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mardi 14 juin 2022

Relativisme et autocontradiction performative

Certains philosophes dogmatiques clament, à bon droit, que le relativisme épistémologique consiste en une contradiction logique intenable. La faute du relativisme tiendrait dans son autocontradiction performative, telle qu'elle s'illustre par la proposition suivante: "toute vérité est relative". Si l'on exaimine un peu cette proposition relativiste alors on constate effectivement qu'elle se contredit par le simple caractère d'universalité (non-relative) du jugement formulé. Il s'agit donc d'une affirmation dogmatique.

J'aimerais d'abord déconstruire cette lecture non rigoureuse qui voit dans la cohérence parfaite du relativisme une incohérence logique, avant de revenir sur la véritable autocontradiction contenue dans le positionnement dogmatique.

Affirmer que toute vérité est relative n'est pas sortir du relativisme pour plusieurs raisons. D'abord il s'agit bien ici d'une proposition qui n'est vraie que dans un certain contexte épistémologique: notamment celui qui fonde la vérité sur ses critères de connaissance, autrement dit qui définit la vérité par ses méthodes de démonstration ou justification. Est vrai ce qui peut se prouver comme étant vrai.

Mais on pourrait rétorquer à cette critique par un autre angle d'attaque: nous savons que la vérité des propositions d'un système formel (par exemple en arithmétique) découle de leur démonstration (dérivation) à partir d'axiomes qui ne sont pas démontrés (et dont la vérité repose donc sur une autre acception du concept de vérité). Ceci a pour conséquence paradoxale (mise en lumière par Aristote dans Seconds Analytiques, II, 19) que pour maintenir le caractère apodictique des propositions fondées sur la démonstration (et pour ne pas sombrer dans une régression à l'infini), il est nécessaire de prêter à la vérité des axiomes une autre nature qu'aux premières. Autrement dit la vérité étant définie par la démonstration, il devient alors nécessaire de fonder cette démonstration même sur des vérités non-démontrables, et donc d'une autre nature.

Et bien c'est exactement le même paradoxe qui est à l'œuvre dans la proposition relativiste "toute vérité est relative". Il faut faire reposer le relativisme sur de l'absolu, de la même manière que les formalismes font reposer la vérité de leur démonstration sur la non-démonstrabilité (c'est à dire, pourrait-on dire, sur la non-vérité...).

Maintenant attaquons-nous à quelque(s) contradiction(s) du modèle dogmatique affirmant d'une part qu'il existe une différence entre vérité et connaissance -- autrement dit que le caractère vrai d'une proposition ou d'un fait ne repose pas sur la connaissance que nous en avons -- et d'autre part qu'il existe des vérités absolues.

En effet, lorsqu'ils affirment qu'il existe des vérités absolues, ils ne font rien d'autre qu'affirmer qu'une proposition est vrai OU fausse (de manière exclusive) indépendamment de la connaissance que nous en avons (c'est à dire que la vérité est indépendante des critères qui nous la font connaître). Or, en faisant cela, ils affirment qu'il existe des vérités mais que la vérité étant indépendante de la connaissance qu'on en a, et étant précisément un attribut absolu des choses (car le dogmatisme s'accompagne bien souvent d'un réalisme ferme), alors on ne peut absolument pas la connaître.

Comprenons bien ce qui est en jeu: si connaître la vérité d'un fait ou d'une proposition ne rentre absolument pas en compte dans le caractère de vérité de ce fait ou de cette proposition, dans la définition même de la vérité, alors, puisque celle-ci ne nous est accessible que par la connaissance (que serait une vérité détachée de tout sujet, une vérité qui n'est pas connue...), nous ne pouvons jamais déterminer si un fait ou une proposition sont vrais ou faux. La vérité nous est à jamais inaccessible (cf. étymologie du mot absolu) puisque nous ne pouvons avoir qu'une connaissance par nature relative des objets, fondée sur la scission essentielle du sujet et de l'objet. Nous ne pourrons jamais nous assurer de manière absolue qu'un fait ou une proposition sont vrais pour la simple et bonne raison que la vérité étant totalement indépendante de nos critères de jugement, elle est une chose qui nous excède: nous ne pourrons jamais emprunter le point de vue de l'objet sur lui-même, et cela même en multipliant les points de vue: il existera toujours plus de points de vue, plus de relations à l'objet que celles que nous parviendrons à synthétiser dans notre connaissance.

C'est là tout le problème du réalisme ontologique (qui constitue d'ailleurs le contexte nécessaire au dogmatisme ce qui, notons-le, relativise paradoxalement la portée de ce dernier à une posture ontologique bien particulière): s'il existe un réel absolu, indépendant de mon expérience et de ma connaissance, alors je n'ai aucun moyen d'y accéder puisque je suis enfermé dans ma relation de sujet à ce réel. Pour devenir parfaitement objective il faudrait que ma connaissance puisse être simultanément tous les points de vue possibles sur l'objet et qu'elle le soit dans un temps infini (pour comprendre l'objet dans sa dimension temporelle et non simplement spatiale). Il semble bien qu'une position réaliste pleinement conséquente ne puisse mener qu'au concept kantien négatif de chose en soi.

Pour conclure: affirmer qu'il existe des vérités absolues, c'est s'interdire toute possibilité, en droit, de pouvoir en avoir une connaissance certaine. Cela revient, dans les faits, à du relativisme... Le relativiste est en général plus avisé parce qu'il est conscient des limitations de sa position et qu'en lieu et place de réel il préfère parler de monde (en en assumant pleinement la multiplicité). Le relativiste comprend que, par nature, nul absolu ne saurait être connu. C'est précisément parce que la vérité est relative que nous pouvons entrer en relation avec elle, mais cela se fait au prix d'une limitation conséquente de sa portée...

Le dogmatisme est paradoxalement un abandon de la vérité sous la forme de deux absolus: l'absolu épistémologique et l'absolu ontologique.

vendredi 16 juillet 2021

Pessoa: le vide et l'infini

 "Les disciples de Nietzsche sont innombrables dans le monde entier, il y en a même qui ont lu l'œuvre du maître. La plupart n'acceptent de Nietzsche que ce qui est déjà en eux, ce qui, d'ailleurs, arrive avec tous les disciples de tous les philosophes. La minorité [erreur de traduction? Faut-il comprendre majorité?] n'a pas compris Nietzsche, c'est celle-là qui suit fidèlement sa doctrine. La seule grande affirmation de Nietzsche est que la joie est plus profonde que la douleur, que la joie requiert une profonde, profonde éternité. Comme toutes les pensées culminantes et fécondes des grands maîtres, cela ne signifie rien du tout. C'est la raison pour laquelle elle agit si profondément dans les esprits: on ne peut mettre absolument tout que dans le vide total."

Fernando Pessoa, morceau de lettre incomplète, sans destinataire ni date.

mardi 3 novembre 2020

[ Terres Brûlées ] Un roi

L'impossible réalité des choses
M'éclabousse les yeux
M'étouffe un cri dans l'âme.

Que sont ces choses que mes yeux voient?
Le passé d'astres distants
d'un abîme infrangible.

Impossible...
Je le sais de tout temps
De mon infinie finitude.

La ville, les astres,
Les passagers errants de l'univers
Tout se défait de moi.

L'impossible réalité des choses
S'éloigne et je suis là.
Insulaire, unique, un roi.

mardi 28 janvier 2020

Je n'ai jamais trouvé tout ça très juste



Tu sais je n'ai jamais trouvé tout ça très juste
Que chacun vive sa vie comme si nous étions éternels
Quand c'est la mort au bout de chaque destin
Et qu'une à une les étoiles s'éteignent.

Il n'est pas juste non plus qu'une des deux extrémités d'un amour
Reste seule allumée
Quand c'est la seule chose que nous devrions pouvoir vivre
Sans concevoir de fin.

Que tes épaules droites et ton dos bien cambré
Aient tourné les talons à mon puits solitaire
Que toute ta chaleur se soit trop dissipée.

Ce n'est pas juste qu'un verre de vin t'ait remplacé
Que seules des images de toi me fassent danser
La valse des échoués là
Sur une piste déchirée des cieux.

Tu sais au fond rien de tout ça n'est juste:
Que mon destin demeure parallèle et jamais ne me croise
Que tout ce monde existe avec des yeux fermés
Quand les miens sont fixés sur un néant d'illimité.

Je suis sûr que tu es belle
Dans tes voluptés insouciantes
Avec ton coeur rebelle
Qui méprise le silence.

Il n'y a ni bonheur ni idéal
Alors à quoi bon vivre en croyant qu'un mensonge
Peut combler tout le vide entre deux absolus...

mercredi 4 septembre 2019

Ni poème ni humain

Je ne sais plus commencer les phrases narrant ma débâcle. Je ne sais plus agencer les mots entre eux, et encore moins les phrases. Ecrire des poèmes est devenu pour moi une idée et je me gorge de souvenirs anciens où le verbe coulait promptement de mes mains. Je n'ai plus de patrie, même le langage semble m'avoir renié. Je suis un citoyen médiocre qui ne paie pas ses dettes. Je pille un pays, sa générosité et jamais ne rends rien, je demeure clos dans l'opaque enceinte d'une haute conscience. Je ne vais pas au travail, ne respecte aucun engagement - et pour cela n'en prend aucun. Ce n'est pas que je ne sois pas fiable, je le suis infiniment, mais bien plutôt que le poids des obligations m'est tant intolérable que je file derechef me cacher dans quelque coin obscur, dans une mansarde oubliée d'où je peux contempler le monde qui s'écoule et produit ses richesses, tandis qu'au sein de mon impasse, je taxe sans vergogne ce qui ne m'est pas dû...

Je n'ai pas de grand besoin mais tout de même... Les mots me donnaient de quoi taire l'angoisse existentielle qui cisaille aujourd'hui les ailes de ma volonté, les membres du bonheur, qui m'ont finalement peut-être toujours fait défaut... Je me suis dispersé dans l'indétermination, il semble que chaque veine du monde le moindre petit vaisseau, ne sache plus trouver ma trace dans le réseau des choses. C'est qu'à vrai dire je suis peut-être l'apostat des choses même...

Écrire... Mais pourquoi? Comme un bol d'oxygène qu'on avalerait sans trop savoir pourquoi. Pour continuer jusqu'au suivant voilà tout. Mais pour qu'une fonction soit mature et fluide encore faut-il en faire usage. Ma poésie est un membre fantôme, une terre brûlée que j'arpente en spectre errant qui regarde la terre calcinée et surimpose en image éthérée les paysages d'autrefois, les monts et les merveilles. J'ai l'indécence de me sentir abandonnée lors même que c'est bien moi qui ait tout renié, comme à mon habitude, j'ai "tout ruiné" - tu me l'as dit un jour. C'est peut-être là mon grand talent, d'éroder avant l'heure, d'effriter ce qui tient, de dénouer les liens, de couper toute attache pour faire de ma personne un îlot d'absolu perdu dans l'inatteignable néant.

Mais être cela est encore être quelque chose, et comme je ne me satisfais de rien, de cela aussi je me lasse. J'en ai ma claque d'être à l'entropie, je veux abandonner ce navire, me plonger dans la mer. C'est ainsi que me parvient le monde: en rayons diffractés par l'océan trop épais de mes songes, qui peignent sur mon âme ces images fantômes, reflets d'inexistence. Je ne veux aller vers rien, je ne veux être rien, ni vivant ni mort, ni poème ni humain.

Ni poème ni humain.