samedi 24 décembre 2016

Un paquet de linge sale

Je me lève de ma vie comme d'une nuit où l'alcool a creusé son sillon d'oubli dans la mémoire. Hagard, luttant contre un mal de crâne et des pertes d'équilibre qui me font tanguer sur l'océan étale du sol. Qu'est-ce qui s'offre dans ce jour déjà bien entamé? Un combat douloureux pour évacuer le poison du corps, reprendre les rênes et continuer d'avancer jusqu'à la prochaine ornière, au prochain abîme dans lequel on portera d'abord le regard, l'air de rien, puis au sein duquel on finira par chuter en levant les yeux au ciel pour ne pas voir le fond sans fond - mais de quoi d'ailleurs?

Je me lève de ma vie, vaseux et comme prisonnier de cette trajectoire d'existence, de ces sens humains, de ces idées et sentiments, et de cette antique croyance que ce qui mène ma carlingue usée jusqu'à la lisière incertaine de ce présent n'est autre que le libre-arbitre. Mais je ne suis pas mes sens, puisque je suis capable de le penser, je ne suis pas ces idées et je ne suis pas non plus ce libre-arbitre. Par conséquent c'est bien tout cela qui me mène ici et au-delà, tout cela qui fait qu'encore une fois, je me réveille d'un oubli profond, pathétique et dérisoire tentative de sommer l'existence de livrer tous ses secrets, tentative non assumée de mourir un peu, pour voir...

Je me lève de ma vie, énergique et pourtant sans projet. J'ébroue les quelques restes collants d'une semi gueule de bois qui fait comme des flaques sur le sol, là où passe mon corps. Des flaques inégales de moi-même, des fragments que j'ignore parce qu'ils ne sont déjà plus moi.

Je me lève de ma vie, sans trop savoir comment, sans plus vraiment comprendre qui "Je" est ni pourquoi "Je" fait ce qu'il fait.

Je me lève et je vois ma vie comme un paquet de vêtements froissés à mes pieds qui ne veut plus rien dire. Un paquet de linge sale qu'il me répugne d'enfiler.

jeudi 15 décembre 2016

A simple song

Si je n'avais pas les explications cohérentes de la science sur certains points, je me laisserais volontiers aller à des associations d'idées que mon esprit produit naturellement dans cette féérie soliptique qu'il entretient avec lui-même. Les jours de lune rousse, lorsqu'elle semble surveiller la Terre de près, dénuder les âmes pour faire ressortir à la surface ce qu'il y a d'instincts refoulés, comme celui de hurler à la lune tel un loup heureux d'être là, je croirais véritablement qu'elle est l'oeil de toutes les fins, qui guette et se fait présent pour exhorter les humains à danser sur le fil ténu de l'instant.

Pourquoi ne suis-je pas resté dehors une bonne partie de la nuit à observer cette lune? Quelle servilité face aux structures acquises de la routine m'a poussé à m'encastrer, coi, au sein de mes mètres cubes d'existence...

La lune est là qui regarde, et je m'y plonge entier, mais seulement en pensée, comme tous mes voyages entrepris qui ne se feront jamais, parce qu'ils ont déjà été réalisés - dans ma tête... Je ne regrette rien, les choses aperçues me prêtent leurs formes et j'utilise celles-là comme un patron pour mes rêves éveillés. Je préfère habiter mon monde, et puis, de toute façon, avons-nous le choix...

J'ai aboli la science et je n'ai mis à la place que la simple forme des discours, je n'ai gardé que leur féminité exquise et qui, depuis tout jeune, me fait phantasmer. La forme des discours est le théâtre de bien de mes pensées, de mes émotions. Et chaque silence est là pour relever ces courbes dont l'âme se saisit pour inventer la seconde qui se livre. Le silence pour relever les formes, les formes pour éclairer le silence.

Mon curriculum vitae est une forme esthétique de vie, mais combien sont capables de voir cela? Combien mesurent la beauté de certains sacrifices, et la force de certains choix? Combien sont à même de goûter la prosodie d'une existence dont les propos sont abscons et sans importance? Combien voient comme moi nos vies comme une musique pure, allettrée, une suite de couleurs intervallées, un jeu de différence et d'écho?

Qu'à cela ne tienne si je ne suis rien pour tous, je sais moi, les heures de cheminement pour en arriver à danser sur ce pas délicat, qui pare mes traits de ce regard lucide et serein, et d'un sourire discret où se relâchent tout ce qui encombre et que l'on veut s'accaparer. Pour qui joue-t-on son existence? Pour les autres qui n'en font qu'une interprétation personnelle et nécessairement infidèle - ou fidèle par hasard, presque par une erreur de la nature -, ou pour soi-même et ce monde qui n'est que la surface où se projettent nos formes sur le réel indéterminé?

Lorsque la métamorphose du temps viendra éteindre ma conscience, j'espère avoir un dernier regard sur l'ensemble de ma vie, pour la concentrer en un dernier symbole qui ne tracera ses courbes qu'en mon for intérieur, muet, invisible, et beau dans cette finitude qui permettra au néant de le saisir en lui. J'aurais dansé sans que personne jamais ne le voit, j'aurais chanté sans même que l'on s'en doute, j'aurais mis mon destin en musique et la musique s'est éteinte, diffusée en mon sein dans un voyage ahurissant.

Personne ne saura jamais car la tonalité de sa vie est un secret qu'on emporte au-dedans de soi.

Mais, dans son projet fou de toujours créer le nouveau, la nature parfois, a des ratés - mais sont-ce bien des ratés? - et produit de son sein deux instruments si proches qu'il en sort le même son. Et alors le réel s'y heurte en écho selon deux tonalités si semblables qu'on pourrait presque les confondre. Viendra un jour cet instrument fraternel.

Toute lecture est un duo, plus ou moins accordé.

La saveur des jours

Qu'y a-t-il donc dans les jours, pour que les hommes continuent de s'y abreuver; quelle essence fait battre les coeurs et bande les volontés? Il m'arrive d'avoir la forme  de réponses possibles, ainsi, je continue chaque matin, de verser mon thé noir dans la tasse, d'écouter le bruit des autres qui s'agitent au dehors, pendant que secrètement, coule la bile noir de mon tourment, dans quelque souterrain de la psyché.

Chaque instant est une couleur qui n'a nul vide en elle, une couleur sans questionnement et sans ailleurs, réponse absolue à toutes les questions: c'est à dire la seule et unique qu'est cet instant. La mémoire crée des unités à travers les transitions, retient les couleurs qui ne sont plus et interroge leur déclin, la mémoire fait naître la volonté contraire, aiguise la frustration qui dormait insensible.

De quelle saveur se repaissent les humains dans le temps qui passe entre leurs mains?

Il m'arrive de savoir cela sans le connaître. Nul texte jamais ne jaillit de ces secondes.

jeudi 8 décembre 2016

Volonté

J'ai lié choses désunies d'un effort infini
J'ai retardé l'effet du temps en collant des fragments

Qui suis-je?

Des poussières j'ai invoqué les formes déliées
Redessiné un monde autrefois oublié

Qui suis-je?

Je trace des chemins à travers le vide
Je darde mes rayons confiant mais lucide

Qui suis-je?

Je suis cela qui pèche au milieu des limbes
Les lueurs précieuses qui désormais te nimbent

Qui suis-je?

Je suis ce qui crée et ce qui détruit
Je suis ce qui fait taire la nuit

Qui suis-je?

dimanche 4 décembre 2016

L'erreur du Léthé

L'on imagine pas ce que c'est d'être mâché par un félin aux crocs acérés...Vous voilà fragmenté en minuscules quartiers, dissout dans la chaleur visqueuse d'un sang épais, collé aux poils de la gueule, emporté par le mouvement sauvage d'une force incontrôlable. Puis la pluie se mit à tomber... Lavant ma présence de la gueule de l'animal, me faisant quitter les couleurs or de blé de ces poils où je vivais une mort heureuse, aux creux de la puissance. Je traverse l'air, dégouline par terre, agglomérant de mon humidité les grains de poussière d'une terre battue. Mais bientôt la pluie se fait diluvienne, et les petits rus qui couraient sur la terre se firent plus pesants, véritables torrents creusant leur lit de boue sur la terre aride. Je filais, dans un ruissellement féroce, éclatait dans les bulles créées par la chute violente des billes translucides qui se déversaient avidement. Je ne me souviens que du tumulte et du grisement procuré par la vitesse, enfin je vivais à cent à l'heure, fonçait sans nulle hésitation, moi qui restait auparavant pétrifié par la moindre décision, procrastinait à outrance pour phantasmer une vie épousant la nécessité des Moires.

J'ai fini par échoué dans le ventre pansue d'un marigot où venaient s'abreuver la nuit toutes sortes d'animaux. Je n'ai pas bien compris qui me buvait alors, mais j'entamais la courte traversée qui me mènerait d'un gosier à des reins, où  macérait un liquide urinaire prêt à être expulsé pour un dernier vol à la chute programmée. Je retombais vers le sol qui m'avait mené là.

Un curieux bipède passant par là, récoltait dans sa grande besace toutes sortes de terres aux couleurs ocres plus ou moins foncées. D'un geste expert il me prit dans ses doigts et me faisait retomber au sol en une pluie poudreuse et légère. Promptement je fus soulevé par un curieux objet concave pour être enfermé dans une boîte où une terre semblable à la mienne dormait d'un sommeil minéral. Noir. Secousses qui me faisaient penser que l'être qui m'avait ravi était tout de même bien maladroit, avançait sur la peau du monde d'un pas lourd et sans grâce. Mon voyage cahoteux cessa lorsque je fus rendu à la lumière sur une grande table où étaient rangées d'innombrables boîtes alignées qui formaient un nuancier gracieux à la douce gradation. Alors que je me reposais, prenant peu à peu mes repères en ce lieu peu familier, je fus mélangé sans ménagement à un liquide, puis un pointe acérée me perça de part en part. Me voici de nouveau accroché à un croc, bien que moins redoutable que ce que j'avais connu jusqu'alors. Au bout de cette mine, je m'étalais en arabesques incompréhensibles, en boucles enlacées qui séchaient rapidement sur une surface lisse à l'odeur agréable.
J'étais offert à la vue de tous, étalé sur des pages et des pages d'une histoire absconse dont je servais de signe.

Après des semaines de ce régime, l'obscurité se referma sur moi, par couches successives et lourdes entre lesquelles je n'avais pas la force de bouger. Un cuir relié contenait le mille feuille de mon existence, posé verticalement sur une étagère étrange où bien d'autres que moi vivaient un exil obscur et confiné. J'oubliais le rythme des secondes et me liait aux ans, lorsqu'un beau jour, mon intimité fut violée brutalement par un flot de lumière. J'étais ouvert à tous les vents, et la lueur vacillante d'une flammèche ténue éclaboussait sur mes pages sa tiède chaleur. Je ne sais si le bipède qui me tenait entre ses mains délicates était le même qui m'avait incrusté en ce lieu étrange, espace à deux dimensions dont le hasard avait fait ma demeure. Parfois un doigt boudiné et rose se posait sur mes formes, et caressait mes courbes avec une attention minutieuse. Pendant combien d'années m'avait-on parcouru ainsi?

Je me souviens alors du crépuscule de cette existence de papier, tout avait commencé dans une grande chaleur, fournaise invraisemblable qui accélère le temps, retire l'eau des choses et rend la peau si légère qu'elle se brésille au vent et s'éparpille à terre. Je perdais, une fois n'est pas coutume, mon unité d'antan, entamait dans les airs un ballet hypnotique au sein duquel se fragmentait mon existence qui n'avait pas de fin. Je partis, dans les sifflets du vent et les veines du monde.

Combien de temps encore devrai-je être tout, devenir chaque substance, emprunter chaque cycle, parler toutes langues, couler, voler, chuter, hurler et me taire?

Emporté par les cycles infernaux du cosmos, d'un mouvement perpétuel impulsé par on ne sait quel cruel horloger, je songe en moi-même que nulle éternité ne peut être endurée sans le précieux oubli...

Liquiderme

Songes si légers
Depuis tout jeune je suis
De tout lieu l'étranger
Né de vents âgés

Et de gouttes de pluie

Le train m'a toujours animé
Parce qu'il est comme vous
Flux d'esprit enclavé
L'écrin sans lieu des trésors

Qui se tiennent au dehors

Le rythme de Raison
Est ma seule maison
Je l'ai joué sans cesse
D'une ardente passion

Au-delà des joies, par delà les détresses

Je suis l'enfant des mots
Que Pensée entretisse
Un souffle qui se glisse
À travers les hameaux

Puis s'en repart au loin

Vers l'irréalisé des choses non vécues
Où dorment rêves et projets
Espoirs de lendemains non avenus
L'encre de l'âme et ses jets

Dessine mon sillon ténu

Les idées parfois
Sont des rais de lumière
Quand d'autres prennent foi
Moi je suivrais l'éther

Choisit de toute onde la plus éphémère

Liquide et aérien
Je ne suis point terrien
Ma forme est indécise
Mutine, imprécise

Se transforme et n'est rien

Comme le sens des phrases
Qui coule dépourvu de base
Comme concepts et preuves
Vois comme Vérité

À toute heure se fait neuve

Roule roule petit ruisseau d'idées
Laisse le lit de mes pensées
S'incruster sur ces pages
En un monde inventé

Dans une forme indéfinie

Ce
Qui
Coule
En ces
Tuyaux
N'est qu'une
Ancienne peau

samedi 3 décembre 2016

L'or et la boue

Parmi les multiples voix qui parlent à travers l'accord de mon être, existent deux antagonistes qui s'aiment pour la consubstantialité qui les lie. Il s'agit d'abord de celle qui se prend pour Jésus, non point sauveur de l'humanité, mais voix de l'humilité, voix de l'amour et de la sainteté. Cette voix, parfois me dit des choses inavouables que je confesse ici: elle me dit que je suis beau et bon, elle me dit que mon esprit est acéré et sait suivre la trace de cette chose en quoi croient les aveugles: vérité.

À côté d'elle, il y celle qui se rit de moi, qui me tourne en ridicule et me dit que je suis pathétique, risible dans mes rêves de grandeur qui n'existent que dans la cellule ratatinée de ma case où s'agite en vain ce corps si faible et qui ne réalise rien.

Deux opposés qui entrent dans une dialectique intéressante puisque propre à insuffler un mouvement perpétuel: le syndrome de Jésus est tourné en dérision par la part avilissante de ma conscience, puis la part infatuée s'empare de ce rabaissement en y faisant miroiter l'esthétique presque chrétienne et sublime de la misère d'un homme, de ses limites et faiblesses. Puis c'est au tour de la voix acerbe de reprendre aussitôt ce jugement pour en faire suinter la prétention avec son cortège d'exhalaisons méphitiques, telle une humeur sanieuse que l'esprit expulse.

C'est un des cycles qui fait avancer mon esprit.

Et vous?

jeudi 1 décembre 2016

Mélancolique par nature

Je tremble parfois et les larmes me viennent face à certains souvenirs. Certains de mes phantasmes, certaines scènes, que j'imagine seulement et néanmoins jamais produites, m'arrachent de ces hurlements silencieux du fond des entrailles, de ceux qui restent au-dedans comme une musique que l'on ne sait plus interpréter, mais dont la force arrache toute l'eau de vos yeux.

Être du passé, être une mélodie ramassée dans une durée, c'est être sensible aux secondes écoulées, c'est être mélancolique par nature, c'est cela d'être humain. Quant à être lucide, il s'agit de voir ses propres mains, presque sans âge, d'une vieillesse éternelle que la mort même ne saura figer, perdre de leur force, et sûrement relâcher ce qu'elles avaient pourtant tenu. Être lucide c'est entre autres bien regarder le glissement des images qui sombrent au sein de mers opaques d'où rien ne pourra les tirer.

On a beau s'entraîner, se préparer à ça, il y a toujours un coup qui vient frapper, au travers de la garde, et force la conscience à arrêter sa danse, à regarder le chemin qu'une bien longue nuit efface...