jeudi 30 mai 2013

Aphorismes

Le naturel s'apparente à un équilibre entre plaisir et douleur; le culturel, quant à lui, est un effort pour faire pencher la balance en faveur du plaisir. Dans cette optique, la philosophie se heurte à la limite d'une apathie insurmontable: tout plaisir requiert sa contrepartie en douleur. Le subterfuge du philosophe est alors de métamorphoser la douleur en plaisir par anticipation du plaisir réel qui en résultera.

La musique, et de manière plus primitive le rythme, est la dimension temporelle de l'identité.

L'art, c'est mettre de l'homme dans les choses.

lundi 20 mai 2013

Sans qualité

C'est peut-être lorsque l'on s'aperçoit que tout est possible que l'on devient réellement un homme sans qualité, un homme du renoncement, se contentant de toucher de l'âme les formes que l'on n'incrustera jamais dans la matière du réel. C'est peut-être aussi savoir l'effort que coûte chaque accouchement,  chaque entreprise, pour s'apercevoir que rien n'est aussi beau que dans l'esprit. Il faut se sentir un destin, une volonté d'être déterminé pour entreprendre et faire en sorte que ce qui hurle à l'intérieur puisse enfin sortir et se séparer de nous, de l'existence qui dure en nous. Placer tout son génie dans le présent est une chose douloureuse mais je ne connais pas de meilleur façon d'être avec les autres, porté par le temps qui se souvient de tout. Je suis dans le présent qui dévore tout, se séparant sans cesse de ce qu'il fut pour en faire autre chose, et ce présent est sans bagages. Au fond j'écris probablement pour faire comme tout le monde: pour conjurer le sentiment que le passé n'est rien dès lors qu'il n'est pas déroulé comme un fil derrière soi.

vendredi 10 mai 2013

D'une étoile

Que puis-je faire d'autre que continuer ma route,
Avec le rail parallèle, cloué à mon destin?
Et combien de rails s'acheminent dans cette direction,
Vers une humanité nouvelle qui se presse dans l'existence?

Je n'ai jamais vraiment su ce qu'était la vie
Et pourtant c'est bien l'activité que je ne cesse d'exercer depuis la naissance.
Je respire, puis expire, je m'insurge et admire,
J'aime et j'apprends à ne plus détester.

Mais qu'est cette chose qui respire et regarde le monde se faire sous ses yeux,
Observe sa propre présence advenir malgré elle, toujours en retard,
Le retard est une part de l'identité humaine,
Toujours tournée vers son passé, vers ce qui lui échappe par le futur.

Et tout se synchronise pourtant dans une sorte d'harmonie
Une harmonie de chaque instant, synchronique et qui s'étire dans l'histoire.
Quelle est donc cette histoire que nous écrivons malgré nous?
Quel est donc ce présent qui se crée sans cesse, immédiat et toujours absolu?

Malgré cette nouveauté incessante, se dessine un processus avec ses habitudes,
Ses routes favorites qui tracent un sillon dans la réalité, qui fondent la fiction d'une causalité.
Evoluons-nous sur un rythme trop serré, trop compact pour que chaque évènement impromptu
De cette narration immense, nous apparaisse enfin dans toute sa clarté, nous montre sa structure?

Que fait l'humain dans ses champs de béton, dans ses agglomérations d'empressement,
Toujours pressant de son prochain le jus nécessaire à la production du mouvement;
Si essentiel à tout semblant de liberté qui voudrait s'ériger contre l'entropie grandissante.
Les morts sont la règle, ils s'homogénéisent en elle, nous sommes les exceptions, la mesure de la vie.

De quel chaos peuvent naître ces pensées qui s'échappent de mes clôtures?
Et ces clôtures sont-elles réelles ou fictives, me protègent-elles du reste du monde?
Dans quel bouillonnement interne, de quel autre ordre surgit la règle que nous incarnons?
Nous sommes une modalité de l'être, peut-être une expression de lui, quelques éclats enfuis.

Lorsque je voudrais m'arrêter d'écrire, en moi les pensées continuent,
Il y a une régularité effrayante à la vie, à ce qui vient à être,
Mais peut-on imaginer autre chose, y a-t-il seulement de la place pour un néant possible?
Jamais la lumière ne s'éteint et de chaque fenêtre humaine s'échappe une certaine lueur, selon une certaine tonalité.

L'être est infini, sommes-nous conduit à croire, mais de quel droit parlons-nous de ce qui nous fait?
Je finis mon échappée, je sens l'agitation retomber, le verbe ralentir,
Je cherche, comme beaucoup, une fin, une chute à tout cela,
Et comme toujours c'est la ponctuation qui me l'offre, le langage qui se tait.

Pourtant, lorsque toute parole cesse, et toute lecture (qui n'est au fond qu'une parole subjective),
Quelque chose demeure, quelque chose qui n'est pas rien;
Au contraire, il semblerait que ce quelque chose soit tout ce qui ai jamais été et ce qui est.
Mais qu'en est-il de tout ce qui sera, y a-t-il une réalité présente pour le futur qui nous attend?

Pourquoi ne puis-je me taire, quelle est donc cette angoisse qui m'étreint lorsque je suis muet?
Quelle raison me pousse à désirer si fort vivre avec les mots?
Sont-ils, au fond, une manière privilégié d'être là, de se trouver ensemble dans nos solitudes?
Parlons encore, parlons toujours, s'il vous plaît, afin que le silence existe.

Je n'accepte d'être ici que parce que vous y êtes aussi,
Les mots que j'emploie sont votre présence, ils sont notre mémoire collective,
Et les aimer beaucoup, c'est aussi une façon de vous aimer un peu,
Timidement, peut-être un peu trop vite, du coeur de mon étoile filante.

mardi 7 mai 2013

Aphorismes

La philosophie est une manière comme une autre de construire des croyances qui nous permettent de supporter la vie.

Il me faudrait plusieurs coeurs pour aimer toutes mes vies.

Je connais un fantôme

Je connais un fantôme qui soulevait des poids entre quatre murs, qui haïssait sa faiblesse et la transformait en rage.
Des échos de ses vibrations en colère résonnent encore en moi, ils sonnent le glas d'un homme qu'un temps j'ai nommé "moi".
J'entends toujours des pensées qui traversent les temps passés comme des leçons capitales que la vie semble nous adresser.
Je me sens encore partir, de temps à autres, dans deux directions totalement opposées,
Tel celui qui veut mener deux vies sans plus savoir quelle espace habiter.
Il est des impressions que l'on se crée comme des fictions cinématographiques et face auxquelles on reste spectateur attristé.
Des douleurs que l'on sent après coup et que l'on sentira encore longtemps, longtemps après.
Le présent est plein de ces effets de causes anciennes, éteintes dans leur jaillissement spontané mais que le mouvement consume malgré tout, jusqu'au bout.
Je connais des illusions trépassées qui peuplent encore mon âme comme autant de récits tragiques, autant d'écueils funestes à éviter.
Je sais des peines qui ne s'éteignent que lentement telles des braises qui couvent sous les cendres et qu'il faut surveiller.
Je sais ce que cet homme a fait.
J'habite deux mondes: un qui s'est enfui dans les souvenirs glacés de nuits éternelles capables d'éteindre les amours brûlants.
L'autre qui voit chaque matin se couvrir d'une aurore luisante, et sait que la froideur des nuits n'a jamais su résister.

Je connais un homme aujourd'hui qui se lève de son cercueil, neuf et pourtant lourd de tout son passé.
Nous sommes, lui et moi, les témoins attentifs de ta vérité muette capable de donner consistance à une réalité hospitalière.
À travers lui je vois ce qu'un autre destin voulait ignorer: la perfection d'une humaine qui savait tant aimer.
Il me dit la force qui habite en elle, il me dit la foi qu'elle portait en celui qui ne croyait en rien.
J'aimerais construire des rêves pour elle et lui, des rêves qui sont des vies entières qu'elle pourrait éclairer.
J'ai un choix en moi qui s'est incarné dans mon coeur et qui susurre à mon esprit des propos insensées.
La vérité n'est pas un concept, elle n'est nullement une chose mais cette dynamique qui accompagne tes respirations, le doux nuage de tes pensées.
Il y a un homme courageux à l'intérieur de moi, qui partage mes cellules et qui connaît une vérité qui se transporte de ton coeur jusqu'à ses particules.
Il existe en moi le calme d'une paix si profonde qu'elle peut contenir toutes les furies momentanés de mes existences virtuelles.
Mes songes jouent chaque jour des représentations fabuleuses qui te voient franchir l'espace d'un mouvement gracieux.
Porter ta bonté sur les destins brisées, sur toutes ces vies avortées qui demeurent en sommeil, dans l'attente d'un seul de tes baisers.
Il y a des doutes qui se taisent lorsqu'ils sont face à toi.
Il y a des instants qui s'allongent en moments privilégiés et qui s'extraient du temps pour devenir des vies entières.
J'abrite des impressions qui sont le fruit mûr de tes regards capables de gonfler les voiles d'un voilier immobile.
Je cache des sentiments qui racontent ce que c'est que d'avoir un abri en tes yeux, un lieu que l'on découvre tout en l'ayant toujours aimé.

Ce je qui fus si fragile dans son isolement téméraire ne s'est construit que par l'action de ton amour.
Dans le kaléidoscope de mon identité, tu as su faire de mon reflet diffracté une unité bien tangible qui te regarde vivre.
Dans mes souffles se mêle ton haleine et je renferme en mes pores un trésor: les odeurs que tu exhales et que mon corps a capturé.
Ta peau répond à la mienne et l'océan tumultueux de tes longs cheveux ondulés, m'offre d'immenses vagues où je me laisse emporter.
Il existe un asile dans tout mon être pour la douceur de ta peau et tes yeux constellés.
La délinéation de ton corps est un prolongement du mien auquel je me suis adapté.

Il y a un homme en moi qui hurle de joie: "je ne suis plus un, je ne suis plus un!"
Et le fantôme de répondre: "Tu n'as jamais été seul, nous étions mille moi que tu pouvais revêtir!"
Et l'homme lui répond: "Mille moi, mille moi! Peut-on seulement vivre mille vies de front sans rester dans chacune un infime embryon!"

Je connais un fantôme qui se tait parce qu'il ne sait quoi dire
Et un homme qui murmure: "Enfin je t'ai trouvé...".

lundi 6 mai 2013

La corde

On a lancé la corde à ma place, ce n'étaient pas des mains, ce n'était pas humain
C'était un tout indicible qui a saisi ma vie, a jeté sur tes lèvres mon destin

Un masque, plus loin, beaucoup plus loin, à mille éternités de là
S'est terni tout d'un coup, au son puissant du glas

Ce n'était pas grand chose, tout juste quelques ratures sur un vieux manuscrit
Deux histoires parallèles qui se confondent, la dualité qui recouvre l'esprit

J'étais pourtant perdu, enclavé dans l'immense abîme
D'un refus obstiné, d'un monde ayant perdu ses rimes

Je n'ai plus aucun droit, je veux dès aujourd'hui n'exister que pour toi
Que les aurores foulent chaque matin le rêve dont j'étais le roi

Moi j'ai abandonné ma personne, je l'ai laissée pour toi
Je rôde désormais sur les bords de ton coeur, où s'est portée ma foi

Il y avait des vies avant, et toutes avaient pour ciel un désespoir funeste
J'y emmitouflais mon âme, comme on jetterait sur soi une vulgaire veste

Un sillon parmi le vide, la trace de mes pas sur le manteau du temps
Je ne rencontrais plus personne, je vivais sur un monde vierge d'habitants

Capuche sur la tête, sur les chemins célestes, et vacuité au coeur
J'allais droit au néant où chaque sentiment est un affluent de la peur

Et ce vertige sans aplomb, un vertige du milieu, d'un infini sans directions
L'angoisse qu'on ne sème jamais, qui bâtit sa maison sur le terreau de nos fictions

La vérité n'existait plus que comme une lueur lointaine
Dans les battements de coeur d'existences foraines

Je les ai chéri plus que le monde issu de mes mensonges
Jusqu'à ce que mon trou noir à coups d'indétermination les ronge

J'étais un fragment d'humain, une part de coeur, quelques cellules encore
Déclinant, refusant la vie et bien trop impuissant pour accepter la mort

Il n'y avait plus rien dans mon univers
Rien que les murs nus d'un doute solitaire

Navigateur de l'immobile, du non-être, j'ai voulu annuler l'existence
On m'a retourné une fin de non recevoir, les dieux m'ont jugé sans prestance

Mais j'ai jeté la corde à ta place, ce n'était pas le doute, ce n'était pas la crainte
C'était mon second choix, peut-être ma plus belle étreinte

Un masque, tout près de moi, collé à mon visage
S'est brisé en silence dans un heureux présage

C'était la liberté, ma vie retrouvée, le bonheur qui se grave dans l'ivoire des os
Je savais qui j'étais, je t'avais là tout près, pour me faire exister bien au-delà des mots