Il faut chercher -- chercher toujours -- à faire des signes les fins en soi chargées de de dévoiler un sens qu'il ne nous appartient aucunement de rendre transcendant. C'est à l'autre d'ourdir par d'échevéennes connexions sémantiques le sens qu'il tisse de ses désirs. Il faut que la manière d'agencer chaque signe, chaque proposition, chaque marque de ponctuation, soit apte à révéler un ordre -- secret mais perceptible -- capable d'attiser le désir de compréhension, capable d'amener le lecteur au travail par lequel son imagination tresse les éléments d'un monde répondant à ses phantasmes inconscients. Il faut qu'il croie trouver dans le système réticulaire de ces glyphes une vérité atemporelle qui l'élève à la divinité qui gît en lui sans qu'il ne puisse la saisir sans un intermédiaire. Il faut donc être ce détour par lequel un dieu naît à lui-même. Et c'est cela que l'art procure, ce que l'on nomme: enthousiasme.
"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose" Léo Ferré
mercredi 4 juin 2025
Enthousiasme
samedi 10 mai 2025
Arcanes
La poésie est comme la musique, elle est comme toute chose: une découverte et non une création. Cela ne veut pas dire que ce qui est découvert est une chose exogène, peut-être que nous ne faisons (à travers les mathématiques, les sciences, les arts) que retrouver l'expression de nos propres lois internes.
Pour cela je ne fais pas partie de ceux qui récusent l'inspiration. Écrire de la poésie, vibrer d'ivresse créatrice, n'est rien d'autre pour moi que d'être effectué par une certaine tonalité vibratoire du réseau des choses qu'on nomme expérience ou vécu. C'est tout l'agencement du contexte qui produit sur ma personne l'état extatique par lequel me parviennent des profondeurs de l'être les fragments de beauté-vérité que les sons indiquent.
La partition de tout cela n'est pas le fruit d'un calcul et l'homme ne sait pas créer au sens authentique du terme. Je conçois l'activité du poète comme celle d'une pythie avec l'enthousiasme en moins, à moins de voir la divinité non plus comme une transcendance exotique mais comme une tonalité particulière, une harmonique par laquelle le poète résonne avec des notes englouties dans l'accord complexe du vécu naturel.
On trouve la vérité: de là découle le caractère d'évidence en tant que réminiscence; pas au sens platonicien cela dit, du moins si l'on veut prendre le mythe d'Er le pamphylien au pied de la lettre, mais plutôt une réminiscence de ce qui est toujours donné à l'intuition mais de manière confuse, enfoui dans l'écheveau du divers que le poète tisse en séparant les fils pour en faire ressortir les motifs inaperçus.
Travailler ce n'est pas agencer morceau par morceau un ouvrage par tatônnements successifs, l'art n'est pas identique à la prodction technique. Travailler, pour le poète, c'est s'entraîner encore et encore à intégrer la technique afin qu'elle lui soit un nouvel organe, capable de remplir sa fonction sans que l'on ait à y penser: il n'y a qu'ainsi que la technique peut devenir pur signifiant sans empiéter sur le vécu à ressentir.
Travailler c'est avoir répété suffisamment de brouillons pour que la vérité puisse frayer son chemin sans encombre, sans rupture, par un souffle ininterrompu qui expulse la délicate haleine de la poésie se déposant sur la vitre d'un miroir. Il faut que le geste soit parfait, fluide, et qu'il pogresse avec facilité, comme la nature. Plus le poème sort spontanément, plus il est expulsé par une poussée jaculatoire, et plus il retient pure et concentrée la vérité dont il est signe.
Le poète est condamné à la poésie jusqu'à sa mort, car l'idéal acméique de l'expression pure et achevée ne peut être, par essence, qu'un horizon intangible.
Toute tentative de s'éterniser est en droit vouée à l'échec, car ce n'est pas la nature de l'homme d'être.
vendredi 11 octobre 2024
Nécessité de l'art
"Il serait possible que la véritable nature des choses fût tellement nuisible, tellement hostile aux conditions de la vie, que l'apparence fût nécessaire afin de pouvoir vivre."
Nietzsche, Volonté de puissance, t.I, 1. I, §212 (source à vérifier...)
mercredi 9 octobre 2024
Procrastiner légitimement
Il est normal de procrastiner sans cesse la production d'une œuvre d'art dès lors que notre seul standard est une forme de transcendance menant à l'absolu. Il serait impossible d'accepter, dans un tel cas, de voir son échec incrusté dans la minéralité d'une chose pétrifié, dont l'éternité nous humilie et nous fait honte.
Je ne peux accepter certains de mes textes que parce qu'ils constituent la documentation d'un brouillon, et que ce brouillon pourrait, un jour, avoir une valeur de témoignage pour ce que j'aurais un jour atteint l'absolu désiré. Leur valeur est nulle à cet instant et toute spéculative. D'autres textes philosophiques ne témoignent que d'une chose: mon incompréhension de l'époque et mon arrogance vis-a-vis d'auteurs que je n'avais même pas compris. Il faut beaucoup d'humilité mais aussi pas mal d'arrogance pour accepter de s'abaisser par le témoignage de sa propre médiocrité tout en subodorant qu'un jour celle-ci puisse avoir la moindre valeur pourtant...
Il faut tout cela pour supporter le poids de son sillon dans l'existence et de tous ces moi reniés par le présent qui les rend tous caduques. Que cela peut-il donc bien trahir sur celui qui accepte de produire des œuvres censées contituer des morceaux de sa personne? Qu'il s'est pétrifié dans l'ambre du dogme? Qu'il accepte l'extranéité de son œuvre? Ou qu'il n'a pas d'autre choix que de sortir de lui ces tentatives pour rallier l'absolu, afin de s'en servir comme marche-pieds dans cet ascension perpétuelle qu'est la recherche du beau?
La vérité est dans le devenir, dynamique, il faut donc que l'œuvre se fasse inchoative, spermatique, et qu'elle s'insémine dans la temporalité d'une âme hôte et se montre capable de vivre à l'intérieur, symbiotiquement.
mardi 8 octobre 2024
Poetica Philosophia
Le poète, le philosophe, pire: le poète-philosophe; autant d'échecs à créer des mondes. Se précipiter dans le concept, formuler la généralité d'une idée de manière directe , à travers le matériau même de l'idée, que d'inutiles tautologies. Qu'avons-nous à faire de lire une morale, une valeur...? Nous voulons l'éprouver, nous voulons sentir, par l'intéraction avec un monde, l'idée qui ne se donne jamais pleinement; nous voulons chercher, réfléchir à travers la matière aphone, ourdir notre propre vérité, et non écouter la leçon de quelque philosophe qui se charge d'anéantir l'autonomie de notre jugement.
Ce journal indéfini, entropologique, n'est qu'un aveu d'échec: celui d'une demi-poésie qui cache à demi-mots son incapacité à produire une beauté non-verbeuse... Au commencement de toute religion était le Verbe: de quelle tristesse suis-je donc le prophète?
mardi 28 novembre 2023
La production de l'oubli
Écrire est ma destinée, comme douter, c'est-à-dire penser; c'est-à-dire, en l'ocurrence, penser à quel point une telle phrase est inapte à entamer un poème digne de ce nom, à exprimer une pensée suffisamment singulière pour ne pas avoir été écrite en quantité industrielle... Surtout, ne jamais être entier; voilà ce que ma jeunesse a retenu de cette foudre qui gouverne les mondes et frappe impromptue mais inexorable.
Il n'y a que dans quelques écrits que je trouve ecore de la valeur à quelque chose qui m'appartienne, à quelque partie de moi -- sont-ce bien là des parties de moi ou bien des partitions trouvées sur le manteau céleste? Toujours une pensée en face d'une autre, toujours l'ambivalence de toute chose.
Il est des êtres qui, probablement, ont été conçus pour s'annuler tout en étant, âmes précoces qui répétent la dissolution avant l'heure fatidique. Obstacle que la vie place d'elle-même sur son chemin, vois comme l'art t'as surmonté pourtant... Encore et encore, la poésie te donne tort et pose en les filets du monde un compte positif. La mousse de l'âme, semblable à celle de l'infinitésimal, arrache par fulgurances, de son vide spatio-temporel, quelques fragments d'étoile s'accrochant à nos cieux pour être contemplés -- et vécus.
Les œuvres, à plus ou moins long terme, retombent dans cet espace réel du possible que l'on ne peut pas voir, ou seulement pressentir. Que tout cela soit déjà oublié, pourquoi devrait-ce me déranger?
Toute création est production d'oubli.
samedi 11 novembre 2023
mercredi 22 février 2023
Aphorismes de l'âme-seule
Qu'est-ce qui plaît dans l'œuvre qui nous touche, celle qui nous fait voir en l'auteur cette âme-sœur qui fait de nos pensées des bouquets de vertige? Ce n'est certainement pas l'âme-seule.
Ce n'est pas l'âme seule qui est belle mais la manière dont elle se marie à quelque chose d'autre.
L'âme ne s'offre que vếtue d'altérité, chaque œuvre en est une exuvie.
samedi 25 décembre 2021
L'universel dans l'art
Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.
Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.
En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.
Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.
Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...
Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.
Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.
C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.
Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.
La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.
mercredi 10 novembre 2021
Mon enfance
J'eus, contrairement à de précoces artistes, une véritable enfance. Je ne suis pas un Pessoa qui affirme que son style a toujours été formé, dès le début de sa pratique littéraire. Dieu que l'élaboration du mien fut longue: il suffit de relire mes textes d'il y a dix ans, voire moins... Tous ces textes d'une médiocrité éclatante ne seront néanmoins jamais retirés de ce palais mémoriel. Ils resteront comme les témoins muets de ce que je suis: un homme comme les autres, dont l'obstination absurde a su produire, avec la lente maturation de saisons successives, une terre quelque peu fertile, où poussent, après l'inquiétante mousson du tourment, une flore rédemptoire et colorée.
Car je suis devenu, à force de persévérance, une canopée littéraire sur sol vivant. Le réseau mycélien de mes forêts semble parfois si vif et si peuplé, qu'il relie chaque lettre à d'autres galaxies. Tout cela bouillonne d'une vie effrénée, invisible, qui parle à tout instant vécu à ce fol Inconscient, durant la moindre et infime expérience -- depuis les voyages en voiture, jusqu'à ce triste et froid ennui des soirs de solitude. Un dialogue souterrain prend place en permanence.
Voilà bien ce dont témoigne, j'espère, ce sillon singulier. Qu'il ait tracé d'insignifiants dessins sur l'étoffe du temps n'est pas un fait honteux. La vie n'est qu'un brouillon éternellement recommencé. Le non-espoir d'un idéal néanmoins poursuivi.
Je vous laisse tout, tout l'écheveau de ces tentatives, ces complaintes entropiques adressées à l'éther. Advienne que pourra de tout ce flot de vie qui bourgeonne et éclot en fleurs envenimées, nourries par le fumier fertile d'une souffrance chaude.
J'ai bel et bien une enfance. Ces bouquets de poèmes sont le produit d'un long faisceau causal qui plonge ses racines dans le néant des origines. Mais plus modestement, dans les déterminismes sociaux qui m'ont mené à ne plus pouvoir me passer d'écrire l'existence en un chant silencieux vomi sur les cahiers et les mémoires numériques. Je n'ai pas honte de n'être en aucune manière responsable de ce que je suis devenu. Je ne crois pas en la liberté. Je remercie les cieux, mes parents et tout ce réseau de brûlure que forme ce vain monde d'avoir produit, inexplicablement, ces quelques notes bleues qui font des rares moments de création poétique, les parenthèses d'une vie qui puise en elles l'énergie et le souffle gonflant encore mes voiles.
J'irai au bout de ce voyage; déversant ma musique dans le néant atone.
dimanche 30 mai 2021
Principe génétique de l'œuvre et morphogénèse phénoménale
Il n'y a jamais inspiration d'une œuvre déjà formée, réalisée et exprimée. L'inspiration concerne plutôt un sentiment esthétique, une idée, une intuition ou une mélodie noétique qui entre en contact avec les formes idiosyncrasiques d'un individu, avec ses capacités.
Cela dit, l'artiste ne pourra intuitionner l'essence de son œuvre que de manière préformée, déjà en accord avec les modalités intuitives qui le constituent (et qu'il a développé à travers son histoire), ainsi que les formes expressives qu'il aura choisies (ou du moins celles qui lui sont le plus naturelles). On ne peut sentir la chose en soi, l'informe et l'indéterminé. Il faut nécessairement que l'intuition fournisse un matériau pré-moulé, un germe.
Ce germe, ce génome, se développera ensuite morphogénétiquement par la technique et le travail de l'artiste. C'est par le soin qu'il apporte à ce germe que va pouvoir naître et éclore, peu à peu, la forme réalisée de cette puissance dont l'artiste s'est fait le réceptacle. Une même idée, une même chose peut ainsi se développer d'une indéfinité de manière, au sein d'un même individu, en fonction des outils qu'il emploiera pour la faire naître au monde phénoménal, ou entre différentes personnes.
L'intuition artistique, de la même manière que toute intuition, est une rencontre avec la chose en soi traduite sous la forme d'un phénomène qui se déterminera de plus en plus à mesure du choix opéré par l'artiste d'un support ontique et d'une technique.
Contrairement au règne des perceptions et intuitions banales, qui font signes vers le reste du monde naturel, l'œuvre doit faire du phénomène par lequel elle s'incarne le signe transcendant d'une indétermination originaire (non totale puisqu'elle ne serait alors rien pour nous), suffisamment qualifiée cependant pour que l'on la perçoive et suffisamment générale pour qu'elle déborde le cadre de son domaine phénoménal et parle aux structures de l'individu percevant, en fonction de ses modalités intuitives propres.
Autrement dit, le morceau de musique ne doit pas être compris par autrui d'un point de vue purement musical. C'est pour cela qu'il peut faire naître en son auditeur toute une variété de réactions allant du sentiment émotionnel au mouvement corporel (la danse, la vision imaginative, l'impression poétique, le vertige, etc.). Il est apte, lorsqu'il est interprété par autrui, à reproduire un message, un signifié qui ré-installe le germe intuitionné initialement par l'artiste au sein du récepteur, dans son indétermination originaire, en laissant ainsi à ce dernier la possibilité de faire éclore à partir de ce noyau ontique, toute une variété de mondes qui porteront, dans la forme de leur écho, la signature ontologique du récepteur.
Par là, l'œuvre propose un véritable champ morphogénétique ouvert. Il n'est pas clôt par une définition mais institué par le principe génétique de l'œuvre.
jeudi 27 mai 2021
L'art comme expression d'une singularité absolue
L'art ne donne jamais l'universel, le quantifiable, le commun. Tous ces qualificatifs ne s'appliquent qu'à la grammaire que l'artiste emploie, à la matière dont il use pour l'informer de son sentiment propre. L'art ne donne que l'extrême singulier, c'est son but ultime, l'expression à partir d'un matériau et de règles communes d'une intimité absolue, insulaire et intangible.
Il est autrement dit l'affirmation communautaire (dans sa velléité) d'individus cherchant à franchir les frontières de la conscience enclavée afin de s'assurer qu'autrui existe bien selon la même modalité existentielle (sensible et intelligible) -- au moins en partie. Par l'œuvre, l'artiste cherche à aboucher sa conscience à celle du spectateur, il cherche une famille, il est comme l'enfant qui souhaite partager son engouement, sa souffrance, ce trésor enfoui qui lui rendît la vie moins désagréable pour une poignée d'instants. Ce qu'il veut partager c'est cette singulière subjectivité vécue qu'aucun objet ne saurait être.
Paradoxalement, les seuls outils à sa disposition pour ce faire sont l'universel et l'impersonnel, attributs de l'objectivité même: la signifiance esthétique use d'une grammaire culturelle, de techniques culturelles et donc de tout ce qui est précisément commun. C'est à ce prix que l'œuvre est accessible par d'autres. La matière commune et ses lois constituent l'éclairage d'une scène, d'un écosystème au centre duquel se montre l'opacité de la conscience intime, trou noir auquel jeux de lumières et agencements perceptifs prêtent une valeur rehaussée, installent au centre de l'attention, distinguent, permettent de circonscrire en une forme, un contours qui, bien qu'ils n'enclosent que du vide, définissent et délimitent cet espace vacant et ce néant, et lui font dire plus précisément ce qu'il n'est pas. Ainsi donc matière et lois communes sont la lumière qui éclaire et donne forme à l'œuvre d'art, écrin d'un centre opaque, d'une singularité vécue qui hurle, du fond de sa cellule, vers l'altérité environnante pour y découvrir d'autres qu'elles, identiques et communes elles aussi, par leur indicible et absolue singularité.
mercredi 26 mai 2021
Aphorismes de l'expression artistique
L'artiste est celui qui ne veut pas abandonner ses possibles; et qui les cultive. L'œuvre en est la moisson.
"On est artiste à condition de ressentir comme contenu, comme la chose même, ce que les non-artistes appellent forme" Nietzsche, FP, XIV
"L'effet des œuvres d'art est de susciter l'état dans lequel on crée de l'art: l'ivresse" Nietzsche, FP, XIV
mercredi 19 mai 2021
Esthétique: le statut de l'œuvre
L'art est un processus de création qui ne produit pas des œuvres d'art mais des objets (ou artefacts). Aucun objet n'est en soi œuvre d'art. Pour qu'il soit qualifié de tel, il est nécessaire qu'il soit intégré dans un système représentatif par un regard, une perspective.
En effet, c'est dans l'agencement d'un (ou plusieurs) objet(s) au sein d'une perception qu'une valeur esthétique peut ou non se dégager. Ainsi n'importe quel objet peut être qualifié d'artistique: une baguette, une chaise, un couteau. L'art moderne a d'ailleurs montré qu'un objet banal peut être détourné de sa fonction et vu selon une perspective neuve, artistique. La photographie est un exemple frappant qui montre à quel point c'est le regard sur une scène naturelle, la perspective par laquelle on agence un existant déjà formé, qui va précisément créer la valeur esthétique de ce qui n'est, après tout, qu'une reproduction photographique d'une intuition visuelle humaine. L'affaire Brancusi est un autre exemple frappant que le statut esthétique d'un objet n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais bien plutôt qu'il relève d'un statut culturel et au moins intentionnel. En ce sens, ce n'est jamais l'auteur d'un objet qualifié d'œuvre d'art qui fonde l'aspect esthétique de cet objet mais cette tâche incombe bien, toujours, au spectateur. Notons au passage que l'auteur d'une œuvre est tout autant spectateur face à celle-ci que le simple spectateur lambda qui tombe sur cet objet et n'a participé en aucune manière à sa production. Lui aussi porte un regard sur l'objet qu'il fabrique, il lui donne sens à travers une intentionnalité qui fonde son statut esthétique.
Ainsi produire une œuvre par un regard esthétique sur un objet (déjà conçu ou non) requiert de pouvoir être soi-même artiste. Ceci est logiquement nécessaire dès lors que l'on accepte que l'aspect esthétique ne réside pas en l'objet mais dans le regard qui le saisit et l'organise dans la syntaxe d'une perception. Si l'artiste doit être défini comme celui qui produit des œuvres d'art, alors toute personne apte à déterminer un objet en œuvre d'art par son regard est, de fait, un artiste. Nous répondons ainsi à une question lancinante qui est la suivante: peut-on être artiste si l'on n'a jamais produit d'œuvre? La réponse est oui pour la simple et bonne raison qu'à partir du moment où l'on se montre capable d'emprunter un regard esthétique (au sens de beauté artistique) sur un objet, cela veut dire que nous le constituons comme œuvre d'art par la manière dont notre regard l'agence dans un système représentatif qui lui donne sa valeur esthétique. Autrement dit nous faisons preuve, par notre regard (ou écoute où tout autre intuition par laquelle nous constituons l'objet) de signifiance esthétique au sens où le réseau sémantique que nous tissons à partir de l'objet et dans lequel nous l'insérons comme point nodal, est le tissu ontologique de l'œuvre d'art. Un artiste qui n'aurait jamais produit lui-même d'œuvre d'art matérielle ou même idéelle, et donc ce qu'on pourrait nommer un 'artiste en puissance', est de fait un artiste en acte dès lors qu'il est apte à saisir un objet qui lui est présenté par un regard esthétique. Il est donc faux de dire qu'il n'est qu'artiste en puissance. Par conséquent il est donc vrai de dire qu'il n'est aucun artiste en puissance, mais, contrairement aux affirmations sartriennes qui déterminent l'artiste par ses créations actuelles et non celles qu'il aurait pu créer, il faut bien préciser encore une fois qu'aucun objet produit n'est en soi artistique. L'art n'est pas dans l'objet il est dans le regard ou l'intention, par conséquent même celui qui n'a jamais rien produit d'autre que des regards esthétiques sur des objets est un artiste en acte. Proust, pensant seulement quelques passages d'À la recherche du temps perdu, serait toujours en soi Proust, bien qu'il ne le soit pas nécessairement pour autrui. Par ailleurs, il faut aussi le préciser, celui qui a produit maintes œuvres qu'il n'a jamais considéré comme artistiques alors que tout une partie de la population ne fait que louer leur valeur esthétique n'est pas un artiste. Seul son public l'est.
Prenons un exemple trivial. Une baguette de pain peut être une œuvre lorsqu'elle est jugée comme telle par quelqu'un. Il suffit pour cela d'imaginer le regard plein d'admiration d'un boulanger amateur ou professionnel, qui admire la pureté des courbes, le nuancier des couleurs de la croûte, le contraste des textures entre l'extérieur croustillant et le moelleux de la mie. Il est aisé de se mettre dans sa tête et de ressentir l'effet sidérant que peut avoir l'objet dans la manière qu'il a d'incarner parfaitement, par sa singularité même, la généralité d'un idéal pourtant purement intelligible, faisant de cette baguette l'archétype même des baguettes (tel que le conçoit le spectateur), excédant les caractéristiques purement pratique de par l'harmonie qu'il perçoit dans la précision de chaque détail, comme si l'objet débordait de toute part sa fonction par l'exposition de détails inutiles et sublimes, porteurs d'une signifiance ouverte, signes d'une intention à interpréter. La capacité à partager cette signifiance esthétique (à l'aide de mots, de couleurs et traits, ou de tout autre moyen d'expression servant à exprimer le regard intime) va avoir pour effet de produire une représentation du regard esthétique lui-même, afin d'en faire un objet extime apte à convaincre autrui de la nature artistique de l'objet. Il arrive qu'alors, ce faisant, l'on produise une autre œuvre d'art qui n'est que la traduction d'un regard essentiellement intime porté sur un objet. Mais là encore ce n'est jamais l'objet représenté qui est œuvre d'art c'est la représentation, le représentant. C'est pour cette exacte raison qu'un résumé d'œuvre littéraire ne peut se substituer à l'œuvre elle-même; bien qu'il puisse, lui-même constituer une véritable œuvre pour celui qui en est le spectateur. Néanmoins ce jugement ne peut, en droit, être nécessairement partagé, pire il peut très bien rester unique et singulier. C'est pour cette raison que toute œuvre peut être observée de manière totalement prosaïque, en l'intégrant dans un système de représentation fonctionnel par exemple (en regardant le tableau comme plateau ou bien en considérant la chanson comme un bruit dérangeant, etc.).
Imaginons un cas concret. Si les peintures des grottes de Lascaux étaient en fait des marques chargées d'une fonction pratique servant à comptabiliser lors d'une chasse le type et le nombre d'animaux tués ainsi que de consigner les personnes ayant participé à la chasse (en les identifiant par la trace de leurs mains par exemple). Plus de vingt mille ans plus tard, des humains découvrent ces peintures et y voient le signe indubitable d'une intention esthétique. Ils déterminent alors les peintures par le qualificatif d'artistique et colportent l'idée selon laquelle les premières velléités esthétiques humaines remontent au moins à vingt mille ans. On ne saurait ici être plus dans le faux puisque la signifiance esthétique n'est ici portée que par les humains qui découvrent, bien plus tard, ces peintures rupestres. Ce sont eux qui introduisent un signe forain pour l'intégrer de force à leur propre langue et qui lui attribuent ainsi une signification supposée. L'exemple est peut-être un peu tiré par les cheveux mais il est, d'une part, loisible, et d'autre part, tout à fait paradigmatique et peut être appliqué, dans son essence, à un nombre de cas infini.
samedi 18 avril 2020
D'un autre vers lui-même
lundi 21 mai 2018
Embraser les coeurs
Oh ce ne sont pas les paroles d'un vieux - ou jeune, vieux-jeune ou jeune-vieux - fou qui te font peur. Quelques palabres sur les murs, qu'est-ce que ça peut bien faire. Il y en a tant qui sont morts ainsi, et leurs divagations n'ont fait aucune vague, personne ne les connait, nul ne les a entendu. Je sais tout ça et malgré tout je crée.
Quelle époque bien sombre... À l'ombre d'un éden ancien, qui n'aurait jamais existé... Mais l'éden était bien là, n'avait besoin de rien, c'était en quelque sorte l'état naturel des choses. Et le serpent s'en vint, et puis la pomme se fit manger, il fallut d'autres pommes, bien des pommes en vain, pour une faim qui ne se peut rassasier.
Accule-moi encore société, que je crée des fantômes pour les illettrés, que je sculpte des non-formes pour les idées cristallisées. Je parle pour ne rien dire, j'ai l'habitude de n'être jamais écouté.
Vous imaginez, la somme d'entailles que j'ai à cicatriser? Pour en avoir idée, comptez seulement les textes, combien en ai-je écrit? Tout cela des croûtes pour cicatriser des blessures. La nature cherche l'équilibre, et le flot de ma prose est une tentative vaine - mais sublimement tragique - pour retrouver l'osmose.
Accule-moi encore et encore, un jour tous ces poèmes embraseront des coeurs.
lundi 26 mars 2018
La vie d'artiste
Je n'ai jamais voulu communiquer sur cette activité, j'ai rêvé que ce blog soit une oasis dans le grand royaume de l'immatériel contenu que maille le réseau internet. Un ami m'a dit récemment: "tu vois internet comme un royaume à explorer, mais la plupart des gens, y compris moi, le voient comme une fontaine qui les alimente en contenus, ils attendent que ces derniers viennent à eux par un même tuyau". D'où le succès foudroyant d'un facebook, son hégémonie, sa dictature même, puisqu'il devient difficile pour toute structure, particulièrement artistique, de se passer de ce service. Je suis arrivé après la bataille, ce qui m'attire laisse 99% des gens que je côtoie de marbre. Personne ne me lit, et d'ailleurs je ne connais quasiment personne qui lise, encore moins de la poésie. Tant pis, trop tard, mon aventure aura été vécue, qu'elle n'intéresse personne à part moi-même est un fait qu'il faut accepter et avec lequel j'essaie de demeurer en paix.
Pour répondre à la question liminaire de ce texte: j'ai écrit absolument et exclusivement pour moi-même. Pour m'explorer, pour me connaître. Parce que les modes d'expression, les médiums surtout, comme les gens que l'on rencontre, sont des formidables miroirs. Ils ont cet avantage de refléter bien autre chose que les photons qui portent par l'intermédiaire des tains de salles de bains, la signature chromatique de votre peau, de vos cheveux, de votre silhouette. Chaque personne, comme chaque médium, vous renvoie, si vous prenez le temps de vous y plonger, d'échanger sincèrement, lucidement et avec attention, une image de vous-même sous diverses longueurs d'onde, à travers un prisme ontique singulier qui vous permet, à sa manière et selon sa forme, de voir en vous, d'éprouver ce que vous n'étiez pas en mesure de sentir. Cela nous rappelle qu'aussi frustrante et parfois douloureuse puisse être l'expérience de l'Autre, de l'altérité, elle n'en est pas moins ce qui nous définit, trace nos contours, nous rend saisissables pour nous-même, nous permet d'exister. Nous peignons notre image, notre portrait-robot, par le témoignage de nos sens, c'est à dire par l'interaction que nous avons avec l'altérité, avec l'autre, ce qui est hors de nous, mais en contact et pour cela une part de nous (comme nous sommes une part de cet autre). S'exprimer artistiquement, pour moi (bien que la tentation réductrice d'imposer ma définition soit présente), aura été cela. C'est du moins, dans l'écheveau complexe de cette expérience (et de toute expérience), le fil qui aura focalisé mon attention plus que les autres (ce qui ne veut pas dire qu'il aura été le plus fort...).
Je glisse aujourd'hui, comme naturellement, d'un dessinateur n'usant que du noir et blanc (la monochromie mélodique des mots) au peintre des couleurs, à l'expression musicale au sens strict du terme. Je l'ai déjà affirmé et je signe aujourd'hui: l'écriture est une forme de musique. D'ailleurs ma comparaison de l'écriture (monochromatique) avec la musique (polychromatique) est injuste. Elle n'est que le reflet de ma relation actuelle (contextualisée et donc par essence polymorphique) avec ces deux domaines. Cette métaphore ne répond à aucune question sinon la mienne.
Si je partage avec vous ces quelques réflexions - en me demandant bien à qui ou quoi ce vous peut bien faire référence -, c'est parce que je me trouve aujourd'hui à un carrefour de mon activité artistique, voire de mon activité tout court. Un sentiment d'urgence court en moi, alimente chacune de mes prises de décision, infuse mes sentiments, colore mes projets. Je dois parvenir à vivre de l'art, du moins à alléger les nécessités abjectes des emplois auxquels je suis contraint et qui m'ont amené aujourd'hui à me vendre de la manière la plus hypocrite et aliénante qui soit, comme un objet sommé de répondre à une structure économique qui en nie la singularité. Je suis aujourd'hui fatigué de ce manège, de cette précarité (qui est le fruit de choix personnelles que j'assument totalement) permanente en rien proportionnelle avec l'énergie donnée pour l'enrichissement d'un petit nombre de parasites. J'ai longtemps hésité, et hésite un peu plus aujourd'hui, à faire appel au mécénat, mode de financement par le don re-popularisé par internet, et qui correspond totalement à mes convictions (ou plutôt devrais-je dire mes choix) quant à la gratuité du savoir, de l'art, de la culture simplement.
Cela dit plusieurs choses me retiennent: je me lance depuis peu dans un projet musical et sens s'étioler peu à peu le désir d'écrire, à mesure que je sens mon énergie s'accorder à un instrument autre que la littérature. J'ai effectivement pléthore de textes à offrir, mais je ne sais si je suis capable de m'engager sincèrement, et surtout par pur plaisir, à poursuivre la création régulière de textes en tous genre. Des projets littéraires, dont certains très ambitieux, fleurissent dans ma tête, mais j'ai de moins en moins le goût d'en entamer la réalisation, alors même qu'il me semble si évident de prendre mon nouvel instrument et de composer de la musique. Par ailleurs, si j'en viens à m'engager malgré tout dans une demande de mécénat pour poursuivre ce blog, il me faut alors assumer la nécessité de communiquer autour de celui-ci, moi dont la personnalité s'accorde si mal avec ce genre d'actions... Il me faudra créer un avatar sur les réseaux sociaux, perdre un temps précieux à alimenter cette existence virtuelle. Ce n'est pas avec les dix visiteurs hebdomadaires qui se perdent en ce lieu que je risque de voir se réaliser l'engouement d'un nombre suffisant de personnes pour pouvoir prétendre à soulager les nécessités de la survie dans un monde capitaliste où je me range dans la catégorie des perdants (de mon propre chef j'en conviens, c'est bien moi qui ait renié tous les statuts flamboyants auxquels je pourrais prétendre).
Nous verrons bien ce qui se passera dans les prochains mois. En attendant que l'architectonique de ma psyché fasse émerger les éruptions d'évidence et de clarté libératrice, je vous partage un lien qui discute du mécénat et qui a alimenté ma réflexion sur le sujet des financements possibles des activités issues de la passion et qui souhaitent se passer d'intermédiaires parasitaires. Certes la vidéo s'applique plus aux créateurs de vidéos publiées sur Youtube mais la position sur le mécénat est je trouve pertinente et, qui plus est, je m'apprête à ouvrir une chaîne Youtube pour publier mes créations musicales dans un avenir relativement proche (j'adore ces expressions qui veulent tout dire tant qu'on n'a pas fourni de référent...). N'hésitez pas à partager vos réflexions en commentaires, sur le sujet en général, ou bien votre opinion quant à l'ouverture d'un compte permettant de faire des dons liés au contenu de ce blog. J'écris cela avec un masque d'ironie car à chaque fois que j'ai fait appel à la participation d'un lectorat en cet espace, je n'ai, sans surprise, obtenu aucune réaction. À tel point qu'on aurait pu penser, si google analytics ne fournissait pas des statistiques, que personne ne vient jamais ici... Temple vide où l'écho du silence se réverbère sur la courbe des symboles...
jeudi 1 mars 2018
L'art en chantier
Dépourvu d'instrument, ne sachant pas chanter, il fallait bien pourtant que toute cette musique composée par mes tripes - le souffle des poumons, le battement du coeur, le flux sombre et sanguin de ma mélancolie - se trouve un lit pour s'écouler. Hors de la source, surtout jaillir hors de la source. Toujours. Même les trous noirs sont des sources vers des ailleurs insondables. Alors j'ai fondu calmement mon âme dans les mots. J'ai emprunté pour moi la prosodie sémique de phonèmes enlacés. J'ai joué sans arrêt, ici, là, ou dans le non-espace de mes pensées, la mélodie monochrome que permettait les mots. Il faut creuser le rythme, injecter son fluide au sein de la surface et puis tirer ses plans, les séparer un peu pour produire un monde en reliefs et dimensions, un lieu où respirer. Si vous ne chantez pas, il faut tricher alors, inventer son solfège penser des gammes et rendre la hauteur en silences et longueurs.
Ce voyage est sans fin, le chemin se poursuit par-delà horizons et imagination. Mais ce n'est pas le mien. Pas seulement lui. Moi je m'avance en tous lieux, j'avance un pas sur chaque voie, pour devenir ubique. Ainsi mes sens déploient le réseau complexement entrelacé de ma vision, et le monde que je me représente s'assemble doucement, et s'ouvre sur des formes à n-dimensions. Plus j'arpente de chemins, moins la progression est palpable. Pourtant, un jour, par la surprise d'un rai lumineux, je tombe sur l'amas gracieux de ce système immense qui se trame peu à peu et se dessine là. Cela prendra du temps, mais le monde ainsi créé réalise enfin l'unification phantasmée de sensibilités diverses, de visions a priori contradictoires mais transverses. Tout, finalement, se déverse en la musicalité inédite de ce présent que je joue, avec des couleurs et des lignes, avec des sons et des fréquences, avec les lois de mondes qui avant cela ne communiquaient pas.
Les plus ambitieux chantiers progressent imperceptiblement, et leur développement est à lui seul un monument à vivre. La musicalité d'un destin se joue en divers mouvements: adagio, allegro, presto, andante, et c'est dans les silences que s'ourdit patiemment la mesure à venir.
dimanche 21 janvier 2018
Hétéronomie du divertissement, autonomie de l'art
L'industrie culturelle est dominée par le divertissement, on y voit ainsi des livres insipides recevoir de multiples prix littéraires, des films sans épaisseur réaliser les plus gros nombres d'entrées. Les gens sont assommés par le travail et n'ont la plupart du temps pas l'envie de sonder les replis de leur âme. Or seul le divertissement peut offrir un repos, l'art au contraire requiert de l'énergie, il demande un véritable travail que nos sociétés d'esclaves ont rendu intolérable à nos moments de loisirs.
Les oeuvres de divertissement offrent, tout comme celles de l'art, une morale, mais de manière si évidente et sans subtilité que, là encore, elle ne se conquiert pas de haute lutte mais elle s'impose de façon univoque et vulgaire, presque racoleuse. Les gens s'habituent à ces fragments de "sagesse" qu'on dépose directement dans leur bec, ils deviennent de moins en moins enclins à réaliser les efforts d'intelligence que requièrent les morales celées dans l'oeuvre d'art. Cette dernière ne livre jamais complètement explicitement sa sagesse, mais elle se donne à nous comme une énigme qui requiert patience intelligence et créativité. Mieux, elle ne se donne pas comme telle, mais elle apparaît de manière suffisamment diffuse à travers l'ensemble de l'oeuvre pour qu'elle demande au spectateur de la créer par lui-même, à partir des éléments qu'il agencera selon son expérience, son idiosyncrasie et son désir d'approfondissement.
Il me semble que tout message qui veut voyager sous les atours de l'art doit apprendre les subtilités de la dissolution et du travestissement, il gagne à confier son unité entre les mains du spectateur dont la conscience est la seule unité réelle de l'oeuvre achevée. En d'autres termes ce qui fait la valeur d'une oeuvre à mes yeux c'est qu'elle nous amène à vivre une suite d'expériences qui ont été pensées par l'auteur comme étant propitiatoire à l'élaboration, par le spectateur lui-même, d'une idée (appelons la morale au sens large) qui devient alors lui-même auteur. L'art est un accélérateur d'expériences à travers lequel le récepteur doit éprouver sa propre puissance créatrice.
Qui écoute ses parents? Qui fait sien les interdits qu'on lui impose sans rechigner, leur obéit sans jamais penser à les défier, à en vérifier la véritable légitimité par l'expérience? Peut-être que des parents rêvent de ce genre d'enfants, mais l'art doit au contraire tirer le spectateur vers l'autonomie. Une leçon qui n'a pas été constituée par vous-même, à travers une expérience qui a produit l'induction nécessaire d'une certaine conclusion, ne sera jamais acquise véritablement. Elle n'aura eu pour mérite que de créer un tabou, un trou noir que l'on ne fait qu'éviter et dont l'effectivité repose sur la croyance elle-même fondée sur l'obéissance et la soumission à un discours d'autorité. Ce n'est pas, me semble-t-il, un monde auquel on peut aspirer, ni en tant que parent ni, plus largement, en tant qu'humain.
Ce qui a du prix à nos yeux c'est ce que nous avons dû surmonter, ce que nous avons conquis et c'est précisément un tel défi que doit constituer à mes yeux l'oeuvre d'art. Pourquoi diable les fables de La Fontaine ont un poids plus grand que si nous en extrayons la morale en une formule lapidaire que l'on jetterait au spectateur, si ce n'est précisément parce qu'elle telle formule serait dépourvu de valeur, resterait lettre morte, désincarnée.
Nous n'apprenons jamais rien que nos propres leçons.
jeudi 11 janvier 2018
Le rêveur et l'artiste
Alors on se dit que: du regard que nous sommes à sa manufacture à partir de l'altérité matérielle il n'y a qu'un pas, et l'on se convainc ainsi d'être génial... Mais l'activité déçoit bientôt l'idée, tout devient laborieux, compliqué, et chaque geste ainsi analysé, séparé de la chaîne achevée, semble sans lien avéré avec le sentiment initial. On se trouve un peu perdu à effectuer mouvement après mouvement, détaché de l'effet qui est pourtant ce vers quoi l'on tendait, seul dans l'ineptie d'un artisanat qui n'a rien des atours aériens des idées qui se meuvent en l'âme, dociles et malléables. Le travail est difficile, il blesse le corps et déçoit l'âme trop impatiente. Il est inconfort et flegme, lenteur et inachèvement.
Je suis ce rêveur obstiné que le réel blesse aujourd'hui, jusqu'à parfois lui insuffler l'irrésistible envie de tout abandonner, encore et pour de bon. Suis-je un vrai musicien, moi qui ne suis capable de fournir au monde la partition et la genèse de ces vertiges intérieurs? Plutôt que d'agir une énième fois en philosophe, c'est à dire en poseur de questions, de problèmes, je vais agir aujourd'hui en créateur: je vais répondre à la question, apporter la preuve par la démonstration.
Peut-être faut-il savoir abandonner un peu ses sentiments en tant que pur vécu pour parvenir enfin à les transcrire en oeuvre?