jeudi 31 mars 2011

Mon enfer

Comme beaucoup, j'ai droit à une part d'enfer dans mon paradis. Peut-être est-ce une manière d'équilibrer les choses, une sorte de loi universelle.

Mes migraines constituent un univers où l'horizon s'annule, hérissé de murs immenses que l'on ne peut traverser. Tout là-bas est cyclique, tout est répétition du même, tourner en rond est la seule issue possible pour ne pas sombrer. La moindre pensée est un point où la concentration se focalise, créant milles décharges nerveuses dans tous les sens, qui irradient mon cerveau par vagues successives. Ce monde est fait de collisions, d'ondes de choc, il est comme un liquide qu'il ne faut surtout pas troubler.

Alors je me plie à sa tyrannie, fixant mes yeux sur un point lisse, sans aspérités aucune pour l'esprit. Je tais ma conscience dans des mouvements et des pensées hypnotiques, m'absentant de la vie le temps que la douleur aura dictée.

Dans ces moments là, l'envie de ramper se fait pressante, comme pour m'humilier. Mon corps, comme mon âme, veut se tasser, s'effacer pour ne plus laisser place qu'à un néant volontaire. La migraine me force ainsi à organiser ma propre vacuité, à faire de mon royaume des ruines, et de mes ruines des cendres.

On pourrait faire de moi ce que l'on veut lorsque la douleur m'asservit. Je ne vois plus qu'elle, tout ce qui se passe autour ne me concerne plus vraiment. Et malgré tous mes efforts, ma conscience perçoit encore le temps qui s'écoule, les moments de vie perdus à jamais dans cet éternité blanche sur laquelle rien ne se peut fixer, qui impose le mouvement et interdit tout repos.

On ne peut rien construire dans ce monde, trop hostile pour l'homme. Lorsqu'il prend trop de consistance et de durée, le désir de mort s'accentue jusqu'à l'insupportable, jusqu'aux larmes incontrôlables, jusqu'à cette folie rampante et prête à se nourrir de nos cendres.

Je vieillis à la vitesse de l'éclair à trop cheminer dans mon enfer. Tout s'efface, la douleur fuit, ne se faisant entendre qu'en sourdine. J'émerge enfin, mais c'est à chaque fois une partie de moi dont je me dépouille. Des blocs de vie et d'énergie qui se consument dans cet ailleurs, me laissant dévasté, comme réveillé d'un long coma où le temps aurait coulé en mon absence.

Je meurs un peu, à chaque rencontre avec l'enfer. Mais qu'ai-je donc fait pour qu'on veuille tant me retenir là-bas?

Le Soleil

Parce que ce poème a sa place ici, malgré mon hésitation initiale. Merci à toi pour ces mots qui m'ont un jour transporté au-delà d'eux-mêmes, qui le font encore, et qui auront gravé dans ma mémoire un des plus beaux moments de ma vie...

La meilleure part du soleil est celle qui nous réchauffe le plus,
La plus belle face de la lune est celle que l'on voit, par l'Astre éclairée,
Le meilleur des arbres est celui qui nous abrite des pluvieux cumulus,
Et la plus belle des fleurs est celle dont le parfum nous rend niais...

Le Soleil en un sens, c'est Toi...

Je te contemple... Tu m'éblouis,
Plus majestueux que le monde entier.
Grand maître de ma si petite galaxie,
J'ose te prier de ne jamais m'oublier...

La lune en un sens, c'est moi...

Ne brillant que par ta lumière,
Je m'efface néanmoins sous ton éveil...
Alors, seule une esquisse de moi persévère
Pour te garder en privilège pendant mon sommeil...

L'arbre en un sens, c'est notre Amour...

Qui apaise, protège, et adoucit.
Né d'un rien, et qui pourtant chaque jour grandit...
Un inégalable refuge qui se renforce petit à petit,
Au gré du vent et sous le poids des intempéries...

Et la plus belle des fleurs en un sens, c'est ce poème et son intemporalité...

Je t'aime.

mardi 29 mars 2011

La colère

Nous avons vu, avec la peur, comment les sentiments s'insèrent dans le fossé qui existe entre ce que vit l'homme et ce qu'il se représente. Il existe toute une typologie de ces décalages mettant en relation la nature de ceux-ci avec le sentiment produit. Je vais m'attacher ici à ce que je nommerais décalage potentiel et qui peut avoir plusieurs conséquences parmi lesquelles: la colère.

Qu'est-ce que la colère?

On pourrait la définir comme suit: une différence entre les pouvoirs que l'homme se représente avoir sur autrui et la réalité des faits. En effet, pourquoi est-on en colère contre quelqu'un? Bien souvent, cet état peut s'expliquer par une déception. L'on est déçu par le comportement de son prochain. Qui dit déception dit attentes. On est déçu précisément parce qu'on avait placé des espoirs en autrui et que l'on n'accepte pas que les choses ne se soient pas déroulées comme on l'avait souhaité. Cette attitude peut fort bien s'avérer légitime concernant les personnes sur lesquelles on peut estimer avoir un 'droit'. Par exemple, on peut assumer qu'un représentant politique élu démocratiquement doit quelque chose au peuple, il est censé avoir un comportement éthique et conforme aux raisons qui l'ont fait élire. Eprouver de la colère lorsque ces raisons sont bafouées est chose somme toute assez normale, si ce n'est encouragée. On pourrait aussi évoquer le cas des parents et de leur enfant etc.

Cependant, dans la grande majorité des cas, nous n'avons aucun droit sur les personnes que nous honorons de notre colère. Le décalage naît de l'image que l'on se construit de l'autre; cette représentation mentale constituée petit à petit, mais toujours parcellaire, vient se surimposer à la personne authentique à la manière d'un rôle. Ces représentations sont très souvent stéreotypées et s'avèrent très résistantes aux faits réels. Il sera difficile pour toute personne de déconstruire l'image que les autres se sont fait d'elle. Ainsi donc, nous nous laissons emporter par la colère dés qu'un changement majeur vient déranger le rôle que nous avions attribué. Il nous semble tellement intolérable qu'on ait pu ainsi déjouer nos prévisions que nous agissons alors comme un petit dieu omnipotent qui voudrait tout régenter autour de lui.

Simplement, la colère intervient lorsque face à la liberté d'autrui, nous nous plaçons volontairement contre les faits, refusant d'analyser, de comprendre et donc de reconstruire. Ce travail demande un effort certain, qui, en outre, doit être sans cesse renouvelé. La colère, c'est accuser, montrer du doigt. La compréhension, c'est chercher, (s')interroger. La tendance au moindre effort et à l'élaboration d'un monde mentale stable, avec des constantes, menace notre conception du monde, notre appréhension de ce qu'on nomme 'réalité'. Pour s'affranchir au mieux de ces colères aveugles, il faut perpétuellement remettre en question l'ordre établi, celui de nos représentations, pour ne plus se placer en décalage d'une réalité qui, forcément, nous soumet au doute et à l'incertitude. Si l'on ne peut percevoir la "chose en soi", on peut tout du moins, s'attacher à effriter par nos efforts, les couches de poussière accumulées par le temps et notre inertie. Celui qui accepte de n'avoir aucun pouvoir absolu sur les gens, est à même de passer au travers de la colère pour prendre plus rapidement le chemin de la compréhension.

Le voyageur du passé

Paraît-il qu'on peut voir encore un peu de poésie
Dans les yeux de cette femme qui font briller la nuit.
Quelques sanglots, une larme en coin où s'écoule la vie,
Ma triste figure au pâle reflet face à celle qui sourit.

Mon visage émacié, dans les cendres s'éteint,
De s'être trop cherché dans des miroirs sans tain.
Les vers de minuit me rattrapent au matin
Et creusent dans ma tête de bien sombres destins.

Pourtant, ce son si suave où nos deux coeurs se lavent
Me lie à ton futur, m'inscrivant dans tes pages.
Là, les contes de fées se lisent dans les nuages
D'un ciel où ton soleil brunit mon teint trop hâve.

C'est fou et pourtant mes rêves de femmes gisent là, crystallisés dans ton charme...
À tel point qu'un jour, s'il fallait reprendre les armes,
C'est avec le sourire que j'irais cheminer au sillon de tes larmes.

samedi 26 mars 2011

La peur

La peur est certainement le plus grand fléau humain. S'il existe un responsable à toute la misère, toute la violence du monde, c'est la peur. On peut facilement expliquer tout acte éthiquement et moralement désavouable par elle. Si la peur est associée dans ce texte à un sentiment, elle aurait pu l'être à une émotion. La différence entre les deux étant tellement ténue que le basculement de l'un à l'autre est chose aisée. Cependant si j'utilise volontairement le terme de sentiment, c'est pour souligner la nature purement conscience de l'état de peur. Puisqu'elle est consciente, elle peut être analysée et sublimée. J'aurais plutôt tendance à parler de terreur dans le cadre d'une émotion dont l'emprise physique est telle que la pensée consciente s'en trouve presque annihilée. L'émotion est par nature plus difficile à apprivoiser puisqu'il lui faut d'abord naître du corps pour atteindre la conscience et pouvoir se transformer en sentiment malléable.

Qu'est-ce que la peur?

La peur si elle revêt plusieurs formes est un processus de pensée plutôt simple lorsqu'on le dépouille de toutes ses nuances pour n'en laisser que la substance profonde, le squelette.

Les sentiments humains naissent de la représentation mentale que l'homme se fait de lui-même. Ils sont tels une vie par procuration où l'homme se fait spectateur de sa personne. La peur comme tout sentiment humain est donc une pure représentation mentale. Plus précisément une projection de soi-même dans une situation fictive. Certes la peur peut naître du souvenir et donc ne pas être pure fiction, cependant, elle reste fiction même dans ce cas puisque c'est l'anticipation d'une situation à venir, en écho au passé, qui crée la peur. Ainsi, systématiquement, la peur naît de l'imagination. C'est un décalage de la pensée qui tente de vivre une situation non avenue, le décalage est donc avant tout temporel. Même lorsqu'elle est alimentée par un évènement passé, elle advient par anticipation: on craint que l'expérience passée se réitère. Or, on ne peut pas ressentir la peur sans cette anticipation. Ce ne sont jamais les causes mais toujours les conséquences qui créent la peur. C'est en connaissance de cause que nombre de sportifs confrontés au danger, segmentent leur performance en plusieurs gestes simples. Par ce mécanisme, l'esprit se focalise sur chaque étape au moment voulu, sans penser à la suite, à l'ensemble. Focalisé sur le présent, l'esprit ne s'éparpille pas, il ne concevra les conséquences de sa performance qu'une fois chaque étape achevée, qu'une fois l'objectif atteint. Bien des prouesses sont quotidiennement réalisées par ce subterfuge ingénieux (bien que très dangereux lorsqu'il sert à s'affranchir de l'éthique).

Vivre le présent est le meilleur remède contre la peur. La peur, bien que naturelle, n'est d'aucune aide. Il peut y avoir des peurs 'saines', des craintes inoffensives. Après tout, l'être humain est fait de chair et de sang, il a des émotions, et il ne s'agit pas de les annihiler. Cependant bien des peurs sont nocives, trop d'entre elles sont handicapantes, dangereuses. Il est important de savoir les observer, de les comprendre, et de savoir comment les mettre à mal. À quoi sert de craindre une situation qui n'est pas sûre d'advenir? À quoi sert de vivre à l'avance, à travers la peur, une situation qui arrivera forcément? Prenons l'exemple de la mort: est-il opportun si l'on vous annonce que vous n'avez plus qu'un an à vivre, de passer cette année dans la crainte perpétuelle, dans l'angoisse et l'inhibition, dans le déni de la vie encore présente?

Dans tous les cas, la peur vous fera perdre vos moyens dans les situations où, pourtant, il est nécessaire d'être parfaitement lucide. La peur amenuise les chances de réussite. La peur aveugle et masque trop souvent les nombreuses opportunités de surmonter les obstacles.

L'âme sachant agir en fonction du présent est garantie contre la peur.

Voici comment je définis la peur, par ce décalage de la pensée qui observe son propre 'moi' dans un moment non avenu. Bien des sentiments 'négatifs' naissent d'un décalage (mais ces différents sujets seront traités ailleurs).

De quoi la peur est-elle le nom?

De quoi est-elle donc responsable? On pourrait affirmer que toute violence prend sa source dans la peur. En effet, bien souvent la violence dirigée sur autrui est un acte de prévention. Beaucoup des personnes les plus dures dans leurs actes de violence, le sont par peur des représailles. Ecraser l'autre est une manière de ne pas subir. On donne les coups que l'on ne veut pas recevoir.

La violence à l'encontre de sa propre personne est aussi nourrie par la peur. On se fait mal pour ne plus avoir peur d'avoir mal. On se blesse pour savoir. Ce qui est déjà subie ne sera plus à subir. Provoquer, être maître de sa propre souffrance nous paraît comme une victoire sur la peur.

La peur est toujours quelque chose de très égoïste puisque même à travers la crainte de l'autre, c'est soi-même que l'on veut protéger. C'est aussi bien souvent sa propre image que l'on veut préserver. L'autre est un miroir et ne pas l'accepter est se vouer à la souffrance, à la fuite et au déni. Autant d'aliments pour la peur. On a exterminé par le passé, et on le fait encore, par peur de l'altérité, par peur de cette humanité qui nous effraie parce qu'elle semble incontrôlable, si loin de nous. L'idée de maîtrise est très présente dans toutes les peurs. Ceux qui ont prêché pour une humanité stéréotypée, à visage unique, l'on fait par désir de contrôler. On aime que les choses aillent dans notre sens, on aime avoir raison car cela nous sécurise. Le familier est rassurant puisqu'il ne demande pas d'effort: de remise en question, de curiosité, d'apprentissage. La peur de l'Inconnu, c'est la peur de regarder en face ses propres bornes, sa propre ignorance.

Surmonter sa peur

C'est avant tout un travail permanent sur soi-même. On reste un homme et la peur ne sera jamais gommée définitivement de l'esprit. Il est toutefois possible d'en limiter la durée et les effets.

Il s'agit d'abord de s'ancrer dans le présent. Vivre sentimentalement un évènement non avenu, c'est se condamner à le vivre deux fois. Savoir prendre les choses comme elles viennent est fondamental. Pour cela, il est nécessaire d'avoir confiance en soi. Il est bien plus simple de ne pas sombrer dans la peur lorsqu'on se sait capable de rebondir sur les différents évènements de la vie. Accepter est encore une fois la clé, ne pas rester dans le déni de ce qui va pourtant arriver, ne pas s'enfermer dans l'affirmation de ce qui n'arrivera pas obligatoirement.

Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l'auto-persuasion. Trop souvent, des personnes se privent d'une compréhension facile par l'affirmation de leur incapacité à comprendre. Sans la volonté, l'homme ne peut aller nul part. Se détacher des mythes ancrés en nous, de nos illusions. L'excès de confiance en soi n'est pas une réponse. Il suffit de "faire ce que l'on peut", de rassembler tous ses moyens et d'accepter le résultat quel qu'il soit. Il n'y a point de regret à avoir lorsqu'on a mis tous nos efforts dans une action. Et jusqu'à preuve du contraire, ce qui doit arriver arrive... S'attacher à l'objectif, à la fin me semble être une erreur. Nous ne sommes pas maîtres des conséquences de nos actes, en tout cas jamais totalement. Accepter cette part d'impuissance humaine face au destin est le chemin le plus évident au pardon (voir à ce propos ce que dit Hannah Arendt dans "la condition de l'homme moderne"). Le pardon que l'on donne à autrui, comme celui que l'on s'accorde. Echouer n'est pas honteux ni impardonnable à partir du moment où nous avions la volonté de réussir. Il est, en outre, bien connu que l'échec est source d'enseignements, peut-être plus que la victoire. Le voyageur qui peut suivre son chemin, sans s'attacher aux aléas de son périple est celui qui cheminera le plus loin. L'important n'est pas où l'on va, mais comment et pourquoi on va.

vendredi 25 mars 2011

Etre un homme

Dans ses rêves d'absolu, l'homme en oublie souvent qui il est.

Qui est-il cet homme si ce n'est l'inabsolu par excellence, la finitude en action dans sa durée déterminée? Une vie où tout est possible, oui, mais une vie. Une: l'unité, la chose finie, délimitable, sécable du reste.

Pourquoi l'homme s'est-il donc presque toujours efforcé de placer le Bonheur (l'ataraxie, le nirvana, la béatitude) dans cet ailleurs infini, cette unité primordiale qu'il ne peut toucher sans se dissoudre entièrement, dans une perte d'identité définitive et sans retour.

L'homme a décidé, et c'est de plus en plus vrai aujourd'hui, que le Bonheur réside dans l'illimité. Ainsi donc il s'embarque sur le carrosse de la technique, accélérant sans cesse son oeuvre jusqu'à ne plus apercevoir le monde dans lequel il se meut, ses obstacles comme ses cadeaux.

Le Bonheur: comme une sortie de l'humanité. Certains le placent dans la mort en croyant pourtant être capable de le saisir dans cet instant où ils ne sont plus. Ceux là ont la foi, qu'ils soient croyants ou nihilistes, ils croient en un bonheur absolu qui leur serait accessible dans un au-delà qu'ils habillent de leurs fantasmes, de leurs rêves déçus...

Pourtant ce ne fut pas toujours le cas, et au temps de l'antiquité, les stoïciens nous ont montré la première clé d'un Bonheur humain, c'est à dire relatif et ignorant l'absolu. Cette clé c'est l'acceptation. Pas la résignation comme certains voudraient le croire, trop peureux peut-être pour se saisir de leur destin. Pas du fatalisme non. Simplement l'acceptation: faire sien le plus grand des pouvoirs humains, celui de décider. L'acceptation place le choix au centre de la vie humaine. Ainsi s'accepter, c'est ne plus se fuir. Si l'on ne se fuit plus, alors s'en vient la possibilité de l'amour. La capacité d'aimer est directement liée à l'indépendance. S'accepter pour devenir indépendant et à travers l'indépendance accéder à l'amour véritable, celui qui point n’enchaîne, celui qui laisse venir à soi, qui ne retient pas.

S'accepter donc. On peut ensuite s'affranchir de soi-même, cesser de faire de nous-même une préoccupation perpétuelle. Lorsqu'on n'a plus besoin de se fuir, l'on peut prendre le temps de regarder aux alentours. On regarde le monde tel qu'il est, on cesse d'avoir peur. Notre vie est bornée: soit. Peut-être est-ce justement le plus grand bien de l'humanité. C'est notre arme face à la peur. On mourra, quoiqu'il arrive. On est libre. Chaque instant compte. Le Bonheur c'est un état, c'est donc un instant présent, une éternité, celle de chaque instant. Le présent est donc la seconde clé du bonheur. C'est en cessant de disperser son âme sur les fragments passés et futurs d'une vie rêvée que l'on peut se rassembler, ne plus chercher l'ailleurs, l'autre. C'est lorsque l'on peut être que l'on est heureux.

Nous sommes dans un monde qui nous dépasse quelque peu, en tout cas nous sommes soumis à des 'lois', des forces sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Il est bien important pour ne pas errer dans une quête sans fin d'accepter cet état de fait et de s'en accommoder. Il est même possible de s'en réjouir, tout dépend de nous.

Le Bonheur humain c'est un choix que l'on fait, ce n'est pas un plaisir absolu, éternel, c'est une valse, un chemin avec ses détours et surprises. Le Bonheur n'est pas fixé à un point donné, il n'est pas l'objectif à atteindre, il n'est pas une chose délimitable, il ne forme pas une unité, une notion bornée. C'est un état et c'est précisément là que réside son infinité, son éternité. Le Bonheur n'appartient à rien. Il est simplement ce que l'humain qui accepte sans peur son destin peut ressentir.

L'absence de peur constitue donc une troisième clé.

Ainsi, nous avons l'acceptation (qui commence par soi-même), mère du véritable amour, qui mène à l'instant présent dans lequel aucune peur ne saurait exister (car toute peur est une projection de soi dans un imaginaire). Grâce à cela la conscience peut s'élever librement et peut aimer toute chose qui est comme étant une partie d'un tout auquel on est fatalement relié par le simple fait d'être. Ce qui nous détache de ce tout? La conscience.

La conscience naît de la finitude, de la possibilité de différencier et donc de créer des unités mais surtout des identités. Ces identités, pour devenir conscience ou apparaître à la conscience, doivent s'inscrire dans une temporalité. Le temps est l'ingrédient de la finitude dans lequel on détermine un début et une fin. Ainsi grâce au temps peut naître la durée. La durée est comme le témoignage silencieux, qui s'offre à la conscience, de l'identité des choses. Tout "étant" est dans la durée. Abolissez le temps et vous n'aurez plus ni conscience, ni identité, tout ne sera plus qu'un, unité figée dans une éternité sans nom.

C'est donc ainsi que la conscience vit comme une parcelle d'un monde devenu fou puisque perdu dans une étendue mesurable de matière et de temps qui ainsi séparé du reste peut enfin observer et créer une perspective sur le reste du monde. La différence est ainsi créée et sera la cause des débats incessants de la conscience pour se fondre dans une unité perdue que l'on peut concevoir sans jamais la vivre. Sans jamais la vivre puisque précisément cette unité n'existe qu'hors de toute conscience.

Malgré tout, cette conscience qui nous prive de l'absolu, nous serions hypocrites de la rejeter. Peu de gens ont envie de ne plus exister. Peu de gens prisent l'idée de n'être plus qu'un espace d'éternité où tout s'abolit, où tout est dans la plus extrême froideur de l'Etre. Etre: ce terrible concept muet où rien n'a de place que lui-même. Notre conscience, c'est nous et malgré tout, même lorsque nous nous fuyons, nous avons tendance à nous aimer. Nous cherchons à nous sauver, même dans la destruction (qui bien souvent relève de l'appel au secours). Nous voulons être heureux, absolument heureux, tout en étant conscient. Nous voulons vivre par-dessus tout. Nous inclinons à la toute puissance, à l'immortalité, mais nous revendiquons le droit à la conscience, à l'identité. Or s'il nous est si intolérable de disparaître dans l'Un de l'Etre, dans l’innommable, nous n'avons d'autre choix que de rejeter tout absolu intrinsèquement étranger à l'homme pour accepter d'être heureux dans une limite qui nous façonne et nous identifie. Nous devons choisir l'inconstance inhérente à l'homme en la transcendant par la force de nos choix.

mercredi 23 mars 2011

À genoux

Des griffes sur des coeurs nus
Se plantent à demi-mots,
Murmurés dans la nuit au
Creux silencieux d'une rue.

Et on court de lèvres en lèvres
Comme les larmes sur les joues
Emportant doutes et puis rêves
Qui valsent parmi les loups.

Mais un beau jour, se sont mes yeux
Qui ont trouvé l'amour.
Quittant la nuit et puis le jour,
Pour être vieux, pour être heureux.

Merci mon dieu, merci à vous,
De nous avoir mis à genoux...

mardi 15 mars 2011

Un jour...

Un jour il y avait des gens qui s'écoutaient. Il y en avaient même qui s'aimaient.

Un jour, il n'y a pas si longtemps, on réfléchissait à rien, à tout. Parait-il qu'on pouvait rester des minutes voire des heures entières sans distraction, sans tâche à accomplir, sans divertissement...

Un jour, j'ai entendu dire qu'on fabriquait des choses qui ne servaient à rien. Même pas pour les vendre, juste comme ça, un peu n'importe quoi, et on trouvait ça beau, on faisait des commentaires, on venait de très loin même pour ça.

Un jour, les gens étaient heureux de vivre. Comme si la vie suffisait au bonheur, comme si être au monde prévalait sur la fonction, l'utilité...

Un jour, on vivait dans des maisons: une sorte d'immeuble en plus petit avec un seul appartement dedans. Il y a même des gens qui avaient un jardin: c'était un petit morceau de terre avec de l'herbe dessus et puis des arbres. Une percelle non cultivée, sans serre, une parcelle de terre juste pour vivre, comme ça, inutile! Et les gens mangeaient dessus, prenaient le soleil. Quand on sait qu'il suffit d'une heure d'U.V. pour les mêmes résultats qu'une semaine de bronzage!

Un jour, on payait des gens pour penser. On avait des livres qu'on achetait et qui posaient des questions au lieu de fournir des réponses... On croyait que la vérité n'était pas évidente et qu'il fallait douter de tout...

Un jour, on souriait aux gens qu'on croisait dans la rue, sans raison, pour le 'plaisir'.

Et puis un jour, je me suis laissé dire que ce serait pas si mal si cette histoire existait vraiment. Je me suis dit que moi aussi j'irais voir ça, quand ça existait encore, les hommes et la liberté...

Lame de fond

Le passé est là qui nous guette, toujours tapi...

Les vieilles habitudes resurgissent parfois telles une lame de fond lorsqu'on leur sert le bon ingrédient. On n'est jamais vraiment à l'abri de ses erreurs, de ses excès.

Alors non ce n'est pas le méchant Adrien qui une fois encore est ressorti, plutôt le pitoyable, le trop jeune, immature, indélicat, égoïste. J'ai mal de voir qu'il existe encore. Pourtant j'ai bien tiré un trait sur les comportements 'déplacés', je les ai fait taire mais il me faut toute ma conscience pour ça. Je ne la laisserai plus filer, jamais!

Certains seront déçus, mais il faut maintenant faire le deuil de cette personne. Je m'excuse encore une fois, bien que les mots trop prononcés n'ont plus vraiment le goût de la vérité... Je m'excuse de tout mon coeur car j'ai choisi de ne pas perdre mon trésor.

Il n'y a rien à craindre dorénavant, crois-moi s'il te plaît...

dimanche 13 mars 2011

La Femme à venir

C'est le titre d'un livre de Christian Bobin. Cet auteur décidément a de quoi surprendre. C'est quand je crois m'habituer à son style épuré, m'en être même ennuyé, qu'il me saisit de nouveau et me transporte dans la paix des mots.

Cette oeuvre m'a bouleversée. Ecrire sur la femme avec autant de perspicacité lorsqu'on est un homme. Ce roman a la légèreté d'une femme, sa fraîcheur printanière. On en sort plus gracieux, avec des formes, on en pétille.

Le phrasé de Bobin pourrait s'apparenter au murmure de l'eau, harmonieux, plein de vérité lorsqu'on l'écoute, une invitation au repos de l'âme. C'est une écriture pleine d'aphorismes, de joie, une ode à la vie simple.

Aucune haine ni violence dans son oeuvre, seule la violence des sentiments inhérente à l'être humain remonte parfois à la surface mais sans explosion, avec douceur et poésie. En ces temps de survie accélérée, il est jubilatoire de picorer par ci par là les quelques remontrances pleines de bon sens contre le travail. Bobin est un partisan de la liberté, de l'homme délié de ses chaînes, de l'homme artiste qui oeuvre par sa propre volonté.

La femme à venir s'appelle Albe et l'auteur nous fait suivre son fil depuis son éclosion jusqu'à son précoce épanouissement. Par un glissement, un des personnages la prénomme parfois Alme. C'est bien l'adjectif par lequel nous pourrions qualifier l'oeuvre de l'auteur. Christian Bobin est un nourricier de l'âme qui manie les mots avec délicatesse. Un mélange de sagesse asiatique et antique.

Définitivement il nous livre ici un portrait de la femme sans détour, qu'il dévoile à nos sens avec l'alacrité d'un oiseau. Un témoignage précieux, une perspective gracieuse et crue de la femme, à venir ou qui a été mais qui en tout cas prend vie à la surface des mots qui la raconte.

L'art, l'oeuvre et l'artiste

J'entends souvent comme 'vérité' communément admise que l'art n'est rien sans les masses, que ce sont elles qui déterminent la qualité artistique d'un objet ou d'une oeuvre.

Il me semble là que l'on confond deux choses bien distinctes car le pouvoir de la foule, de la multitude humaine, ne s'étend pas jusqu'à ces contrées propres à l'âme solitaire.

Qu'est-ce que l'art?

À ceci, je tenterais de répondre avec la plus grande subjectivité car il n'est point question d'objectivité (bien que l'on ne puisse que tendre vers celle-ci) en matière d'art.
L'art est un mouvement de l'âme associée au corps. Il est une cristallisation de la pensée muée en volonté. Ce qui détermine la qualité artistique d'une oeuvre c'est avant tout l'intention que l'auteur a insufflé dans son ouvrage. En quelque sorte, il s'agit de matérialiser en un objet ou une action quelconque, un mouvement de l'âme qui se donne au monde. L'art est donc toujours une perspective du monde, une fenêtre ouverte sur celui-ci.

Est-ce qu'un ouvrier peut faire de son travail une oeuvre d'art? Oui, même si l'oeuvre finale lui échappe, ce qu'il fabrique peut devenir objet d'art à partir du moment où il le pense comme tel. Si l'on s’oublie dans l'action, alors l'art prend vie.

Cependant, ce qui est de l'art pour une personne peut sans aucun problème n'en pas être pour une autre. Et c'est ainsi que nombre d'opinions divergent à ce point. Et si nous avons vu comment l'auteur d'une quelconque réalisation peut créer de l'art, il existe une autre manière d'accoucher de ce dernier.

L'art peut aussi se former dans le regard d'une homme sur un objet. Ainsi le spectateur d'un film peut y voir une oeuvre d'art grandiose alors qu'un autre n'y verra qu'un simple divertissement en série de l'industrie cinématographique. Qui a raison? Certainement les deux. L'art réside dans le rapport entre l'homme et les choses, l'homme et le monde. C'est un lien sans cesse actualisé, soumis au changement, à l'érosion du temps comme à l'apprivoisement des sens.

On peut donc parler de l'art dans un premier temps comme geste, action, puis dans un second temps comme perception, conscientisation.

Dans tous les cas, le regard d'une personne suffit à faire naître le lien artistique si subjectif. L'opinion générale rentre en ligne de compte non dans l'existence de l'art, mais dans sa vérité historique. En effet, si l'Histoire, qui s'écrit d'après le consentement de l'humanité dans toute son étendue, retient la qualité artistique d'une oeuvre qui n'en est pas une pour une poignée d'irréductibles, alors il est évident que la 'vérité' sera du côté du nombre. La multiplication des regards vient incruster plus profondément encore dans la réalité historique l'existence des choses, leur donne une épaisseur, les rend immortelles. Et pourtant, la réalité des quelques opposants n'est-elle pas aussi légitime, n'ont-ils pas eux aussi droit à exister dans leur propre rapport subjectif avec cette oeuvre? Indéniablement oui. Si une action a lieu devant 5 personnes et que le reste du monde n'en sait jamais rien, cette action aura quand même bien eue lieue pour ces 5 personnes. Elle ne s'intégrera jamais dans le livre de l'Histoire, dans le cycle de la vérité, de l'existence publique, mais elle existera à jamais dans l'esprit de 5 humains.

C'est ainsi que l'humanité dans son ensemble, donne du poids, de la vie aux choses qu'elle observe, qu'elle juge, qu'elle reconnait. La multitude témoigne et ainsi pèse d'un poids immense sur la balance de l'existence de toute chose. Mais si la violence d'une foule peut étouffer le murmure d'une seule personne, ce murmure malgré tout fut, et a crée sa réalité dans l'univers des choses.

L'art me semble indubitablement subjectif, individuel, égoïste même dans le rapport que l'homme entretient avec l'oeuvre. La vérité quant à elle, telle que l'homme la conçoit et l'utilise, sera toujours tyrannie du nombre, opinion des masses. Quant à la vérité philosophique, elle résidera à jamais prisonnière de l'éternité d'un instant, dans une temporalité abolie, loin des mots et de toute conscience, éternellement attachée à l'essence des choses et à leur être.

lundi 7 mars 2011

Séries

Encore une journée de travail qui vient s'insérer dans les autres, passées et futures. Encore le maillon d'une chaîne qu'on attache à nos cous.

C'est un supplice que cette vie sans cesse recommencée qui s'apparente à la lecture quotidienne d'un livre dont les lieux et personnages sont toujours les mêmes mais où les histoires changent dans d'infimes variations sans force. C'est comme lire une infinité de suites. Je n'ai jamais aimé les suites. J'aime les histoires qui savent s'arrêter au bon moment, de manière abrupte, violente, s'il le faut. À moi de savoir mettre fin à cette histoire, en tout cas d'en supprimer mon personnage.

La vie n'existe plus vraiment en-dehors du travail. L'avant n'est qu'une lente agonie, une préparation à l'épreuve et l'après n'est qu'une lourde fatigue qu'il faut bien vite éliminer. Et cela prend du temps. Et le temps s'achète toujours plus cher, il vaut bien plus que de l'or sur leur marché intégral.

Nous ne sommes même pas les esclaves de grecs. Nous ne sommes rien. Un maillon de l'espèce tout au plus, embringué dans le cycle de la nature, condamné à l'accélérer par nos erreurs. Nous ne savons plus que faire de nos consciences, tout au plus à les éteindre méthodiquement. Divertissement, drogue, violence. Ce sont les substances qui imprègnent le coton que l'on frotte sur nos vie avant d'y introduire la petite piqûre insidieuse du travail. Et plus ça fait mal plus on frotte, frotte.

Je ne sais pas pour vous mais moi je me pique sans anesthésie et sans coton, la simple froideur mordante de l'acier industriel s'enfonçant dans ma peau pendant que je compte patiemment les heures volées. Tant que la douleur est là, je sais que je suis, et je sais ce qu'ils me font...

dimanche 6 mars 2011

Belles paroles

On a toujours raison de se méfier des paroles. Les projets qu'on réalise en paroles le sont rarement en actes. Il y a un certain plaisir, une grande satisfaction dans le fait de palabrer sur des actes futurs, des entreprises potentielles. Peut-être trop d'ailleurs.

S'il est bien une faculté humaine dont la puissance est sans limite, c'est l'imagination. Notre propre esprit peut se tromper lui-même mais bien pire encore il sait comment tromper le corps. Nos rêves racontés sont comme un placebo de la réalité. Pas encore vécu, on en retire déjà l'extase, l'extrême satisfaction du geste accompli. La joie en est même plus intense encore dans certains cas.

Rêver une action, c'est déjà en jouir un peu. Parler d'une action, c'est déjà la vivre, un peu, comme on couperait une fleur sur le point d'éclore. On peut déjà pressentir l'ivresse du parfum, deviner les couleurs prêtent à éclater aux yeux et cette douceur qui ne s'est pas encore livrée.

Les asiatiques recommandaient souvent de parler peu, d'écouter beaucoup, et de faire énormément. C'est probablement ce qu'il faudrait faire se disent tous les types comme moi qui n'ont que leurs belles paroles pour exécuter leur rêves.

Et puis d'ailleurs, les rêves ne sont pas faits pour être vécu... Ceux qui font ne rêvent pas eux...

samedi 5 mars 2011

Les livres

Les livres ont toujours eu une place particulière dans ma vie. Je ne saurais dire pourquoi, comme ça, d'un premier jet. Tiens d'ailleurs, c'est étonnant cette sensation que mon écriture n'est qu'une affreuse synthèse de tous les styles qui m'ont marqués, consciemment ou non. Mon style même est celui des livres, de ceux de mon univers.

Dés mon premier livre la magie a opéré. Pourquoi, pourquoi les livres et pas la télévision, ou même les films et la musique? Ils avaient eux aussi un certain pouvoir d'attraction sur moi, notamment la musique, je me souviens... Mais les livres, les livres! Quel voyage cela représentait pour mon âme solitaire. Déjà petit, j'aimais la solitude des livres, l'ivresse des mots qui se pressent vers l'âme qui les boit.

Peut-être est-ce dans les livres que vivent les plus grands. Peut-être est-ce le silence du mot écrit, qui éclate et hurle dans l'esprit du lecteur, qui exprime les plus belles pensées. C'est peut-être que les hommes ont toujours mis plus d'énergie dans leurs oeuvres qu'en eux-mêmes... Alors moi bêtement je cherchais l'homme dans son refuge: la littérature.

Je me rappelle, j'ai lu, énormément, depuis ce premier livre. J'ai mémorisé photographiquement la langue qui m'enveloppait, et je pouvais feuilleter au gré de mes envies, toutes ces pages dans mon âme imprimées. Je le peux encore... J'ai appris ma langue comme ça, par pure imitation, par accumulation de formules lues, de syntaxes ingérées. Je ne comprends rien à la grammaire, les structures langagières françaises me sont aussi inconnues que ces étoiles que je contemple. Et pourtant, très tôt, j'appris à écrire correctement, avec aisance, sans faute. Mais c'était purement inconscient, l'écriture jaillissait naturellement, avec la bonne syntaxe, les mots gravés sur le papier avec la bonne orthographe. Mon âme est une mémoire infinie qui mâche et conserve et assemble et synthétise et fixe. J'ai su écrire grâce à mon talent d'imitateur, mon style une photographie des autres, des oeuvres originales que je plagiais sans vergogne, sans même le savoir.

Les livres, c'était donc parfait. Ils me parlaient par ma voix et il n'y a jamais eu qu'elle que j'ai vraiment écouté, tristesse... Les choses que je ne me suis pas dites à moi-même ne semblent pas vraiment exister. Alors je me suis parlé avec les livres, je leur ai prêté ma voix qui leur allait si bien, pleine de nuances infimes que d'autres ne pourraient percevoir, croyant observer un cadavre dont le visage s'anime pourtant, mais seulement pour moi.

Ainsi donc la littérature m'a prêté ses rêves, celles des vrais hommes qui se sont consumés dans leurs oeuvres, j'observais avec avidité leur mort dans cette âme écrite que seule la mienne pouvait faire parler. J'ai toujours été à l'aise avec les morts, les hommes m'émeuvent lorsqu'ils sont morts, il n'y a qu'ainsi qu'on peut leur faire dire ce que l'on veut.

J'ai aimé les livres avec violence et sans mesure, à la mesure de ma déraison et de cette aliénation au monde qui me fera jusqu'à aujourd'hui appartenir à d'autres sphères introuvables. C'est un peu à cause d'eux que je ne suis pas d'ici, gauche parmi les adroits, toujours "dans la lune" ou "étourdi". Etourdi car moi aussi je voulais graver mes pensées où le temps ne s'écoule plus, dans la fixité mouvante des mots.

Un jour, j'avais trop rêvé... Trop, bien trop... À tel point que je ne pouvais plus ouvrir un livre. J'avais tout vu, tout connu. Toutes les histoires, tous les personnages et tous les mondes. Il n'y avait que répétition, des styles, des histoires, des maladresses, des vulgarités. J'errais parmi les livres médiocres et j'aspirais à m'élever au-dessus, bien au-dessus de tous ces petits que j'avais vaincu par mon acharnement amoureux. Ingrat que j'étais alors, je m'en étais servi pour grandir et je ne les foulais plus qu'avec mes pieds, marchant définitivement au-dessus des gens, morts pour leurs livres.

J'ai arrêté un peu ma drogue mais un jour j'ai trouvé. Les idées... Les idées étaient là, dans un livre à nouveau... Mais pas comme les autres celui-là. Non pas comme les autres, un livre qu'on n'oublie jamais, un livre d'idées, de la philosophie. Le raisonnement discursif d'un homme écrit sur papier et tout ça sans devoir écouter. Il suffisait de prêter ma voix et de la taire, elle et lui à mon bon vouloir. Toute la sagesse des autres, enfin pour moi, pour les imiter, pour m'en nourrir, pour apprendre. Je voulais vivre moi aussi, VIVRE!! Comme eux, tout pareil. Comment ils avaient fait eux qui pensaient comme moi... Qu'est-ce qu'ils pensent donc de la vie, comment l'ont-ils traversé, je veux savoir. Ah qu'ils m'aident donc à vivre moi qui n'ai jamais su! Ils m'ont façonné, chacun continuant l'oeuvre de l'autre. Je ne suis rien d'autre qu'eux. Ils vivent à travers moi qui n'ai jamais vraiment existé. Je ne sais pas s'il en est de même pour tout le monde, peut-être... Chacun sa source... "Je est un autre". Je pense par citation et lorsque je crois avoir enfin une pensée originale, je m'aperçois qu'elle est née des autres, elle était déjà programmée, tout est programmé! J'ouvre un livre, je me lis. Partout, je ne retiens que les bouquins qui parlent de moi, que les pensées qui me conviennent. C'est certainement ça l'immortalité des grecques, se faire sculpter entièrement par les oeuvres de l'artifice humain, ce monde fait pour se perpétuer dans les âmes. "Les oeuvres d'art sont des objets de pensée", il n'y a rien d'original chez les hommes d'aujourd'hui, que des récitations partout, des photos, des enregistrements. Seuls les fous pensent vraiment.

Enfin j'aimerais tellement que ce soit vrai. J'aurais alors un peu de substance, peut-être... Tenez, il suffit de compter le nombre d'occurrence du terme "peut-être" dans ce texte pour comprendre que je n'ai pas vraiment d'existence propre. C'est pour cela, j'en suis sûr, que certaines personnes arrivent à m'aimer. Parce qu'elles en aiment d'autres à travers moi, des artistes chéris, des philosophes illustres, des hommes n'étant plus. Je n'arrive pas à écrire. Je ne sais pas fabriquer d'oeuvre. Je n'en suis pas capable. Je ne sais que faire dans l'instant, en dilettante, mes actes se consument instantanément dans le présent qui s'enfuit. Je ne suis pas fait pour faire, je suis la pensée vivante, mise en vie, de toutes les oeuvres qui se sont appropriés ma personne, mon moi qui n'est pas mien.

Au fond les livres ont toujours été la science, et moi l'application, la technique. Je suis un terrain de jeux pour les pensées, un univers où elles se télescopent, font l'amour ou la guerre mais toujours poursuivent leur vie.

Il y a trop de choses qui m'inclinent à me croire dans le vrai. Je me suis rendu compte un jour que je pouvais lire n'importe quel texte avec la voix de Léo Ferré, la même. Même avec des mots que je n'ai jamais entendu de sa bouche, je peux me servir de sa voix à volonté, ou est-ce l'inverse... Je peux faire ça avec tous les artistes que je daigne écouter parler. Je suis même capable de recopier n'importe quel dessin alors que je ne sais absolument pas dessiner. Est-ce bien normal?? Ils se servent de moi!!! Tous, ils hurlent dans mon esprit et j'en oublie même si c'est moi, ou eux qui décident... Ils m'empêchent d'être moi mais me font tellement vivre. Ils m'étouffent mais sans eux l'air n'est plus...

Je vais vous faire une confidence: je suis incapable d'écrire sans aucune source d'inspiration. Pour accoucher d'une oeuvre, j'ai toujours besoin que ce désir naisse d'une autre. Je me gorge de musique, de mots, d'images. Je les avale, les digère pour ensuite les rejeter dans un objet littéraire qui prétend m'appartenir, que je feins de prendre pour une partie de moi. Au fond je ne fais que voler le génie des autres pour en reproduire des copies plus pâles, sans sève, sans subjectivité aucune.

Je ne désire faire que ce que les autres font, n'ayant pas de désirs propres. Je ne suis pas un créateur, je pille, je singe. Ils doivent me détester. Le monde des hommes me détestera un jour pour être ce monstre qu'il n'a pas vu arriver, se nourrissant de ses ordures, croissant à ses lumières. Ils me haïront parce qu'ils se reconnaîtront tous en moi sans jamais vraiment se saisir d'eux-mêmes. Ils se détesteront parce qu'eux c'est moi, ou plutôt moi c'est eux. Ils auront peur à en frémir, de ce rassemblement de génies, de cet amas d'hommes en un seul: ma monstrueuse dividualité. Je ne suis qu'un foetus en gestation infinie, je ne deviendrais jamais un homme.

Suis-je bien humain? Êtes-vous bien là? Vous m'écoutez? Ou bien est-ce que vous vous écoutez en ce moment, avec mes mots... Êtes-vous seulement sûr d'exister, sans moi, sans eux, sans le monde...

vendredi 4 mars 2011

Condition de l'homme moderne

L'art est très subjectif car il est, selon moi, restitution du monde, de ce qui est, par le prisme de la subjectivité humaine. Ou comme le dit si bien Hannah Arendt: "L'oeuvre d'art est un objet de pensée".

Il est des oeuvres qui vous bouleversent. Parce qu'elles vous parlent dans un langage qui est presque le votre, presque celui de votre intimité, celui de vos pensées propres. Parce qu'elles vous troublent au point de vous mettre mal à l'aise, à côté du monde. Parce qu'elles vous font grandir, transforment à jamais votre 'étant', s'intègrent à vous si bien qu'elles ne vous quittent plus jamais. La Condition de l'homme moderne d'Hannah Arendt est de ces oeuvres et pour toutes les raisons susmentionnées.

Cette élève de Heidegger puis de Husserl, qui fut aussi un temps la compagne de Günther Anders sait extirper de l'Histoire, la substance des choses, le sens des événemeents, la synthèse de pans entiers de l'aventure humaine où seul un perchoir bien éloigné du monde peut fournir l'acuité nécessaire à une telle compréhension, une telle cartographie.

Ainsi donc, c'est avec grand plaisir et par un raisonnement qui semble couler de source malgré sa profondeur, que l'auteur nous fait parcourir les grandes phases de l'épistéme philosophique, les grands courants qu'a emprunté l'humanité vers un idéal qui peu à peu s'est métamorphosé. Dans cet ouvrage, on peut enfin, par une argumentation construite et par une analyse poussée de l'Histoire, obtenir une perspective éclairante de l'humanité, une téléologie pertinente.

De la mystérieuse antiquité grecque à l'époque moderne, en passant par l'antiquité romaine, Arendt montre comment et par quoi, la marche inéxorable de l'homme est expliquée, pourquoi la vie s'est peu à peu organisée de différente manière à chaque époque. Pour ce faire, elle a recours, comme son maître par le passé, au langage, à la philologie si riche d'éclaircissement à propos de textes qui sont aujourd'hui trop souvent compris de travers. Les mots ont une importance nous dit implicitement la philosophe. Ils ont une importance pour comprendre la pensée d'une époque qui sans cesse, par un travail acharné de recherche, doit être resituée dans son contexte historique. Chaque langue étant un découpage bien particulier de la réalité, il faut se méfier des traductions hâtives. L'auteur prend le temps de déterrer les significations enfouies de certains énoncés grecs et romains, afin de mieux épouser la pensée des philosophes de ces époques qui ne reposent pas sur les mêmes définitions et perspectives de l'homme et du monde actuel.

Hannah Arendt ne propose pas de solution, elle s'attache dans cette ouvrage à faire l'archéologie du sens de l'Histoire humaine, à donner les clefs de compréhension à l'homme concernant ses origines. Peut-être que la lecture de ce livre aidera les générations futures en perte de repères à donner du sens à leur action, à leur pensée et donc à leur vie.