mercredi 30 mars 2016

Complaintes entropiques

La neige est si froide qu'elle mord ma chair de toutes parts, sans lui laisser un seul répit. Et le vent rageur qui s'engouffre dans la moindre faille de cet argile du corps, golem pantelant face aux furies de ces plaines glacées. Le vent qui percute la face comme un mur qu'il faudrait pousser au-devant de soi, comme si le poids de cette carcasse récalcitrante n'était pas suffisamment lourd à porter. On aimerait bien courir mais plus on s'élance et plus les pas s'enfoncent dans le sol meuble qui referme ses pièges acérés à chaque avancée. Nul effort n'apporte aucune récompense, la vie est un combat perdu d'avance.

Tandis que seule la monotonie presque nécessaire d'un rythme battu avec peine s'imprime dans cette existence, me reviennent alors des images tournoyantes que je ne sais appartenir à mon passé. Sont-elles un futur hypothétique ou bien de simples fantaisies que l'esprit s'efforce de faire danser pour faire taire la douloureuse et contraignante matière? Une chouette perchée sur une branche dont la partie supérieure est enneigée: elle a le regard perçant et semble traverser mon âme et ce monceau de chair voué un jour au pourrissement. La branche semble si solide, elle ne ploie même pas sous le poids de la neige qui s'accumule sur son écorce, elle porte le réel comme s'il ne s'agissait de rien.

Dans les yeux de la chouette tournoient des galaxies où - je le sais sans savoir comment - se meuvent des formes d'intelligence, des états de l'énergie avec lesquels nul humain ne peut interagir. Je vois mourir des hommes avec des lueurs de supplication dans le regard, je vois partout la peur sur les visages hagards et la mort qui s'abat comme un couperet vengeur, mais pourtant si indifférent. Ce qui a été gagné doit un jour se perdre...

Toujours, les genoux se lèvent haut pour propulser le pied juste au-dessus de l'épaisse couche de neige, la déshydratation provoquant peu à peu de désagréables tendinites qui font pulser leur piqûre le long de la jambe. Le réel est là, partout autour, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Il fait jour mais je vois les étoiles lointaines, je les vois scintiller dans leur diaprure nocturne, comme mille yeux de fauves prédateurs, qui n'attendent qu'une vie qui s'éteint pour alimenter leur feu. Et tous ces symboles qui semblent peints sur les choses mêmes, sur les cieux, sur la croûte accidentée des planètes et lunes, dans la queue évanescente des comètes qui voyagent, trains sans passagers... Tous ces symboles qui n'ont plus leur place.

La neige, le froid, les arbres recouverts de flocons, la brume et les torrents du vent qui font voler les parties les plus légères du corps. Le ciel est d'un gris presque blanc, si blanc qu'il semble étinceler comme le sol, et la lumière même qui partout se réverbère est une souffrance de plus à endurer.

La chouette déploie ses ailes, je m'attends à son envol mais elle reste perchée. Que suis-je à ses yeux? Un cadavre ambulant de plus, un peu de chaleur qui finira par se dissiper. L'air glacial s'engouffre par trop grandes goulées dans ma gorge qui se contracte d'être ainsi brûlée par le froid. Mais l'effort incite mes poumons à se remplir toujours plus et je ne peux ralentir sous peine de briser le rythme, et que se passerait-il alors? La musique décroîtrait, le son diminuerait, le tempo aussi, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun mouvement, plus que les flocons laiteux qui chuteraient sur un corps inerte comme autant de silences imposés.

Bat, bat coeur, bat tant que tu peux tes trompettes entêtées, bientôt sonnera l'hallali, le réel viendra tout emporter.

Je vois des plages sous un ciel vert comme s'il était parcouru d'innombrables aurores boréales, et à un certain point, le jour et la nuit se fondent l'un dans l'autre, et les étoiles éparses s'éteignent en dégradé sur cette grêve de jour. À cet endroit précis, je compris qu'il n'y a ni nuit ni jour, comme il n'existe ni froid ni chaleur, ni eau ni neige. Le corps recouvert de coton, j'avance dans d'infinies déclinaisons de coton, substance semblable au reste, nuance d'on ne sait trop quoi, forme d'énergie dans d'autres formes d'énergies.

La chouette est derrière moi désormais, mais je continue de la voir, je la vois en surimpression sur les choses perçues et sur celles seulement pensées. Pourquoi la vois-je? Est-ce la vraie chouette que je vois ou bien seulement une illusion, des images créées par mon esprit? Y a-t-il seulement une différence? Ce monde que je perçois n'est-il pas lui aussi le résultat de tous ces coups de pinceaux que cet esprit génial s'acharne à lancer sur une toile indéterminée et inconnue de tous?

Dans les yeux de la chouette, des sortes d'indiens dansent autour d'un feu, ils célèbrent quelque chose, et dans leurs mouvements se mêlent à la fois la peur et puis la joie, la peur de tout cela et puis la joie de cette même chose...

Malgré le froid, des parties de mon corps transpirent, et rapidement l'eau se refroidit et tente de ramener mon épiderme à la température ambiante. Mes pas s'enfoncent un peu plus, il me faut maintenant plus d'énergie pour maintenir le rythme, ce paysage qui veut s'accrocher à moi ou plutôt m'accrocher à lui. Gluante entropie qui m'aspire, et ce champ de gravité qui semble s'amuser de se jeter sur moi, de s'attarder sur tous mes membres et sur chacune de mes cellules.

Je vis dans tant de mondes à la fois: ce monde neigeux balayé par la morsure du vent, ce champ quantique dont nulle représentation existe, et qui étend son filet sur  chacune de mes particules, ce champ thermique qui fait de moi cette singularité à la chaleur vibrante au milieu d'un immense désert glacé, blanc, et bleu comme la distance. Combien de mondes encore je traverse sans savoir - savoir?

Les arbres ont disparu désormais, et le paysage semble s'être comme aplani. Devant moi ne reste plus qu'une mer étale de poudre blanche et aveuglante, sans surface et sans profondeur. Je monte, ou bien je descends, nul ne saurait le dire. Je sens les articulations rouillés de mon genoux qui grincent et détachent quelques morceaux de moi. Le rythme de ma vie voudrait se faire pareil à cet ici: linéaire et sans différence, sans la négation nécessaire à l'existence des choses.

Des images encore: une femme aux cheveux ondulés, ces yeux verts constellés de cratères marrons clairs, encore des univers à l'intérieur d'autres univers... Sa silhouette comme une flamme qui monte du monde, ce monde qui m'aura tout de même apporté quelques joies, comme ce souvenir de toi, toi sujet au référent oublié, t'ai-je jamais connu toi qui m'a oublié? Qu'y a-t-il à oublier: un tourbillon de chaleur, un déséquilibre thermique et émotionnel - mais qu'est l'émotion?

Le tendon de mon genoux s'est peu à peu cisaillé, il ne reste plus qu'un mince fil de harpe délicat et dissonant qui retient les muscles entre eux. Quel genoux est en train de me lâcher? Où est passé la carte de mon corps, cette empreinte que je garde en moi comme la boussole du monde même? Les sensations se sont délocalisées, errent dans un non espace, forment un long ruban de douleur qui est partout, qui est tout ce que je vis.

Rupture: plus de douleur, il ne reste que des informations ressenties par une conscience - une conscience? Chaque jugement s'est dissout. Je ne peux pas dire que je ralentisse, mais quelque chose glisse, et cette interminable glissade a changé de timbre, la tonalité devient différente, semble s'étaler sur la surface des choses sans surface.

Le rythme, où est le rythme? Frrok, frrrok, frrok, le frottement de mes pieds dans la mélasse du sol a disparu. Voilà que je n'ai plus de mots pour penser, j'ai oublié la forme des sonorités. Les mots sont des lettres qui se délacent et fond la ronde avec l'espace vacant, lui prennent la courbure, se perdent dans l'immensité.

Ruban de sensation indéterminée: vue, ouïe, toucher, plus rien n'existe séparé, plus de formes.

J'ai cessé de marcher, enfin je crois.

J'ai cessé de croire.

Entropie, sifflement de l'existence qui passe, éternel et sans nuance.

Le réel va gagner.

Bat, bat coeur, bat tant que tu peux tes trompettes entêtées, bientôt sonnera l'hallali, le réel viendra tout emporter.

samedi 26 mars 2016

L'idée du Grand Tout

N'avoir fait, sa vie durant, que la seule expérience d'un ciel nuageux et sombre n'implique pas l'inexistence de jours ensoleillés. Pourtant, pour celui qui en fait l'expérience, c'est réellement le cas.

Nous vivons dans un multivers car il y a autant de mondes que de systèmes possibles. Chaque système-monde érige sa propre fiction d'un Grand Tout en fonction de ses capacités d'interaction avec d'autres systèmes.

Vous formez-vous une image du Grant Tout à partir de mes propos? Cette image ne sera jamais le Grand Tout, elle ne sera que le système-monde que vous êtes avec son infinie limitation.

Conscience et unité

La conscience est une unificatrice inlassable, qui déteste les lacunes. Elle est chargée de donner sens en synthétisant les données: c'est à dire en les reliant toutes en un système régi par une conclusion, un sentiment, autrement dit une note fondamentale.

Faîtes subir les pires atrocités à une conscience, si elle ne s'en trouve pas brisée, elle justifiera toujours, d'une manière ou d'un autre, ce qui lui est arrivée.

Et ne nous méprenons pas: conclure que les évènements en question sont arbitraires et absurdes est déjà une justification, un point de vue, une explication que l'on se donne.

Un système ne sort pas de lui-même, mais il se transforme.

mercredi 23 mars 2016

Les demeures dans les cieux

Y croyions-nous encore
À ces demeures dans les cieux
Avec nos noms en décor
Et cet amour dans les yeux

Mais nous ne sommes pas vieux
Les humains rebâtissent comme passent les jours
Pourquoi ne pas être deux
À vivre dans tes rêves de velours

Y croyions-nous encore
Je veux dire avant que tout soit mort
À tes chemins d'arc-en-ciel
Qui s'en vont vert l'éden

J'avais peint dans ma tête
Quelques parterres fleuris
Des pétales de lettres
Un bouquet qui guérit

Nous y croyions pourtant
Que mon rythme impotent
S'accorderait au tien
Qui s'en trouverait bien

Y croyions-nous à ces chemins de nuage
Ce coeur partagé à l'abri des orages
Aux anges et sirènes qui te ressemblent tant
À l'univers inventé où tu vivais pourtant

Y croyais-tu encore
Que je n'étais pas un mirage
La seule promesse d'un naufrage
L'antique chant de la mort

Je n'étais qu'une toile sur laquelle tu peignais
Tes désirs adorables, tes passions tes idées
Je n'étais qu'une étoile où tu t'es reposée
Un feu si maladroit qu'il aura tout brûlé

mardi 22 mars 2016

Anentropie

Tout passe, tout fane, tout devient autre, même toi...

Tapis de rosée qui scintille à l'aurore après la nuit des étoiles. Espace-temps de ma joie qui décochera sur mon visage, à jamais une larme et un large sourire.

Singularité - vortex qui perce le fond des choses et vers lequel j'orbite avant de m'y laisser engloutir.

Parfum de sauvagerie féminine - tes yeux de pureté licencieuse qui délogent les ténèbres où je m'étais enfoui, et mettent au jour l'homme que je suis.

Carré de prairie de mon curriculum vitae - lieu où je me perds, petit pré de verdure aux saveurs fleuries.

Le long de tes cheveux - trilles musicales, toucher mineur qui m'emballe, ondulation de mon désir, ta délinéation est bien la forme que j'aurais choisie.

Mais tout passe, tout fane, même toi...

Un souvenir, peut-il aussi jaunir? Pareil à ces photographies anciennes que l'entropie grignote avec une patience bornée.

Les pages de notre histoire ne sont pour le moment point racornies. Je te parcours avec une authenticité égale à la mémoire que charrient les parfums.

Univers étoilé aux planètes lointaines - terre aux fruits sucrés qui même une fois goûtés laissent avec eux tant de mystère...

Tant de fois je me suis retrouvé à terre.

Mais tout passe, tout fane, même toi, même nous...

Je suis solide mais quand même, j'aurais sans doute aimé mourir avec vous.

Mais si tout passe et si tout fane, si même toi, si même "nous" se défera un jour, il est une chose qui pourtant résiste: c'est ce désir qui me porte à tes pieds, l'anentropie de mon amour...

dimanche 20 mars 2016

Flaque de nuit

La nuit est une immense flaque d'encre noire dans laquelle trempe la pointe de mon âme, pour inscrire en un sombre récit la somme tragique de mon destin. Parfois, la conscience m'amène d'un mouvement hélicoïdale dans la spirale de la réflexion, et cette sombre traînée d'humeur noire que je suis, gicle et s'essuie sur le dos de ces pages: choses inutiles sur une autre...

Mais des choses quand même; et vers quoi font-elles signes si ce n'est vers leur propre possible?

lundi 14 mars 2016

Complainte en mineure

Chez moi, comme en musique, la tristesse est une forme de joie. D'ailleurs n'entre-t-il pas dans la définition même du concept de tristesse d'être un degré de la joie? Il n'y a pas d'un côté la joie, d'un autre la tristesse, mais on passe de l'un à l'autre par d'infinies nuances qui font de l'une et l'autre les parties d'un même ruban, et des deux une idée sans réelle projection objective (comme le laisse penser l'argument sorite qui pourrait s'appliquer ici).

Si cela semble paradoxal c'est une bonne chose, car c'est l'essence même de nos jugements qui est paradoxale: la vie existe par la mort et inversement, le chaud par le froid, etc. Chaque jugement n'étant que le résultat d'un rapport permis par un point de référence et un contexte d'application borné. Là aussi chaud et froid sont les mêmes choses: ce qui est jugé chaud au sein d'un contexte d'application deviendra le froid dans un autre...

Pour cela notamment, notre rapport à la musique (comme à toutes choses d'ailleurs) est bien personnel. On peut bien constater que les humains partagent quelques structures communes qui déterminent en partie leurs rapports aux choses, ainsi, la musique mineure semble bien être pour tous les hommes, issus d'une culture où la musique existe, mélancolique, inquiétante et triste. Mais certains tireront un plaisir immense de l'expérience d'une telle tristesse alors que d'autres seront plongés dans une détresse qu'ils chercheront à fuir au plus vite.

Ayant toujours été quelque peu agoraphobe, je fuis les lieux où vont les autres et, là où ils fuient, je m'intéresse; et je finis toujours par arpenter en tous sens ces zones délaissées de la psyché, j'y trouve là mes trésors de beauté, ceux qui ne sont pas quotidiennement pillés, et les gens que j'y croise ne viennent pas imposer leur promiscuité comme des chiens, mais respectent une distance de respect qu'à tout moment, un regard, une entente, est libre de briser. La tristesse qui s'étale ici, en relief sonore sur tous mes cieux barbouillés, n'est qu'une forme de bonheur pudique, la possibilité pour le lecteur qui s'engouffre où les autres s'en vont, d'être heureux librement, hors des invitations racoleuses.

Je me demande parfois quel effet a sur vous, mon éternelle complainte mineure...

Les intervalles dissonants

Ecrire de la poésie, c'est être un musicien condamné à ne pouvoir donner de lui que les partitions de ses compositions. Cela requiert une certaine confiance envers les lecteurs, il faut croire que certains sont de bons interprètes. Parfois j'aimerais savoir chanter mes chansons, pouvoir les transmettre à autrui selon l'interprétation que j'en fait. Parce qu'il y a certes les règles de la poésie et du vers, mais il y aussi celles de la lecture juste qui fait chanter la phrase. Je n'écris pas selon les règles métriques, j'utilise toute la largeur de ma langue pour faire claquer un rythme et jouer de l'harmonie. Puisse le lecteur trouver cela en lui, sentir la juste scansion, car il est certains textes qui, lus justement, dénouent les tensions du corps ou de l'esprit, aident à la circulation des sentiments et émotions. Mais je ne suis probablement que le médecin de moi seul, et vous ne sentez certainement rien, rien que des rythmes qui claudiquent et des intervalles dissonants...

jeudi 10 mars 2016

Mes souvenirs brûlent

J'ai le coeur d'alcool
Et mes souvenirs brûlent
Des pieds jusqu'à cette auréole
Que je n'ai jamais eu

Dieu me pardonne

J'ai les yeux embués
Du passé qui m'enfume
Oh je ne vais pas pleurer
Pour un tout petit rhume

J'hume un peu l'air des années folles
Où mes pensées damnées caracolent
Ta bouche tes yeux tes courbes me racolent
M'enchaînent à ton coeur nu comme la colle

J'ai l'humeur alcolisée
Celle-là qui me porte sûrement
Loin des bonheurs aseptisés
Tu me tues lentement

Encore un verre et les souvenirs finiront brouillés
Comme les images de toi qui ne cessent de bouger
Encore un dernier verre avant le grand orage
Qui m'enverra au lit afin d'y faire naufrage

Si je noie la nuit, ne me hantera-t-elle plus
Peut-être le passé se sera-t-il tu
Demain, demain est une autre bataille
Chaque aube sur mon âme une nouvelle entaille

Ce soir j'ai le pas qui chavire, j'avoue être un peu ivre
J'ai l'âme à la dérive sur un navire en délire
Je me méfie trop des espoirs qui enivrent
C'est le vrai désespoir qui donne envie de vivre

J'ai le coeur d'alcool
Et mes souvenirs brûlent
Des pieds jusqu'à cette auréole
Que je n'ai jamais eu

Dieu me pardonne

lundi 7 mars 2016

Pour toi je suis un chien

Je ne veux pas dormir. C'est l'heure de faire un bilan mon amour puisque je n'ai rien d'autre à faire. Il est 21h57 et 30 secondes, et comme à mon habitude depuis que tu es partie, j'écoute des chansons mélancoliques qui parlent d'amours brisés comme le nôtre. Je n'ai pas envie ce soir de m'allonger sur ce lit étroit tout en faisant valser au plafond quelques souvenirs de toi. Ce soir je préfère gratter sur le papier, et voir dans l'impression rapide des lettres sur le fond blanc cassé une allégorie de la vie qui s'écoule; en palabres et idées.

Si l'on devait faire le bilan de nous deux, que resterait-il? Probablement que le résultat serait malheureux, mais dans mon coeur malade, je peux dire qu'il est gracieux, beau comme la ligne brisée des destins tragiques; pour rien au monde je ne l'échangerais. Peut-être tricherais-je un peu sur le calcul, modifiant au passage une quelconque unité afin que le résultat soit plus entier et plus paire...

Les autres qui ne savent que leur amour, et qui ont peut-être raison, me disent que tout cela passera comme l'eau sous les ponts, mais les années s'écoulent et rien ne change vraiment. C'est que ton Adrien a toujours été quelque peu obstiné, ou persévérant c'est selon. Ainsi je poursuis ma volonté de t'aimer comme j'ai suivi le sillon sans fin de la raison, avec patience et conviction, autant de choses que j'ai perdues désormais. Peut-être te perdrais-je aussi, comme un vieux fumeur repenti.

Les gens qui me connaissent un peu disent de moi que je suis torturé, c'est qu'il est parfois douloureux d'être sans attaches ni logis. Je vis dans les idées, celles-là même que tu ne comprenais pas toujours; je vis dans cet envers des choses où résident les promesses qui forgent les mondes pour peu qu'on leur prête un peu de force active. Je suis puissant pour rêver, mais tellement faible pour exister... Regarde comme j'échoue à faire être mon rêve de nous deux... Ou peut-être que je réussis mais que le succès a le goût trop amer qu'ont objectifs et illusions lorsqu'on les a rendus à l'évanescence des choses relatives et sans fondement.

Ah... Ce fondement qu'il me manque pour être cet univers où tu pourrais vivre, et que tu pourrais colorer de tes rêves enfantins...

Et toi, aube avortée de ma nuit sans fin, que fais-tu à cette heure, t'arrives-t-il encore de repenser à moi? De regretter par moments ma présence légère ballottée par les vents? J'ai bien du mal à croire qu'un amour comme le nôtre peut s'éteindre par une poignée de mois et d'années jetés là. Le vulgaire sable des temps n'a jamais atteint mon foyer...

Écorchés est un qualificatif qui nous sied, tout comme la chanson éponyme. Une histoire de griffures et de morsures dans la chair palpitante. Cette histoire à l'image de cette liberté un peu rock que j'ai aimé chez toi, cette attitude entière et sauvage, pareille à nos ébats qui faisaient trembler les dieux. Dans quels yeux désormais vacille cette flamme que ta présence sait allumer? Quelles sont les mains qui te caressent et t'agrippent pour te posséder? Qui est celui qui te traverse et fait de tes entrailles sa demeure? Quelqu'un m'a-t-il remplacé? Ce n'était pas le cas lorsque je t'ai revue...

Personne ne m'a jamais possédé comme toi, la chose est même impondérable. Moi qui abhorre la possession et toutes ces métaphores de la servilité, je contemple avec délectation le fait que je sois pieds et poings liés face à la femme que tu es.

Hmm... Moi qui aie toujours été un chat, je suis ton chien pour l'éternité!

Voudras-tu, un jour, redevenir ma chienne..?


Les contempteurs du matérialisme

Il existe une véritable haine du matérialisme que j'ai pu observer à plusieurs reprises chez diverses personnes. Pour ces gens, le matérialisme serait une réduction de la richesse du réel à une substance grossière et sans mystère (souvent associée au mécanisme) que serait la matière. J'affirme aujourd'hui que ces propos ne peuvent naître que d'une grossière ignorance couplée à une certaine forme d'arrogance qui conduit à préjuger ainsi qu'à tronquer le discours scientifique.

La science est souvent vectrice d'un dogmatisme édulcorée mais repose sur un principe très fertile qui permet aux croyances d'être régulièrement révisées voire amendées, produisant ainsi un processus dynamique, et non statique comme la religion, de production de "savoirs". La science est sceptique lorsqu'elle sait porter un regard rétrospectif et synthétique sur son histoire, mais je ne reviendrai pas sur ce sujet déjà traité ici.

Que sait-on de la matière? Beaucoup de choses d'un point de vue physique, c'est à dire que nous avons pu observer et inférer un certain nombre de propriétés qui lui sont attribuées. Cependant, d'un point de vue métaphysique, la matière constitue le plus grand mystère qui soit, et la science reste sans voix sur le sujet. La matière est une forme possible de l'énergie, elle en est une concrétion qui la rend, pour nous autres humains, substantielle, c'est à dire que nous pouvons, du moins sous ses états connus jusqu'à présent, interagir avec elle. Nous savons aujourd'hui que la matière est bien plus que ce que nous pensions. Les propriétés d'un objet, telles que sa vitesse par exemple, sont étonnament de la matière. Autrement dit une chose qui entre dans la définition de l'immatériel, s'avère être précisément une forme de matière. Nous observons cela grâce aux grands collisionneurs qui mettent en lumière une violation des lois de conservations de l'énergie lors de collisions de particules: une partie de l'énergie cinétique se transforme en matière excédente - c'est à dire qu'après la collision on trouve plus de matière qu'il n'y en avait à la base à partir des deux particules. Or on sait qu'une substance ne peut naître et interagir que d'une substance de même nature (du moins si l'on se fixe un cadre logique pour penser). Par conséquent, une propriété comme la vitesse est une forme de matière.

Mais il est possible d'aller encore plus loin et de revenir au fondement du problème. Si ce que nous appelons matière est une forme d'énergie, qu'est l'énergie? Là encore, la science nous dit beaucoup de choses, elle détermine l'énergie par ses propriétés observables et bâtit à partir de là un concept qui s'intègre aux modèles physiques existants et fonctionnels. L'énergie est donc chaleur, mouvement, champ, etc. Cependant, d'un point de vue métaphysique, là encore la science ne dit mot. Personne ne prétend savoir ce qu'est la nature de l'énergie, c'est à dire que personne ne peut prendre un pas de côté pour s'extraire du système énergétique afin de l'isoler pour en trouver les causes, afin de le saisir dans une forme, prérequis nécessaires à l'élaboration d'un concept métaphysique.

La question métaphysique par excellence, celle du quid est une des plus délicates puisqu'elle met en lumière le fondement de notre univers épistémologique, elle nous force à constater le terreau arbitraire des définitions et axiomes qui conduisent toute ratiocination à errer dans une régression à l'infini, sans jamais pouvoir se fixer sur rien d'autre qu'un choix arbitraire qui permettra enfin d'avancer, mais au prix du dogme. Vous définissez l'énergie et vous usez de mots et de concepts qu'il faut à leur tour définir par d'autres mots et concepts, et encore et encore.

Ce choix dogmatique nécessaire à toute position métaphysique, c'est celui que font les contempteurs du matérialisme qui, paradoxalement, accusent les matérialistes d'être réductionnistes lorsque ce sont précisément eux qui réduisent la notion de matière à un concept inepte qui n'est que la troncature grossière de ce que nous pouvons aujourd'hui entrevoir des propriétés de la matière. Ce sont précisément eux qui retirent au mystère du monde en croyant circonscrire en une définition tronquée toute l'épaisseur de la matière qui offre aujourd'hui des visages fascinants et stimulants pour la pensée.

Le phénomène de propriété émergente (qui n'est autre qu'un terme pour déguiser l'ignorance scientifique) nous montre précisément comment d'un monisme nous pouvons parvenir à des substances en apparences bien dissemblables. Pensez par exemple aux langage binaire des ordinateurs: cette page qui s'affichent sur votre écran produit une image et vous n'y voyez pas que des impulsions électriques bien que l'entièreté du processus repose là dessus. L'eau existe sous divers états comme la glace, la vapeur ou encore l'état liquide qui sont tous bien différents. Le monisme ontologique n'implique nullement un appauvrissement du réel en une substance unique et sans mystère. En outre il a la commode propriété de maintenir de manière logique et cohérente (mais personne ne dit que le réel doit correspondre aux catégories de la logique) une cohésion causale entre les divers phénomènes et états de la matière. Si la vitesse est matière, la matière concrète que nous connaissons et qui est créée dans les grands collisionneurs lors de heurts de particules ne provient pas du néant: la continuité causale est conservée.

Je ne suis ni matérialiste ni quoi que ce soit d'autre, je constate simplement l'aspect fonctionnel et (contrairement aux idées reçues) ontologiquement riche du monisme matérialiste. Si la matière est énergie et que l'énergie existe sous diverses formes aussi éloignées en apparence les unes que les autres (et qui sait encore s'il n'existe pas une infinité d'états de l'énergie avec lesquels nous ne pouvons interagir), être matérialiste n'est plus un réductionnisme mais simplement le fait de dire que le réel est fait d'une même substance existant sous divers attributs (pour reprendre la terminologie spinoziste), potentiellement une infinité qui peuvent être aussi éloignés en apparence que le sont le corps et l'esprit.

Mais la seule manière de pouvoir imaginer détenir le début d'une réponse sur la question de la nature du réel est de parvenir à s'extraire précisément du réel lui-même ce qui semble impossible. Pour trancher la question du matérialisme, il faudrait pouvoir sortir de la matière, quitter notre détermination énergétique afin de contempler de l'extérieur, de manière objective, le réel où nous sommes. Même encore, nous tomberions face au caractère absurde de la question du quid: n'étant plus l'objet observé, nous ne pourrions avoir que des points de vue sur lui, or ces points de vue existant en nombre infini, nous ne pourrions tous les saisir en un seul regard qui en serait la synthèse simultanée. Pire, nous ne pourrions observer que des propriétés de l'objet que l'interaction avec celui-ci nous révèleraient, mais si nous interagissons avec lui, c'est que nous sommes de même nature que lui... Quand bien même on dépasserait ce dernier problème, nous n'aurions toujours que des propriétés extérieures à l'objet, mais ignorerions les propriétés intrinsèques de l'objet, de la même manière qu'un humain ne peut posséder le sens interne d'un autre, éprouver ses sensations, avoir ses idées (une des raisons pour laquelle nul humain ne peut en connaître un autre). Il semble que pour connaître absolument, il faut aussi être, ce qui nous fait retomber dans la contradiction précédente (que pour connaître entièrement il faut pouvoir se séparer de l'objet de la connaissance). Le fondement même de la connaissance est lacunaire et paradoxale puisqu'il repose sur la propriété du signe. Le signe fait signe vers quelque chose d'autre et se propose de se substituer à l'objet signifié, ce qu'il ne peut bien sûr pas faire, par conséquent la véritable et pure signification demeure une impossibilité, et c'est toute la connaissance qui s'effondre avec ce mythe.

Aussi stimulante que peut l'être la discussion métaphysique, il me semble que seul un paresseux peut lui attribuer le pouvoir de donner des réponses, car la discussion ne saurait avoir de fin, tout comme elle ne saurait avoir d'autre début que la croyance initiale et intransmissible d'un esprit qui est le seul à sentir ce qu'il sent.

La méthode qu'est la raison n'est précisément qu'une méthode, autrement dit elle est un principe à partir duquel une infinité de résultats peuvent être produits et détruits. Il est étonnant de constater que certaines personnes possédant des opinions métaphysiques arrêtées rejettent la rationalité sous le prétexte pertinent qu'elle ne saurait épuiser le réel, alors que c'est précisément l'emploi (mauvais) de la rationalité qui leur permet d'atteindre cette affirmation. Ils raisonnent, partiellement, puis rejettent la raison qui est le fondement même de leurs croyances.

Il faut être bien courageux pour monter sur le train de la raison, c'est un voyage sans retour qui n'aura d'autre fin que votre être, et fera de vous ce vagabond sans logis bien souvent conspué parce qu'incompris. Êtes-vous prêts à payer le prix de la raison? Voilà ce que je demande à mes interlocuteurs honnêtes. Pour les autres, il existe des palais faits de la matière des idées et des rêves, nous habitons tous à l'intérieur de cette réalité, mais nous oublions parfois que nous y sommes les seuls.

samedi 5 mars 2016

Assimiler

J'ai l'incessante nostalgie de mes autres.

Ma mélancolie est le fond sublimement chassieux de tous ces autres que je suis, une tristesse de solitude face au constat qu'il n'est nulle identité que je ne puisse reconnaître comme mienne.

Je suis d'innombrables personnes, ainsi mon âge s'en ressent et me pèse. J'aimerais tant rencontrer quelqu'un que je ne comprendrais pas.

Je suis un prédateur d'altérité.

Que fait-on à l'altérité mes amis? "On l'assimile! On l'assimile!!"

Zoe

Sinueux chemin
Serpentin dans la mer des jours
Coeur qui se souvient
Mémoire dans les tambours

Inconfort
Effort et mouvement recommencé

Muscle, tension
Relâchement et danger

Déséquilibre
Tentative dérisoire
Sur l'horizon lointain

Doute
Foi
Guerre
Paix

Armes et bouquets
Larmes
Plaies
Musc des baisers

Encre des destins
Sur un vieux parchemin

Bruissement du temps
Sur lambeau de néant

Vide et plein
Nuances où vivent les humains

Intervalles, proportions
Rythmes et structures

Schèmes, fictions
Harmonies et figures

Remonter la pente
Et puis la redescendre

Remonter
Redescendre
Remonter
Redescendre...

Destinations et objectifs
Terminus relatif

Soif d'absolu
De souffle révolu

Comme un désir de mort
De s'amarrer au port

Variations thermiques
Mouvements tragiques

Naissance et trépas
Musique entre les pas

Entrelacs de fils
Âmes qui s'embobinent

Erections versatiles
Chutent mêmes les villes

Chutent mêmes les mots

Chutent et s'abîment
Gens et puis comptines

Chutent et se terminent
Poèmes et rimes.

jeudi 3 mars 2016

Le temps qui défait

J'ai toujours vécu en pensant que le temps défaisait les choses.

Jamais, du plus loin qu'il m'en souvienne, je n'ai vécu la temporalité du bâtisseur, du jardinier, qui voient tous deux le temps comme une manne alme et propre à accomplir projets et aspirations.

Si je perçois le temps comme processus de réalisation, c'est seulement de manière quasi-inconsciente, par un long processus que l'on finit par oublier, et dont un jour, les fruits se révèlent soudainement à nos yeux amnésiques.

Je me défie du temps.

J'ai trop vécu son passage comme une force dislocatrice pareille au ressac incessant des vagues sur la grève qui broie les cailloux et disperse l'unité en mille grains qui s'échappent au vent.

Je ne fais pas confiance au temps pour bâtir, je connais cependant son talent pour déconstruire, altérer, transformer.

Malgré cela, je suis le premier à dire que ces termes ne sont que des jugements relatifs et qu'une déconstruction est aussi, simultanément, la construction d'autre chose.

Si je m'obstine alors à voir le temps du seul versant du délitement et de la déréalisation, qu'est-ce que cela dit de moi?

Quelle étrange et pathologiquement nostalgique âme que la mienne...

Temporalité de la volonté

Tout ce que l'on veut avec suffisamment d'ardeur advient. Autrement dit, la volonté est une configuration proposée par le rêveur à laquelle se conforme le réel (qui est puissance) en s'y déterminant par un phénomène actuel.

Ce constat n'a rien de très scientifique, en tout cas la méthode qui l'a produit. J'observe simplement que tout ce que j'ai pu sincèrement vouloir, avec force, s'est réalisé au cours de ma vie. Oh non par une mystérieuse intervention extérieure, mais par un non moins mystérieux processus qui a fait de moi la chose correspondante à mon désir. C'est un long accouchement, il se compte en années, à tel point qu'on en oublie parfois à quel degré un jour, nous avions souhaité être là où nous en sommes.

Ainsi la volonté est un phénomène mondain et qui produit donc ses effets dans le champ de l'objectivité. Et tout cela requiert un certain temps de maturation et suppose ainsi la même constance chez le rêveur que chez le jardinier qui patiemment couve et appelle.

Sachant cela depuis un moment déjà, je lis maintenant qu'il en va de même avec la croyance; et quelque chose en moi qui relève de l'instinct me susurre qu'il en est bien ainsi. Pourtant, malgré cela, je doute.

Je n'arrive pas à croire que les croyances structurent et ordonnent l'informe néant du réel. Et mon monde, constamment se présente sous cette configuration trouble par rapport aux croyances, chaque évènement s'inscrivant dans un réseau causal toujours duplice, insaisissable, équivoque. Mon monde laisse la place à la possibilité que les croyances soient une force matricielle pour son émergence tout comme il laisse des indices qui sans cesse annulent cette possibilité même.

Peut-être un jour aurais-je la volonté de lui donner une réponse à ce sujet, c'est à dire une loi.

Et quelles merveilleuses possibilités s'offriraient alors...

Un monde, déterminé par les croyances...

Je médite cette idée et me sens chuter vertigineusement face au constat de ma responsabilité dans ce présent qui me pèse, pour tout ce que je crois désirer autre dans ma vie, et qui, pourtant, ne fait que me montrer la forme de mes désirs profonds.

Ainsi je m'interroge: connaissons-nous toujours nos désirs? Les assumons-nous? Les aimons-nous toujours?