dimanche 25 janvier 2015

F(r)a(c)talité

Ce chemin, mon chemin, aura été pavé de souffrance. Et je parle au futur antérieur comme comme si tout cela était passé, au fond qu'en sais-je, combien de bornes reste-t-il à avaler, combien d'instants à consumer, combien d'amours à perdre?

Sortir peu à peu de tous les moelleux carcans des rêves archétypaux de la culture qui m'a fait émerger, m'arracher par la brutalité du déchirement à ces idéaux culturels qui sont l'écosystème où je me suis développé, à tel point omniprésents qu'ils se sont longtemps confondus à ma chair, mon air et à ma nourriture. Ces modèles de série, incrustés dans mes gènes, je les quitte peu à peu. Et je me vois partir, petit navire solitaire et fragile, affronter le grand large où toute direction s'annule, où le seul référent qui subsiste est celui, si dérisoire et versatile, de la subjectivité.

On pourrait croire qu'il aura fallu bien du courage pour en passer par là, quitter le port et sa sémiotique bien cadrée, ses routes balisées; quitter la rive et ses semblables, sans provisions, sans autre horizon que celui indéterminé de tous les horizons, sans espoirs ni attentes. On pourrait le croire effectivement... Pourtant ce ne fut pas le cas, je n'ai jamais été particulièrement courageux: j'endure la vie qui s'effectue sur moi, voilà tout, athlète de l'existence, marathonien du vide. Courageux je ne le suis pas, mais je suis résilient et capable de faire du brasier infernal de la souffrance un combustible pour créer un tant soit peu de beauté absurde, un bout d'espace respirable au sein même des flammes.

Et puis pour être courageux il faut être volontaire, du moins c'est l'image que je m'en fais, précisément parce qu'elle me fait défaut. Moi je n'ai jamais affronté la vie, c'est elle qui m'a rouée de coups, qui s'est jetée sur moi dès la première seconde, elle qui sait si bien extraire goutte à goutte l'eau qui constitue mon corps, comme un salaire lui étant du. Et je ne fais rien d'autre que continuer ma route, me relevant pour le moment de tous les KO infligés, un peu hagard, légèrement titubant et sans comprendre jamais ce qui se trame ici.

Mal aiguillé sur mon chemin de traverse, je me souviens parfois avec acuité de ces trésors perdus dont la valeur provenait de l'assentiment de mes semblables: travail, maison, femme, stabilité, ambition, réussite, reconnaissance... Bien souvent je n'accepte pas la perte et je me déchire alors entre le présent de ma volonté et un actuel présent qui se soucie bien peu de mes désirs. D'ailleurs est-ce vrai? Il m'arrive de croire que tout ce que je veux finit par advenir, chaque volonté sincère pareille à une graine que le temps fait germer. Simplement je ne sais pas ce que je veux, ainsi mon destin est le chaos que j'appelle de mes voeux.

J'accepte, avec difficulté mais nécessité, de me lever parfois avec ce sentiment lancinant de manque, qui place dès les premières lueurs du jour l'absence bien réelle de la femme que j'ai perdue par ma faute. Je suis bien contraint d'agréer à ces moments de déroute qui tendent tout entier mon être vers cette présence enfuie, qui me fixent dans l'envie de l'autre, de ses tournures d'esprit, de ses bêtises et de ses rires. Je suis seul! À chaque embranchement je me suis acheminé vers d'autres routes, d'autres déroutes diraient certains, toujours vers une alternative qui n'existait probablement pas et que je crée. Je est parfois trop large, trop vaste, capable d'englober des régions de mon être si lointaines qu'il m'arrive de les oublier, voir de ne les avoir jamais connues. Et cette adversité que j'affronte malgré moi est en fait une partie de moi-même, toujours plus vaste, toujours au-delà du simple vécu et de sa conscience immédiate, toujours par delà comme le serait une fractale, insaisissable image.

Ce chemin que j'arpente dans la douleur et le tourment, finalement peut-être que je l'ai voulu ainsi.

samedi 24 janvier 2015

Les petits dieux

J'aimerais que l'on m'enlève les mots, cet argile de mes pensées, afin que plus personne, et surtout moi-même, n'ait plus à affronter ces durs golems de mes idées. Quel sorte de démiurge affreux suis-je donc, sans cesse pétrissant entre ses mains la pâte indifférenciée du langage, petits tas que je pose dans un ordre harmonique pour produire l'illusion du vivant. Mais ces textes qui résonnent pourtant de l'écho de mon âme totipotente, ne sont que les pâles créatures de leur dieu, ombre d'une impression originaire qui demeure à distance.

Je fais le monde que j'habite, petit tyran velléitaire qui ne daigne poser le pied que sur les dalles qu'il a lui-même façonnées. Partout où je regarde ce ne sont que les mêmes paysages peints à partir de cette palette innée et transcendantale à laquelle je tente pourtant d'échapper. Le goût des choses ici n'est qu'une déclinaison de mes tonalités propres, chaque musique un extrait prélevé sur le rythme de mon coeur. Même l'Autre que j'aime si fort n'est qu'une projection des qualités que je ne sais voir en moi et qui sont pourtant présentes malgré tout, puisque je les connais, puisque je les jette devant en les plaquant sur les choses inertes à qui j'insuffle la vie.

Je suis le souffle exténué de ce monde, partout cherchant une autre aspiration que la sienne, une aspiration propre à la maintenir et qui pourrait soutenir aussi bien un univers forain que le mien trop familier. Par quelle raisonnement schizophrénique me prends-je à croire qu'une quelconque altérité réelle me résiste et s'oppose à mes volontés? Je crois que ce qui s'oppose à moi n'est rien d'autre qu'une partie immergée de moi-même, l'anti-matière de mon âme qui maintient l'équilibre nécessaire au déséquilibre qu'est l'existence. L'avènement entropique ce sera lorsque je ne m'opposerai plus à moi-même et que véritablement je réaliserai l'absolutisation de mon ego, hubris délétère qui viendra terminer un cycle d'univers avant le grand rebond qui verra renaître l'éternelle dualité des forces.

En attendant, j'annexe les mots comme une simple dépendance de mes rêves, argile indéterminée qui porte encore le nom d'argile pour bien marquer la différenciation entre cette matière et moi-même. C'est que les mots me résistent encore et me renvoient le reflet de ma multiplicité. Viendra un jour, peut-être, où je n'appellerai plus cet argile "argile", viendra un jour malheureux où toute chose portera mon nom silencieux, et le monde alors reposera en attente, dans la froide éternité de ma réalisation totalitaire. Mais alors, j'en ai l'intime conviction, quelque chose au fond du fond de mon propre fondement, quelque chose dans l'envers de toutes sources bruissera encore, frayant son chemin étroit vers la surface du monde, sur la scène étrange des phénomènes, où se manifeste et jaillit comme figé le miracle maudit de l'existence. Quelque chose d'autre demeure à la source du même: non-principe de tout principe et qui tel un souffle assure par son balancement, par l'espace qu'il creuse dans l'absolue négation de l'absolue affirmation, l'existence cadencée des choses, le mouvement et la lumière qui parcoure le vide pour que surgisse à chaque instant le mystère infini de l'être.

Tout cela passera et je devrai donc renaître comme si, finalement, je n'étais jamais mort. La vie n'a pas de fin, elle est une série de rebonds qui s'effectuent. Un dieu peut-il mourir? Un dieu a-t-il le droit de mourir? Et je me prends à rêver de n'être que le personnage écrit d'un autre Auteur, créature dont la chair n'est que l'image d'une pensée. Et si cela était aurais-je alors le droit d'un jour me reposer?

mercredi 21 janvier 2015

Une pensée comme le temps

J'entends encore Fernando Pessoa me dire avec ma voix: "la philosophie c'est l'art d'avoir des théories intéressantes sur le monde". Combien je suis d'accord avec cette phrase aujourd'hui. J'entends encore aussi ce professeur d'université me répondre avec sa voix: "et vous pensez qu'il a raison? Vous ne croyez pas que la philosophie est plutôt une méthode de pensée?", et moi de répondre que non.

Bien sûr que la philosophie est une méthode de pensée, mais comme en tous domaines, les hommes n'ont que faire de la méthode, ils cherchent le profit qu'ils peuvent en tirer, ils cherchent les trésors qu'elle peut leur procurer, ils cherchent enfin un lieu qui puissent leur servir de référent absolu. Cette méthode de pensée qu'est la philosophie n'a mené que trop souvent au cours de son histoire à l'élaboration de théories aussi invérifiables les unes que les autres, à des discours métaphysiques qui seraient tout à fait honorables, voire admirables, s'ils n'avaient la prétention d'être plus que ce qu'ils sont: un discours élaboré. Un discours qui ne dit rien de plus que les règles auxquelles il obéit et la beauté de sa structure formelle.

Alors que faut-il faire? On me reproche souvent d'être un philosophe nihiliste ou de la destruction de toute théorie en teintant ce jugement d'une connotation éminemment négative. Pourtant la déconstruction n'est pas négative. Selon le discours des naturalistes optimistes béats, il faudrait que toute déconstruction soit un pas en arrière, lors même que ces personnes qui s'entichent de toutes formes de croissance, en bon jardiniers autoproclamés de l'humanité et du monde, sont indirectement amoureux du temps lui-même. J'entends encore leur émerveillement face à  la fleur qui pousse lentement, à l'arbre qui s'élève par l'action du temps, et je vois aussi dans leur yeux l'incompréhension et le ressentiment face à mes propos qui sont la hache qui vient couper indifféremment l'arbrisseau comme le vieux baobab ayant traversé les âges.

Ne se rendent-ils pas compte ces gens-là que ce qu'ils chérissent dans la durée, cette force créatrice et constructive, fait partie du même mouvement qui érode et abolit sans cesse. Ne voient-ils pas que c'est par les fragments qu'il arrache aux formes établies que le temps en construit de nouvelles? Ne savent-ils pas que tout jugement de valeur est relatif à un point de vue, un référent qui observe l'état d'une forme par le prisme de son achèvement supposé? Construisez un bateau et vous détruisez les planches qui le constituent, planches qui ont existé par la suppression des arbres d'où elles sont extraites. Détruisez une maison et vous créerez des cailloux, de la poussière et mille autres fragments qui s'intégreront dans une forme nouvelle.

Ma philosophie, si elle n'est pas consensuelle, n'est ni négative ni positive, elle est comme le temps, sans valeur intrinsèque (mais même cela je ne peux en être certain). Ma philosophie, comme le temps, est une respiration entre deux absolus utopiques, elle est et le bien et le mal, elle n'est ni l'un ni l'autre. Ce que je fais avec le bulldozer de ma raison et ses tendances isosthéniques, à son penchant pour l'annulation de tout point d'arrêt par la possibilité de changer indéfiniment les termes de la relation, c'est de vous exprimer avec sincérité ce que c'est qu'être moi, d'être cette modalité de la pensée que je suis. Sachez que si vous en souffrez, c'est parce que j'en souffre aussi, mais ce qui peut briser le corps peut aussi briser les chaînes. Il y a un point cependant où je ne demanderai à personne de me suivre, c'est celui qui consiste à ne plus voir dans tout édifice qu'une stabilité arbitraire conférée par la seule volonté de croire; le point où le regard devient laniaire à force de s'insinuer dans le vide des choses; le point où la vie même se résume à accepter d'être soi-même l'auteur d'une carte qui s'éloigne du territoire par l'infinie déportation que sont les sensations individuelles.

Voyez mes frères comme le monde se plie à vos configurations, aux quelques formes que vous savez déployer pour le capturer. N'ayez pas peur de ma pensée, elle ne nie pas plus qu'elle n'affirme vos croyances et espoirs, elle vient seulement rappeler que croyances et espoirs, s'ils peuvent être partagés, n'ont aucun droit à faire autorité.

Ma mission est finie

Entendez-vous voix du ciel qui partent du néant?
Me prendrez-vous sur vos ailes au-dessus des géants?
Voyez comme ma mission se termine ici
J'ai gravi vos montagnes les plus abruptes et m'en suis sorti
Aujourd'hui je me ris de tout
Et dans chaque rire se cache une larme
Et dans chaque pleur un mélodieux sourire
Je pleure de mon bonheur factice
Et ris du non-fondement de la tristesse
Alors bien sûr je ne vous propose rien
Mes rimes sont absurdes, elles ne mènent à rien
Mais c'est mon seul moyen pour appeler la mort
Et ramener sur moi les yeux de l'éternel
Voyez comme je marche fou
Parlant tout seul
En habitant la rue comme un vulgaire linceul
Et je ris de ma démence assumée
Dans chaque mouvement je ne vois que beauté
J'ai trouvé cette méthode antique pour la secréter
Je m'en drogue en douce dans mes silences immérités
Regardez comme je n'attends plus rien
Et comme les mésaventures ne savent plus m'atteindre
Je renonce à cette condition
D'homme moderne je redeviens un lion
Je chante et danse sur la fin du monde
Sur le temps qui dévore ses enfants un à un
Je resterai ici le temps qu'il faudra
Mais entendez-moi je vous le dis
Ma mission est finie
Qu'arrivera-t-il si l'on ne m'envois bientôt
Dans les hautes sphères d'un univers forain
Qu'atropos coupe le fil enfin!
Sinon le monde souffrira de mes mots
Chaque souffle enfin de ma vie
Ne servira bientôt plus que la poésie
Dîtes-moi s'il vous plaît
Si ma mission est finie

lundi 19 janvier 2015

La physique des particules

Dans mon renoncement je franchis les plus hauts sommets de l'existence. Dans mon désert d'altitude et de froideur, je me réchauffe à des feux dont l'intense chaleur ne se mesure pas en degrés quantitatifs et de surface, mais en nuances de profondeur. Braquant ma loupe sur les cellules de mon temps, j'observe ahuri le furieux ballet des particules, je vois avec intérêt les champs qui s'entrecroisent et font émerger à leur surface la perturbation énergétique de nos vies et de nos décisions. J'ai quelques perles en magasin que je garde tendrement dans mes souvenirs organiques, je les revis en silence lors de mes marches et contemplations diverses; je ressens encore le son de telle voix qui me fait frissonner, l'intimité honnête et sans façade de tels propos exprimés. Tous ces souvenirs sont autant de mouvements qui me portent plus loin, aussi sûrement que le font mes actes et autres choix.

C'est bien évidemment quand je ne cherche plus rien que je tombe sur les plus attendrissantes particularités; c'est bien évidemment dans les actes bénins et sans grandeur que j'assiste à des évènements propres à infléchir le cours de l'Histoire, le cours de mon coeur surtout qui soudain paraît dérisoire. Ma tristesse est une tache ontologique que votre existence essuie par petites zones.

Ah qu'est-ce que le bonheur si ce n'est la capacité proprement humaine à faire coïncider le réel à nos croyances et à nos volontés? Quand on y songe, même le stoïcien qui pense faire l'inverse, c'est à dire calquer sa volonté sur tout ce qui a lieu, ne fait que se duper lui-même par cet acte originaire qui consiste à ne plus vouloir que ce qui est. Un sceptique ne sait jamais s'il est heureux ou non, et le bonheur est une prison dorée de laquelle il s'est non seulement probablement enfui, mais dont il s'éloigne inexorablement. Le calme de l'ataraxie n'est pas un équilibre linéaire et parfait qui suivrait son chemin rectiligne comme une droite dans l'espace euclidien. L'équilibre dont il s'agit est fait d'innombrables oscillations qui placent l'homme face à l'extrême désarroi ou bien l'intense joie juste avant que sa conscience désincarnée contrebalance et annule ce brusque mouvement par la simple pondération de cette force à l'aune de l'éternité et de l'indéfini. Plus rien n'a de valeur intrinsèque dans le coeur immense de la Conscience à laquelle nous appartenons. Nous-mêmes ne sommes qu'un déséquilibre éphémère sur son champ, concrétion momentanée et probablement nécessaire qui confronte une factice totalité au véritable Tout.

Pourquoi ai-je écrit ce texte quand tout disparaîtra? Et pourquoi pas vivre ce moment qui est advenu et a manifesté ce qui existait déjà de tous temps et selon toutes les déclinaisons possibles dans l'envers des phénomènes, source à rebours qui remonte à l'absence de tout dévoilement? Les mots sont les photons d'un autre monde et ce qu'ils font apparaître est aussi arbitraire que le réel absurde.

dimanche 18 janvier 2015

Où il n'y a pas d'air

Il se passe quelque chose d'extraordinaire à chaque grain de temps qui s'écoule. J'y pense les paupières fermées, allongé dans un grand lit, lorsque cohabitent avec ma gueule de bois de sombres poèmes où danse je ne sais quelle beauté moqueuse qui prend la peine pour s'en faire des colliers. Et je m'en vais vomir avec l'amour au coeur, mille images défilant, chacune étant le cristal d'un poème endormi. Je suis si étranger à ce corps que même dans la fournaise j'évolue dans la grâce de nuits étoilées aux constellations si dense que mes mots ne savent s'y orienter. Je vis et à chaque fragment de vie s'inscrit un à côté de cette vie (qui à la fin sera considérée mienne par d'autres que moi) sous la forme de mots, de pensées, de sentiments et jugements. Je suis bien plus véritablement ce chapelet d'existence parallèle, je me fabrique à la dérobée des portes vers l'infini par lesquelles je peux quitter l'enfer de mon présent pour aller danser sur le néant atemporel. Tiens l'idée est intéressante, comme tous les paradoxes, un rythme atemporel, un mouvement sans temps qui demeure attaché à la réalité par la fragile interface de mon corps. "Fragile interface" tu me fais ressentir des plaisirs qui m'ennuient et des douleurs qui me ralentissent et m'encombrent. Je préfère encore le tourment plus raffiné de la conscience lorsqu'elle s'empêtre dans sa propre vacuité et part dans une chasse sans espoir avec le seau troué du désir et de la volonté. J'éprouve au milieu d'une décharge d'ordures, la même contemplation poétique que face au mouvement de l'océan. Peu importe ce qui adviendra de moi, peu importe ce qu'un terne curriculum vitae retiendra, je respire plus librement où il n'y a pas d'air, dans l'espace sans localité de mes songes et le souffle de mes mots.

De quel métal sont mes pensées

Frisson céleste acier refroidi toi qui te caches dans mes cris
Et ce sang qui charrie trop épais de ma vitalité les scories.
Quel est donc l'univers, que sont ces paysages
Où les tours immenses brillent jusqu'aux nuages?
Ma voix ne transporte plus rien de moi
Rien que de terribles crissements
Le chant de mon coeur qui se ment,
La mort dans chaque pulsation
dévore l'écho de mes pas vagabonds
Vous qui dormez quelque part
Protégé dans votre case
Des passions du hasard
Jamais vous ne saurez
Le sens de mes sillons glacés
Qui se perdent sans lieu
Sur des plaines métalliques.
Le fer gris et le scintillement blessant de l'acier chromé
Pareil à mon esprit que le temps a plié;
Je marche sans volonté
Cadavre animé par le fléau de la vie,
Le destin est une suite d'humeurs
Qui suintent dans chaque soubresaut d'une expression mort-née
Histoire de pleurs qui se voudraient rires
Et de rires souillés par le malheur.
Là-haut, attendent les tours
Et le soleil coruscant qui s'éclate sur leur façade
Me revient trop fort dans les nerfs optiques;
Qui es-tu dieu qui m'éclabousse de ta vile existence
Toi prétentieux cadavre au coeur consumé?
Je marche, marche et traverse les déserts
Nul écho du passé nulles prémices du futur,
Les amours qui guettent et tous ces rêves dont je n'ai cure,
Mes pieds marchent dans les pièges
Sans même chercher à les éviter;
Il n'y a pas de réalité autre
Je me heurte au monde comme on se jetterait sur soi.
La glace ici résiste à tous les feux
Je n'ai plus de peine plus de douleur
Et le sol que mes pieds ont foulé porte à jamais une blessure.
La vie qui veut tout soumettre cherche à se venger
Ma résistance lui déplâit
Elle veut s'annexer le fantôme de mon coeur,
Mais nulle palpitation en moi qui ne soit pas un geste en direction de l'abîme:
Ce sang qui me monte aux joues
Ces cellules qui s'agitent
Et ce corps qui n'est pas mien,
Nul sentiment qui ne soit pas d'airain.
Je suis une statue de bronze enfermée dans la chair
Mes pensées alimentent mille étoiles infernales
Brasier ardent fusion de mes désirs rejetés;
J'ai vomi des galaxies plus lumineuses qu'une forêt de quasars;
J'élance mon regard vers les hautes montagnes enneigées
Les tours m'observent
Je vois de hautes meurtrières striées de fines pointes aiguisées
Aluminium de la nature
De quel métal sont mes pensées?

mercredi 14 janvier 2015

Je ne suis pas votre bataille

Il existe en moi un tel désir de plaire et de convenir aux attentes que je me vois contraint de tout justifier en permanence, chacune de mes positions, chaque détermination. Si je ne vote pas, il me faut expliquer pourquoi, fournir une raison qui rende l'apolitisme politiquement correct. Si je ne m'informe pas sur le monde et m'en détourne avec résolution, il me faut mettre en relation les informations qui m'ont permis de rendre cette attitude éclairée et parfaitement au fait d'une assourdissante actualité. Si je ne cherche nulle compagne il me faut alors justifier mon étrangeté par une quelconque forme d'amour qui me ferait trouver mon prochain dans la solitude et le renoncement. Si je suis incurablement fainéant, il m'est imposé de faire de l'oisiveté la fine fleur de l'arbre du labeur, son sens le plus élevé. Si je suis dissonant, il me faut mettre à jour la théorie harmonique raffinée qui fait de mon écart la trace certaine d'un génie mélodique.

Combien de temps encore vais-je me justifier d'être ce que je suis? Un long chemin est si long à raconter, et ma démarche doit-elle être sans cesse rendue rationnelle et compréhensible? Ne pourrais-je un jour répondre à l'inconnu qui me presse de question comme pour résorber le vide que je fais naître sous ses pieds: "c'est comme ça, tu dois sentir ce que c'est d'être moi pour comprendre, il n'y a pas de discours satisfaisant"? Aucun discours ne traverse l'abîme et ne peut le faire remonter à la surface, nul ne tient l'abîme en ses mains, c'est au contraire ce dernier qui nous tient en lui.

Je n'ai pas de justification à ce que je suis et je n'ai plus la force d'entreprendre de longs discours censés me rendre transparent et acceptable pour autrui, je n'ai plus l'envie de déjouer les raccourcis dans lesquels tous, ou presque, tombent immanquablement, plus le désir d'être entendu, même plus la volonté de répondre aux questions.

Je revendique mon désintérêt pour le monde de l'actualité, pour les engouements populaires, pour les ambitions décentes et obligatoires, pour les destins en série. Je ne suis pas Charlie et je vous emmerde. Je ne vais pas dans la rue quand les médias décident qu'il est temps d'y aller, je ne fais pas de la politique selon les règles fixées par le système en place, je ne laisse pas à la liberté le périmètre que vous lui fixez. Je ne m'émeut pas des grands rassemblements qui ne changeront rien, je n'ai aucune honte de ne pas vouloir bouger mon cul pour mon pays, pays d'ailleurs où je suis né par hasard. Je me branle de ne pas vouloir travailler plus de deux ou trois heures par jour et je me tape que la France parte en couille à cause de "gens comme moi".  Par dessus tout je me contrefous de l'effet que cela vous fait d'entendre mes propos et d'être en ma présence, je me tamponne le coquillard que vous ne me compreniez pas et que vous ne m'aimiez pas, mieux, que vous ayez peur de moi. Et j'emmerde ta copine qui ne veut plus que l'on se voit parce qu'elle trouve que je suis vulgaire et dangereux pour le couple. Je chie sur vos vies et vos avis, moi je vous accepte tels que vous êtes et je vous épargne mes jugements, je vous laisse respirer que vous me plaisiez ou non, je ne vais pas tenter d'écrire des lois pour effacer vos tronches et vos comportements néfastes.

Alors passez votre chemin et rentrez chez vous heureux de n'être pas moi, vous avez bien raison, dormez sereins, le bonheur est dans le nombre et la répétition du terme lui-même. Matin, midi et soir, entendez d'autres vous dire comme vous êtes heureux et susurrez-le à votre propre oreille à chaque doute et à chaque cahot.

Vous êtes heureux, tout va bien, et vous avez raison. Vous pouvez écraser les autres, la différence et le désaccord car la liberté c'est vous, c'est vous la vérité de ce monde.

mardi 13 janvier 2015

La faille d'où jaillit la source

L'idée a toujours été pour moi plus belle que la chose même, la pensée de faire plus épanouissante que l'acte. En cela, j'ai bien souvent préféré rêver ma vie plutôt que de l'accomplir comme une chose parmi le monde des choses. Mais je ne suis pas aussi fidèle au renoncement que l'est un sublime Pessoa, trop indécis et incertain que je suis, je m'avance sur le chemin du rêve tout en me demandant: "et si le chemin de l'action était plus empreint de satisfaction?". Alors je rêve à demi en faisant à demi, échouant à chaque instant et le rêve et la vie; tu peux en témoigner je crois.

Je me déchire et me sépare d'une distance qui devient un abîme qu'aucun ingénieux algorithme de la raison ne peut venir combler. Je suis une interminable chute au sein de ce gouffre entre résignation et volonté, mes textes un hurlement silencieux qui n'a ni la prestance du silence, ni la puissance du cri.

Dans mon parfait équilibre d'indétermination, je ne goûte à rien et me maintient dans la neutralité rectiligne d'une existence abjecte. Mais il y a différentes sortes d'équilibre et le mien est fait d'accès de volonté furieuse qui succèdent à la plus intense passivité contemplative: acceptation et révolte, passion et action. Mais par la violence de mes actions sourde ma nature contemplative et par la profondeur de ma contemplation s'exprime la vive brûlure de ma nature ardente.

Je suis un feu qui brûle en perpétuel lutte avec l'air que tantôt j'avale d'un élan brutal et tantôt je laisse m'engloutir et m'éteindre en un hypnotique ballet que nul n'observe. Au dedans du volcan: magma et fournaise bouillonnante, ébullition éternelle qui menace à tout instant de souffler son énergie tout autour, dans un dernier acte létal, manifestation surprenante de ce qui a longtemps couvé et s'est concentré jusqu'à la rupture, jusqu'à la faille d'où jaillit la source

Un bref chant pour l'éternité

Fut un temps où, je me souviens, j'accumulais les lectures et broyait de l'information comme de la beauté à l'effarante vitesse d'un ventre affamé. J'avançais en cherchant un but, ultime halte sur le chemin usant de ma curiosité. Je me souviens alors comme chaque fin était un sentiment sublime et naturel, accomplissement et apothéose d'une tranche de grâce, culminance et fin programmée d'une familiarité éphémère.

Mais aujourd'hui tout ceci a bien changé, à tel point que je me refuse à terminer un quelconque livre. J'entame des oeuvres et me plonge dans leur musique qui me les rend si familières et douces que leur auteur devient un ami de toujours que je ne saurais quitter. Deux ou trois pages par jour et pas plus.

Je ne cherche plus rien dans mon voyage hagard, je n'ai nulle part où aller et ma conscience le sait. Chaque chant est dorénavant une présence possible de l'amour et d'une éternité qui sans cesse se dérobe dans la vie de tous les jours.

À mesure que je vieillis, je vois les manifestations de l'amour se faire de plus en plus rares, la possibilité de nouer des contacts inaltérables si ténue et réduite à presque rien, fruit d'un extraordinaire hasard, jeu de patience et peut-être d'abnégation. Pour cela je chéris mes amours de jeunesse, mes amours de toujours, ceux dont la durée s'est muée en une éternité, je cultive et chéris tout ce qui a lentement mûri. Ô combien quelques années sont beaucoup dans le ballet endiablé des relations qui se font et se défont au gré des rencontres factices et des intimité de circonstance. Bien souvent on cherche cette intimité si rassurante, l'autre n'étant plus qu'un prétexte docile ou indocile.

Vous, ces autres que j'ai rencontré il y a maintenant longtemps, vous ces autres dont la présence et l'existence me sont si chères et si incommensurablement précieuses, vous trouverez en moi une fidélité à toute épreuve, hors du temps et de l'impermanence, car mon insignifiante durée n'est qu'un bref chant à la gloire de nos éternités.

samedi 10 janvier 2015

Abolir le savoir

"Je dus donc abolir le savoir pour laisser une place à la croyance", tel est à mon sens l'enseignement fondamental de Kant. Poursuivant le même chemin, j'en arrive aujourd'hui à la même position temporaire. Cependant je n'ai jamais su quoi faire de cette liberté ou plutôt c'est comme si ma raison me montrait quelque chose mais que tout mon être s'y opposait ou ne savait l'embrasser.

Puisque tout savoir métaphysique semble être une forme d'illusion linguistique (comment un discours pourrait dire la chose, une parole se substituer à celle-ci?), il ne reste qu'à admirer l'incroyable faculté créatrice de l'humanité. L'homme, depuis toujours a créé un monde qui lui appartient, il a unifié dans un système à la nécessaire légalité l'ensemble des phénomènes, le flux permanent de son rapport au réel indéterminé.

Mais face à ce constat, je reste désespérément effacé, en retrait, incapable de m'engager pleinement dans l'acte créateur qui serait une expression de cette source universelle, je ne parviens pas à renoncer à mes chimères enfantines et à la volonté de trouver. Souhaitant coïncider avec la totalité du réel, je reste, à l'image de ce que nous savons de lui en tant que chose en soi, indéterminé, indécis, informe. Je n'ai pas cette incroyable capacité des sceptiques à embrasser l'ignorance et la vivre comme un soulagement face à la violence harassante d'une quête effrénée de l'absolu. Je ne sais plus accepter l'évènement et habiter en bon stoïcien le présent qui s'offre et s'impose, je m'insurge et lutte contre mon impuissance, contre ce qui est, je me déporte de tout et de ce moi que je ne peux saisir. Impossible désaisissement dont les échos me parviennent si souvent avec envie et nostalgie.

Je n'ai, je crois, pas la force d'être un créateur capable de faire subsister un monde et de le faire jaillir à chaque instant. J'ai sans cesse en tête la grande erreur d'une mimésis qui me voit juger à la lumière d'improbables modèles l'oeuvre de mes mains en la dévaluant inexorablement. Je n'ose pas être ce que je suis, je suis miné par la crainte du jugement d'autrui, de mon propre jugement surtout, qui, dans son délire de perfection, se veut la somme de tous les jugements.

A force de me constituer moi-même en objet d'étude, j'ai fini par devenir cette indétermination réelle face à laquelle l'observateur se pose, la configurant a priori par les formes transcendantales de son appréhension. Mais que sont les formes de l'observateur que je suis? Puisque partout je ne vois que doute, silence et immédiateté muette et sans qualificatif, serais-je alors cela? Une pure ouverture au réel, une synesthésie affamée avalant le sensible, interface jamais repue vers l'inconnu indéfini. Et je dois vivre dans un monde où tout ce qui n'est pas saisissable et définissable est classé parmi les erreurs ou les insuffisances, un monde qui place des bornes sur chaque illimité.

vendredi 9 janvier 2015

Quand je serai parti

Aussi tranquille que la nuit qui l'enveloppe, les yeux fermés dans une contemplation intérieure le rapace demeure endormi. Je porte en moi les cicatrices sur mon coeur de serres acérées, comme de longs sillons de malheur qui rappellent à toute heure l'absence de tout bonheur durable.

L'oiseau est là, sur quelque branche ignorée de la volupté nocturne. Je marche dans la sombre forêt aux nuits quasi éternelles qui semblent dominer de leur durée l'éphémère nitescence des matinées dorées. J'emprunte tous les chemins, je suis perdu, la peur tapie dans chaque silence que mon coeur laisse sourdre jusqu'aux étoiles. Je ne sais si j'avance ou si je tourne en rond, j'erre en suspens, appartenant aux limbes d'une attente effrénée, je marche sans vouloir aller nulle part, mon voyage est maudit par un regard plus profond que la nuit qui m'attend quelque part, dans quelque instant de mon futur omniprésent.

Ne voyant rien venir, je prends courage et m'avance par delà les clairières illunées, le pas léger prenant son rythme sur le glissement imperceptible du présent. La seconde immédiate remplit tout l'espace de ma vie, il me semble alors que la nuit n'est qu'un prélude à des torrents d'aurores dont la vigoureuse clarté viendrait tirer de mon coeur l'énergie qui repose. Peut-être pourrais-je risquer un projet, me dis-je voyant passer dans le ciel des pluies d'étoiles filantes au milieu d'astres fixes. Et je pense au jour qui semble être déjà là, impliqué dans son contraire.

Au milieu de la sombre forêt une branche a craquée. Le ciel se fait plus lourd et la clarté stellaire de rieuse et futile se fait sombre et nécessaire. Sur une branche, celés dans la frondaison, deux trous noirs se sont formés qui ont pris toute joie et l'ont avalée. La branche sur laquelle est perché l'animal semble un fragile cou offert à la puissance de ses interminables serres. Chacune de leur pointe est aussi effilée que la faux bien aiguisée de la moissonneuse des jours. Tant ont depuis été emportés.

Et voilà que mon coeur s'affole et veut m'abandonner, il se souvient dans sa mémoire de chair du son de certains envols qui l'emmenaient par delà les nuages pour le jeter au sol. Ma conscience s'insurge, aimerait continuer à baguenauder innocente jusqu'au bout de la nuit, mais une certaine forme de causalité physiologique s'impose à elle de sa nécessité implacable. Les jambes sont des enclumes qui souhaitent reposer immobiles et emprunter au règne minéral cet état figé si contraire à la vie. Respirer? Mais à quoi bon s'insurgent les poumons, et ce diaphragme immense qui se rétrécit jusqu'à rien.

Tandis que mon corps vieilli lutte contre un certain engluement de toute sa volonté motrice et tandis que les dernières braises de ma joie rejaillie s'éteignent subitement, je l'entends, ange de la mort, collectionneur d'espoir. J'entends le frottement de mon linceul dans le déploiement de ces immenses ailes qui s'ouvrent pour me prendre. C'est le son du destin qui s'élance à ma rencontre, fatigué de ma maladresse et du peu de résistance que ma vie oppose au renoncement. L'animal s'envole et toute ma voie lactée n'est plus remplie que du son de l'air déchiré par ce plomb vorace. J'aimerais courir mais ne le peut, je vis dans la réalité ce rêve maintes fois visité qui voit le pas du dormeur empêché par on ne sait quelle entorse aux lois habituelles de la gravitation. De toute façon où aller, quel refuge pour le résigné qui préfère abandonner ses dernières secondes à la mort plutôt que les vivre ignorant?

Et la forêt ne se fait silencieuse que pour moi, chaque autre être vivant continue sa route serein, le jeu de la vie poursuit sa représentation, partout on vit et meurt dans un brouhaha général. Tandis qu'il n'y a pour moi plus d'autre symphonie qu'un hurlement aphone. Je ferme les yeux, je me réintègre jusqu'à l'origine, je tais le rythme du coeur qui rend un dernier hommage à la vie par une ultime accélération, ultime sprint, finale transcendance. Tout se fond dans l'unité du néant, sans signe, sans témoignage de mes sens, je pars de mon propre chef, je n'aurais même pas vu l'ombre se jeter sur moi.

Mes ailes se collent à mes flancs, mes poings immenses se referment, ils semblent d'interminables griffes qui blessent mes poignets. J'ai clos mes paupières sur l'insondable infinité de mon regard et c'est toute la nuit que je replie sur moi. Il y aura des aurores et des zéniths encore. Il y aura tellement de soleil et de joie quand je serai parti.

jeudi 8 janvier 2015

L'appel de l'océan

Je me souviens comme si c'était hier du premier livre que j'ai lu, c'était l'histoire de Pipo le petit cheval rouge. J'étais tellement gamin, le monde n'avait aucune frontière, mon imagination était une carte étroitement intriquée à la réalité. J'ai su immédiatement après avoir terminé ce livre que je voulais être écrivain, n'ayant alors à l'époque (et n'en ayant toujours pas aujourd'hui) aucune idée sur ce que pouvait être un métier et encore moins celui-ci. J'étais tout simplement émerveillé, il me semblait que nulle limite ne pouvait contraindre l'homme, tout était un immense mystère, les gens comme les choses.

Puis en grandissant j'ai rencontré la contrainte, d'abord celle des parents, ensuite celle de l'école. Plus tard ayant pris quelque hauteur, je pouvais voir sur chaque pavé de la rue le quadrillage bien marqué de la propriété privée et publique, je pouvais voir la carte de l'arbitraire humain, ce que la politique avait fait d'un territoire indéterminé. J'ai commencé à trouver moins de temps et d'espace pour rêver, heureusement j'avais toujours les livres et puis l'indéfinie dimension parallèle  du numérique. Dans ce cosmos virtuel je me rappelle très bien comme les lois étaient presque absentes, comme les rêves individuels pouvaient façonner des pans entiers du paysage, j'ai traversé des galaxies tenant selon leur propres constantes, j'ai découvert la puissance des rêves de mes semblables lorsqu'ils ont droit de se réaliser.

Puis j'ai continué à vieillir, m'arrachant aux dessins animés pour les hautes tours des sociétés anonymes. Je n'avais alors plus de temps pour rêver, de toute façon plus d'énergie. J'ai rencontré le travail, la loi, le pouvoir et compris à quel point l'enfance est un mensonge qu'on tolère pour je ne sais quelle raison. Pourtant moi je ne l'avais jamais quitté ce mensonge, le conservant en moi envers et contre tout; jusqu'au point d'être incapable d'habiter ce monde et de sourire avec les autres, de prendre du plaisir à leur quotidien. Je me sens bien plus proche des enfants que des adultes. Les derniers m'ont fait tellement de mal, ils ont volé mes trésors et les ont frappé d'anathème, ne laissant rien d'autre que les impulsions électriques de mon corps, le rouage de ma causalité.

La vie d'adulte c'est tout perdre peu à peu, c'est enterrer toutes ces choses qui faisaient de notre monde un univers si singulier pour revêtir l'uniforme légal, avec des mouvements de base et l'impossibilité de s'en affranchir. Il n'y a pas la place d'exister ici, chaque jour est un tourment à l'intensité qui augmente, à mesure que pulse en moi le désir des fictions et des alternatives à inventer. Je n'ai pas grand bonheur ici, seul celui de la compagnie de quelques êtres qui font partie du cocon que je me suis tissé, celui du monde aussi quand je suis seul avec lui, seul avec les individus qui ne sont pas soudés les uns aux autres par des lois et un code du travail.

Et je recherche ce lieu rêvé où je pourrais tracer ma route au sein de vertes vallées. Je recherche la présence informe et créatrice de l'océan, celui de l'être qui s'exprime dans mes pensées, je quête mon voyage et ne sais plus marcher. Mes vagues se cassent de moins en moins loin sur la côte, ma mer se retire en elle-même, m'attirant toujours plus au large et semblant m'intimer l'ordre de mettre les voiles. Je ressens de plus en plus l'appel de l'océan et le chant des abysses.

lundi 5 janvier 2015

L'anti-prophète

Aucun de mes écrits n'aura su résister au temps. À l'épreuve de mon jugement tous aujourd'hui échouent, pas un n'aura su résister à l'inexorable force de mon détachement. Fruit de l'éphémère poursuivant l'éternel, vous retournez à l'éphémère d'une joie vécue, d'une beauté fugace qu'un instant a fané. Rien de ce qui est fait par mes mains ne demeure harmonieux et sublime, rien de ce qui sort de ma bouche n'est un chant gracieux et subtile, rien de ce que je fais ne vaut ma peine; et pourtant, je continue à écrire le dédain comme un corps inerte poursuivrait sa trajectoire, vaisseau dérivant vers un but oublié et aussi inaccessible que tous les horizons.

Décidément, je pourrais tout arrêter, épargner au monde la vomissure de mes phrases, de mes lignes, de ces modulations sonores faites pour résonner dans le silence des cerveaux, ersatz de musiques enivrées que rien ne pourra plus faire briller. Ecrire? Moi? Mais pourquoi? Pour continuer à lire seul ces immodestes paroles qui doivent leur puissance à un improbable concours de circonstance qui me fait les lire dans l'état d'esprit bien particulier qui les a vu naître? J'aurais du comprendre bien avant que la beauté que j'y voyais était déjà présente en moi, ce sentiment sublime: un a priori effectif, prêtant à toute chose son intensité. Lorsque je suis dans cet état, je pourrais tout aussi bien observer la fenêtre ou lire la notice d'une télévision que j'y trouverais le même éclat, celui de mon état interne que jamais je n'aurais su correctement exprimer.

Va mon ambition d'artiste! Et toi aussi va femme que j'ai aimé! Allez-vous-en toutes choses que j'ai pu aimer! Je vous libère des lourdes chaînes de ma volonté qui vous liaient à moi pour le pire. Je n'ai à offrir que ce pire insondable, interminable voyage aux tréfonds du pire. Tout dans ma vie n'est qu'augmentation de la souffrance et tous mes efforts pour résorber cette dernière mènent à toujours plus de souffrance, ma science, mon art, mon amour, mon doute, mes croyances, mes peurs et puis mes tentatives. J'ai mené seul cette contre-vie qui est la mienne, tracé obstinément ce sillon de tourment qu'est mon destin.

Peut-être aurais-je au moins l'utilité de signaler à d'autres, et peut-être aux âmes à venir, la route à ne pas prendre, les battements de coeur à retenir, et tous les choix qui font de l'homme un martyr.