dimanche 31 mars 2013

Contre une ontologie verticale

Plus je lis de philosophie et plus je suis contraint de placer cette "science" sur le même plan que les religions. L'ossature même de la philosophie est constituée de penseurs dogmatiques qui sont tous partis de principes a priori, en tentant de les noyer sous le raisonnement pour ceux qui en étaient conscients, ou en devenant dupes d'eux-mêmes pour les autres. Mêmes les grands philosophes sont tombés dans ce piège, bien qu'il y ait des exceptions. Ainsi le projet de la métaphysique, telle qu'elle a été entreprise au cours de l'histoire de la philosophie, a été d'atteindre "le réel le plus réel", les principes même de tout ce qui est. Non content de cela,  les philosophes se sont persuadés que certains principes étaient primordiaux, absolus, et ont construit une ontologie verticale, partant du pur et de l'absolu, en descendant vers le secondaire et le non originaire. C'est ainsi que les épicuriens basent leur physique sur le principe de l'atome et du vide, faisant du temps un simple effet du mouvement des corps. Pour parler en terme plus modernes, on peut dire qu'ils fondent leur ontologie sur la matière comme premier principe fondamental (incluant le vide), puis le temps vient en second, relégué au rang "d'accident d'accidents". Bergson prendra le contre-pieds de cette ontologie en réduisant la réalité à la durée, faisant de la matière un certain rythme de durée. D'autres, érigent l'être en principe primordial et originaire. Mais parmi la relative diversité (relative car elle n'est pas si importante) de ces ontologies, ce qui frappe l'attention c'est l'aspect hiérarchique de l'organisation du réel par les philosophes. Il font toujours remonter leur métaphysique à un principe ontologique primordial, transcendantal, se plaçant au sommet de la pyramide de l'être.

Force nous est de constater qu'il est possible de réduire le réel à ces deux abstractions que sont la matière et le temps. Ils semblent être les principes par lesquels nous saisissons rationnellement ce qui est. L'être lui même étant le principe de ces principes. Cependant, il semblerait étonnant de faire de l'être un principe supérieur ou antécédent à la matière et au temps puisqu'il en est constitué. En effet, comment l'être existerait-il si, ni le temps ni la matière n'existait? Que pourrait-il alors bien être? On peut aussi s'interroger, sur la possibilité d'existence d'un temps pris séparément de la matière. Si l'on place la durée comme réalité ontologique première, il nous faut dès lors imaginer une durée sans matière, est-ce seulement possible? L'inverse est aussi vrai, peut-on raisonnablement envisager de la matière sans une durée? Le fait même de penser une matière et de se la représenter implique que la pensée et la représentation s'inscrivent dans une durée. Ainsi, il semble pertinent d'opposer à toutes ces ontologies verticales une ontologie horizontale, comme a pu le faire Spinoza avec la substance et les attributs de la Pensée et de l’Étendue  Il apparaîtra alors que l'être se constitue à partir de la matière et du temps dans un système synchronique dont nous ne tenterons pas de faire la genèse. Cette synchronicité est importante puisque c'est elle qui supprime toute préséance d'un principe sur l'autre, il n'y aura plus alors de pertinence à penser un "premier principe". L'être naît de l'interaction entre la matière et le temps qui s'appuient l'un sur l'autre pour être. Chaque principe étant ainsi posé sur le même plan, on peut les voir comme des valeurs saussuriennes, se définissant par un rapport de chaque élément avec l'ensemble des éléments. Ainsi la totalité de l'être n'est définie qu'avec tous ses constituants dans un rapport d'immanence et de réciprocité.

Une telle ontologie aura pour mérite de s'affranchir des velléités absolutistes qui visent à trouver la Vérité du monde, le premier principe de toute chose, en instillant toujours la valeur dans ce qui n'apparaît au final que comme des qualités différentes dont nulle monnaie autre que notre propre jugement arbitraire ne peut exister. Il me semble ainsi possible de partir sur des bases plus saines qui ne consistent plus en une compétition entre philosophes pour savoir qui aura trouvé la réalité la plus transcendantale que les autres, mais de fonder une philosophie qui se veut un dialogue entre les pensées, une exploration de l'être dont les philosophes sont les cartographes qui arpentent une réalité infinie. Nul point sur cette réalité ne brille avec plus d'éclat qu'un autre et chaque lieu visité est une victoire de plus de l'homme sur lui-même, un dépassement de soi rendu accessible à tous.

Contre les religions

La religion ne devrait jamais se parer de la raison pour s'inventer une justification aux yeux des sceptiques. On peut facilement concevoir l'utilité d'une religion et de croyances solides sur lesquelles les pas mal assurés de l'homme peuvent se reposer, cependant vouloir mêler l'irrationnel au rationnel de manière voilée me semble une malhonnêteté intellectuelle impardonnable. Le meilleur service que l'on puisse rendre à l'homme qui regarde le monde à travers la lentille de ses croyances et qui en vient à les oublier, à les confondre avec la réalité même, c'est de l'amener fermement mais sans brusquerie à poser les mains sur son visage, afin de se rappeler que nos représentations passent malgré nous par le filtre de nos principes irrationnels, posés devant notre âme même.

Certes la réalité ne semble pas relever de la logique, l'existence, l'être, ne se laissent pas capturer par les mots, seuls quelques éclats fugaces restent retenus dans les mailles de notre langage. Cependant, nous avons les mots et la rationalité discursive afin de pouvoir explorer ensemble le territoire insondable de la réalité. Il nous faut poser des principes ou axiomes qui restent sans démonstration, les montrer comme tels, s'accorder sur eux, définir les concepts, et nous voilà engagés dans une discussion, voyant ensemble ce qu'est le monde vu de cette paire d'yeux. La logique de notre discours nous permet de déterminer ce qui est juste ou non dans nos propos respectifs, c'est pourquoi l'interlocuteur est indispensable et chacune de ses interventions constitue un barreau de l'échelle que nous montons ensemble. Les règles de la rationalité discursive définissent les règles communes d'un dialogue afin que, s'il nous arrive de trébucher sur le tapis de la pensée, l'autre soit là pour nous relever.

Il devrait donc être interdit à un Thomas d'Aquin d'utiliser la raison pour justifier l'existence d'un Bien et d'un Mal en soi, en voulant déguiser ces principes irrationnels sous les habits de la raison. Combien d'erreurs logiques dans son discours que d'aucuns s'efforceront de soutenir avec pour argument ultime, l'ineffable, l'irrationnel, avouant par là qu'ils nous abreuvent de leurs croyances en les enrobant d'une indigeste couche de ratiocination. Le Bien aurait engendré le Mal et les anges si parfaits, pourvus d'une connaissance des principes, sont libres de choisir entre le Bien ou le Mal à leur gré. On interrogerait alors comment, si le Bien est préférable au Mal, pourraient-ils ne pas le choisir du haut de cette connaissance des principes si parfaite? Ou encore, si Bien et Mal sont deux qualités différentes, sur quelle base se fonde leur valeur, quel troisième terme introduit-on pour déterminer quantitativement ce qui relève de l'ordre du qualitatif?

Le Bien et le Mal sont des notions qui n'ont de validité que dans un monde fini spatialement et temporellement. Pour juger d'une action, il faut ainsi juger du point de vue du monde comme totalité et seulement à la fin des temps. Dans le cas contraire, il n'existe que du relatif, à un contexte, à un moment, enfin à une subjectivité. En effet, qui peut dire et juger pour l'autre ce que l'effet de ses actes peut produire sur lui? Qui, en outre, peut prétendre comprendre et connaître tous les effets d'une action, ses répercussions sur la totalité de l'univers (à supposer un univers fini)? Pour une même personne, ce qui est bon dans un contexte donné peut ne pas l'être dans un autre. Chaque contexte constitue un système de données qui interagissent et qui, mises ensemble, donnent un sens à chaque élément du système. Ainsi, changer le moindre élément peut revenir à modifier radicalement le sens d'une action. C'est pourquoi l'amour peut être une force destructrice pour celui qui aime autant que pour l'être aimé. La haine peut donner à un homme l'énergie de défendre sa famille contre d'odieux crimes. La bonté, peut être ressentie comme une humiliation pour celui qui en fait l'objet. Un compliment peut faire basculer la vie d'un homme, le rendre hautain, instiller en lui l'esprit de compétition. Il est possible de multiplier les exemples à l'infini. Le Bien et le Mal apparaissent  ainsi comme de grossières abstractions géométriques d'un réel à la richesse par trop insondable. Quelle présomption que de penser savoir ce qui est bien ou mal à l'égard d'une autre personne, à l'égard du monde. Combien de vanité faut-il à un homme pour se persuader que ce qu'il érige en absolu devrait s'appliquer à chacun, combien d'aveuglement? Les totalitarismes sont nés de telles illusions, de la négation de la richesse d'un monde que l'on voudrait juger au prisme d'une individualité généralisée, étendue à tous. Heureusement, les religions de nos jours n'ont plus la soif des conquêtes qui bouillonne en eux et les pousse à imposer aux autres les murs de leur monde. Mais combien exclusive est la pensée religieuse, qui se persuade que celui qui n'est pas croyant, est dans l'erreur, sera puni dans l'au-delà? Cette même pensée qui parle de communion et d'amour du prochain mais qui pourtant ne se décide à tendre la main qu'à condition que l'autre accepte de se convertir. Quelle vanité peut aveugler autant les hommes qu'ils se persuadent de détenir la vérité, qu'il y a un absolu correspondant à leur définition et que le reste n'est qu'illusion?

Un autre exemple révélateur est le cas de la prière, pratiquée par les religieux afin d'être guidés, afin que Dieu leur donne la force d'agir conformément à ce qui est Bon, c'est qu'ils ne perçoivent pas la contradiction qui existe entre leur interprétation de la prière et le sens immédiat de cet acte. Ils prétendent être libres mais n'avoir pas toujours la force d'agir conformément au Bien, ainsi la prière est le moyen qu'ils ont afin que Dieu intercède en leur faveur. Mais de ce rituel on peut tirer deux interprétations immédiates et évidentes: soit l'homme n'a effectivement pas la capacité d'agir conformément au Bien par lui-même, et il est contraint dans ce cas d'aller puiser la force nécessaire au sein de Dieu, et alors il n'était pas libre dès le départ, ou d'une étrange liberté analogue à celle du nouveau né "libre" de se nourrir tout seul. Ou bien il possède déjà la force en lui et la prière n'est qu'un rituel lui permettant de trouver en lui ce qu'il ne savait trouver sans cet intermédiaire. Mais alors il est assez évident que la prière est un rituel interchangeable, auquel on peut substituer tout autre rituel pourvu qu'on croit suffisamment en lui. On pourrait tout aussi bien avoir une pensée pour la planète Terre ou encore prendre sept grandes inspirations et parvenir par ce rituel à mobiliser la force qui est déjà en nous. La plupart vous répondront qu'ils sont libres et que Dieu n'est pas hors d'eux mais en eux: "tu étais plus intime que l'intime de moi-même", faisant pencher la balance pour l'interprétation de la prière comme rituel d'accès à soi. Cette phrase, dans toute sa contradiction montre encore comment on tente de justifier l'irrationnel par la raison, c'est à dire ce qui devrait être reconnu comme une croyance indémontrable par un discours se voulant rationnel. Probablement les religieux auraient tout à gagner s'ils se rendaient compte que c'est eux qui agissent au final, et que le rituel de la prière est une manière pour eux de balayer cette représentation d'eux-même comme être faible et incapable d'agir en vue du Bien. Par la prière, ils se croient plus forts et alors le deviennent effectivement. Combien libérés ils seraient s'ils pouvaient concevoir qu'ils sont eux-mêmes leur propre Dieu, et que ce dernier n'est qu'un prétexte remplaçable afin qu'ils s'envisagent tels qu'ils sont: infiniment puissants. À ce communautarisme qui divise l'humain en désirant le réunir par la prétention à juger du réel, à s'arroger le droit de définir l'être selon un concept ultime, primordial, etc.; à tout ce vocabulaire de la domination, il faudrait opposer la lucidité et l'humilité nécessaire à ce que l'homme cesse de s'attribuer une quelconque connaissance sur le réel; le droit à tous de s'émerveiller ou non sur le fait que le monde existe et qu'ils sont

Mais l'homme a peur de se retrouver seul au monde, face à ses responsabilités, face au néant que l'infini rejoint dans un mariage des contraires. L'homme a besoin de faire allégeance, de faire confiance, qu'on le guide dans ses actions, dans ses pensées même. Je ne nie pas que la conscience de la solitude face au "silence déraisonnable" du monde n'est pas un poids lourd à porter. Et Pascal de dire: "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie". Cependant l'homme a trouvé la force en extériorisant une part de lui-même, or c'est précisément en la réintégrant qu'il peut envisager sereinement l'existence dans sa liberté nouvelle (si tant est que l'homme puisse être dit libre). Ainsi dépouillé de toute autorité absolue, aliénante et qui plus est exclusive, l'homme peut alors s'appuyer sur ses semblables pour explorer le réel sans angoisse. Plus de communautés, plus de prétentions à la vérité, à des valeurs que l'on pose comme des universels afin de juger par leur prisme le reste des humains. Rien que des hommes qui cartographient le réel, l'être, et marchent d'un pas ferme parce qu'ils sont ensemble, au monde. Je crois, et il s'agit bien d'une croyance personnelle, que l'homme conscient d'être au sein d'une réalité dont il ne perçoit qu'une perspective sur ce qui s'avère être infini, peut alors se dépouiller de tout ego et voir en son prochain un allié, un refuge familier dont l'amour est à même d'ébranler les doutes les plus féroces. Il est temps de tomber les masques, d'abandonner les vieux mensonges qui ont pu servir un temps à élever une humanité encore jeune, mais qui doit désormais apprendre à marcher sans tuteur, ne se reposant que sur la force de sa fraternité. Voilà ma croyance.

vendredi 29 mars 2013

Aphorismes

Si vous deviez avoir une croyance, croyez en vos semblables. C'est une croyance non dogmatique, vous misez sur l'indéfini, sur le mouvement imprévisible de la vie, la pulsation de l'être.

On ne peut pas toujours exiger des autres ce que l'on exige de soi. Vouloir redresser les torts c'est frapper un homme à terre: on souffre sur le moment, aveuglé par la colère, puis on souffre ensuite de voir l'autre tel qu'on aurait du le voir dès le départ: comme un être vulnérable.

Les compliments sont propres à chaque personne à qui on les profère et à chaque contexte; il n'y a pas de comparaisons possibles entre deux compliments, ni même entre la valeur du même compliment dit à deux moments différents ou à deux personnes différentes. On ne devrait jamais donner de notes aux gens et les compter comme des unités dont la qualité est quantitativement exprimable et comparable. Nous devrions plutôt voir chaque personne comme une couleur particulière.

Nous devrions réfléchir à deux fois avant de prétendre être quelque chose, avant de s'attribuer de quelconques qualités ou défauts. C'est ainsi que l'on taille soi-même le costume qui nous définira aux yeux de tous, quittez-le un seul instant et les gens vous chercheront partout, lors même qu'ils vous ont sous les yeux.

De la philosophie

Nous sommes tous; rendus à l'être; tantôt émerveillés, tantôt angoissés face au simple constat continu de notre existence comme de celui de toutes choses. "L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde". Pour ne pas se sentir seul, nous avons le langage, mieux, pour que tout le monde puisse se donner la main dans cette expérience de l'être, l'homme a inventé la philosophie. Nous posons quelques principes, puis à l'aide de la raison (et, par conséquent, de la logique), nous bâtissons une compréhension du monde, comme s'il s'agissait de cartographier sans relâche l'existence. À chaque principe une carte différente: certaines cartes donnent le relief d'un territoire, d'autres son climat, etc. Mais pour que tous puissent comprendre ce qui est dit, une légende est créée, tous peuvent s'y référer, vérifier le sens de chaque signe, emprunter le même chemin et observer les paysages de là où se tiennent leurs semblables. Ainsi, avec toutes ces règles bien en tête, il nous est possible de dire ce qui est juste ou faux, toujours selon des principes invérifiés (et jusqu'alors invériafiables), nous pouvons suivre le raisonnement discursif comme s'il s'agissait d'un calcul sur des variables dont la valeur a été définie arbitrairement. Qu'un autre use mal d'un signe, nous le savons au fait qu'il l'a employé pour une autre valeur que celle qui lui était initialement attribuée. Nombre de problèmes philosophiques naissent de ces malentendus, Wittgenstein l'a très bien dit, il nous faut, par la philosophie qui est un mouvement rationnel en acte, mettre à nu la densité touffue de nos énoncés, de nos concepts. La philosophie déconstruit les préjugés, met à nu l'écorce, l'ossature du discours et ainsi se dissipent les malentendus, nous voyons comment l'un utilise d'une manière inappropriée les signes de la langue, comment l'autre raisonne à partir de principes différents de ceux entendus au départ. Le malentendu naît de l'implicite, du non-dit, de cette "connaissance suppositive" dont parle Leibniz. Mais nous avons la philosophie, il ne faut pas perdre espoir, elle doit nous aider à observer bien en face les principes qui sous-tendent notre discours, à remonter jusqu'à eux.

Un principe, un monde. Mais les querelles s'installent dès lors que d'aucuns refusent de décomposer leur pensée, ne se laissent pas arraisonner. Ils prétendent marcher dans le même univers que vous mais font, en réalité, partie d'un autre. Vous pouvez essayer de dialoguer avec eux, d'élaguer un à un les malentendus, jusqu'à ce qu'il ne reste que les principes qui sous-tendent leur discours, ils refusent de se prêter au jeu. Ils ont perdu de vue ces principes mêmes, voulant s'en défaire comme d'un bagage honteux, ils ont voulu l'étouffer sous le poids de la ratiocination mais il n'est aucune ratiocination inextricable au philosophe patient. Cependant, même lui ne peut aller nulle part sans l'aide de son interlocuteur. Platon nous parle de l'importance du dialogue, de la réfutation, afin de ne pas rester cloîtré dans un univers imperméable, non parce qu'il serait inaccessible aux autres en droit, mais parce qu'on en a, de fait, fermé les portes irrémédiablement. Nous dansons tous sur du vide, le moi, le réel, la vérité, autant de fictions que l'on se joue et que la philosophie déconstruit dans un voyage sans fin dans l'être. Baissez les armes, acceptez vos axiomes et regardez les pour ce qu'ils sont, des choix que vous faites pour avancer, des outils dont vous usez dans votre exploration, mais d'autres ont les leurs et ils vivent dans le même monde que vous. Que la philosophie soit le recueil de ceux qui se sont dépouillés de leur ego, parce qu'ils ne savent plus ce qu'il est, parce qu'ils ne savent plus rien.

jeudi 28 mars 2013

Curriculum vitae

Les oiseaux lâchent des secondes dans un battement d'aile
Les poumons célestes respirent d'un contraire à l'autre
La marche du temps rassemble ses apôtres
Nous sommes ses rejetons infidèles

Nous qui éclatons les barreaux du ciel
Coupons l'atome, assassinant chaque mystère
Nous restons prisonnier d'une geôle immatérielle
À jamais en transit entre lieux et ères.

On creuse la nuit à grands coups de lumière
Mais elle est bien plus vaste que tout l'univers
On perfore le destin, transmuant nos natures
Mais demeurons pourtant les mêmes bâtards impurs

Un cercle, un ensemble infini, une fonction mathématique
Une idée, un rêve, un idéal métaphysique
Et les croyances meurent sous le pas voyageur
Certains persistent et sont le désespoir vengeur

Il m'arrive d'avancer au bord d'une route intangible
De plonger mes racines dans quelque espace interstellaire
Pour toujours me rendre compte que l'ego est infrangible
Alors je rétracte mes antennes et redevient escargot solitaire

Mon chemin de salive est tout ce qui restera derrière moi
Le reflet des étoiles y fera luire mes doutes
Mes vers seront des routes empruntées par personne
Bordées de paysages qui ne suscitent aucun émoi

Que voulez-vous, j'ai cheminé tout seul dans un néant de solitude
Parlant à mon esprit, caressant mon corps, voilà mes turpitudes
J'ai voulu voir ce que le monde recelait sous chaque pierre
C'était toujours un long silence, la réalité préfère se taire

Le silence sait être rassurant quand on ne lui demande rien
Certains hommes sont indisciplinés, parlent sans lever la main
Interrogent, pressent, encerclent, font le tour de leur cellule
Si vous ne dites rien, ils percent un mur, cherchent un crépuscule

Combien assistant à cela préfèrent colmater la brèche
Tels des fourmis reprendre le travail, ne surtout pas vendre la mèche
Nettoyer les traces, peindre un trompe-l'oeil, ne pas devenir fou
Quant à vous c'est foutu, tout n'est plus rien et rien est déjà tout

Il faut marcher, prendre appui sur les nuages, passer au travers
Sur le chemin vous remarquez ce cordon et regardez en arrière
Il part de votre âme et se perd devant, derrière, en bas, en haut
Vous êtes la fleur, il est la tige, les hommes sont le terreau

On vous a mis la laisse, vous les sentez parfois qui tirent sur elle
Vous avez mal au cou, vous suffoquez, vous aimeriez fuir à tire-d'aile
Puis vous finissez par accepter ce sort, vous êtes accompagné de la douleur
Il suffit de regarder ailleurs pour qu'elle s'estompe et perde sa valeur

Ce qui compte c'est partout où le regard se pose, la capture des photons
On peut créer un monde avec ces particules, c'est bien ce que nous faisons
Quelques heurts rétiniens, puis voilà tout un univers de choses au statut incertain
Qu'est ce monde que nous avons tant contemplé, avec tous ces objets lointains

Vous le sentez pourtant sans même savoir ce qu'est la sensation
Vous ne voyez que son passé mais en reste-t-il encore quelque chose
Vos formes a priori de la sensibilité ne sont-elles au fond que des anamorphoses
Ne prenez pas ce train, depuis toujours il ne dessert aucune station

Mais petit homme marche, tire sur sa laisse, part en chasse
Aux particules de Dieu, aux modèles physiques de l'univers
Comment le monde a-t-il pu naître d'une impasse
On s'épuise à chercher le monde qui nous passe au travers

Il vous est bien venu par moment l'idée de ronger votre laisse
Mais une certaine angoisse, un manque de courage, une habitude d'esclave
Vous fait renoncer, vous déchirez votre personne en deux enclaves
L'une qui sourit, porte un masque, et l'autre qui depuis longtemps n'a plus d'adresse

Ça ne fait rien, ainsi va la vie, vivons caché vivons heureux
L'esprit qui se replie sur lui-même telle une lettre prête à poster
Ne sait plus que faire de sa peau, ni même comment l'habiter
L'individu s'annule, l'esprit s'infinise, le corps devient poreux

Finalement la vie finit par s'écouler, pour cause de trop grande vacuité
Vous êtes lacunaire, clairsemé, le destin comme du gruyère
On vous avait pourtant tout donné, un statut, un travail, une pensée déterminée
Vous avez choisi de ne pas choisir, de traverser l'éther

C'est peut-être trop tard, je n'en sais rien, tout s'aérise
Aussi léger que l'air, vos souvenirs s'envolent avec la brise
Vous suivez le passé, il n'y a plus de laisse, plus de présent non plus
L'avenir n'est pas, le temps reste une équation non résolue

Mais qui êtes-vous donc et où êtes-vous donc désormais
Une question peut-être, la courbe infinie d'une interrogation
Plus personne ne vous connaît, vous ne vous connaissez pas vous-même
Mais vous n'avez jamais cru n'est-ce pas qu'il existe une quelconque vérité, le moindre théorème

Pourtant reste ce souvenir entêtant qui s'offre à vous tel un dilemme
Ce souvenir d'un bonheur et de l'authenticité d'un "je t'aime"
Les autres sont partis, ou plutôt ils sont toujours là, sur un temps parallèle
Mais vous ne savez plus les rejoindre, "je" n'est plus qu'une idée impersonnelle

Qu'est cette phrase dont le début s'efface à mesure qu'elle se trace?
L'éclat d'une étincelle, un souffle qui n'a plus la place?
Un curriculum vitae qui s’essouffle, une identité qui se lasse?
Un homme au reflet déclinant et qui brise la glace?

mercredi 27 mars 2013

Tous les chemins du monde

Je suis étourdi, j'en oublierais même qu'il faut exister,
Depuis tout petit, j'ai en moi cet amour étrange des coeurs dévastés.

Quoi de plus sublime que ces destins noués,
Des directions qui ne vont nulle part, des âmes qui toutes cessent d'avancer?

Les interrogations montent à la tête,
Les fines bulles de l'âme ont aussi leur lendemain de fête.

Et tous ces véhicules cassés...
Ces éternels conducteurs du dimanche que la nuit viendra ramasser.

Leur trottoir est un étroit comptoir,
On se rassure un peu en observant ceux que le silence fait boire.

Les autres au moins ont un but,
Ils ont du courage à revendre, ils savent que la vie est une lutte.

Je me demande qui des deux sont les morts,
Ceux qui ne croient plus ou ceux qui se croient forts?

J'ai appris par lassitude à me méfier,
Des destins géométriques, rectilignes et sans courbes, prêt à colorier.

Le monde s'ajuste à leurs destinations,
Et eux courent avec entrain, fendent l'ombre du doute ignorent l'hésitation.

Les oiseaux sans nid ont toujours raison
Ils se noient dans l'absynthe d'un ciel sans saisons.
Ils savent au moins qu'aucun chemin ne va plus loin que l'horizon.

mardi 26 mars 2013

Vous parler

Comment aimerais-je vous parler; vous faire partager ces filaments de pensée qui me traînent d'un présent à un autre? J'aimerais trouver ma voix, faire de votre lecture un dialogue apaisant où vous puissiez faire des haltes, m'interroger, me mettre en doute, notiez sur un cahier des objections et toutes ces éruptions que mes propos agitent sur votre surface. J'aimerais vous faire aimer nos discussions...

Je suis un mendiant. Je tends la main vers l'inconnu, le non avenu, le possible et éventuel. Il n'y a qu'avec le silence que je sois un peu rude, lui que je contraint d'écouter ma plainte silencieuse, gravée sur sa mémoire minérale.

Aphorismes

Il faut savoir être ferme avec ceux qui cherchent des révélations et des réponses éternelles à tous les mystères qu'ils s'inventent. Mais on ne saurait être brusque avec les gens dans la souffrance. Il faut rassembler sa patience, et, tel un sceptique, opposer à chaque réponse ultime, celle qui y fera contrepoids. Une part de la vie du philosophe est précisément cette activité, répétée inlassablement, appliquée d'abord à lui-même et ce jusqu'à la mort.

Le mot est une finitude qui enveloppe l'infini.

La pensée est une propriété de la matière organisée?

Les mots provoquent la vie.

Les mots sont une carte de la réalité et celle-ci n'a de sens que si vous randonnez.

dimanche 24 mars 2013

Souvenir d'un amour

Il y a des lieux que l'on a tellement imprégné de sa personne qu'ils forment avec notre être une intrication indémêlable. Je porte en moi les souvenirs de ces grands eucalyptus et de ces palmiers éclairés par le soleil. J'ai trouvé une photographie et tout s'est rejoué en moi, la mémoire a retrouvé une vie dans le présent de mon imagination. Il y a, je pense, différentes personnalités à chaque lieu. Les lieux vivent, respirent, interagissent avec vous, sont une part de la vie sociale. Les rues de Rabat que j'ai arpentées sont présentes en moi, elle ont leur place dans chacune de mes pensées, dans chacun de mes gestes. Cette photographie à fait rejaillir le présent de la mémoire: je suis dix ans en arrière, ressentant la ville et le système que l'on forme elle et moi. On dit qu'il ne faut point retourner sur les lieux de son enfance et moi je sais que le passé m'appelle pour me dire quelque chose. Peu importe que ce soit pour me dire adieu, j'irai à sa rencontre et j'entendrai son message. J'ai regardé cette photographie et la ville m'a apaisé, comme lorsqu'on savoure la photo d'un ami dont la vie nous a séparé. Seul quelque chose de réellement fort peut vous toucher à ce point à travers la durée et le temps, poser la main sur votre épaule et vous dire en silence le bonheur qu'il y avait à vivre ensemble.

-"Qui aime-t-on réellement dans un tel cas? L'insaisissable ville? Les gens qui la composent? Ou bien n'est-ce pas le fantôme de soi-même, l'éventualité d'une vie dont le bonheur s'est à jamais éteint?"

Danaïdes

Je suis malheureux, c'est un moment comme un autre.

Je vous parle et cela me fait du bien, je me remets à vibrer et à me sentir être au monde. Est-ce parce que votre propre détresse, par comparaison, me fait apprécier mon état? Pourquoi ma logorrhée se répand-elle lorsque je suis avec vous, donneuse de leçon, soi-disant porteuse de sagesse, pourquoi tous ces mots me font-ils vivre?

J'ai une hypothèse. Je crois que ce ne sont que des mensonges qui m'animent. Je vous parle et je vous mens. Calmez-vous, je ne suis pas totalement responsable; c'est que j'ignorais jusqu'alors que c'était le cas, je me mentais à moi-même. En fait, toutes mes phrases ne sont que des fantômes de mon passé que je vous jette à la figure. Je ne vous parle qu'avec des souvenirs, des souvenirs si forts, qu'ils vous paraissent incarnés; d'autant plus qu'en les disant, me remonte le souffle de ces moments enfuis; leur puissance d'alors agis encore sur moi. Nos conversations sont un prétexte à déambuler dans mon passé. Je revis les intensités qui ne sont plus, les moments qui brillent avec éclat dans l'océan mémoriel, je m'éclaire et me réchauffe à l'énergie de mes souvenirs.

Et puis, tel un feu de paille trop vite éteint, je repars chez moi, seul, et me vide des derniers échos du passé qui hantent encore, évanescents, mon présent. Je me retrouve face à ma propre vacuité, et c'est alors qu'en marchant sur un trottoir, au bord d'une route d'où les voitures soufflent dans mes poumons leur promesse de mort, je suis conscient alors; conscient que je suis perdu. J'ai la mélancolie trop lourde, je ne sais plus habiter l'instant, lui donner un tant soit peu de saveur. J'ai beau appliquer les recettes d'antan, pourtant pas si vieilles, mais rien ne marche, la réalité reste plate, lacunaire, intangible, il ne reste plus rien.

Alors je m'excuse de proférer des mensonges, et la bienséance voudrait qu'en votre présence je me taise, me contentant d'écouter la vie qui sourde de votre être. Je crois qu'au fond je suis résolument malade. Je suis un contenant que la vie abandonne. Je suis un chaînon de l'espèce qui n'est pas satisfait dans sa détermination, qui recherche autre chose, tous les possibles si possible. J'ai certainement besoin de vous à tel point que vous ne l'imaginez pas. Vous êtes mon oxygène, ma vie, mon élément. Vous m'êtes indispensables, moi, le tonneau des Danaïdes.

Aphorismes

L'oeuvre ne doit pas être un but mais un effet de la vie.

L'homme moderne est une plante que l'on fait croître dans une terre morte, avec l'engrais du mensonge.

Il faut vibrer.

L'homme a si peur d'être libre qu'il cherche à tout prix à remplacer un cadre dont il est sorti par un autre. Lorsque les gens parviennent ainsi au bout de leur petit enclos puis qu'ils osent s'aventurer dehors, ils appellent ce qu'ils trouvent au-delà Vérité et s'y installent pour toujours. Puis vient un jour où cet enclos lui-même devient trop petit pour eux, ils s'aperçoivent alors que la Vérité était ailleurs. Ce qui m'émerveille et m'effraie à la fois, c'est que l'opération peut se répéter un nombre incalculable de fois sans que jamais ces gens là ne renoncent à leur Vérité; pire, à chaque "révélation", ils prêchent la bonne parole et dispensent leurs leçons sur ce qui doit être. Méfiez-vous de ces hommes qui cherchent l'absolu et en font le Dieu que tout le monde devrait adorer: ils ont une fâcheuse tendance à gommer l'altérité, et à voir l'univers comme un reflet d'eux-mêmes...

vendredi 22 mars 2013

Pan kalós

On ne me dit pas grand chose, assis dans mon trou aucun son ne parvient.
La lumière qui se heurte au dehors ne se déplace pas pour rien.
Seul parmi les ombres, j'ai tout de même en mire un coin du firmament.
Je traverse l'éther et d'une étoile observe mon trou noir.
Le fond en est vide, personne à part le regard sombre de la nuit.
Pourtant c'est là où je réside, dans une hypogée nocturne et sans mystère.
Dieu merci j'ai les étoiles pour me redonner un peu d'éclat.
Je me confonds avec elles, j'ai l'impression d'être quelqu'un.
Soudain je pense en grec à l'ordre du cosmos.
Tellement beau, tellement parfait, harmonieux.
Il y a une justice pour chaque étant excepté moi.
C'est en cela que le monde est si beau.

samedi 16 mars 2013

J'ai oublié

J'ai oublié d'être heureux ces derniers temps,
Oublié qu'on pouvait être son propre carcan

J'ai oublié les convictions d'antan
Le monde auquel j'aspirais enfant

J'ai oublié de vivre pour les autres
Moins pour mon bonheur un peu plus pour le vôtre

J'ai oublié trop vite d'être satisfait
J'ai troqué ma vie pour un rêve surfait

J'ai rencontré dame Société, j'aspire à la reconnaissance
J'ai douté, j'ai souhaité si fort être conforme aux espérances

Me voilà maintenant ici, contemplant le passé et ma sagesse enfuie
Je la regarde un peu curieux, me demandant pourquoi je suis parti

Je n'ai plus d'angoisse et savez-vous pourquoi?
Il existe une aurore au bout de chaque nuit.

Aphorismes

La solitude c'est la présence de l'univers.
Vous n'êtes jamais moins seul qu'en son sein.

Le doute est le tuteur de la pensée philosophique.

La philosophie n'est pas qu'un dialogue solitaire, elle est aussi un échange avec l'histoire des pensées.

Penser l'autre c'est le faire vivre.

dimanche 10 mars 2013

La mécanique vitale

Il m'arrive de voir la vie comme un simple système mécanique dans lequel on a introduit du mouvement. Chaque objet, chaque être n'existe que pour transmettre ce mouvement. Les forces de l'univers nous ballotent en tous sens, nous poussent les uns vers les autres puis la collision nous repousse dans d'autres directions et on s'éloigne alors, vers d'autres heurts plus ou moins heureux. La vie a horreur de l'immobilité, probablement car elle est tout l'inverse, que son principe est un mouvement sans fin, une infinie métamorphose.

Nous, petits humains, la voyons s'agiter en nous, éclater les barreaux des identités que l'on s'était peint comme des oeillères devant les yeux, pour ne plus avoir à penser qui l'on est, pour se reposer un peu. La vie me semble cette tension perpétuelle entre le mouvement et le repos, entre l'existence et l'éternité minérale. Elle est douloureuse. En nous, elle exerce une pression sur tous les carcans dans lesquels l'homme tend à s'enfermer consciemment ou non, jusqu'à ce que les gonds sautent, jusqu'à déchirer notre peau qui souhaitait délimiter un corps, un esprit, une identité.

La vie se joue des objets, des choses, elle ne connaît que le processus, elle ne s'embarrasse pas de souvenirs figés que l'on entasserait dans un coin pour en faire collection, elle ne conserve pas le passé dans l'espace du présent. La vie se crée à chaque moment par l'accouchement du présent par le passé. Ne nous y trompons pas: le passé est toujours là, sous une forme nouvelle. Nous sommes bel et bien faits autant que nous faisons. Il n'y a jamais dualité dans la vie car toute dualité se résorbe en une articulation et en un équilibre, la vie aime les contraires, c'est ainsi qu'elle fait le tour d'elle même, telle une planète qui, chemin faisant, opère sa révolution.

Je suis un processus de création; au contact de l'environnement, je crée une réalité, vibre selon une tonalité qui m'est propre et qui évolue sans cesse. Lorsque je crois faire, je suis fait parce que la base que je prend pour les fondements de mon identité n'est jamais figée, toujours changeante, en transformation, car quelque chose, le monde, s'exécute sur mon être. Lorsque je crois être fait, j'agis, je suis actif, produisant quelque chose, informant la réalité, mais il n'y a pas d'actif absolu et actif et passif se contiennent l'un l'autre, sont au final la même chose, tout au plus ce que l'on a pétrifié de deux moments distincts d'un mouvement continu.

J'ai l'intuition que la vie est ce voyage empli d'incertitude et d'indétermination, qu'elle est un émerveillement qu'il faut savoir prendre toujours sous deux faces: celle du spectateur, et celle de l'acteur. Il faut être conscient que l'on se laisse emmener mais que cet acte n'est pas seulement passif puisqu'il est aussi un choix, un assentiment, et donc est une volonté que nous renouvelons à chaque instant. Nous avons certainement besoin de temps à autre d'un rythme un peu plus lent que ce tempo effréné que semble parfois nous imposer la vie biologique, organique. Dans ces moments là, nous créons quelque chose, le mettons au monde, donnant forme à un morceau de matière sous la forme d'une oeuvre d'art. L'oeuvre est un jalon, un témoignage, une étape que nous voulons marquer avant d'aller plus loin, toujours vers l'inconnu, le frisson du départ.

La matière en effet est reposante tant elle semble aller dans la vie sans se presser, sans s'agiter sans cesse, avec sérénité et flegme. J'envie souvent la matière et je l'aime du plus profond de mon coeur car je la sais indispensable. La matière est l'altérité que l'effervescence de la vie cache parfois en nous mais qui est pourtant bien là. Nous sommes des poussières d'étoiles comme disent certains et j'éprouve un grand réconfort à cette pensée. Nous avons beau partir en tous sens, quitter notre passé et les peintures figés de notre expérience, il en reste toujours quelque chose, toujours cette matière qui semble si solide, si éternelle dans son extrémité de vie. Nous avons besoin de l'altérité, de la différence, parce que nous nous heurtons à elle pour avancer, mais ce n'est jamais à quelque chose de totalement étranger que nous nous heurtons, nous savons au fond que c'est à un développement de ce que nous contenons en nous, une évolution ayant pris un autre chemin, possédant sa propre révolution.

L'altérité que nous vivons partout autour de nous (et en nous aussi) nous rappelle à chaque instant que nous pouvons être tout, qu'au fond tout cela n'est pas grave, qu'il ne faut rien regretter, qu'il ne faut surtout pas chercher à savoir, ou plutôt qu'il n'y a pas de choses sues, car la connaissance est un mouvement qui ne s'arrête jamais. Plus tard, lorsque je retournerai poussière, peut-être que je serai une partie d'un arbre, ou bien même encore d'une porte, peut-être que j'irais dans l'eau et que je serai bu. La vie est un passage temporaire dans une forme relativement stable en apparence et qui file pourtant à une vitesse...

Je voudrais terminer par énoncer une chose qui me semble importante et qui me tient à coeur: tout ce qui n'est pas nous demeure pourtant le reflet d'un temps possible. Et l'altérité qui nous semble la plus extrême est toujours la possibilité de notre existence et je veux rappeler ici encore une fois à quel point j'aime la matière, et que jamais je ne la distinguerai de la vie même. Tous les rythmes sont miens, toutes les formes sont mes possibles et dans mon voyage, c'est tout l'univers que je rencontre.

Aphorismes

Peut-être que l'essence de la vie est réellement le désir, il lui faut être tendue vers quelque chose, afin de rester en mouvement, de ne pas se se fondre dans une éternité minérale..?

J'ai beau écouter le monde, la vie qui passe, je n'entends que moi-même. Je crois que même lorsqu'il veut bien chanter, la musique n'existe que pour moi.

Le monde est une phrase musicale et le langage en est une notation possible.

vendredi 8 mars 2013

L'être et le néant

Sur le chemin de la sagesse, la route est le pensé (et le pensable), le mouvement est la raison et l'horizon est la vérité. Certes nous découvrons bien des aires de repos, pour ainsi dire à chaque pas, qui sont bien agréables, et nécessaires, à la raison qui voudrait parfois y mourir. Mais s'il y a repos, c'est qu'il y a mouvement, et inversement. La vérité est donc cause du mouvement et du repos, elle est cet au-delà de l'imagination, ce que nous mettons devant nous pour justifier l'errance de l'existence. S'il n'y avait pas d'horizon, comment appellerions-nous le temps et le lieu vers lequel nous avançons? S'il n'y avait pas de direction, ou de sens, comment saurions-nous si nous avançons ou reculons, et quelle raison aurions-nous d'aller? Nous avançons vers l'espoir, nous dévorons le temps et l'espace, certes, mais à la recherche de quoi au juste?

Et si la vérité était sans attributs et qu'elle n'avait de propriété que d'advenir?

Notre langage même est une tentative de dire cet être avec, semble-t-il de prime abord, ce qui paraît ne pas être. Croyant ainsi placer les ténèbres du néant autour de l'être, nous espérons voir jusqu'où ce dernier rayonne et quelle peut être sa forme. Mais à chaque tentative, l'être éclabousse tout de sa clarté, ne laissant subsister que lui-même en toutes directions, repoussant le non-être jusqu'aux frontières de notre imagination qui, à son tour, le fait fuir à peine fait-elle un pas vers lui.

La vie est le monde. Là où la vie n'est pas, le monde n'est pas. Or l'imagination elle-même est la vie (une forme de la vie) et fait ainsi en sorte que tout ce qu'elle éclaire, tout ce qu'elle est advient, d'une manière ou d'une autre.

Il s'avère ainsi que les ténèbres que nous avions apportées n'étaient pas le néant, ou non-être, mais elles n'étaient que notre ignorance et cette peur du silence qui nous caractérise.

En tant qu'être vivant, nous portons la vie partout où nous sommes, nous la répandons en actualisant les possibles, en faisant advenir. Dés lors que nous l'avons pensé, dés lors que nous l'avons senti, le monde existait. Mais c'est bien notre voyage, notre être advenant, devenant et étant qui nous a révélé son existence, et rien d'autre.

C'est probablement l'enseignement le plus marquant de la physique quantique: le monde est ce que nous en faisons car il est tel que nous le voyons, devient sous notre regard et il épouse même les possibilités que nous lui configurons.

Sommes-nous le monde? Faut-il s'abandonner à ce curieux solipsisme? Serions-nous tous des dieux, par la vie qui rayonne en chacun de nous? Dieu n'est peut-être pas ce que nous imaginons, mais ce que nous imaginons pourrait bien être Dieu.

Peut-être qu'être artiste c'est piéger le non-être au sein même de la vie. Car le possible naît de la collision de l'être et du non-être qui n'est, en somme, que celle du possible et de l'actuel. Or qui peut bien nous dire ce qui est possible? Nous ne le savons généralement que lorsque nous créons le possible, quand nous l'actualisons. Ainsi nous ne pouvons véritablement rien dire du non-être et ce que nous en disons ne consiste qu'en la forme, vague et incertaine, que prend la lueur de l'être là où il s'éteint, aux confins de la pensée.

Le non-être c'est l'être qui renonce à aller plus loin, à regarder au-delà de lui-même; qu'y aurait-il à voir d'ailleurs sinon lui-même...

L'être et le non-être sont deux manières de parler de la vie, tout comme la nuit et le jour sont deux formes d'expressions de la lumière.

Nous sommes bel et bien des dieux.

Le non-être est tout ce qui n'est pas.
Il faut bien comprendre que l'être est au moment même où il est dit, où il est [*].
L'être est l'inspiration, le non-être l'expiration (ou inversement): au moment où l'un est, l'autre n'est pas, l'un est la limite de l'autre.

Ainsi les deux sont des totalités.

La vie est ce qui naît de ces deux totalités, elle est une alternative (à l'éternité?). La vie est l'indétermination du déterminé ou la détermination de l'indéterminé.

La vie est l'étreinte d'une dualité, l'accouplement de deux absolus.

Elle est médiation entre deux immédiats.

Dans cette capacité (ou propriété) de la vie à déchirer le non-être réside l'aptitude à créer.

La vie créée parce qu'elle fait être le non-être, elle ordonne le chaos (et se laisse ordonner par lui), ainsi, chaque fois qu'elle advient, une réalité nouvelle et imprévisible naît. Elle est la transition du non-être à l'être, de l'être au non-être, la vie est une aurore se faisant.

C'est en faisant être ce qui n'était pas que le nouveau advient, devient, naît, car de l'être suit un étant prévisible, mais du non-être, rien de prévisible ne peut advenir.

Et c'est ainsi cheminant, vers son propre horizon lointain, que la vie s'arrache à chacune des éternités figées que sont l'être et le non-être, à ces deux totalités mortes, pour réaliser la miracle du mouvement qui embrasse toutes les éternités possibles, en les consumant l'une après l'autre, sans arrêt. C'est pour cela que je nomme la vie l'éternité des éternités, une méta-éternité, en somme une éternité éphémère.

mercredi 6 mars 2013

Aphorismes

L'art est une fin de la philosophie.

  -"Je ne suis pas moi-même dans ces moments là...
  -Oh tu es toujours toi-même, la question n'est pas de savoir qui tu es mais comment tu es."

Nous devrions réfléchir un peu plus longtemps avant d'attribuer si facilement un attribut au sujet après la copule, car c'est faire du devenir, et donc de l'absolu, quelque chose de figé. Ainsi nous construisons notre propre prison...

Aphorismes: amitié

Si le "moi" ou le "je" est une identité contenant une part d'altérité, l'ami est une altérité qui contient une part de soi.

Peut-être, au bout du compte, nous faut-il un ami pour ne pas finir son propre esclave.

mardi 5 mars 2013

Aphorismes

Cacher la faiblesse et la pauvreté par la grandiloquence, est-ce là être un artiste?

Le monde chante-t-il lorsqu'on est plusieurs?

"La mort n'est pas un évènement de la vie." Wittgeinstein

dimanche 3 mars 2013

Merci pour le vélo

Merci pour le vélo et ta patience dorée
Au moment de se souvenir, je me rends compte qu'on ne se connaissait pas tant que ça.
C'est ce qui est dur avec les silencieux, ceux qui n'aiment pas parler, les pudiques comme toi.
J'ai trop besoin des mots, de tout ce qui permet de lever le voile, de voir le coeur des gens.
Mais toi la vie t'as pris les mots, peut-être parce que tu ne t'en servais pas assez, ou pas comme elle voulait.
Quand ce dernier pont s'est écroulé, que le temps lui-même devint un fossé, inexorablement, nous nous sommes éloignés...
Je ne suis pas comme les autres, je ne m'attache pas au passé, ni au présent d'ailleurs, encore moins à l'avenir.
Je n'ai pas trouvé cela triste pour toi que tu partes, mais triste pour les autres.
La mort, personne ne sait ce qu'elle provoque, la cessation du corps, mais est-ce là tout ce que nous sommes?
Je n'ai pas de peine lorsque la souffrance cesse définitivement, lorsque la nature agit.
La peine, je la ressens face au temps qui passe et qui t'as dépouillé.
Je la ressens parce que je la reporte aussi sur d'autres, voire sur moi-même.
J'ai peur du temps qui passe et qui s'attaque à ceux qu'on aime, mais ce n'est pas la mort.
Pour les autres, je ressens de la révolte, pour moi un simple sens de l'urgence.
Je sais que ton départ provoquera dans la tête de certains l'image de leur propre mort.
Je ressens dans leur voix, le vide qui les aspire lorsqu'ils contemplent cette nécessité.
La mort n'est rien, j'aimerais leur dire.
C'est la déchéance qui cause du souci.
C'est de voir l'autre se débattre dans l'incompréhension et la crainte, de le voir suffoquer.
Je ne peux l'accepter.
La mort pour moi s'il vous plaît, mais pas ceux qui m'entourent.
Je me souviens tes larmes lorsque tout te ramenait à ta jeunesse enfuie.
Tu ne voyais plus qu'en toi les parties retranchées, que tu voyais en nous.
Ma plus grande peine est de ne savoir apaiser toutes les peurs.
Si j'avais pu te prêter mes yeux pour te calmer un peu...
Si je savais comment faire comprendre aux autres comme la mort est insignifiante.
Que c'est la vie déclinante qui nous heurte et qui nous vide comme une outre.
Si j'avais pu, te faire partir serein...
Tu m'aurais dit:
  -"On me vole! Ne vois-tu pas? On me vole!"
Je sais, j'étais témoin comme bien d'autres, comme toi-même.
C'est ce vol qui me révolte.
J'ai souffert toute ta vieillesse quand les autres ne souffrent qu'après la bataille.
Parce que quand les gens sont morts il est trop tard pour pleurer.
Aujourd'hui, pour te faire vivre quelque part, dans la mémoire des hommes, je garderai un souvenir.
Le souvenir de l'homme qui m'a appris à faire du vélo.
Je retiendrai aussi une leçon que tu m'as enseignée: la patience.
Il y a certains aspects de toi qui se retrouvent en moi.
Ta patience et ta lenteur, j'espère, se reflètent un peu dans mon âme et mes actions.
L'éternité, elle aussi est comme toi, patiente lorsqu'elle arrache les hommes à la vie...
Maintenant que tu es mort, le mal est réparé.
Tu vas mieux, j'espère...
Tu as passé ton purgatoire.

samedi 2 mars 2013

Aphorismes (suite)

Une fois la survie assurée, il n'y a plus que la volonté qui compte. À celui qui veut, tout est donné. La volonté n'est-elle pas l'étreinte de l'homme avec la réalité? De biens belles choses naissent de cet amour.

Il est plus simple de s'écarter des autres lorsqu'on a point confiance en soi. Mais cette simplicité est-elle une sagesse? Est-il sage de limiter les contextes dans lesquels on existe?

La vraie simplicité n'est pas celle qui retranche, elle est celle qui unit.

vendredi 1 mars 2013

Une trahison

Mon énergie se consume à l'intérieur.
Mes rimes n'en sont que les embruns qui se perdent au-dehors.
Je n'ai nulle raison de sortir car, ici, tout est plus intense et plus riche.
Là-bas, dehors, il faut sans cesse briser la matière, s'user à perdurer.
Mais ce qui s'imprime alors dans le monde, cette forme incertaine et vague,
N'est jamais qu'un lointain effet de notre cause.
Tout au plus une trahison.