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samedi 29 mars 2025

Titanomachie

Oh cet œil ouvert sur les choses, se peut-il qu'il cesse un jour d'approfondir ce regard térébrant? Voir le monde tel qu'il est: et s'étourdir d'hyperalgie. Absorber le flux d'information nocif compulsivement, et vivre ce destin scototrope qui fait de tout votre être l'ensemble de toute ombre. Mais pour que tout cela s'arrête il faudrait bien savoir, un peu du moins, se délester d'anankastie, accepter de ne pas comprendre, de ne pas savoir; se laisser, en somme, saisir par l'ignorance, en être l'apôtre et le pantin. Mais on préfère demeurer gyrovague, et se gaver de monde, tisser l'inextricable réseau de représentations épistémiques, étendre sa conscience à ce qui même est inconçu. Mais pourquoi diable habiter cet espace en herméneute acharné, soumettre chaque chose à une allégorèse? Ce n'est pas à la Terre que nous finirons par mettre feu ainsi, comme Phaéton, mais c'est au noyau vain de l'âme -- cette âme asidérale d'avoir avalé toute l'ombre et toute la lumière tant et plus.

Stylites nous vivons sur la colonne escarpée de la conscience et nous n'avons dès lors plus de repos; même la nourriture n'est plus qu'information, concept, connaissance: un réseau lacunaire d'atomes intangibles.

La lave qui coule dans nos gorges n'a plus rien de matérielle, elle est la couleur du monde pestilentiel qui se déverse dans le caniveau des œsophages: propagande, corruption, profit, pédocriminalité et leur allégorie humaine sur le papier glacé d'affiches publicitaires, sur l'étendue hyaline de nos écrans connectés. Nous sommes le peuple enchaîné qui vénère ses Belial et ses Mamons - ce nom si proche du mot maman...

De savoir tout cela ne sert à rien. Ce n'est plus de connaissance dont le monde a besoin, mais d'action, de l'homme qui franchit l'Achéron et chacun des cercles de l'enfer pour s'enfoncer au cœur de l'odieuse Géhenne. Ce qu'il nous faut: c'est le courage de parler à la mort en l'appelant par son nom, de plonger dans ses yeux un regard scyalitique, capable de porter au point de fusion le mal en nos idoles hideuses.

Écrire ce n'est pas descendre de la colonne, c'est encore dépendre des autres, c'est encore accepter dans le calme lénifiant de sa minable citadelle. Attraper le glaive de la justice et sauter lourdement sur les pavés du sol, ensemble, armée d'humains aux yeux bandés qui font trembler le nouveau monde pour qu'il s'effrite en un tas de passé. Voilà ce qu'il faut faire, stylites du monde entier, anachorètes en guenilles, gyrovagues éparpillés, ermites hallucinés. Que la justice lie les hommes en un nouvel état des choses, qu'advienne enfin ce nouvel âge du monde. N'ayez crainte car chacun de nous qui périra dans cette titanomachie revient d'emblée à Esculape: le sang lilial de ces martyrs sera la grande Aurore du renouveau.

Frères stellaires dont le réseau de lumière fait vibrer l'univers...

 

Marchons!

mercredi 9 octobre 2024

Comme il ne faut pas écrire

L'écriture contemporaine est uniment médiocre: elle est le juste milieu entre tous les styles (familier, soutenu, etc.), c'est-à-dire qu'elle est précisément absence de style. On y donne les informations de manière immédiate, sans la médiation d'un monde, d'une temporalité qui s'impose à vous comme une loi physique. Il faut tout dire, et vite. On distingue les rouages de l'intrigue car on voit à travers cette écriture qui n'a plus d'épaisseur et de substance. Lire une ligne de cette littérature c'est connaître l'ensemble des œuvres à la mode. La narration s'étale, monotone, sur la surface plane du récit qui ne constuit aucun sommet difficile, aucun abîme insondable. Le roman d'aujourd'hui est une surface pure, une apparence qui ne fait signe vers rien, vers aucune transcendance véritable car la signification se donne tout entière, à chaque instant, sans besoin de dévoilement.

Probablement, un jour, quand les choses ici-bas iront mieux, une autre époque se penchera sur la nôtre et se dira: c'est comme cela qu'il ne faut pas écrire.

On n'écrit pas un roman comme on ferait visiter son âme à un psychiatre, par de maladroites et infantiles allégories.

samedi 30 septembre 2023

Nouvel Ordre

 Un nouvel ordre s'est installé sur les terres contemporaines, sédimenté dans le lit des pensées, ensemencé  en l'humus de l'âme humaine. Ce nouvel ordre est celui de l'efficacité, du chiffre, de la honte prométhéenne, de l'adaptation, de l'individualisme forcené, d'une anomie qui brise les chaînes des nations, communautarise à outrance et fait des univers clos sur eux-mêmes s'entrechoquer dans un espace public exigu et délabré. Les remous médiatiques alimentent cette érosion presque achevée du lien social, rien ne lie les individus les uns aux autres, une démocratie tocquevillienne s'est parachevée dans l'anéantissement de toute cohésion: même au sein de la famille, parents et enfants demeurent séparés par une infinie distance, lovés dans deux univers inexorablement forains, parce que le temps qui les sépare suffit à défaire presque entièrement les mondes.

Je suis la maladie de ce siècle, son symptôme purulent: sur le sillon de mon destin sanieux je fais pousser de singulières canopées littéraires, pour que d'autres que moi s'abritent à l'ombre d'une poésie.

Le Nouvel Ordre produit une nouvelle âme, agonisante et lacérée, scrofuleuse, hurlante, purulente plaie de la liberté bafouée, de philosophie ravalée qui suffoque à l'intérieur des édifices urbains, des banques et magasins, des panneaux publicitaires, du souci pragmatique et omniprésent de survivre toujours plus. C'est cette âme qui s'adresse à vous, individualiste puisque fruit de nos contemporaines "démocraties" -- individualiste à en mourir et qui cherche partout un pont pour joindre autrui --, déréalisée puisque sans issue pour naître en nature, et sans nature d'ailleurs.

Un monde où l'intelligence est bergsonienne, interaction matérielle exclusive, science positiviste et sans conscience puisque ignorante de ses soubassements philosophiques. Dieu que les professeurs sont bêtes aujourd'hui, tous remplaçables par de purs algorithmes, passeurs de compétences à de petits êtres qui ne voient pas d'autre cime que l'efficacité: cruelle efficacité que des machines déjà présentes surpassent sans effort.

Voici le Nouvel Ordre contre lequel je me bats, celui où je meurs, lutte et aime encore; celui où je pense envers et contre tous, persuadé qu'existe encore ce fondement commun d'où nous nous sommes élancés en directions contraires.

Nouvel Ordre: serai-je ce chaos d'où naissent les étoiles qui dansent?

vendredi 10 juin 2022

Ode prométhéenne

 Je pense à ceux des forges noires, aux infirmiers du monde, à ceux aussi qui, du fond du Capital, abolissent les normes et rompent les amarres avec une nature à quai -- origine abolie. Qu'en ira-t-il de tout ce va-et-vient, ces autobus à mécanismes complexes, tubulures métalliques, explosion -- pyrotechnie du présent...

L'air vibre de toutes parts, stridences et décandences, grondement sourd des roues sur le rail, crépitement des pioches sur les os de la Terre, bruit de fond de la machine humaine en marche et sans repos.

Telle une maladie, je rêve, en un récit viral, d'éteindre le fracas, de détourner la sève de ce Pandémonium ahuri, de préparer un monde où ces futiles fins sont abandonnées sur la route, comme ces sucreries d'enfant qui ternissent l'émail.

Ma décroissance a des saveurs d'enfance, de terre sous les ongles qui grattent et s'émerveillent de la seule présence de dame Nature. Odeurs d'humus, de mycorhizes, bruissement de l'être-là des choses, arc-en-ciel chlorophyllien, treillis céleste qui se peint tout au travers des hautes frondaisons.

De tout cela mon temps s'est fait un palimpseste... Et tout empeste, relent d'égoûts et bouche d'aération qui tousse un air tout alourdi d'angoisse souterraine. Des cadrans lumineux affichent les horaires d'une agonie légale, viol effrené des consciences, haine qui s'avale au matin, par litres entiers, ô sucre du café matutinal...

Métronome en avance qui toujours rapproche l'instant du prochain geste -- celui-là qu'on achète au SMIC mensuel. Des fragments de destins vendus qui forment, rectilignes, les rails de l'humain dressé. Et gratte et creuse et frotte des moquettes en des couloirs de termitière.

Je pense au mécanisme dément de cette horlogerie quotidienne, soufflerie de magasins vomis sur les passants, arômes de pains-au-chocolat, ventilateurs retors qui rendent à l'entropie la course des données -- en de micro-circuits.

Autour de tout cela, en silence, le Chaos guette qui récolte en ses filets les miettes toujours plus nombreuses de ce laborieux requiem. La Terre, chaude, brûlante, fiévreuse, rend à l'éther étal ses vains degrés de trop. Ah douce entropie...

Tu fais de l'ignorance ton régal et couve de tes yeux éteints le coup de vent de nains qui circulent, infatigables électrons, dans les artères des villes, défilent en ordre -- minuscules --, courent ici et là de manière standardisée pour mourir sous des croix industrialisées.

Que de destructions alors... toi qui pourtant pourvoie déjà à cette tâche, bien en-deçà de toute casuistique... toi qui, parfaitement et sans conscience, applique cette loi de la thermodynamique. Vertueuse érosion de ce qui se tient là, pour que la cime enfin rejoigne la poussière, devienne le terreau fertile d'infinis lendemains...

Vois ces petits assistants faucheurs qui partout scandent un rythme décalé, ne veulent plus attendre leur fin et précipitent celle de tous. Raclement de rouille, grincement de zinc, intestincts entortillés du ventre de la ville parcourue par les rats qui agissent, en miroir inversé, comme leurs homologues des surfaces.

Froissement crépitant des emballages plastiques, aussitôt fait aussitôt chiffonés. Grondement des flammes au fond de ces décharges qui tentent d'avaler le monde excrémentiel d'humains gloutons déments.

Stridences des alarmes qui déchirent le brouhaha des villes surpeuplées, cris, pétarades des pots d'échappement, portes qui se referment et s'ouvrent sur le vide, souffle entrecoupé des pales d'un retors, immeubles propulsés à travers les silen-cieux.

Orage permanent sur la planète: vagabonde bleue, derviche banlieusarde, extrémité galactique en valse gravitationnelle.

Là-bas, au centre des révolutions, le bruit est si assourdissant qu'il fait du monde humain ce tintinnabulement attendrissant des carillons d'enfants. La foudre nucléaire rase tout sur son passage, houle magnétique, raz de marée qui projettent au sein du sombre espace des langues de feu voraces illuminant le vide. L'effondrement permanent chante un cri de flamme à rendre sourde n'importe quelle indiscrétion.

C'est le soleil lui-même que nous ramenons sur la Terre, enclos dans les centrales, disséminé par les gaines de cuivre: cheveux électriques des civilisations. Et le bourdonnement de l'énergie fait se dresser sur l'épiderme les poils glavanisés. Le bétail se meurt des maladies du temps.

Le cœur bat la chamade, le silence est un ronron citadin, le vrai silence est un concept livresque, personne n'en connaît la texture. Mais le Grand Silence lui, mes frères, est à venir. Il n'est pas un éclat de nos paroles creuses qui ne l'appelle à s'éveiller.

Dans le cliquetis des roues crantées, dans le récit prométhéen des usines se joue cette fabrication d'un monde substitué au Monde. Homo Faber, pourfendeur de cycles biologiques, chercheur d'éternité, adorateur de la mort minéral.

Des mondes sur d'autres mondes: auparavant cathodiques arrivent désormais par diodes électroluminescentes organiques, c'est toujours au fond la même paroi de la même caverne antique... Il faut se voir soi-même, en toutes choses, que tout soit un reflet de nos idiots profils.

Épais volutes de fumée nocive, ogives nucléaires, poudres alchimiques -- semence de beauté. En tout objet du monde, la marque du sujet: du sombre métal usiné des berlines aux couleurs éclatantes d'organismes génétiquement modifiés, tout partout nous, nous... toujours nous. Indigestement nous.

mardi 15 mars 2022

Cube de vie

 Il nous faut poursuivre, malgré le souffle qui manque et les halètements qui vident la poitrine de cet élan vital si nécessaire à continuer. Il faut, malgré cette noirceur du ciel qui nous menace, s'avancer patiemment sous cette frondaison houleuse, à travers laquelle nulle acuité ne perce un horizon possible. Dans le moutonnement de l'instant, s'étire, pleine et entière, la forme complète de nos vies modernes.

C'est que tout le passé, et l'avenir aussi, tient entre les quatre murs de ces studios en série qui font les geôles de toute existence. Tout converge et se resserre et celui qui s'avance par-dessus le muret des jours, passant une tête curieuse, emplie d'espoir pour l'avenir, ne peut que peindre aux couleurs du passé, en trompe-l'œil, le mur embétonné de l'ère du temps -- imperméable frontière.

Mais enfin Adeline; il faut vite vivre, quand même le souffle nous manque.