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vendredi 26 mars 2021

Aphorismes de l'impérialisme

Le moteur de l'Histoire est la volonté de domination.


Le premier noyau de l'histoire sociale est la famille: elle constitue l'atome du champ de la domination. De tels groupes se retrouvent chez nombre d'animaux et forment la trame d'un système de rapports de force relativement équilibré. Une famille, un groupe, domine rarement (jamais?) d'énormes masses d'individus. Or chez les hommes, à partir des premières cités-États, c'est la volonté de réduire sous son joug un territoire (physique et psychologique) toujours plus grand qui prédomine et précipite le mouvement historique. L'Histoire humaine commence avec l'Hubris.


L'impérialisme est l'idéal transcendant de la volonté de domination.


Un empire, à mesure qu'il tend vers son achèvement, tend toujours plus vers sa dislocation. Car il est à l'image de la psyché de ceux qui en sont à l'origine: terrorisé par l'altérité. Lorsque le monde est à votre image, il devient impossible d'occulter les dissensions internes. C'est la folie et la décadence qui guette tout empire.


Le matériau primitif des empires est l'angoisse. La peur est le moteur des conquêtes. Ce n'est qu'une fois celle-ci apaisée que l'angoisse devient apparente. C'est elle qui ronge alors le solipsisme culturel ainsi réalisé.

dimanche 6 mai 2018

Ce que la mer reprend



Au-dehors les montagnes, les falaises aussi hautes que les âmes, et tout ce peuple aérien qui s'ébat dans le vent, mes trois princes persans tout criblés de crevasses.

Et les cimes se désagrègent, s'effondrent dans la mer, et nos voeux oniriques, doux si doux tantôt, s'abandonnent à l'amer.

Il n'y a plus rien à désirer, et tous les songes sont des mouroirs, où passent les secondes qu'une révolte féconde aurait pu faire valoir. Mais dans la lucarne d'un rêve, ou celle d'un écran, s'écoule en vase-clos la sève, et s'évade le temps.

Nous en soupons des désirs manufacturés, qui pèsent plus lourd qu'un million de pavés. Je parle de ceux que nous ne prendrons plus dans nos mains, mais que nous avalons tous les matins, et qui nous appesantissent à l'illusoire nécessité de ce triste destin.

Là-bas, sur la grand mer où tout s'unit, je vois les grands navires de mes vaisseaux amis - mais les ennemis sont des amis qui se trompent d'ennemis - se perdre jusqu'à l'horizon et recouvrir les flots de leurs bannières unies. Qu'avons-nous fait... Tous attendant le retour du roi, badauds à quai qui cherchent leurs idées.

Les idées ça se broute, et on en a brouté, juste à coté de là où paissent les vaches, nous existons aussi dans une sorte d'élevage. Les princes sont partis, nous sommes à la merci.

Il n'y a pas le choix peuple de la mer, tu as toujours été de terre, tes voiles te font face et flottent au gré des vagues mais tu es sans bateau. Tu savais choisir autrefois, mais aujourd'hui tu élis d'autres rois, qui taillent ton royaume à la mesure d'une cellule. Entre les barreaux de la loi tu passes ta tête résignée, et rêve du dehors. Celui-là même que tu peins sur les murs qui t'entourent, et les images animent la surface d'écrans qui sont autant d'autres cellules où tu t'encastres plus avant.

Les montagnes sacrées se dissolvent et retournent à la mer. Tout est sortie de son sein, par un verbe et une volonté n'étant nullement divins. Il suffit d'un seul choix pour que la forme advint, mais aujourd'hui la mer va tout reprendre enfin, et sur un palimpseste d'ondes tout recommencera. Elle attendra pour ça que tes arrière-arrière-arrière petits enfants se souviennent alors, de l'impondérable trésor qu'un jour tu oublias...

Pendant ce temps s'ourdit l'humain nouveau: horde de golems démoulés des labos, arpentant les sentiers meurtris de la Terre comme une armée de mouches autour de la blessure. Et toute la cohorte glacée de ces produits de l'ombre chanteront la gloire d'un Dieu polymorphe et dénué d'odeur. Infertiles êtres n'enfantant que la mort, cette mort qui nous fait si peur, mais qui n'est que pourtant, la possibilité des vies.... Et d'autres vies viendront.

Mais tandis que je cherche mes mots, comme on sonnerait des consciences, certains quêtent le prochain milliard, avec une seule et grosse main dans six milliards de poches. Dans mon sous-terrain personnel, au chaud de mon métro, j'observe vos regards qui se détournent sur l'innocent voisin. Le voleur est toujours celui qu'on a sous les yeux, c'est toujours le voisin - sinon qui donc bien accuser? Et nous poissons malins, nageons dans les eaux troubles, où pissent les pêcheurs sans fin qui percent nos chairs affamées de meilleurs lendemains.

Dans la débâcle qui fait tout pour s'ignorer, j'en vois qui plantent dans la mer, de futurs continents, pour de précaires progénitures. Mais n'est-ce pas trop tard? Lorsque la banquise s'épuise de tenir haute et droite, et veut se reposer dans un dernier cocktail, pour tout recommencer. Dans un milliard d'années. Et cette absinthe indigeste sera siphonnée de loin, par d'impudiques observateurs qui boiront de leur télescopes martiens les derniers soubresauts d'un berceau qui s'éteint.

Il y a ce que la mer donne, et puis ce que la mer reprend.

dimanche 11 mars 2018

Qui essuiera le tableau?

Goutte de pluie sur son canapé, regardant le grand monde en la lucarne s'agiter, jugeant, jugeant la horde des nuages, ceux qui vous font chuter, oublieux de la source qui les a fait monter.

Goutte de pluie chromatique, protéiforme, mais aimant la sphère, parce qu'au dedans, tout s'y réfléchit vers le centre, et qu'au centre, la vision panoptique ne fait de vous qu'un monde, ce monde, et rien d'autre que ça.

Goutte écoutait s'égouttant sur le canapé, le mépris de classe, l'engeance des nuages qui traitait ses semblables comme un amas vulgaire, malléable, corvéable, du combustible que l'on fait descendre à la mine, patauger dans la boue infâme, puis qu'on fera remonter, lorsqu'on aura besoin. Monter et descendre. Goutte en connaissait tant qui rêvaient des hauteurs, se voyaient déjà installées plus haut que cimes, de façon permanente, dans le velours ouaté des nuages. La puissance des éclairs pour pouvoir acquis, le déluge comme sentence absolue et l'ombre comme punition.

Goutte n'y avait jamais cru. Lorsqu'on est une goutte, on est fait pour la vie de surface, bien abaissée jusqu'au sol, ou bien noyée dans la multitude indistincte du communisme océanique. C'était la plus grande peur de goutte de pluie, finir un jour incognito, dans le tumulte des eaux, parquée avec des milliards de semblables dans la promiscuité la plus totale, avalée dans la médiocrité, sans destin singulier, sans trait idiosyncrasique.

La vie d'une goutte c'est de courir vers la carotte que tendent les cieux pour monter au plus vite, et chuter lourdement sur le sol pour alimenter de sa vie le confort de tous ceux qui, bien installés dans les cieux, pissent et vomissent sur nos têtes, jour après jour, le mépris pour les gouttes de pluie.

Qu'ont-ils de plus qu'elles? Rien... Ils sont nés là-haut, voilà tout, rien ne pourrait les décrocher, pas même les mains des enfants qui se tendent vers eux pour les écorcher. Tout le monde les regarde. Ils sont si convaincus de cela qu'ils paradent trop fiers, tiennent des conciliabules télévisés à travers lesquels ils jettent pour les mécréants quelques miettes de sagesse, deux trois bons mots et leur connivence infecte qui donne l'impression aux déchus d'être une part de leur monde...

Touchés par la crasse, voilà ce qu'ils sont. Ignorance intellectuelle de ceux qui n'ont jamais eu l'humilité de devenir quelqu'un d'autre, l'ignorance du coeur de ceux qui ont pris l'habitude d'imposer leurs valeurs, de faire de leur sensibilité la loi universelle de tous les mal nés.

Goutte de pluie dans sa fosse les connait, elle les connait si bien parce qu'elle a emprunté leurs pensées, leurs goûts, leur valeurs. Goutte de pluie sait tout cela, elle l'a senti, elle les comprend et pour cela les méprise bien plus. En fait, ce qu'elle méprise ce n'est pas eux, mais plutôt le le système aristocratique implacable qu'ils travaillent à incruster dans la nécessité au même titre que des lois physiques. Et tout cela marche si bien, que pour ses semblables, il en a toujours été ainsi et il ne pourrait en être autrement.

Goutte de pluie, dans un rayon de soleil, réfracte la lumière et peint tout autour d'elle de petits arc-en-ciel, tandis qu'en haut les majestueux nuages pataugent dans l'excès d'eux-mêmes, en nuance de gris et blanc, filent la même histoire, déversent les mêmes inepties et se montrent au final si insignifiants que ce sont les yeux des idiots d'ici-bas qui leur prêtent couleurs et formes, et brodent des histoires avec ce qu'ils ont dans leur coeur roturier.

Les cieux ne diraient rien si nous ne les faisions parler, pensait goutte de pluie, voyant poindre la nuit qui panse l'azur de ses plaies cotonneuses et fait briller dans son abîme les yeux sublimes des astres lointains.

Goutte de pluie sur son canapé s'égoutte sans bruit et lance vers les cieux, en écho à la nuit, le geste décidé d'un tableau qu'on essuie.