise moi-même dans tout espoir résiduel d'être lu. Seule la praxis est  respectable, en elle je deviens et me construis, en elle je me vois et me corrige. Mon écriture n'a comme seul mérite que d'être un voyage, une cartographie de mon abîme, peu me chaut la carte finalement produite et qui ne peut servir qu'à d'autres (et que pourraient-ils bien faire d'une carte obsolète de ma personne?) puisque seule l'exploration aura comptée, puisqu'elle m'aura transformée radicalement et ne pourra dès lors que mentir à mon sujet. J'écris ce que je suis et chaque carte se voudrait le pas d'une trajectoire inexistante: il n'y a pas de monde qui réside comme un substrat dans lequel mon chemin pourrait se lire, ou plutôt le seul monde de la sorte qui existe est le monde factice et mensonger de la culture et de l'histoire. À chaque moment mon passé est éclairé d'une lueur nouvelle par ce que je deviens, le sens ne peut venir que du présent vers le passé.

Fruits pourris

J'ai la conscience bien ancrée désormais que l'humanité ne retiendra de ses enfants que les fruits pourris, ceux qui, étouffés par l'infatuité, placent une énergie considérable dans la réussite sociale et le fait d'obtenir la reconnaissance du plus grand nombre de personnes possible. Ce sont eux dont parle l'histoire trop souvent: artistes dont le mérite et le talent n'auront été que de savoir se mettre en avant, être au "bon" endroit au "bon" moment, philosophes confondant une opinion plus ou moins construite avec la vérité, point de vue de tous les points de vue, hommes politiques au désir insatiable de domination, usant de toutes les ruses (allant même jusqu'à la douceur) pour imposer leurs idéaux à l'ensemble de leurs concitoyens. L'humanité des livres et de l'histoire me déçoit profondément et je suis encore plus déçu par le fait que la quasi totalité de mes concitoyens ne mesure sa propre valeur ainsi que celle de toutes choses que par le prisme de ce modèle disgracieux. Je regrette d'ailleurs tout simplement que l'on puisse parler de mesure de la valeur d'un individu...

J'aimerais tant lire l'histoire de l'humanité qui n'a pas été écrite, l'histoire qui reste prisonnière de l'impermanence, celle qui s'est faite sans éclat, sans violence, sans cet animal désir de supériorité sur autrui. Combien de trésors à l'humble mais profonde lueur ont coulés dans la tête d'anonymes humains, combien d'idées révolutionnaires et sublimes, combien d'amour s'est tari avec la source d'une âme humaine ignorée? Je vis aujourd'hui dans un monde inversé: je ne regarde pas la télévision, je ne m'intéresse pas à la politique, je ne bois pas la coupe de la culture classique. Toutes ces valeurs censées constituer la quintessence de la société humaine me sont indifférentes, elles représentent à mes yeux la vulgaire nécessité de paraître, puis d'exister par la soumission d'autrui. Les intellectuels de mon temps ne sont pour moi que d'habiles pantins manipulés par la soif de gloire, ils sont rusés, certes, et ont la tête bien remplie, mais ils sont pareils à des enfants obèses, incapables de faire usage de leur graisse, incapable de la transformer en muscle: ils traînent une altérité incomprise et de façade, telle une exposition perpétuelle qui les cloue au même trottoir comme les catins qu'ils sont. Les artistes sont de médiocres enfants animés par le rêve de la rock-star, ils pondent leurs oeuvres comme des poules de batterie, à intervalles réguliers et imposés, ils pondent du calibré, du prêt-à-aimer, ils ne sont que les instruments qui secrètent machinalement le goût de l'époque. Quant à la culture, celle de tous temps, elle m'apparaît comme la cristallisation de croyances et de fictions d'individus à qui on a prêté une importance arbitraire, elle n'est d'aucune utilité si ce n'est pour briller, pour parsemer les écrits de quelques démonstrations de sa bonne éducation, comme il m'arrive de le faire un peu trop souvent.

Personnellement, j'admire l'homme de la rue, j'admire tous les passants croisés au hasard et dont la tête est un monde mystérieux. J'admire internet qui permet à toute personne de mettre facilement au monde quelque chose qui sera accessible à tous. Le numérique est une forme d'extériorisation de l'intériorité, sans l'étalage grossier du marketing, sans la dépense énorme d'énergie que représente la volonté d'être vu dans une société où les goûts sont normalisés à l'extrême, sans la soumission à la norme nécessaire pour faire de toute singularité le générique supplémentaire d'une même molécule du goût.

Mais ne vous méprenez pas, je suis moi-même vaniteux, j'écris moi aussi ce qui pourrait disparaître avec la seconde qui l'a vu naître, je m'extériorise, m'affiche, prétend avoir une existence digne d'intérêt. En fait, je crois que toute existence est digne d'intérêt mais que nous vivons une époque où il est difficile de trouver le temps de rencontrer ses semblables et d'accéder ainsi à ces mondes forains. Alors internet est un palliatif commode où chacun se ballade dans sa solitude individualiste, découvre et partage, s'anime pour ce que d'autres font ou semblent être. Puisse internet n'être qu'une étape avant que les hommes délaissent leurs idoles et se regardent les uns les autres comme les dieux qu'ils sont, non pas possesseurs d'une richesse sans borne, mais bien plutôt eux-mêmes richesse infinie, source intarissable d'une valeur sans valeur, d'une valeur absolue et sans contre-partie.

mercredi 22 octobre 2014

Les lois de la liberté

Il me semble parfois que l'entéléchie de la vie est la mort même. Une fois résolues toutes les tensions, les contradictions, les questions que pose l'existence, plus rien ne demeure que le calme néant tranquille. La sérénité du stoïcien est une mort, celle du sage qui renonce à l'expression de soi dans le monde, qui renonce simplement au soi, est une façon de clore l'existence par l'acmé de la mort. Le silence est la parole de toutes les paroles, seule à même de contenir toute parole futur.

Tout ce monde qui se déverse dans le rien est tissé de vaniteuse violence: violence de vouloir être tout, violence de ne laisser que soi partout, non seulement en soi, mais hors de soi. Si Dieu a créé le monde, Dieu est l'être le plus imparfait qui soit, gonflé de vanité, débordant d'ego. Nous sommes à son image dit-on, ô combien cette parole semble vraie aujourd'hui, tant l'homme est un paradoxe ambulant, être informe qui pourtant prend forme dans le réel, être du projet et du possible qui sans cesse devient, être indéterminé qui se fait série de toutes les déterminations, en bref possible qui a perdu sa puissance et veut la recouvrer dans la réalisation impossible de tous les multiples.

Peut-être qu'il faudrait témoigner un peu plus de respect envers ces quelques hommes qui ont eu la pudeur et la suprême intelligence de ne pas développer intempestivement leur petit univers intérieur autour d'eux et ont su se réimpliquer, s'enveloppant autour de leur noyau de néant. Ils ont participé ainsi à soigner le monde de sa folie, ils ont éteint une part de cette luminosité aveuglante qui voudrait faire de toute altérité une déclinaison d'elle-même.

L'humanité est arrivée au bout d'elle-même, au bout de ses propres mensonges. Il lui faut désormais se transformer radicalement et accepter de faire de la vie une cessation de la dispersion. L'homme est tout-puissant s'il perd toute croyance, toute soumission à des principes à qui il prête une existence extérieure afin de mieux être dominé par eux, afin qu'une détermination causale vienne le mater de toute sa nécessité. Cessez de croire en vos dieux, en vos idées, en vous-même et dansez sur le néant de l'existence, éteignez-là si vous le souhaitez: tout acte libre est d'une égale beauté. Mourrez en mangeant, en baisant, en prenant du plaisir, en cessant de vous alimenter, mourrez et vivez comme bon vous semble, inventez des façons d'être qui sonnent le glas d'un certain genre d'humanité. Transhumanisez-vous s'il vous plaît de le faire, l'homme n'a pas de nature et si vous désirez si ardemment écouter les discours absurdes qui agitent la chimère d'une nature humaine qu'il faudrait préserver, redevenez des hommes de l'origine, marchez à quatre pattes, battez-vous pour le monopole des femmes et prenez-les sans leur consentement, chassez, mangez la chair crue des animaux que vous tuez, mourrez durant les hivers trop durs et vivez dans la peur de la perfection des animaux qui vous entourent.

Quant à moi, je n'ai plus d'idées sur rien, seul le bouillonnement d'une volonté indéfiniment libre constitue la vérité de mon présent: sensations, élans, rien que des vécus subjectifs qui ne souffrent nulle borne, nul impératif catégorique. Je me ramène à l'indéterminé, à cet espace humain qu'est le tapis des possibles, conscient que chacun de mes semblables est le centre vide d'un univers infini. Vous ne me rencontrerai jamais, comme je ne vous rencontrerai jamais. Je continue mon chemin, législateur absolu de ma mort: retrouvailles éternelles où se concentrent chaque notes jusqu'ici séparées de la mélodie, au plus près de la source, bien avant que son jaillissement lui ôte toute unité.

lundi 20 octobre 2014

Le prix de l'existence

J'aimerais être un de ces oiseaux migrateurs, la prochaine destination gravée dans les gènes. Mais je ne suis qu'humain, ne sachant que vivre ni qu'écrire. Nulle part à ma place, partout ailleurs, dans l'envers de tout, dans l'état d'étrange découverte du voyageur perdu dans le mouvement, ne sachant plus reconnaître le voyage du repos, l'étranger du familier. Même la sédentarité est une forme de nomadisme intérieur qui modifie incessamment l'espace extérieur, la texture du monde.

Je suis las: des hommes, de la ville, des grappes d'humains qui se forment. Je pars comme d'autres partent, ne voyant pas que c'est soi-même que l'on quitte, ses propres rêves et ses propres désirs qu'on se donne le droit d'abandonner dans un coin de l'espace-temps. On a beau quitter et partir, on se retrouve toujours face à ces mêmes désirs et leur vacuité qu'on ne parvient pas à reconnaître comme sienne.

Tu pars, le coeur léger. Tu te retrouveras ailleurs, à un autre moment, dans les yeux d'une autre personne. Le temps est une épreuve étonnante, qui vous force à contempler les fragments de votre être qu'il emporte avec lui, comme une rançon due au néant. La conscience qui voudrait tout rassembler et contenir en elle ne peut que s'incliner humblement, souffrir face à son impuissance. Ma souffrance aujourd'hui est une indifférence, un désenchantement à la tristesse sourde. Ce perpétuel départ dans lequel il n'y a que des adieu adressés aux gens que l'on aime qui restent plantés derrière, à nous sourire.

Le voyageur est toujours double, des larmes se glissent dans son sourire et une inébranlable confiance est incrustée dans ses pleurs, puisqu'il ne peut habiter ni les larmes ni le bonheur. Ma vie est une force étrangère qui me pousse fermement, je l'accepte, traverse la douleur et les plaisirs éphémères. Je suis si faible et démuni, rien, ignorant, îlot incertain dans l'océan absurde de l'existence.

Amis, ne nous quittons plus jamais, et voyageons ensemble.

mercredi 15 octobre 2014

Un monde qui devient

On dit que l'automne est mélancolique, comme on dit qu'un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras". On dit tellement de choses que par moments je me demande pourquoi je continue à dire. "Rien" serait une parole suffisante, voire même de trop. Il me suffirait de marcher le long de l'océan et regarder les vagues se briser, métaphore de mes pensées, de mes désirs et de mes rêves. Certaines parfois remonteraient jusqu'à mes pieds, un mouvement un peu plus intense que les autres qui parviendrait à m'atteindre. J'aurais naturellement un mouvement de recul, craignant de finir trempé, voire englouti par cette lame de fond qui ne fait que lécher mes pieds.

Je pourrais me contenter de cela et pourtant je l'écris. N'est-ce qu'un redoublement de l'expérience ou bien précisément une nouvelle expérience que je crée? Je suis un arbre à mots, mes poèmes sont des fruits que ma vie comme un terreau alimente.

J'aimerais n'être que cette lente marche côtière, douceur sablée de mes pas trop lourds, sillon humain sur le réel inhumain. J'aimerais n'être que ce ressac que je perçois par divers sens. Je suis la synthèse de ces sensations, le ressac pourrait bien être moi et moi qu'une sorte de synonyme de chaque expérience.

Je ne sais que dire, ni que faire. J'hésite et tout ce qui sort de moi ce sont des mots. Parfois un mouvement, je marche comme j'écris, lentement, sans hésitation mais sans but non plus, je marche comme si marcher était une parenthèse dans la vie laborieuse, parenthèse qui me semble pourtant l'essence même de la vie. Chaque fois que je quitte une pièce et déambule dans les rues, c'est un poème qui s'échappe, ravalé par l'océan du possible comme une vague que la plage refoule.

Je suis écrivain comme je suis marcheur solitaire: par goût et par habitude. Il me semble que j'aime la simplicité des expériences car cette simplicité de surface me laisse le temps de plonger dans l'épaisseur du vécu. Chaque expérience simple: une sucrerie, un bouquet de saveur qui éclate et se métamorphose longtemps après. Si je suis sans projet c'est que le passé en moi s'étire durablement, il s'étend si loin, je le suis jusqu'au bout, au bout de ses effets qui n'ont pas de fin. Vie contemplative: on continue d'observer jusqu'à ce qu'une fin advienne mais nulle fin n'advient jamais, c'est le même écoulement, encore et toujours. Rien ne met fin au mouvement de la mer: le même océan est le berceau de toutes les vagues brisées. Il en va de même pour la vie: l'effet des choses est sans fin et je me plais à marcher au bord de cet océan, dévorant paisiblement du regard ce processus intarissable, l'exécution absconse d'un monde qui devient.