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mardi 28 novembre 2023

Inspiration

Enfermez-vous dans votre esprit, dans le puits de votre âme, sans porte ni fenêtres, laissez mijoter cette volonté directement branchée aux étoiles, jusqu'à ce que ce frémissement de l'être se fasse ébullition et que toute votre personne perce des trous dans le tissu de l'être. Laissez l'énergie accumulée se concentrer jusqu'au noyau de vous-même, jusqu'à devenir aussi dense que mille galaxies, jusqu'à ce que s'effondre le gaz de vos pensées sur l'atome de néant, et devenez cette étoile noire qui contient au-dedans d'immenses portions d'horizon sidéral. La frustration, l'absence d'expression façonne les étoiles et relie l'âme aux sphères de la beauté cosmique. Il faut alors attendre et trouver un moyen de faire sourdre la perle patiemment polie. Et c'est cela la poésie, rien d'autre.

Il n'y a pas de travail dans la création poétique, mais le simple mouvement de l'être qui devient.

La production de l'oubli

Écrire est ma destinée, comme douter, c'est-à-dire penser; c'est-à-dire, en l'ocurrence, penser à quel point une telle phrase est inapte à entamer un poème digne de ce nom, à exprimer une pensée suffisamment singulière pour ne pas avoir été écrite en quantité industrielle... Surtout, ne jamais être entier; voilà ce que ma jeunesse a retenu de cette foudre qui gouverne les mondes et frappe impromptue mais inexorable.

Il n'y a que dans quelques écrits que je trouve ecore de la valeur à quelque chose qui m'appartienne, à quelque partie de moi -- sont-ce bien là des parties de moi ou bien des partitions trouvées sur le manteau céleste? Toujours une pensée en face d'une autre, toujours l'ambivalence de toute chose.

Il est des êtres qui, probablement, ont été conçus pour s'annuler tout en étant, âmes précoces qui répétent la dissolution avant l'heure fatidique. Obstacle que la vie place d'elle-même sur son chemin, vois comme l'art t'as surmonté pourtant... Encore et encore, la poésie te donne tort et pose en les filets du monde un compte positif. La mousse de l'âme, semblable à celle de l'infinitésimal, arrache par fulgurances, de son vide spatio-temporel, quelques fragments d'étoile s'accrochant à nos cieux pour être contemplés -- et vécus.

Les œuvres, à plus ou moins long terme, retombent dans cet espace réel du possible que l'on ne peut pas voir, ou seulement pressentir. Que tout cela soit déjà oublié, pourquoi devrait-ce me déranger?

Toute création est production d'oubli.

samedi 11 novembre 2023

Aphorisme génétique

 Du venin, aussi, faire des fleurs.

jeudi 9 novembre 2023

Impossible

Je perds la trace de la musique, à mesure de silence, à mesure d'inexpression, l'issue se referme, tout reste enclavé dans cet enfer insulaire de la conscience... Et la musique des autres ouvre des avenues entre les arbres qui défilent, l'espace, géométrique, qui dessine sur mes sens des nuanciers de théorèmes semble m'emmener par-delà cet instant qui hurle dans mes veines, vers un ailleurs transcendant qui toujours se dérobe, comme cet horizon que j'ai tant désiré atteindre.

Je m'ouvre, entame une métamorphose, et tout redescend aussitôt: perdue la possibilité d'une compréhension nouvelle, perdue la possibilité d'un nouveau paradigme qui m'offrirait enfin les axiomes latents sous l'œil incandescent. Ma vie, comme mon écriture défunte, me refuse encore le franchissement de cet ailleurs lustral -- et je ne peux que pressentir encore le code d'une musique, cette clef de sol qui me délierait de mes chaînes, de ce moi entravé dans une cartographie vaine et impossible.

Impossible: c'est cela... Impossible comme mon existence, comme une incohérence passagère dans la méthématique universelle, et qui subsiste incompréhensiblement...

mercredi 10 novembre 2021

Mon enfance

 J'eus, contrairement à de précoces artistes, une véritable enfance. Je ne suis pas un Pessoa qui affirme que son style a toujours été formé, dès le début de sa pratique littéraire. Dieu que l'élaboration du mien fut longue: il suffit de relire mes textes d'il y a dix ans, voire moins... Tous ces textes d'une médiocrité éclatante ne seront néanmoins jamais retirés de ce palais mémoriel. Ils resteront comme les témoins muets de ce que je suis: un homme comme les autres, dont l'obstination absurde a su produire, avec la lente maturation de saisons successives, une terre quelque peu fertile, où poussent, après l'inquiétante mousson du tourment, une flore rédemptoire et colorée.

Car je suis devenu, à force de persévérance, une canopée littéraire sur sol vivant. Le réseau mycélien de mes forêts semble parfois si vif et si peuplé, qu'il relie chaque lettre à d'autres galaxies. Tout cela bouillonne d'une vie effrénée, invisible, qui parle à tout instant vécu à ce fol Inconscient, durant la moindre et infime expérience -- depuis les voyages en voiture, jusqu'à ce triste et froid ennui des soirs de solitude. Un dialogue souterrain prend place en permanence.

Voilà bien ce dont témoigne, j'espère, ce sillon singulier. Qu'il ait tracé d'insignifiants dessins sur l'étoffe du temps n'est pas un fait honteux. La vie n'est qu'un brouillon éternellement recommencé. Le non-espoir d'un idéal néanmoins poursuivi.

Je vous laisse tout, tout l'écheveau de ces tentatives, ces complaintes entropiques adressées à l'éther. Advienne que pourra de tout ce flot de vie qui bourgeonne et éclot en fleurs envenimées, nourries par le fumier fertile d'une souffrance chaude.

J'ai bel et bien une enfance. Ces bouquets de poèmes sont le produit d'un long faisceau causal qui plonge ses racines dans le néant des origines. Mais plus modestement, dans les déterminismes sociaux qui m'ont mené à ne plus pouvoir me passer d'écrire l'existence en un chant silencieux vomi sur les cahiers et les mémoires numériques. Je n'ai pas honte de n'être en aucune manière responsable de ce que je suis devenu. Je ne crois pas en la liberté. Je remercie les cieux, mes parents et tout ce réseau de brûlure que forme ce vain monde d'avoir produit, inexplicablement, ces quelques notes bleues qui font des rares moments de création poétique, les parenthèses d'une vie qui puise en elles l'énergie et le souffle gonflant encore mes voiles.

J'irai au bout de ce voyage; déversant ma musique dans le néant atone.

mercredi 19 mai 2021

Esthétique: le statut de l'œuvre

L'art est un processus de création qui ne produit pas des œuvres d'art mais des objets (ou artefacts). Aucun objet n'est en soi œuvre d'art. Pour qu'il soit qualifié de tel, il est nécessaire qu'il soit intégré dans un système représentatif par un regard, une perspective.

En effet, c'est dans l'agencement d'un (ou plusieurs) objet(s) au sein d'une perception qu'une valeur esthétique peut ou non se dégager. Ainsi n'importe quel objet peut être qualifié d'artistique: une baguette, une chaise, un couteau. L'art moderne a d'ailleurs montré qu'un objet banal peut être détourné de sa fonction et vu selon une perspective neuve, artistique. La photographie est un exemple frappant qui montre à quel point c'est le regard sur une scène naturelle, la perspective par laquelle on agence un existant déjà formé, qui va précisément créer la valeur esthétique de ce qui n'est, après tout, qu'une reproduction photographique d'une intuition visuelle humaine. L'affaire Brancusi est un autre exemple frappant que le statut esthétique d'un objet n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais bien plutôt qu'il relève d'un statut culturel et au moins intentionnel. En ce sens, ce n'est jamais l'auteur d'un objet qualifié d'œuvre d'art qui fonde l'aspect esthétique de cet objet mais cette tâche incombe bien, toujours, au spectateur. Notons au passage que l'auteur d'une œuvre est tout autant spectateur face à celle-ci que le simple spectateur lambda qui tombe sur cet objet et n'a participé en aucune manière à sa production. Lui aussi porte un regard sur l'objet qu'il fabrique, il lui donne sens à travers une intentionnalité qui fonde son statut esthétique.

Ainsi produire une œuvre par un regard esthétique sur un objet (déjà conçu ou non) requiert de pouvoir être soi-même artiste. Ceci est logiquement nécessaire dès lors que l'on accepte que l'aspect esthétique ne réside pas en l'objet mais dans le regard qui le saisit et l'organise dans la syntaxe d'une perception. Si l'artiste doit être défini comme celui qui produit des œuvres d'art, alors toute personne apte à déterminer un objet en œuvre d'art par son regard est, de fait, un artiste. Nous répondons ainsi à une question lancinante qui est la suivante: peut-on être artiste si l'on n'a jamais produit d'œuvre? La réponse est oui pour la simple et bonne raison qu'à partir du moment où l'on se montre capable d'emprunter un regard esthétique (au sens de beauté artistique) sur un objet, cela veut dire que nous le constituons comme œuvre d'art par la manière dont notre regard l'agence dans un système représentatif qui lui donne sa valeur esthétique. Autrement dit nous faisons preuve, par notre regard (ou écoute où tout autre intuition par laquelle nous constituons l'objet) de signifiance esthétique au sens où le réseau sémantique que nous tissons à partir de l'objet et dans lequel nous l'insérons comme point nodal, est le tissu ontologique de l'œuvre d'art. Un artiste qui n'aurait jamais produit lui-même d'œuvre d'art matérielle ou même idéelle, et donc ce qu'on pourrait nommer un 'artiste en puissance', est de fait un artiste en acte dès lors qu'il est apte à saisir un objet qui lui est présenté par un regard esthétique. Il est donc faux de dire qu'il n'est qu'artiste en puissance. Par conséquent il est donc vrai de dire qu'il n'est aucun artiste en puissance, mais, contrairement aux affirmations sartriennes qui déterminent l'artiste par ses créations actuelles et non celles qu'il aurait pu créer, il faut bien préciser encore une fois qu'aucun objet produit n'est en soi artistique. L'art n'est pas dans l'objet il est dans le regard ou l'intention, par conséquent même celui qui n'a jamais rien produit d'autre que des regards esthétiques sur des objets est un artiste en acte. Proust, pensant seulement quelques passages d'À la recherche du temps perdu, serait toujours en soi Proust, bien qu'il ne le soit pas nécessairement pour autrui. Par ailleurs, il faut aussi le préciser, celui qui a produit maintes œuvres qu'il n'a jamais considéré comme artistiques alors que tout une partie de la population ne fait que louer leur valeur esthétique n'est pas un artiste. Seul son public l'est.

Prenons un exemple trivial. Une baguette de pain peut être une œuvre lorsqu'elle est jugée comme telle par quelqu'un. Il suffit pour cela d'imaginer le regard plein d'admiration d'un boulanger amateur ou professionnel, qui admire la pureté des courbes, le nuancier des couleurs de la croûte, le contraste des textures entre l'extérieur croustillant et le moelleux de la mie. Il est aisé de se mettre dans sa tête et de ressentir l'effet sidérant que peut avoir l'objet dans la manière qu'il a d'incarner parfaitement, par sa singularité même, la généralité d'un idéal pourtant purement intelligible, faisant de cette baguette l'archétype même des baguettes (tel que le conçoit le spectateur), excédant les caractéristiques purement pratique de par l'harmonie qu'il perçoit dans la précision de chaque détail, comme si l'objet débordait de toute part sa fonction par l'exposition de détails inutiles et sublimes, porteurs d'une signifiance ouverte, signes d'une intention à interpréter. La capacité à partager cette signifiance esthétique (à l'aide de mots, de couleurs et traits, ou de tout autre moyen d'expression servant à exprimer le regard intime) va avoir pour effet de produire une représentation du regard esthétique lui-même, afin d'en faire un objet extime apte à convaincre autrui de la nature artistique de l'objet. Il arrive qu'alors, ce faisant, l'on produise une autre œuvre d'art qui n'est que la traduction d'un regard essentiellement intime porté sur un objet. Mais là encore ce n'est jamais l'objet représenté qui est œuvre d'art c'est la représentation, le représentant. C'est pour cette exacte raison qu'un résumé d'œuvre littéraire ne peut se substituer à l'œuvre elle-même; bien qu'il puisse, lui-même constituer une véritable œuvre pour celui qui en est le spectateur. Néanmoins ce jugement ne peut, en droit, être nécessairement partagé, pire il peut très bien rester unique et singulier. C'est pour cette raison que toute œuvre peut être observée de manière totalement prosaïque, en l'intégrant dans un système de représentation fonctionnel par exemple (en regardant le tableau comme plateau ou bien en considérant la chanson comme un bruit dérangeant, etc.).

Imaginons un cas concret. Si les peintures des grottes de Lascaux étaient en fait des marques chargées d'une fonction pratique servant à comptabiliser lors d'une chasse le type et le nombre d'animaux tués ainsi que de consigner les personnes ayant participé à la chasse (en les identifiant par la trace de leurs mains par exemple). Plus de vingt mille ans plus tard, des humains découvrent ces peintures et y voient le signe indubitable d'une intention esthétique. Ils déterminent alors les peintures par le qualificatif d'artistique et colportent l'idée selon laquelle les premières velléités esthétiques humaines remontent au moins à vingt mille ans. On ne saurait ici être plus dans le faux puisque la signifiance esthétique n'est ici portée que par les humains qui découvrent, bien plus tard, ces peintures rupestres. Ce sont eux qui introduisent un signe forain pour l'intégrer de force à leur propre langue et qui lui attribuent ainsi une signification supposée. L'exemple est peut-être un peu tiré par les cheveux mais il est, d'une part, loisible, et d'autre part, tout à fait paradigmatique et peut être appliqué, dans son essence, à un nombre de cas infini.

jeudi 13 mai 2021

Aphorisme musical

 La musique est création de présent

samedi 18 avril 2020

D'un autre vers lui-même

Le travail?

Mais il n'y a pas de travail. Ecrire est un acte d'inspiration, c'est arpenter un chemin qui existe, déjà, quelque part, en quelque temps. Je n'ai jamais eu à travailler pour me brancher sur ces sphères. Je n'ai jamais rien créé, rien inventé, rien bâti qui  ne soit déjà là. La beauté est sous nos yeux, sa structure en chaque chose et son chant est partout à traduire par les mots trop humains du commun. Cette chanson qui m'emporte à rebrousse-chemin, vers le passé qui trace ses figures et synthétise en ses courbes la grammaire d'un destin: voilà ma clef de sol.

Donnez-moi la note juste, donnez-moi le bon air, et je m'embarque en sillon littéraire vers la lucidité des sombres sages, solitaires, qui écrivent poèmes pour la lune et l'espace indifférent. Mais peut-être qu'il ne l'est pas, au fond... Peut-être que les étoiles écoutent comme une Juliette le chant du Roméo esseulé qui hurle en sa mansarde de misère. Peut-être que chaque élément de nature est un appel sans péremption vers le fond de toute âme. C'est en ce point silencieux que je vis, heureux, accompli de n'être rien, passager du vent, instrument de tout.

Ne cherche pas à créer: rien de nouveau sous le soleil, pas d'arc-en-ciel qui ne soit déjà peint, en quelque langue insensée qu'il faut pourtant bien traduire du vécu qui l'enserre. Sous la prison des mots la liberté se dessine et prend ses silhouettes bleutées des tréfonds de la nuit. Lumière vient limiter mon âme et lui donner la forme des flammes, changeante, métamorphe un peu dingue avec ses chutes et courbes folles. Fais du Dieu la chose, du sujet cet objet esthétique qu'aucun dévoilement n'épuise et qu'un autre regard, bref ou durable, indétermine. Car l'art n'est rien d'autre que ça. Une écoute obstinée, fanatique que le coeur-instrument brisé s'accapare en écho, le temps d'une danse privilégiée. Oh tu sais comme je suis chanceux d'entendre partout tes gammes chromatiques, tes fondamentales enchaînées que j'accorde à ma lyre...

C'est n'avoir aucun maître qu'écrire, c'est n'être jamais auteur mais toujours interprète. Nous ne sommes que les transformeurs d'indicible en voies lactées de phonèmes. On bricole avec ce qu'on a, voilà tout. Et ce tout est le plus grand des plaisirs mais le plus condamné aussi. Car on est seul en son sein. On y réside à jamais dans l'isolement d'une connexion au Réel que forme le cordon d'un vécu singulier. Et pourtant tous s'y reconnaissent, un jour, d'une manière ou d'une autre. Et c'est ainsi que lève la malédiction...

Parce qu'un instant comme celui-ci peut être un pont d'un autre vers lui-même.

mercredi 1 janvier 2020

La porte des étoiles

Il faut beaucoup souffrir pour écrire un peu.

Et même alors, vous ne créez jamais rien, rien de bien vraiment nouveau. On ne fait jamais que trouver des choses déjà achevées, des phrases déjà là, et l'on s'habille ainsi de briques primordiales que d'autres avaient mis là.

Chaque élan créateur, chaque expiration expressive une porte donnant sur des pièces déjà là, dormantes dans le grand champ de l'en puissance et du possible, quelque part dans le vide qui attend.

Tout de même il y a des portes que je souhaite ouvrir, et peut-être visiter enfin le monde enclos derrière. Comme si chacune de ces portes interdites était le seuil d'un bonheur accompli, perpétuel, hors du temps et de l'espace; et comme s'il était possible de franchir un tel seuil tout en restant soi-même, et exister encore...

A-t-on vraiment besoin d'un mensonge pour continuer de vivre?

Ces portes dans un sous-sol enfumé, empli d'âmes errantes et de vapeurs d'alcools, de solitudes qui se frottent l'une à l'autre en défaisant les liens qui désunissent. Ces portes un peu partout cachées que je ne peux ouvrir, car je n'ai pas la clef, et car, probablement, si je la trouvais en moi, je me dissiperais alors dès le franchissement du cadre.

Néanmoins, j'aimerais pousser la porte, traverser le seuil - sans qu'il soit aussitôt un Styx - et basculer dans l'autre monde aux illusions cristallisées. J'aimerais trouver la cigarette rose et avaler sa fumée douce, celle qui brûle et brûle et jamais ne s'éteint.

Chaque jour, dans la clarté opaque des cieux clairs, je cherche les portiques abscons que figurent au ciel nocturne les étoiles.

Partout je pourchasse la nuit comme réponse définitive à tout ce qui existe.

lundi 11 février 2019

L'oeuvre universelle

Si je pouvais connaître la date de ma mort, je pourrais avoir peur du grand et terrible monstre, celui qui sort tous les procrastinateurs de leur schéma délétère. Celui qui fait des gens de mon espèce des huîtres qui poliraient leur perle pour l'éternité si celle-ci leur était promise. Retarder au maximum, afin de produire l'oeuvre la plus aboutie qui soit, la plus délicatement et passionnément ciselée. Le temps apporte la croissance, et les fruits mûrissent à l'abri, nourris de la sève des jours qui déversent sur les feuilles la lumière qui est bue, transformée, et distribuée aux extrémités de l'être, là où l'autre peut y prendre sa part.

Attendre, patiemment, et grandir en soi, aiguiser cette lucidité acérée, faire de sa conscience une arête affûtée prête à couper le vide.

Mais je ne connais pas la date de ma mort, aussi le monstre qui s'en vient nous pousser à l'action, celui qui nous met le couteau sous la gorge et nous impose son exaction, celui-là ne vient jamais. Et peut-être partirais-je, avec tous ces fruits en moi au jus si frais et nourrissant, ivre du muscat des mes raisins pourris et fermentés, tous ces enfants que j'ai laissé mourir en moi d'une vieillesse prématurée. Je danse ivre sur l'instant qui glisse, et j'ourdis dans mon fond les pilules qui défont les mondes.

Qu'on me pardonne, au fond j'aurais volé tant de secondes à l'univers, et chaque unité d'expérience forme la touche du piano de mon âme, sur lequel je compose des mélopées mineures invoquant les mystères enfouis dans les trous noirs, et les dimensions parallèles qu'on ne vivra jamais.

Je me prépare pour le grand soir sublime.

J'attends la date de ma mort prochaine et, alors, au crépuscule je ferai bourgeonner mes branches élancées, j'engorgerai de sucre les fruits multicolores illuminant la nuit. Je ferais de cette absence du dernier soleil une nouvelle journée dont je serai la source. Et toutes les âmes de ma galaxie pourront s'abreuver du concentré de mon rythme, et l'hymne dense coulera dans les veines, alimentera les gestes et sera le prélude à l'oeuvre universelle.

lundi 21 mai 2018

Embraser les coeurs

Accule-moi et je crée. Percute mes valeurs et je crie, silencieusement et puis de l'intérieur. J'envoie des lames de fond raser tout ce chantier, et le monde autour ne tremble pas d'un iota, seul mon îlot est dévasté. Quand bien même: tu m'accules et je crée. C'est ma seule arme contre toi.

Oh ce ne sont pas les paroles d'un vieux - ou jeune, vieux-jeune ou jeune-vieux - fou qui te font peur. Quelques palabres sur les murs, qu'est-ce que ça peut bien faire. Il y en a tant qui sont morts ainsi, et leurs divagations n'ont fait aucune vague, personne ne les connait, nul ne les a entendu. Je sais tout ça et malgré tout je crée.

Quelle époque bien sombre... À l'ombre d'un éden ancien, qui n'aurait jamais existé... Mais l'éden était bien là, n'avait besoin de rien, c'était en quelque sorte l'état naturel des choses. Et le serpent s'en vint, et puis la pomme se fit manger, il fallut d'autres pommes, bien des pommes en vain, pour une faim qui ne se peut rassasier.

Accule-moi encore société, que je crée des fantômes pour les illettrés, que je sculpte des non-formes pour les idées cristallisées. Je parle pour ne rien dire, j'ai l'habitude de n'être jamais écouté.

Vous imaginez, la somme d'entailles que j'ai à cicatriser? Pour en avoir idée, comptez seulement les textes, combien en ai-je écrit? Tout cela des croûtes pour cicatriser des blessures. La nature cherche l'équilibre, et le flot de ma prose est une tentative vaine - mais sublimement tragique - pour retrouver l'osmose.

Accule-moi encore et encore, un jour tous ces poèmes embraseront des coeurs.

mardi 7 novembre 2017

L'amoureux des ruines (prose)

Ce poème est censé constituer les dernières lignes d'un roman éponyme dont j'ai terminé le premier jet. Peut-être que je ne l'incorporerai pas, we'll see... Il peut paraître quelque peu mystérieux et abscons en l'état, mais la lecture du roman qui le précède est censée lui donner le sens qu'il recèle. J'espère tout de même qu'il pourra être agréable, lu par vous-même ou par moi.

J'ai pris la liberté par moments de tricher avec la langue française, mais je me le suis permis parce que la poésie n'hésite pas à tricher (du moins historiquement) parfois, en modifiant l'orthographe de certains mots ou autres artifices du même acabit. Vous noterez donc qu'il m'arrive de prononcer un 'e' à la fin d'un mot qui n'en a pas (comme 'sol' par exemple). Les règles d'une langue sont arbitraires et malléables, et s'il faut j'écrirai ma poésie à coups de marteau :-)





Les cieux savent-ils à qui appartiennent ces doux cheveux ces longs cils, qui sous leur derme versatile abritent un grand tourment? Quel est la couleur des nuages celés sous le prénom d'Anis, quel est l'ardeur de ces orages qui sous son crânent glissent? Et si les cieux l'ignorent qui donc le saura? Et si personne ne sait qui est cet hôte élu de la souffrance, qui donc le sauvera? Je jette ici des mots, comme des cordes sur le pont d'un bateau, comme des mains qui raclent tout au fond des eaux, pour déterrer les os du souffrant silencieux. C'est mon ami, peut-être le vôtre aussi, celui dont les maux soufflent comme vent, tempêtes déferlantes, crêtes émoussées, écumes qui dansent au-dedans. Nous existons quand son furieux océan rugit, dans cette mer étale de nos vies, où s'étalent dérisoires nos  vains soucis.

Mais que sais-je moi, matelot des grands lacs, que sais-je du courage qu'il faut, pour affronter les flots. Des mers de colère je n'ai connu que quelques mots, échappés en sourdine de son corps agité, découpés en comptine qui pourraient le bercer. L'humain n'a jamais vu d'atomes mais connait ses effets, agence les fantômes pour s'en faire des images. Ainsi le monde intranquille où lutte un sans repos est devenu pour moi plus net qu'un tableau.

Le cataclysme, j'ai bien du mal à me le figurer. Mais c'est une belle ombre que je vois s'avancer, baguenauder fureter, sur chaque pierre où la folle est passée. C'est un mouvement vif et trop léger pour être capturé, je n'en ai que contours: flammèche mutine affûtée par les airs, qui joue silencieusement une musique de gestes sur des routes inempruntées. Sur chaque ruine où son pied s'est posé, partout lumière et vive légèreté. Tu es la silhouette qui orne les ruines de ta lueur secrète. Héraut du renouveau, la tornade est passée, partout tu chantes ton message en de possibles graines qui pourront germer: orbe-opales plus vastes que notre univers, puisqu'en un seul monde s'écoulent les cosmos comme d'indénombrables sphères.

Tu es l'être vivant logé dans ce pays, au creux des végétaux eux-mêmes qui ont enseveli, les pierres brisés, la poussière du passé qui sur le sol gît. Ils disent - vois entend leur naïveté - que détruire est moindre que bâtir, ils disent que nier n'est rien et pensent te séduire. Mais tu sais mieux que bien, que ton pays nouveau n'est rien, pas même une cendre glacée, sans les griffures du temps, sans le sombre néant, que porte l'ouragan, comme un enfant à naître; progéniture cruelle crucifiant ses parents mais bâtissant le ciel, où luira le soleil des prochaines moissons.

Tu panses les ruines de toutes tes pensées, du sol tu fais pousser les si vertes forêts, des châteaux écroulés tu peins des mélopées aux couleurs de ton sang qu'on aura fait couler. Ce sang où tu trempes la mine de ton âme, sans faire mine qu'il y eût là un drame. C'est bien le tien pourtant, fleuve de l'ancien temps abreuvant du jour nouveau les champs.

Tu n'avais pas de nom hier, tu l'oublieras demain. La tempête divise éparpille au loin, ce qui formait jadis une brève unité. Tu es l'écume phosphorescente qui succède au fracas, le clair soulagement d'un musicale éclat. Pour moi, pour eux, et pour les choses sans nom, tu es à jamais l'amoureux des ruines, s'ébattant sous la bruine de ton défunt parent.

Je ne sais si les cieux savent lire, mais ceux qui savent sauront désormais ce qui se cache sous les cheveux aux vent d'Anis. Peut-être verront-ils enfin - et toi la verras-tu ici? - la fertile élégance des lieux anéantis...

mercredi 11 octobre 2017

La forêt de bambous



Je voudrais écrire un poème
Mais je ne sais sur quoi

Produire une chanson
Pour vos télévisions
Que mes mots soient délice
Qui dans vos âmes glisse

Je ne suis qu'inertie
Pierre qui roule un souci
Dans tant d'imprécis lieux
D'où je contemple et goûte

Votre oeuvre qui fait route
lointaine et insensible
                  À ma sombre déroute

Pourtant je suis l'auteur
Moi, oui, vraiment moi
D'une forêt de bambous
Aussi étrangère pour vous
Que les tribus papous

J'existe, enfin je crois
Mais vous ne voyez pas
Mon sillon de couleurs
Les notes où s'entretisse
Mon mineur de malheur
Mes courbes mélodiques
Qu'aucun panneau n'indique

J'ai tracé tant de routes
Qui mènent vers mon coeur
Des ponts bien en hauteur
Pour surpasser mes doutes
J'ai parjuré l'amour
(Pas sous ses seuls atours
Mais bien sous son vrai jour)
En priant pour qu'un jour
Son siège sans matière
Soit oeuvre littéraire

Qu'il suffise aux humains
De tendre un peu la main
Pour que mes mots l'enlace
Et puis qu'ils me remplacent

Savez-vous quel prix j'ai dû payer
Pour glaner ça et là des zests de beauté
Pardon, vous n'avez pas à le savoir
La vraie souffrance ne se donne pas à voir
Mais j'ai quelque amertume
Qu'à jamais tout espoir
Semble pour moi posthume

J'ai bâti un empire
Où tout enfin respire
Au souffle d'une lyre
Qui parle de loisir
Voluptés et plaisirs
Dont seul je semble jouir

Peut-être simplement
N'ai-je pas su inviter
Vous maîtresses mes amants
À qui j'offre mon âme
Tout matériellement
Sous le toucher soyeux des pages
Qui sont le vieux rivage
Où j'ai posé bagages

Je vous convierait sur mes plages
Pourvu que vous tendiez l'oreille
Contre les coquillages
Y coulent des histoires sans âges
Qui parlent des humains
Et de leur pieux courage

Moi je n'en ai pas eu
Au jeu de vie j'ai chu
Je me suis pris les pieds
Dans ma propre pitié
Finalement je suis
De tout temps demeuré
À un pas de côté
De ce regard qui luit
Dans ma terrible nuit
Celui-là que je quête
Au travers de la pluie

De toute façon les gens
N'aiment plus poésie
Et moi qui pensais bien pourtant
Leur tendre une ambroisie
Que j'ai mis tant de temps
À rendre si fleurie

Peut-être me suis-je trompé
J'ai peut-être un peu tort
D'avoir trop persisté
À prendre pour de l'or
Ma si grande forêt
Et ses humbles trésors

Tant pis j'ai essayé
Tant qu'un souffle m'anime
Oui Je suis unanime
Il me faudra chanter
Debout sur les feuilles séchées
À travers tant de branches et
Dans l'ombre d'une frondaison
Où peine mon coeur ébréché
Élever ma maison

Qui sait
Peut-être qu'un beau jardinier
Saura faire moisson
Des lettres qui se lassent
Au fond de vieux cahiers

Qui sait
Combien de fruits peuvent pousser
Sur ce terrain tout calciné

Qui sait
Combien de promesses ignorées
Le temps cruel fera germer

Qui sait
Ce jour où ne serai
Si vous ne m'aimerez

Je sais seulement
Et bien amèrement
Que je ne saurai pas
Ce que le temps seul sait
Ainsi qu'importe qui saura
Si je ne suis plus là
Pourtant...

J'entends venir le vent
Qui porte le tourment
De ces deux mots
Ces maudits maux

Qui sait...