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dimanche 29 octobre 2023

Songes vespéraux

Il ne s'agit pas de scruter la page du cahier, comme s'il se fut agi là du champ indéfini de sa vie, pour voir jaillir de son indétermination les formes d'un destin...

Le crépitement de la pluie, le souffle des ventilations, les ombres projetées, forment la mécanique absconse d'un monde en apparence étranger et qui, seul, semble accaparer la substance de l'être. Le soi, alors, n'est plus qu'une imprécise idée, bien plus friable encore que quelques croyances d'enfant qui semblent bien ineptes tant elles étaient infondées.

Existe-t-on vraiment? A-t-on jamais existé?

jeudi 2 juin 2022

Le tour de soi

Que faire, de ce corps latent... Que faire d'un soi qui coule au temps, sans le rythme des voix qui scandent à rebours des étoiles, un cœur d'humain paumé, d'humeur perdue dans la laiteuse nuit...

Accompagne -- Ô si tu veux! -- indispensable pluie de lettres, une déroute à travers champs, loin des enseignes lumineuses; éventaires indécents du paradis fichu...

Seul, c'est impossible... Pagode inerte au courant de l'éther, où chercher un repère? Il n'y a pas jusqu'au vide qui s'avère trompeur... Plein de tout l'Illimité -- quelle blague! J'apprends, pour moi et d'autres proies, des mots du dictionnaire... définitions ineptes, privées de référent. Calligraphie atone d'un destin... Solitude éclatante...

Ma présence érode élément après élément. La présence désirée d'un fondement me refuse sa main malgré le pont des mots. Eux aussi forment un cercle imperfectiblement clos... qui regarde l'abîme.

Même la limite du monde est un centre infini...

Réel indispensable, opaque indifférent; ô jamais ne t'avise d'envoyer un reflet. Il faut une limite à tout, même à soi-même... Surtout, à soi-même.

lundi 21 mars 2022

Gratte, gratte, gratte

 Pendant longtemps j'ai cru que la destruction procurait ce petit sel à la vie qui manquait. J'étais, peut-être, convaincu que la dissolution de soi pouvait laisser un répit, qu'une unité lénifiante relierait encore les fragments, épars, d'une tension du soi. Et j'ai gratté, sur la surface de mon égo. Arrachant ça et là, quelques morceaux ineptes et qui devaient s'évanouir sous les coups du présent. Je voulais exister, aussi brut que l'énergie primordiale, informe et indéterminé, dans toute la plénitude de ces possibles phantasmés...

J'ai cherché, cherche, et chercherai encore, dans le désentrelacement de la conscience, une parcelle de vie qui me donnerait d'être... Sans souffrance.

Me suis-je trompé? Peut-on quérir le bonheur au sein de l'anéantissement?

Aucune de mes interrogations n'est véirtablement sincère. Je n'attends d'autre réponse que l'éternelle abolition de toute curiosité.

jeudi 13 janvier 2022

Aphorisme de l'auto-connaissance

 Il n'existe pas de connaissance de soi; aucun savoir préalable ne peut guider les pas d'un homme. Le chapelet de ses actions forme une indéductible vérité.

mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

lundi 4 octobre 2021

Remède contre soi

Et quelque poudre astrale sur les yeux, en pluie fine sur la cornée, quelques images qui éclosent, comme les fleurs du présent -- et puis ne plus voir que cela.

Encore un jour qui entaille, un réveil grinçant sous la nuit sans repos.

Et quelque essence de fond diffus, un glouglou tiède dans la gorge, avale tous tes songes et vomis sur ton âme un réel inventé.

Encore!... Encore un drame sourd, atone aux infinies couleurs -- vois comme il est joli! Il a les nuances du réel, inépuisables et folles, et plus fantaisiste qu'un rêve.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, qui n'a jamais cessée... Je les entends qui raclent à mon plafond -- le mobilier. J'entends déjà le sommeil qui me nargue, et tralalalalère, le vieux marchand de sable est des gens du voyage, on ne l'attrape pas, il part nos songes plein les poches, il est plein de panache, tandis qu'à force l'épuisement te ronge, t'arrache des lambeaux de peau, de joie, d'éternité flamboyante, de courage et d'estime -- des membres de vitalité autour d'un vain cœur souffreteux.

Et quelque poudre astrale, sur la cornée, dans les naseaux, épices sur la peau, fixer des yeux hagards sur le voile de Maya: je cherche mes pinceaux, j'éclaire un tissu noir.

C'est le soir? N'est-ce pas déjà l'ourlet liminaire d'une aurore? Qui ne veut pas finir, en recommencement, des vagues sur la grève, baïne qui m'emporte, au large sous les flots: à bout de souffle, à court de souffle, faisant face aux poissons à qui je vole un peu d'air pur... Je vois un horizon, est-ce le ciel ou le sol? Abysse ou firmament? Et si je nage par là-bas, monter c'est redescendre et s'en aller n'est plus partir... Je demeure, je reste, substance, sous-jacent à mon être, qui se dilate, avec le reste de cet univers effervescent: aspirine d'un dieu éthylique.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, nulle part je m'en vais... Et sans bouger je pousse à peu la porte, à peu, à peu, je pénètre l'envers... Sans bouger. Toujours là, calé, comme la lune en sa nuit étoilée, bordée de Voie Lactée. Il paraît que c'est le vide omniprésent qui débonde de lui, des paquets de clarté.

C'est bien la même nuit, à tout peser, je m'en vais, nulle part, sans partir. C'est par la tête qu'on pourrit, les yeux d'abord poudroient de rien, le voile est sans pourquoi... Pas de remède efficace contre la conscience, rien de définitif. Il faut attendre un cœur battant de nuit, pour que les yeux s'éteignent -- reflets? De quoi s'il vous plaît, de quoi... Lorsque la nuit est soi.

vendredi 21 mai 2021

La synthèse des faux souvenirs

Une boule élastique qui en heurte une autre en droite ligne communique à celle-ci tout son mouvement, par conséquent tout son état (si on ne regarde que les positions occupées dans l’espace). Or, posons, par analogie de tels corps, des substances dont l’une inspirerait à l’autre des représentations, en même temps que leur conscience: ainsi se pourrait penser toute une série de substances dont la première communiquerait son état, avec la conscience qu’elle en possède, à la seconde, celle-ci son état propre, avec celui de la précédente substance, à la troisième, et celle-ci, de la même manière, les états de toutes les précédentes,avec son propre état et la conscience qu’elle en a. La dernière substance aurait ainsi conscience de tous les états des substances qui auraient changé avant elle comme constituant ses propres états, puisque ceux-ci auraient été transférés en elle en même temps que leur conscience; et néanmoins elle n’aurait pourtant pas été la même personne dans tous ses états.

Kant, CRP, p. 294

J'ai été extrêmement intéressé par cette note de la critique de la raison pure à l'époque où je l'ai découverte. J'en ai inféré que la conscience est une sorte de poupée russe, une subsomption de consciences (d'états de conscience) qui s'accommode de chaque état qu'on lui propose en le faisant sien. Par quel procédé cela se passe-t-il? Ceci constitue une autre question (passionnante)... Ce qu'il est intéressant de retenir ici c'est que: une personne (une conscience) qui recevrait les souvenirs (aperceptions empiriques) d'autres personnes, aurait conscience alors de ces états comme étant les siens propres... Par conséquent, il serait possible d'instiller en autrui de faux souvenirs et faire en sorte qu'il les entre-tisse à son récit intime et les fonde ainsi dans la continuité de son aperception originaire (de sa conscience de soi). Étant donné que ces souvenirs seraient de véritables souvenirs produits par une conscience transcendantale (c'est à dire pure fonction logique, à ce titre universelle et propre à tout humain), ils ne pourraient être distingués des autres et se voir étiquettés comme "étrangers". La conscience serait instinctivement portée à les intégrer au récit de soi.

Je peux témoigner de la vérité (du moins en terme de possibilité empirique) d'une telle affirmation de Kant. Il m'a été donné de faire, il y a de cela quelques années, un rêve particulièrement réaliste et immersif, dans lequel je parcourais une région des Landes, près de laquelle j'habitais alors, pour y chercher un spot de surf dont on m'avait parlé et décrit l'existence. Je finissais par trouver, dans mon rêve, ce lieu, je me souviens parfaitement des incongruités de cet endroit puisqu'il me fallait traverser une portion de forêt dont la végétation ne ressemblait en rien à celle des Landes, mais tout était si bien agencé, les routes que j'ai du parcourir, les panneaux, les voitures croisées ou garées sur le lieu, etc., que je ne pouvais rationnellement pas exclure la possibilité que ce lieu fut réel. Je traversais donc cette forêt: j'ai encore, présents en moi, l'excitation qui m'habitait à ce moment, les sons des animaux, la luminosité oblique de ces sous-bois, et l'émerveillement de parvenir enfin à une plage de sable blanc qui bordait... Une rivière... Rivière sur les berges de laquelle déferlaient des vagues sublimes. Nous devions être en tout et pour tout deux ou trois surfers. Les sensations de la session, le chemin de retour à la nuit tombée dans cette forêt sombre, le chauffage dans la voiture pour me réchauffer, tout était si incroyablement semblable à ce que l'on pourrait attendre d'une expérience réelle, que j'ai immédiatement attribué cette qualité à ce souvenir dès mon réveil.

Il m'arrivait alors dans les jours qui suivirent, régulièrement, de tenter de me rappeler par quelle route j'étais passé pour atteindre ce lieu. Certains jours de houle, je me souviens d'avoir creusé ma mémoire, re-parcouru les panneaux routiers, les sensations, les images, afin de retrouver l'endroit désiré. Je me heurtais alors à quelques menues incongruités, à quelques incohérences, certes mineures mais qui barraient inexorablement le passage à mon esprit, faisant de cette expérience onirique un étrange îlot dans ma mémoire, étrangement éclatant de présence vécue, et néanmoins impossible à rattacher totalement à ma vie réelle.

Aujourd'hui encore, après quelques années, il m'arrive alors de replonger dans ce souvenir (réel en tant que souvenir vécu) et de ne plus savoir s'il s'agit bien d'un rêve ou d'une expérience mondaine dont les liens se seraient, avec le temps, distendus, si bien que je n'en trouve plus la place exacte, dans l'ordre de mes expériences mondaines et objectives. Ce souvenir semble alors flotter là, rattaché tout de même à ma vie objective par des données cohérentes, mais dont certaines obscurités tranchent les liens qui pourraient me permettre de le relier enfin à la réalité objective. Il reste en ma mémoire, comme une image péninsulaire dont la partie terrestre est désormais engloutie par les eaux, de telle manière que je ne peux m'y rendre pas à pas.

S'il n'y avait pas ces quelques détails incohérents et problématiques qui me font dire aujourd'hui que tout ceci n'était qu'un rêve, je suis absolument certain que cette expérience aurait naturellement trouvée sa place en moi sous la qualité d'expérience objective et non plus simplement onirique. Elle serait devenue ma réalité, elle aurait formé une partie du monde objectif pour moi et serait, en cela, devenue physiquement effective. D'ailleurs, même sans cela n'est-elle pas physiquement effective aujourd'hui, elle qui me fait relater ici ce singulier épisode...?

vendredi 19 mars 2021

Vendredi après-midi

 Le ciel a les couleurs de ces toits auvergnats de mon enfance: ardoise grise aux vieux tons de cimetière. C'est la couleur de mon ennui, de ma fatigue d'être qui poursuit des buts invariablement étrangers, fixés par d'autres, tandis que je demeure incapable de m'en choisir un par moi-même. Et si je le faisais, qu'est-ce que cela changerait? Le sens d'une vie est toujours décidé par les autres, ce sont eux qui fixent les valeurs, décident de ce qui est désirable, des jalons obligés qui forment les destins. Le reste... Miettes de vie que les pigeons voraces de l'oubli dévorent en rien de temps. Les vies étroites ont pour elles d'être écologiques, bien vite recyclées.

Des yeux se fixent sur mon corps, assis, qui attend l'heure de liberté. Ces yeux couleur ardoise me tissent un gris linceul et m'insèrent dans l'ensemble anonyme des choses ennuyeuses. Ces yeux défont mon nom, ils me cousent de qualités, écheveau terne et froid que nul ne veut porter.

Dehors, la brise inconfortable ébouriffe les branches, les arbres sont nus et se détachent ineptes sur le fond du ciel. Je suis pareil à eux, inepte sur fond de jeunesse heureuse qui me range au rebut. La fraîcheur et l'ennui, contraints dans ces hauts murs, tandis que l'émeraude glacée des prairies au-dehors égaye la campagne qu'un vilain ciel toise de son bien mauvais œil.

Qu'y aurait-il à dire de soi, sans un regard qui parle à notre place?

vendredi 12 février 2021

Quanta ontiques

 J'ai de toute évidence -- mais n'est-ce pas le cas de tout un chacun? -- plusieurs personnalités en moi. Mais peut-être devrais-je plutôt parler de couleurs ou d'harmoniques puisqu'il s'agit bien de notes présentes en mon accord du moment... Cela dit, il m'arrive d'agencer tout cela de telle manière que la fondamentale change, et c'est alors toute la résonance de mon être qui varie, et je deviens comme enfermé dans une de ces notes qui, pour n'en être pas moins présente auparavant, demeurait alors récessive. Je suis parfois terrifié de cet exil à moi-même, non parce que je m'y perdrais -- je reconnais tout profil possible comme le mien -- mais pour la violence et l'incompréhension de cette soudaine perte chez ceux avec qui j'ai eu la faiblesse et l'irresponsabilité de tisser des liens d'amour. Car alors, comment comprendraient-ils l'apparition de ce nouvel individu, ce nouvel équilibre, qu'ils n'avaient jamais perçu auparavant...

Je suis comme la lumière blanche: la somme de toutes les couleurs qu'une âme peut revêtir. Mais il faut préciser ceci: certaines teintes ne me sont pas naturelles et je ne peux les maintenir dominantes que pour un temps limité et par un effort continu. Tel un électron, j'ai moi aussi mes niveaux d'énergie, mes quanta loisibles, autour de cet abîme de noyau.

vendredi 5 février 2021

Le fond diffus de soi

 Je me suis immergé dans le bruit ces derniers temps. Le bruit, c'est liquide, c'est dense et c'est profond; et parfois tellement lourd que ça vous noie sous la pression. L'océan noir de sons est une broderie diaprée où tout phonème ouvre la porte vers d'indéfinis récits que l'on s'invite à suivre, un chant de sirènes qui peut endormir son humain jusqu'au bout du grand sablier, jusqu'à son dernier grain.

Je me réveille aujourd'hui, de plus en plus souvent; les paupières lourdes, hagard et ensuqué d'être resté si longtemps en suspens, dans le sommeil cryogénique de spectacles extatiques. Sortir du néant, du silence assourdissant d'exister...

Mais je me réveille... J'y reviens dans ce lac étal de mon identité, avec son fond fuyant et son eau qui ressemble à de l'air, cet air si lourd qu'une seule inspiration vous noie comme cent goulées de sable.

J'y reviens, j'y reviens... Et ramasse en mes sables de nuit de bien étranges étoiles aux formes si exquises qu'elles ressemblent à ces motifs que l'effort vital sait imprimer à la matière rétive -- au bout de millénaires entiers. Des objets millénaires... Dans mes sables à moi... Mes sables trentenaires... À quelle vitesse s'écoule donc le temps dans le manteau céleste de mes profondeurs?

Quelles étranges astres... Poudroyant de lueurs irisées, cascades de teintes obscures et d'ombres de couleurs antiques... Et tout cela danse en rythme, émerge de ces sables en des constellations orphiques tissant une grammaire indéchiffrable pour l'entendement et simplement sensibles.

Il faut sentir les pensées, semblent-elles dire à l'âme atone et perplexe. Il faut tremper la pointe en ce réseau de signes, exhumer de ces souterrains l'ineffable surface du fond diffus de soi.

samedi 18 avril 2020

D'un autre vers lui-même

Le travail?

Mais il n'y a pas de travail. Ecrire est un acte d'inspiration, c'est arpenter un chemin qui existe, déjà, quelque part, en quelque temps. Je n'ai jamais eu à travailler pour me brancher sur ces sphères. Je n'ai jamais rien créé, rien inventé, rien bâti qui  ne soit déjà là. La beauté est sous nos yeux, sa structure en chaque chose et son chant est partout à traduire par les mots trop humains du commun. Cette chanson qui m'emporte à rebrousse-chemin, vers le passé qui trace ses figures et synthétise en ses courbes la grammaire d'un destin: voilà ma clef de sol.

Donnez-moi la note juste, donnez-moi le bon air, et je m'embarque en sillon littéraire vers la lucidité des sombres sages, solitaires, qui écrivent poèmes pour la lune et l'espace indifférent. Mais peut-être qu'il ne l'est pas, au fond... Peut-être que les étoiles écoutent comme une Juliette le chant du Roméo esseulé qui hurle en sa mansarde de misère. Peut-être que chaque élément de nature est un appel sans péremption vers le fond de toute âme. C'est en ce point silencieux que je vis, heureux, accompli de n'être rien, passager du vent, instrument de tout.

Ne cherche pas à créer: rien de nouveau sous le soleil, pas d'arc-en-ciel qui ne soit déjà peint, en quelque langue insensée qu'il faut pourtant bien traduire du vécu qui l'enserre. Sous la prison des mots la liberté se dessine et prend ses silhouettes bleutées des tréfonds de la nuit. Lumière vient limiter mon âme et lui donner la forme des flammes, changeante, métamorphe un peu dingue avec ses chutes et courbes folles. Fais du Dieu la chose, du sujet cet objet esthétique qu'aucun dévoilement n'épuise et qu'un autre regard, bref ou durable, indétermine. Car l'art n'est rien d'autre que ça. Une écoute obstinée, fanatique que le coeur-instrument brisé s'accapare en écho, le temps d'une danse privilégiée. Oh tu sais comme je suis chanceux d'entendre partout tes gammes chromatiques, tes fondamentales enchaînées que j'accorde à ma lyre...

C'est n'avoir aucun maître qu'écrire, c'est n'être jamais auteur mais toujours interprète. Nous ne sommes que les transformeurs d'indicible en voies lactées de phonèmes. On bricole avec ce qu'on a, voilà tout. Et ce tout est le plus grand des plaisirs mais le plus condamné aussi. Car on est seul en son sein. On y réside à jamais dans l'isolement d'une connexion au Réel que forme le cordon d'un vécu singulier. Et pourtant tous s'y reconnaissent, un jour, d'une manière ou d'une autre. Et c'est ainsi que lève la malédiction...

Parce qu'un instant comme celui-ci peut être un pont d'un autre vers lui-même.

samedi 30 juin 2018

L'insondable signe

Émeraude.

Le mot est là, mais pas seulement. L'idée est bien là aussi. Diaprée, ondoyante et protéiforme lorsque la conscience veut s'en saisir. On ne se saisit jamais d'une idée. Elle est une différence, un décalage. L'idée est un vide qui recouvre l'indétermination, le temporel, c'est à dire le mouvant et le fluide. L'idée épouse au mieux la vie, contrairement à ce que trop pensent, en ne se rendant pas assez familier de leur relation à l'idée, et à l'idée même qu'ils ont de l'idée.

Émeraude, rubis, me voilà entraîné dans une polychromie qui se veut le reflet de l'intime soi: ultime espace vacant - ou non-espace -, où les choses et leur lieu ont le loisir de jaillir, d'apparaître.

Je me demande parfois, pourquoi les mots sortent de telle manière, à ce moment là, dans ce rythme particulier... Pourquoi, toujours, la conque humaine dispense sa musique autour d'elle, et fait de tout objet, l'instrument de son chant.

Le réel lui-même, serait-il l'Amour perdu, unité poursuivie et inachevable (autrement qu'en décès)? Le monde n'est-il pas la relation temporelle et musicale que nous entretenons avec ce grand Autre: rythme de nos cycles et notes de nos formes...?

L'humain, sur le palimpseste de l'espace-temps, écrit frénétiquement le récit de l'union impossible, et tout devient langage, la forme de toute chose un insondable signe.

samedi 16 septembre 2017

Deux couleurs suffisent

Parfois, je pense à toi très fort. À travers mes rideaux gris et rouges, qui filtrent ma vision du monde, et qui font se mouvoir avec légèreté cette fine pellicule chargée de matérialiser la frontière entre intérieur et extérieur. Mes songes sont comme ces rideaux légers, aériens, ballottés par les vents qui s'en vont et s'en viennent, dans une douce dérive où je réside avec tant de plaisir.

Deux couleurs pour voir le monde, et d'infinis nuances entre les deux. Deux couleurs pour sentir nos souvenirs, mosaïque d'instants objectivement communs, mais qui font ma vie et ses pus belles notes. Deux couleurs pour traverser le cours du temps tout en demeurant malgré tout entièrement présent. Rien ne différencie un souvenir d'un instant actuel. Et si j'avais tous les instants passés en mémoire, exactement tels que je les ai vécu alors, je pourrais les agencer dans un système de relation suffisamment complexe et en accord avec les lois qui constituent un monde: et tous ces souvenirs seraient la vérité présente, qui ondule comme des rideaux au vent.

Deux couleurs, qui parfois se confondent quand je pense à toi qui es si proche... Puisque tu es là, ici et maintenant... Comme un chatoiement diapré dans le frissonnement des feuilles au dehors, dans le balancement des branches aux courants aériens. Présence en filigrane que tout objet dessine. Tu es tellement tout pour moi, que tu es chaque chose: du brin d'herbe à la rose, des nuages paresseux au parfum des bruyères.

Deux couleurs pour les produire toute, deux valeurs pour accomplir le tout d'une expérience qui s'accroche à des mots. Et les mots sont alors l'expérience. Ils n'ont pas d'autre but, pas d'autre raison d'être que d'exister pour autre chose. Mes poèmes en prose sont la matérialité de mes sentiments et de mes sensations. Ils sont la transcription d'influx nerveux qui constituent un destin complet, une autre forme de partition, pour une même forme d'existence indicible et qui ne s'écrit pas. Avez-vous déjà vu un poète cesser d'écrire? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi malgré tant de réalisations, tant d'actes et de créations, l'humain continuait quand même son entreprise inlassable, comme s'il pouvait un jour la terminer, sans toutefois jamais le faire? Incomplétude essentielle de la vie, système jamais clos qui éclot sur l'ouvert. C'est bien cela exister, se projeter sur les choses et les êtres, pour se saisir de soi d'un seul tenant, comme on tiendrait dans sa main un trésor. C'est bien cela s'exprimer, se transfuser dans les signes pour produire la distance nécessaire à la vue, à la sensation de soi-même comme chose extérieurement réelle. Et tout ceci n'aboutit pas, et c'est tant mieux. Sinon nous n'aurions pas les chants de Maldoror, mais peut-être un seul chant, ou même une phrase, un simple signe ou pire encore. Nous n'aurions pas d'après-midi d'un faune, nous n'aurions pas tous ces fragments d'humains à se mettre sous les sens. Nous n'aurions pas tant de signes pour se définir et pour jouer à se saisir, en se sentant soi-même à travers la sensation de l'Autre.

Deux couleurs suffisent pour être heureux. C'est ce que je me dis quand je regarde au-dehors le monde qui bruisse, et ne parle que de toi et de la définition si belle que tu donnais parfois de cet homme dont tu partageais la vie. Cet homme assis là, dans la boîte où on l'a mis, et qui s'observe à travers les choses du dehors qui reflètent tes gestes et les moments de toi, qui eux trahissent son existence qui sans cesse lui échappe.

Et toi ma chère, quelle saveur de toi-même tu aimais tant par moi?
Quelles sont les deux couleurs qui dans leur union te peignent un monde où vivre?