dimanche 28 janvier 2018

Le chant des chrysanthèmes



Tout juste effeuillé
Mais déjà si froissé
Je m'enfuis dans le pale du ton des fleurs fanées

Qu'on observe danser
Mieux que ne font les pas
D'un destin qui hésite et fonce à son trépas

Effroi si familier
Du chemin d'existence
Qui s'achève en déroute et s'effile en absence

Poursuivre son errance
Avant tout pour soi-même
Suivre l'écho mourant d'un terrible "je t'aime"

Accorder sa parole
Aux mélodies usées
Qui parlent de ces joies par l'alizé soufflées

Allons donc...
Conte extravagant
Que l'on s'invente divagant

Tout près, si près
Du grand néant des ans
Où dort, peut-être pour toujours, ou bien pour un printemps

Ce que l'on a été
Et qui ne vaut la peine
De cette écume vaine que feront nos mots

Sur notre peau quelques écrits sans thème
Formant un incipit au chant des chrysanthèmes

jeudi 25 janvier 2018

Bipolaire?

Je me demande de plus en plus si je ne suis pas bipolaire. J'avoue ne pas savoir autre chose que quelques généralités un peu creuses quant à cette pathologie, mais celles-ci s'accordent assez bien au mal qui m'afflige. Tantôt tout entier plongé dans telle obsession, qui me porte, focalise mon ascension en un jet d'autant plus violent et jaculatoire qu'il est concentré. Mon obsession alors, souvent intellectuelle, n'est pas qu'un amour théorique mais bel et bien érotique. Plus je travaille dur et plus je sens monter en moi un désir insatiable et brutal qui m'emporte, comme s'il ne s'agissait là, finalement, que d'une autre forme de sexualité... Mon esprit pilonne inlassablement, surexcité, consumé et repu de sa simple excitation.

Après cette phase qui ne discontinue pas, je termine exsangue épuisé. Ce n'est pas d'une petite mort dont je suis victime mais bien d'une grande, incommensurablement plus grande que celle qui vous fait, fugacement, détester l'être complice de la vie qui s'est emparé de vous comme un pantin pour achever son dessein. Le sujet qui m'occupait jusqu'à présent fait désormais l'objet d'une répulsion viscérale. Je le hais, le rend responsable de tous les maux. Il a siphonné ma vie qui s'est échappé par ce vortex qui n'a finalement mené à rien, qui n'a pas tenu ses promesses. Je suis dès lors entré dans une phase de dépression profonde, chu telle pierre dans un lac trop sombre, sans plus apercevoir la surface. Et ce qui me fait peser de tant de poids, lors même que je suis vide, c'est le fantôme de l'obsession qui retombe alors avec ma vie dans les abîmes insondables d'où je pensais l'extirper, pour toujours - ce pour toujours est dramatique, la source de toutes les tragédies humaines...

Ma vie cyclothymique roule ainsi, de crise en crise, je suis contradictoire jusque dans mes humeurs, isosthénique jusqu'au bout des passions, mais de la trempe des vrais sceptiques: de ceux qui s'efforcent de croire de tout leur être une chose et son contraire, pour enfin s'en désaisir comme d'un vulgaire coquillage parmi tant d'autres échoués là.

mercredi 24 janvier 2018

Chu d'un songe



À l'aube oublié dans un ourlet de nuit
Je m'obombre et recule devant aujourd'hui
Dormeur sans sommeil que les rêves émerveillent
Mon destin se suspend entre chaque réveil

Jour me voilà tel que je suis
Insensible à tes cieux que tous mes yeux essuient
En mes oreilles bourdonnent la mesure du silence
Et le chant sidéral d'une atone élégance

Dis quand reviendra l'ombre qui émousse un peu
Cette arête aiguisée des faces diurnes du réel
Qui se plait à lancer sur mes plaies comme un sel
Ce rayon qui dissout l'image d'un monde où peut

S'exprimer sans limite l'âme immatérielle

mardi 23 janvier 2018

La source informe

Ecrit vers 2013

Impossible énergie
Qui préfère l'en puissance
Du royaume inconquis
De futurs en instance

Rester tout au dedans
Où rien encore n'existe
Que les balbutiements
D'une voix solipsiste

Quelque chose, au milieu de l'eau s'élève
C'est un souffle liquide venant gonfler mes veines
Cette informe source d'où jaillit ma sève
Surgissant du néant pour inonder la plaine.

dimanche 21 janvier 2018

Erreur: module du désir en panne

On ne se demande jamais ce que l'on veut enfant. On se contente de foncer, tendu vers l'objet du désir avec une si forte évidence qu'elle ne laisse place à aucun temps mort, aucun silence où pourrait s'insinuer le doute. Je déplore aujourd'hui qu'il n'en aille plus ainsi.

Où je vis, le grappin du désir est tenu par une corde rongée de fils dénoués et trop lâches. Pas une volonté qui ne soit aussitôt nuancée par l'hésitation ou le désir du contraire. Pas un seul matin qui ne déraille le train à peine frémissant, mais toujours à quai, de mes projets et envies. À croire que vieillir vous pèle de tout désir bien défini pour ne laisser qu'un asphyxiant désir de désirer, planté dans le creux de votre être comme un regret de tout... Une sorte de syphon par où se vide l'existence tandis qu'on reste spectateur attristé du tourbillon de malheur où tout s'écoule peu à peu.

Tout regretter, chaque soir où le repos vous nargue comme une récompense imméritée qui vous est interdite puisque vous n'avez rien fait, pas même un peu vécu. Puis prétendre au matin que malgré tout se lever vaut la peine. Se lever pour la suite de gestes qui ne tirent une unité non du sens que l'on insuffle à sa vie mais de la stupeur qui la fige, l'enserre et la crispe dans un étau glacé. Zéro absolu, ou presque car ce dernier serait une amélioration de la situation, une réponse au problème.

Où sont enfuis mes désirs? Je ne sais plus aimer comme jadis... Je ne peux pas même dire que ma vie est désormais sous le signe du regret puisqu'il me faudrait savoir alors ce qui me manque, vivre une direction bien déterminée que je n'ai pas prise comme un désir profond de mon être; moi l'homme qui se défait de ne plus savoir vouloir - car vouloir vouloir n'est que le signe d'une volonté en panne.

Peut-être au fond tout cela n'est-ce que le résultat de ma propre piste philosophique. Du stoïcisme au scepticisme, avec toujours comme mire d'horizon le sacré désaisissement dont je me goberge ça et là. Néanmoins je souffre peut-être de trop bien savoir me désaisir, à tel point que les mains atrophiées de ma volition ne savent plus rien tenir entre leurs doigts. Mais si j'étais si désaisi de toute chose que cela, peut-être n'attacherais-je pas même d'importance à cet état de fait... J'avoue ne plus savoir. Je crois que trop de philosophie m'a perdu; à trop suivre la raison l'on ne va nulle part, on peut se creuser de l'intérieur comme cette distance du paradoxe de Zénon d'Elée que l'on divise à l'infini. Voilà à quoi semblent se résumer mes jours, une division de mon espace-temps à l'infini, un voyage vers le néant d'origine jamais atteint.

Hétéronomie du divertissement, autonomie de l'art

Le divertissement nous arrache à nous-même quand l'art nous y plonge.

L'industrie culturelle est dominée par le divertissement, on y voit ainsi des livres insipides recevoir de multiples prix littéraires,  des films sans épaisseur réaliser les plus gros nombres d'entrées. Les gens sont assommés par le travail et n'ont la plupart du temps pas l'envie de sonder les replis de leur âme. Or seul le divertissement peut offrir un repos, l'art au contraire requiert de l'énergie, il demande un véritable travail que nos sociétés d'esclaves ont rendu intolérable à nos moments de loisirs.

Les oeuvres de divertissement offrent, tout comme celles de l'art, une morale, mais de manière si évidente et sans subtilité que, là encore, elle ne se conquiert pas de haute lutte mais elle s'impose de façon univoque et vulgaire, presque racoleuse. Les gens s'habituent à ces fragments de "sagesse" qu'on dépose directement dans leur bec, ils deviennent de moins en moins enclins à réaliser les efforts d'intelligence que requièrent les morales celées dans l'oeuvre d'art. Cette dernière ne livre jamais complètement explicitement sa sagesse, mais elle se donne à nous comme une énigme qui requiert patience intelligence et créativité. Mieux, elle ne se donne pas comme telle, mais elle apparaît de manière suffisamment diffuse à travers l'ensemble de l'oeuvre pour qu'elle demande au spectateur de la créer par lui-même, à partir des éléments qu'il agencera selon son expérience, son idiosyncrasie et son désir d'approfondissement.

Il me semble que tout message qui veut voyager sous les atours de l'art doit apprendre les subtilités de la dissolution et du travestissement, il gagne à confier son unité entre les mains du spectateur dont la conscience est la seule unité réelle de l'oeuvre achevée. En d'autres termes ce qui fait la valeur d'une oeuvre à mes yeux c'est qu'elle nous amène à vivre une suite d'expériences qui ont été pensées par l'auteur comme étant propitiatoire à l'élaboration, par le spectateur lui-même, d'une idée (appelons la morale au sens large) qui devient alors lui-même auteur. L'art est un accélérateur d'expériences à travers lequel le récepteur doit éprouver sa propre puissance créatrice.

Qui écoute ses parents? Qui fait sien les interdits qu'on lui impose sans rechigner, leur obéit sans jamais penser à les défier, à en vérifier la véritable légitimité par l'expérience? Peut-être que des parents rêvent de ce genre d'enfants, mais l'art doit au contraire tirer le spectateur vers l'autonomie. Une leçon qui n'a pas été constituée par vous-même, à travers une expérience qui a produit l'induction nécessaire d'une certaine conclusion, ne sera jamais acquise véritablement. Elle n'aura eu pour mérite que de créer un tabou, un trou noir que l'on ne fait qu'éviter et dont l'effectivité repose sur la croyance elle-même fondée sur l'obéissance et la soumission à un discours d'autorité. Ce n'est pas, me semble-t-il, un monde auquel on peut aspirer, ni en tant que parent ni, plus largement, en tant qu'humain.

Ce qui a du prix à nos yeux c'est ce que nous avons dû surmonter, ce que nous avons conquis et c'est précisément un tel défi que doit constituer à mes yeux l'oeuvre d'art. Pourquoi diable les fables de La Fontaine ont un poids plus grand que si nous en extrayons la morale en une formule lapidaire que l'on jetterait au spectateur, si ce n'est précisément parce qu'elle telle formule serait dépourvu de valeur, resterait lettre morte, désincarnée.

Nous n'apprenons jamais rien que nos propres leçons.

vendredi 19 janvier 2018

Le goût amer des victoires

Il me semble, par moments, que si je devais mourir, ce ne serait pas vraiment de moi qu'il s'agirait. J'ai sur mon esprit le même regard extérieur que sur mon corps. Je me sens, je me vois, je me contemple et m'étudie comme un objet étrange dont je suis pourtant l'otage. Je traversais les vignes, une fois n'est pas coutume, et soudain une grande fatigue d'être moi m'étreignit. Je me vis là, à côté de ces pas, à côté de ces pensées et préoccupations, à côte de ce destin comme un fardeau trop lourd, j'étais prêt à mourir de lassitude.

Je crois que je n'ai jamais connu de victoire qui ne m'ait été aussitôt odieuse et injustifiée.

Terminer quelque chose n'est qu'un prétexte à tout remettre en question, les buts que l'on s'était fixé, les véritables motivations qui nous animent, soi enfin.

jeudi 18 janvier 2018

Le semeur de poèmes apatride

Je vais dans l'écriture comme dans un pays où je retournerais parce que j'y ai ma bien aimée, et des promesses pour moi-même. De mon vivant, je n'ai pas tenu toutes mes promesses, contrairement à d'autres pour qui la parole est indexée sur le réel même, est aussi matérielle que mille chaînes.

Chaque jour je reviens ici, dans ces parterres de fleurs fanées que sont mes rimes, têtes coupées d'hydre Mélancolie. J'y ai mes habitudes, j'y traîne dans l'attente d'un quelconque miracle, dans l'attente que quelqu'un, un jour, me tape sur l'épaule et me dise: "tu viens souvent ici? Moi j'ai découvert cet endroit il y a peu, par hasard. J'y viendrai tous les jours désormais..."
Bien sûr je ne répondrai rien, cet espace et ce temps que je file sont ma réponse à ce genre de questions. Peu importe que l'autre vienne ici dans sa bulle, tant qu'il existe une interface entre les mondes, alors il n'est de solitude réelle.

Je ne suis pas quelqu'un de difficile, voyez ce sont souvent les mêmes couleurs que l'on trouve en ces cieux, les mêmes pluies les mêmes gloires qui percent les nuages. Il faut des rives bien fermes à celui qui s'écoule plus vite que le temps - jamais ne se retrouve dans le reflet des choses. Un seul rythme vous donne tant et tant de nuances subtiles, tant de petits détails où éclosent des mondes.

À tous les jours se baigner dans la mémoire des mots, toujours vérifier que point ne change le goût de l'eau, il m'arrive, à quelques rares occasions, la surprise qu'il soit réellement autre. Je sais alors que même les poèmes ne peuvent tenir en leurs liens le vécu qui s'en va. Aux signes, il faut associer d'autres signes tel un petit Poucet, afin que la conscience soit guidée pas après pas, sans faute. Travail titanesque et impossible à la fois. Tous les jours malgré cela, je sème mes poèmes, comme on parsème de cailloux la route inempruntée.

Pourtant, dès lors que je rebrousse chemin, je n'en retrouve aucun...

Ni arrière ni avant pour les destins. Seule cette amnésie sans lendemain.

Dans les vignes



Je marche. Marcherai-je toujours? Se pourrait-il que j'arrête - et que restera-t-il alors à faire?

Je marche dans les vignes, au milieu des sarments coupés attendant en tas au bout des allées. La récolte fut-elle bonne cette année? Et les raisins, seront-ils bien sucrés? L'amour des cieux et de la terre donnera du bon vin je l'espère....

Je marche et pense. Cela aussi, cesserai-je un jour - et que restera-t-il à faire alors?

Je pense au long des pas - où sont-ce les pas qui se posent au long des songes? Je me surprends encore dans quelque rêve dérisoire où je suis une idole, irrésistible, à qui tout réussit, que l'on adule - et même après la mort que diable je m'enivre! Il est doux de rêver, de se jouer si bien la scène qu'on en est persuadé qu'elle doit être vérité; qu'elle sera vérité.

Bientôt je m'invective - à quel pas en étais-je? Mais à partir de quand les compter... -: enfin mais pour qui te prend-tu?! Un héros, un à qui tout sourit? À qui tout frappe à la porte, le succès puis l'objet fantasmé? Le succès est moins important que la Femme, que l'idée, parce qu'alors tout serait justifié au nom de ce qu'il y a de plus beau, de l'amour! Le coeur en arrêt, suspendant sa respiration pour le retour de la chose aimée. Et la bouche disant à cette dernière: je te pardonne, si tu savais... Je te pardonne tout!

Je ris, marche et pense, observe au-dehors autant qu'au-dedans, je hume et sens, j'entends aussi, moins l'extime que l'intime. Je me moque de ce moi qui peut faire toutes ces choses ensemble et pourtant de tout cela ne peut retenir qu'un point d'écoulement, une seule chose à la fois, odeur ou son, image ou contact, que la mémoire réagencera en bouquets. Qu'a-t-on besoin d'histoires, nous existons déjà sous forme de récit...

Mais tout de même, au milieu des sarments je souris de moi-même, de ce désir de reconnaissance, de ce désir d'amour qui me prend par moment et disparaît, aplani par la raison qui apaise et dissout. Soudain je m'interroge: et si chaque acte de ma vie n'était que la réponse à ce besoin si fort? Alors j'aurais partagé avec mes semblables, la merveilleuse propriété émergente des destins: de toutes ces formes agencées et unies qui dans leur infinie complexité sont une conséquence nécessaire d'un même désir d'amour, et font le plaisir des sourds que nous sommes: d'abord à nous-mêmes, puis à ces causes qui nous déterminent.

Je m'en vais par la vigne mais la vigne soudain cesse, abrupte, comme mes pensées. Pensées qui sont deux chiens se courant après, se tournant autour tantôt jouant tantôt grognant pour se punir.

J'avance désormais sur la courte portion goudronnée avant de fouler de nouveau l'herbe en souriant aux moutons qui, je ne sais pourquoi (ou bien le sais-je mais suis-je trop flemmard pour bien l'analyser), me sont si aimables que je me prends à pleurer rien qu'à me tenir là, auprès d'eux et des mouvements si délicats de leur bouche pour cueillir l'herbe dont ils se nourrissent. Pourquoi racontais-je cela... Ah oui, je m'achemine encore entre ce bois qui me fait un jardin et cette boîte qui retient mon destin. Entre les deux je songe et parle tout haut, arborant ce sourire dément du héros absurde. Absurde oui, mais héros peut-être pas, pas plus que les gens dans leurs maisons, pas plus que les moutons qui broutent...

Je rentre docile à la bergerie, vingt mètres carrés de murs blancs où ploient mes épaules de lilliputien géant.  Dieu que je suis minuscule, et frêle. Je ne suis rien, pas même un mouton, pas même un chien. Sur ma porte close, rien ne vient taper, ni succès ni Femme; tout juste peut-être le vendeur d'internet ou bien les éboueurs pour le calendrier. Je n'ai rien à leur donner, parce que je ne possède rien. Comment leur faire comprendre que l'agencement du monde est ainsi fait qu'il n'y a métaphysiquement rien à donner, c'est impossible...

Je traîne un peu, le soleil garde ses feux pour d'autres cieux plus lointains. Peut-être que là-bas, la gloire et la Femme s'y trouvent...

Je suis arrivé, je m’assois. Je cesse de penser. Coquille. Vide.

Peut-être n'étais-je rien tout à l'heure?

Tandis qu'ici, maintenant, pas même rien...

mercredi 17 janvier 2018

À côté d'eux

Je regarde les autres, et je chante avec eux. Mais d'une autre voix, qui chute au fond des lacs, qui coule au fond des mers et prend la route - où sols et cieux se confondent, où s'abouchent les mondes.

Je regarde les autres, et capture le passé. Des évènements et l'actualité, de l'ici du maintenant, je ne garde rien, j'imprime une autre époque, je raconte une trop vieille histoire.

Je respire les autres, et me retourne pour humer encore ou bien pour échapper à certains effluves. Jamais, ou presque, je ne retrouve les odeurs aimées aux choses associées.

Je goûte les choses, et lutte contre la nausée. Je n'aime plus le goût des autres, il n'est qu'une propriété désincarnée, renvoie à un concept et jamais à personne.

Je touche les peaux et les formes, et plus ne m'émeut. Ce que je serre n'est qu'un volume trop vaste ou pas assez. Les autres ne sont jamais à la bonne taille.

J'écoute leurs regards qui laissent bien peu, trop peu d'ombre. Intentions sans surprise qu'on tient en soi d'un seul tenant, qui dévoile la fin en hâte, sans rebondissement ni surprise, se livrant sans effort.

Aphorismes

La liberté est un sentiment, pas une propriété des choses.

"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose." Léo ferré

mardi 16 janvier 2018

Entre aujourd'hui et demain

Peut-on laisser mourir une oeuvre, des idées? Un mois durant j'ai été littéralement obsédé par le projet d'un deuxième roman, l'idée était là, dans un état de développement relativement avancé, je pouvais la sentir cogner contre les parois de mes organes, de mes membres, comme une démangeaison dans l'inertie. Et... Je n'ai rien fait, rien du tout. J'ai prorogé la réalisation, chaque jour avec la crainte que cette évidence en moi disparaisse; mais la voyant inlassablement présente, j'ai attendu et attendu... Chaque soir, impossible de s'endormir, quelque chose en moi exprimait l'inachèvement et l'insatisfaction, tout mon être me faisait sentir qu'il n'était pas juste de s'oublier dans le repos, pas encore, trop d'énergie, et cette forme qui hurle pour exister. Mais je résistais, je consumais mes derniers feux dans des lectures tardives et des activités inadéquates. Jusqu'à ce que l'idée meure enfin. Depuis quelques jours je n'entends plus son pressant appel, tout juste reste-t-il un fantôme qui me hante, un cadavre discret qu'il me faut ranimer pare une célébration récurrente sur sa tombe.

Peut-on ressusciter les oeuvres?

Demain je m'y attelle. Mais demain est toujours trop tard...

lundi 15 janvier 2018

Rien à perdre

Je me réveille et me lève dans le jour naissant avec une bien mauvaise volonté. Un rêve de l'amour perdu m'a hanté, s'est joué sur la scène onirique avec une cruauté plus comique que tragique. Mais tout de même, le rire est jaune au réveil...

À un moment de ce rêve interminable, je me souviens avoir senti non de la jalousie mais de la haine pour la personne qui dans mon imagination m'avait volé l'objet de mon sentiment, l'amoureuse dont on garde farouchement le papier de vote où luit son propre nom. On se possède en amour, du moins dans celui que j'ai connu. On se possède par le corps, de manière absolue, sans compromis, sans alinéa ni codicille. On se possède plus difficilement par l'âme, du moins y a-t-il toujours une partie qui nous échappe, de multiples faces cachées qu'un corps sait mal entretenir.

D'où vient ce sentiment de possession, cette conviction viscérale que l'autre vous appartient et que toute autre affinité élective est une trahison, un vol qui vous prive de la chose la plus précieuse: des yeux qui aiment, qui n'aiment que vous, vous malgré vous... Il m'a fallu changer de monde pour comprendre, j'ai dû analyser de manière rationnelle. En voici le résultat.

Le monde est un état d'objets, de choses, liées entre elles par des relations d'un certain type. Si la foudre tombe sur un arbre de mon verger, dois-je me sentir pour autant dépossédé? La relation qui m'unissait à lui était-elle la possession? Posséder quelque chose, c'est être soi-même un ensemble dont l'objet en question est un élément. Mais ce n'était pourtant nullement le cas: l'arbre appartient à maints ensembles, une indéfinité à vrai dire. Pire, le lien qui le lie à moi est issu d'un concept purement abstrait, d'une représentation mentale qui vaut pour moi en tant qu'elle nous sert collectivement à agir, mais pour l'arbre ma représentation n'a pas lieu d'être. Finalement la foudre a réagencé les relations entre objets, elle a modifié la figure du monde, tout comme le fait le temps, à chaque instant.

Il doit en aller de même avec l'être aimé, il ne vous appartenait pas, et réciproquement. Le monde a juste modifié son système relationnel, vous ne possédez pas le monde, il est le fruit sensible de votre relation à un réel forain. Ce qu'on a insensiblement saccagé, c'est votre petit monde interne, le château de cartes des croyances, des concepts, la rassurante cartographie que l'homme s'acharne à tracer d'un réel qui l'excède indéfiniment. En réalité, c'est vous qui vous êtes dérobé quelque chose: la lucidité, l'incrédulité, le surgissement du réel dans sa radicale étrangeté, inarraisonnable et qui inclut en lui, magnanime, votre petite lucarne sur l'altérité avec une patience infinie.

Je bois mon café, rassuré: je n'ai rien perdu car il n'y a rien à perdre.

À travers le silence

Je me sens étonnement accordé avec moi-même en ce moment. Cette phrase est si polysémique que prise en elle-même, elle ne veut strictement rien ou tout dire. Alors je vais préciser un peu, tout au long de cette petite balade discursive en mon intimité.

J'ai retrouvé un certain appétit intellectuel, je me remets à lire, j'ai quelques projets qui portent ma volonté à sauter hors du lit le matin. Tout ce que la vie de couple m'avait fait perdre, je l'ai peu à peu reconquis. Quiétude, désaisissement... Même ma libido n'en a pas réchappé, je fais l'amour avec moi-même, et m'aime avec mon âme. Je suis tranquille dans mon intranquillité, je passe à travers le silence.

Il me semble que l'amour passionnel pour une autre personne, celui des romans et des films, ne me concerne plus que comme un souvenir acquis. Je ne suis plus tendu vers ce fantasme fabriqué par l'époque, je garde mon amour en moi, pour moi, comme une chose inaltérable parce que détaché de son objet. Ce n'est plus que l'idée de quelqu'un que j'aime, quelqu'un de déjà loin.

Tout ce qui me paraissait ennuyeux dans ma vie me semble aujourd'hui doux. Ma routine me convient, à ceux qui résident en esprit dans des lieux et situations hors du commun, il faut un quotidien bien réglé, sans surprise, qui ne puisse faire irruption et enrayer la construction de ces mondes abyssaux où l'âme s'emmure, pour contempler de ses plus hautes fenêtres le réel qui est là.

Je m'exprime mieux, je suis plus équanime, la barque tangue moins.

dimanche 14 janvier 2018

D'un monde à l'autre

Il m'arrive de contempler des abîmes inquiétants, en cela que s'y abandonner signifierait presque nécessairement la fin de mon existence, l'annihilation de ma volonté d'être et de poursuivre une route désavouée. Cela m'arrive lorsque je porte un regard en regret vers tout ce que, pensé-je, j'aurais pu accomplir si... Peut-être aurais-je pu travailler sur l'axiomatisation des mathématiques, peut-être aurais-je pu faire, moi aussi, avancer la science. Mais quelle est cette condition qui a manqué pour que cela n'arrive pas? Et si au fond j'ai bien réalisé et accompli les seules choses dont j'étais capable au moment où les choix s'offraient alors... Se croire capable d'avoir agi autrement, croire un peu trop en ce que les philosophes nomment le libre-arbitre, c'est croire en la responsabilité, se prendre pour un empire dans un empire causal, c'est s'imaginer bien des choses invérifiables pourtant.

Non, le cours de ma vie est bien la marque de ce que j'étais capable de faire dans les situations auxquelles j'étais confronté. Parce que se persuader que dans un contexte bien déterminé on aurait pu agir autrement, c'est produire la fiction d'un contexte autre où, effectivement, l'agencement systématique des éléments causaux aurait mené à un effet différent. Mais vous n'avez pas vécu dans ce monde fictif que l'esprit s'invente, mais dans le monde actuel (en l'occurrence passé) où le système extraordinairement complexe (dès lors qu'on l'analyse) du monde a produit de manière nécessaire ces choix et ces actions que vous avez effectués.

Il ne sert à rien de regretter. Bien sûr, il est facile de le dire lorsqu'on traverse cette conclusion nécessairement produite par le système de notre réflexion qui a agencé souvenirs et jugements admis pour en déduire ce nouveau jugement, comme dans un calcul. Mais pour celui qui, dans un moment de sa vie à l'axiomatique différente et à la sémantique autre, les valeurs ne sont pas les mêmes, alors les règles de calcul produisent de manière légitime un résultat autre. Qui a raison entre les deux, celui qui regrette à bon droit, ou celui qui égrène ses fragments de sagesse dont il confond la cohérence avec la nécessité universelle et décontextualisée?

Aujourd'hui, je suis celui qui a opéré un choix, celui qui, immergé dans une axiomatique particulière a suivi un sillon rationnel l'amenant à contempler le trou béant des regrets, par lequel l'estime de soi et le goût de vivre s'écoulent comme par un siphon. Mais je suis celui qui a cherché toute sa vie à voir l'axiomatique de tous jugements, et pour cela je suis le resquilleur, l'apostat, qui n'hésite pas une seconde à sauter sur un autre train et à refaire le monde sous un nouvel angle, peut-être contradictoire avec le précédent mais non moins légitime et cohérent. J'ai agencé les éléments différemment et je suis arrivé là, dans la rédaction hâtive de ce texte qui constitue un petit grain de sable supplémentaire au journal de ma vie, dans la gamme de moi mineur.

Il n'y a rien à regretter. Ce n'est pas une vérité que j'énonce, c'est un choix. Un choix que j'aurai à faire et à refaire, chaque fois que mes pas me porteront au bord du précipice bien connu qui fait qu'une fois extrait d'une situation donnée, je contemple dans l'espace vacant les autres chemins possibles, qui ne l'étaient cependant pas lorsqu'on se replace dans le mouvement passé avec les données et les forces qui le caractérisaient.

J'ai bien opéré ce choix, mais ai-je jamais dit que j'étais libre de le faire...?

samedi 13 janvier 2018

Science hobbesienne et matérialisme ontologique

Ce texte est un mini-mémoire de mon année de M1 en philosophie. Il a reçu un très très bon accueil du professeur (expert de l'auteur) donc ne vous inquiétez pas quant à la validité des arguments exposés ici. Je juge qu'il a sa place sur le blog puisque j'y ferai peut-être référence ici ou là, pour diverses raisons, dans mes réflexions philosophiques. De plus, il donne une assez bonne idée de ma philosophie personnelle à travers l'analyse que je fais des théories hobbésiennes, des problèmes que j'en fais surgir. On peut y retrouver une façon de penser qui est encore aujourd'hui la mienne. C'est un texte universitaire, il est donc à prendre comme tel: érudition, érudition, érudition... Toutefois mon objectif à travers cette étude était de m'interroger sur la possibilité de qualifier Hobbes, bien malgré lui, de pré-kantien - en cela que ses théories mènent naturellement à la transcendantalité kantienne -, chose dont je suis convaincue et qui sera exposée dans les dernières parties de l'article.

Le texte est accessible ici en PDF uniquement, pour des raisons de mise en page impossible à importer sur le blog (et comme le texte est un peu long j'ai la flemme de tout refaire...).

PS: n'oubliez pas la loupe pour agrandir la taille du texte ;-)

Des idées et des hommes

J'ai toujours été ennuyé par une caractéristique du petit monde philosophique: cette affinité affectée pour l'érudition qui conduit tout locuteur du discours philosophique à devoir montrer une déférence à l'encontre des penseurs qui l'ont précédé et à les reconnaître comme auteurs de certaines idées (que nous pourrons appeler objets philosophiques). Il faut apprendre par coeur des passages entiers, pouvoir les situer à la page et au paragraphe près pour avoir le droit de prendre la parole... Pourtant, les idées peuvent très bien ne pas avoir d'auteurs. Plusieurs raisons peuvent ruiner cette habitude injustifiée du petit cénacle philosophique. d'abord ce n'est pas parce que certaines personnes se sont publiquement exprimées sur un sujet (et qu'on aura enregistré sur un support durable l'intervention) qu'ils deviennent les seuls à jamais avoir pensé cette idée... Bien souvent dans le monde scientifique on se rend compte que plusieurs personnes sont engagées simultanément dans des travaux débouchant sur des résultats similaires sans en avoir la moindre idée. Imaginez un peu si l'on ajoute à ça les personnes "ordinaires" qui recèlent parfois bien des génies insoupçonnés (j'en ai rencontré mon lot). Ensuite qu'est-ce qui nous dit que d'autres, avant nous, avaient formulé ces idées sans que le monde en ait gardé trace? Et tous ceux qui auraient pu, dans le silence de leur intimité, méditer ces idées, sans jamais prendre la peine de chercher à les exprimer sur un quelconque support? Préjuger que les idées ont bien des auteurs me paraît donc plus qu'hasardeux.

Dans le monde de l'informatique, dont je suis issu, nous utilisons le travail fait par autrui sans jamais en attribuer les mérites à quelque auteur. En programmation, par exemple, nous utilisons des fonctions référencées au sein de bibliothèques, que nous incluons dans nos programmes. Ces fonctions n'ont pas d'auteur, personne ne se pose la question de savoir qui, le premier, a pu écrire cette fonction. Elle est là, remplissant une tâche, enrichissant le champ d'action des programmeurs, et chacun peut puiser dans ces ressources anonymes, chacun peut contribuer aussi à y déposer une nouvelle ressource, toujours de manière anonyme. Ainsi l'écriture d'un programme est une activité synchronique où l'érudition historique (avec tous les problèmes que peuvent poser l'adéquation supposée entre l'histoire telle qu'elle est relatée et le déroulement réel des faits) est inopérante et sans effet. C'est aussi une activité collaborative et ce de manière implicite, sans qu'il soit besoin de remercier à tout va, de flatter l'ego des uns et des autres et d'inclure des informations diachroniques anecdotiques et sans intérêt pour la tâche à effectuer. L'humanité est en colocation dans l'acte de programmer, chacun emprunte à tous les autres, et chacun rend au reste de la communauté. L'accord est tacite et sert non à entretenir - de manière illégitime à mon sens - des gloires et à produire des idoles, mais à oeuvrer pour l'avancement d'une aventure commune.

Penser ne devrait-il pas être un peu plus, par moments, à cette image?

vendredi 12 janvier 2018

Où j'échoue

Pourquoi ai-je abandonné l'enseignement de la philosophie?

La réponse est à la fois simple et complexe, comme elles le sont toutes... Les humains aiment commencer par la fin, ou plutôt rester dans le milieu, entre deux causes, dans l'intermédiaire, loin de la fin et ignorant des origines. C'est ainsi que l'enseignement de la philosophie passe par l'ingurgitation forcée de contenus philosophiques, c'est à dire des objets théoriques qu'a construit jusqu'à présent cette discipline. Cette tâche tente d'incorporer en plus un semblant de genèse de ces objets, elle tente d'en révéler la manufacture, les rouages, c'est d'ailleurs la fierté dont se targuent les philosophes, ce qui les distingue du dogmatique, de la religion... Pourtant ce travail est rarement entrepris de manière rigoureuse et jamais jusqu'à son terme. Ce dernier état de fait n'est pas dommageable puisqu'il est le fondement de possibilité même du discours. Si la science s'attachait  à remonter à ses fondements et, les ayant trouvé, à en exhumer les fondements eux-mêmes, elles se perdrait dans les horizons sceptiques bien connus de la régression à l'infini, de l'arbitraire des axiomes etc. Alors pour la salubrité du discours, il est bon d'abstraire du flux causal indéfini des choses, des systèmes abstraits dans lesquels l'apprenti se plonge et qui constituent un monde dans sa totalité, du moins prétend-on que ce soit le cas. Dans certains contextes (celui des sciences dites dures par exemple) cela fonctionne, et le système clos que l'on a isolé semble être la fidèle reproduction d'une partie du monde, la sympathie universelle semble avoir ses limites, elle nous permet de l'ignorer.

Ainsi donc en possession de tous les objets de départ et des axiomes, il est possible de vérifier la vérité des énoncés et ainsi examiner à la loupe la cohérence logique des objets philosophiques ainsi formés. Etant parvenu à un degré de satisfaction suffisant ou pas, l'enseignant fait passer l'étudiant dans un autre monde - de manière abrupte et disruptive ou par continuité logique, chronologique, thématique et j'en passe - qu'il explorera dans ses relations à l'aide de la liste d'objets et de règles de base utilisée par le nouveau philosophe. Ce voyage peut durer presque indéfiniment puisque la liste des objets philosophiques ne cesse d'augmenter...

Mais ce qui m'a toujours semblé important à moi, et que j'ai peu retrouvé chez les autres, professeurs comme élèves, c'est la curiosité quant à cet ensemble qu'est la philosophie (constitué d'ensembles que sont les grandes théories - ou systèmes s'ils en sont -, eux-mêmes constitués d'objets et de règles, c'est à dire d'une axiomatique) et qui contient précisément tous ces objets théoriques . Ce qui est fascinant dans cet ensemble là (l'ensemble des ensembles - ou théories - philosophiques) ce n'est pas la liste indéfinie des objets qui peuvent y être contenus (autant énumérer et apprendre par coeur la suite des entiers naturels), mais les règles de base qui régissent les relations loisibles entre ces objets et fixent leur cadre de validité ou de vérité (pour employer un grand mot mais en lui rendant son contexte relatif). C'est à dire que ce qui fait réellement l'essence de la philosophie ne réside pas selon moi dans les multiples objets qui appartiennent à son domaine mais, comme en théorie des ensemble, dans la fonction - la forme pour employer du vocabulaire philosophique - qui définit précisément ce domaine; ce qui se tient donc entre les objets dans le voyage de l'étudiant, ce qui les lie entre eux. Vous pouvez vous acharner à dénombrer dans leur totalité chaque élément de l'ensemble des entiers naturels, vous n'y arriverez pas, la seule manière de le faire est d'utiliser la fonction ou la définition de cet ensemble, dans laquelle sont contenus en puissance, c'est à dire sans avoir besoin d'être actuellement instanciés, tous les éléments qui le constitue.

Plus passionnante encore est l'analyse de l'ensemble de tous les ensembles cognitifs (au sens de: qui concerne la connaissance) possibles, autrement dit l'étude des conditions de possibilité de tout ensemble, de tout système théorique constitutif de la science. C'est une entreprise vertigineuse et c'est celle qui m'a animé d'une violente ferveur durant tout mon cheminement philosophique, dans lequel je me suis senti souvent bien seul. Regardez combien d'ouvrages traitent du scepticisme (qui n'est rien d'autre que ce travail dont je parle ici) dans les rayons de bibliothèques (qu'elles soient numériques ou pas d'ailleurs). Comparez ce nombre d'ouvrages à la littérature secondaire au sujet du platonisme, de la phénoménologie, ou que sais-je encore...

Voilà où j'ai échoué, encore et toujours: à transmettre à mes interlocuteurs cette passion pour la recherche des fondements mêmes du discours vrai, de la possibilité de toute science. Quand je montrais l'espace entre les théories philosophiques, les autres gardaient le regard fixé sur ces théories. J'avais beau les chasser de théorie en théorie, ils ne s'arrêtaient jamais de sauter sur la matière des objets, je n'en ai jamais vu un seul se laisser flotter un peu dans le vide apparent qui constituait pourtant leur milieu ambiant...

Voilà pourquoi, peut-être, je n'essaierai plus d'enseigner ce qui m'anime tant et qui désintéresse les autres. De toute façon le travail est trop important, trop ardu, comment transmettre à autrui ce qui est perpétuellement source d'interrogation pour soi-même, ce qui met à mal toute tentative de constitution durable d'un socle d'idées qui pourraient être à l'abri du doute et du pouvoir érosif de ce que j'appelle la véritable raison philosophique?

jeudi 11 janvier 2018

Le rêveur et l'artiste

Il est si facile de commencer les choses par la fin, comme je l'ai toujours fait. Si facile de se prendre pour un vrai artiste lorsqu'on abrite en soi tant de sentiments sublimes, tant d'effets que l'art seul sait produire. Pourtant, ce n'est pas l'art qui les produisit alors, c'était simplement la vie, le destin, les milliards de regard du passé se fondant en celui du présent, et qui forment cette mélodie muette des poésies contemplatives, celles qui se taisent au dehors et hurlent au dedans.

Alors on se dit que: du regard que nous sommes à sa manufacture à partir de l'altérité matérielle il n'y a qu'un pas, et l'on se convainc ainsi d'être génial... Mais l'activité déçoit bientôt l'idée, tout devient laborieux, compliqué, et chaque geste ainsi analysé, séparé de la chaîne achevée, semble sans lien avéré avec le sentiment initial. On se trouve un peu perdu à effectuer mouvement après mouvement, détaché de l'effet qui est pourtant ce vers quoi l'on tendait, seul dans l'ineptie d'un artisanat qui n'a rien des atours aériens des idées qui se meuvent en l'âme, dociles et malléables. Le travail est difficile, il blesse le corps et déçoit l'âme trop impatiente. Il est inconfort et flegme, lenteur et inachèvement.

Je suis ce rêveur obstiné que le réel blesse aujourd'hui, jusqu'à parfois lui insuffler l'irrésistible envie de tout abandonner, encore et pour de bon. Suis-je un vrai musicien, moi qui ne suis capable de fournir au monde la partition et la genèse de ces vertiges intérieurs? Plutôt que d'agir une énième fois en philosophe, c'est à dire en poseur de questions, de problèmes, je vais agir aujourd'hui en créateur: je vais répondre à la question, apporter la preuve par la démonstration.

Peut-être faut-il savoir abandonner un peu ses sentiments en tant que pur vécu pour parvenir enfin à les transcrire en oeuvre?

mercredi 10 janvier 2018

L'a priori, l'espace et le temps

Tout comme la science évolue par changements de paradigmes, permis conjointement par une libération théorique des modèles admis et par les progrès techniques permettant d'augmenter le volume d'informations disponibles, la philosophie semble soumise elle aussi à ses propres révolutions coperniciennes. À ce propos, je tiens à souligner qu'il n'y en a, selon moi, pas eu de nouvelle en philosophie depuis Kant. Ce dernier reste valable pour fixer le cadre épistémologique de notre époque. Une des preuves de cela est le fait qu'encore aujourd'hui, l'épistémologie proposée dans la critique de la raison pure semble encore pour une grande partie des protagonistes de l'aventure scientifique une véritable révolution; quant à la majorité des autres, elle demeure mal comprise. J'entends encore par exemple des physiciens tenter de mettre en défaut, de manière hâtive et comme si cela allait de soi, les théories kantiennes sur le sujet d'un espace a priori et uniforme. En effet la physique relativiste nous a ouvert les yeux sur la nature dynamique de l'espace qui, loin d'être une seule condition de possibilité de l'expérience (des objets, autrement du monde) est en fait un objet lui-même. Le problème lorsqu'on intente ce procès au philosophe réside en l'omission des incessantes mises en garde de celui-ci quant à l'objet de son discours. Kant ne parle pas de l'espace en soi, il décrit l'expérience de l'espace que nous avons. Or bien que la capacité à se courber de l'espace puisse se révéler à nous, par exemple, lorsque nous voyons dans le ciel une étoile, pourtant occultée par un corps lointain, par effet de lentille gravitationnelle, nous n'expérimentons pas, de manière a priori et directe, de courbure spatiale. Nous voyons simplement un point lumineux là où il ne devrait pas y en avoir, il n'existe pas d'objet espace - se tenant dans on ne sait quelle substance nécessairement autre - qui se tiendrait sous nos yeux, courbé par la masse du corps lointain que la lumière contourne tout en étant attirée par lui. Il y aurait dans un tel cas deux contradictions logiques: d'une part si l'espace et le temps sont les formes a priori - et là nous pouvons critiquer Kant, quant à la scission qu'il opère entre espace et temps, et que les données actuelles permettent de remettre en perspective - de la sensibilité et en cela des prérequis à toute expérience humaine, alors il est impossible de réifier l'espace pour en faire un objet bien distinct puisque nous sommes l'espace et que c'est précisément son uniformité ou dirons-nous son absence de caractéristiques spatiales qui en fait le fondement de toute caractérisation spatiale possible des objets (courbure, masse, grandeur, etc.). Dans un second temps (mais ce point est une conséquence du précédent), si nous expérimentons bien un espace courbe en voyant les photons être déviés par la déformation du tissu spatial, c'est bien à partir d'un référent a priori uniforme - uniforme en ce sens qu'étant déjà là, presque avant nos yeux, il nous paraît sans propriétés, égal en toutes directions, indifférencié pour nous - que nous jugeons de cette courbure. On peut dire que l'homme constituant l'objet, il se fait a priori mesure de toute chose. Lorsque nous réifions l'espace-temps et lui trouvons des caractéristiques surprenantes, nous le faisons bien a posteriori et par une reconstruction théorique permettant à un objet espace-temps d'émerger. Cela dit nous continuerons d'expérimenter un espace uniforme et un temps qui l'est aussi, c'est à dire des continuités dont il nous faut briser le cours et extraire des abstractions théoriques afin de former des objets aux propriétés non intuitives.

Kant n'a donc jamais dénié à l'espace et au temps des propriétés qui peuvent nous sembler exotiques, mais il a simplement fait remarquer que pour faire l'expérience de celles-ci il nous faut impérativement un cadre fondamental a priori, celui d'un espace et d'un temps uniformes. Or ce sont précisément des données de l'espace-temps - déjà dans un espace et un temps - qui nous permettent aujourd'hui de construire un concept d'espace-temps qui va au-delà de ce cadre en l'amendant. La question qu'on est en droit de se poser désormais c'est quel impact sur ces formes a priori aura la transformation des concepts de temps et d'espace? Y aura-t-il, par exemple, une rétroaction responsable d'une métamorphose des formes a priori - qui ne le seraient par conséquent pas totalement, et c'est mon pari personnel -?

mardi 9 janvier 2018

Discipline et discipline

J'ai toujours manqué de discipline. En fait, cela est faux en ce qui concerne exclusivement le domaine du sport. Je ne sais pourquoi l'effort physique m'est si évident. La vie de l'esprit m'est, du plus loin qu'il m'en souvienne, aussi naturelle que la respiration: réfléchir, inférer, déduire, relier, autant de processus intellectuels que j'effectue à longueur de journée, sans presque discontinuer; tellement fréquemment qu'il me faut , dans certains domaines, une tâche objectivement particulièrement ardue pour en ressentir la moindre fatigue. En ce qui concerne mon corps il n'en a pas été ainsi, j'ai dû, très tôt, le conquérir en tant qu'outil étrange, loin de m'être immédiat, spontané, il m'est un milieu à traverser et qui m'oppose une altérité rebelle. Être un corps a été, peut-être dès le départ, un effort pour moi. On peut trouver dans cet état de fait une explication possible de ma facilité à le discipliner: tout acte volontaire de ce dernier m'étant un effort, je n'ai qu'un pallier quantitatif à franchir pour constituer une habitude de travail physique plus conséquente et ciblée. La réflexion étant elle naturelle et presque sans effort, il me paraît bien contraignant et inepte de déroger à cette aisance, de sortir du champ pourtant vaste du plaisir immédiat.

Il peut bien se trouver quelques moments dans ma jeunesse où je pratiquais telle ou telle activité intellectuelle inlassablement, mais ce n'était jamais par véritable discipline, cela ne me coûtait rien, j'y trouvais mon plaisir et le renouvellement perpétuel de celui-ci ne définit pas la discipline. Cette dernière demande de l'effort, elle demande que l'on paye un prix afin, par la suite, d'acquérir quelque chose. Il faut fuir la facilité pour instaurer une discipline et j'ai toujours été l'être de la première, déconcertant d'aisance même pour moi-même. La discipline est tout sauf l'usage immédiat et sans effort de ses facultés.

Le plus difficile chez cette dernière, et c'est l'obstacle qui rebute la plupart des gens, c'est d'initier une dynamique en brisant l'inertie. Tout comme en physique newtonienne, imprimer une routine de travail à son esprit requiert de dépenser plus d'énergie au départ afin de contrer l'inertie. Une fois le mouvement impulsé dans la bonne direction, il suffit de lui procurer la vitesse de progression souhaitée pour que l'inertie devienne, cette fois, un allié de choix, à tel point que briser ce rythme de croisière devient une décision douloureuse. Mais contrairement au corps dans le vide spatial (que l'inertie pousse indéfiniment dans sa trajectoire), l'intellect évolue dans une atmosphère lourde, parsemée de nombreux obstacles qui requièrent un réajustement patient et répété. Néanmoins l'énergie nécessaire à cet entretien est bien moindre en général que celle consommée initialement.

Ce qu'il y a de fascinant avec la discipline (effort continu et régulier) ce sont les résultats qu'elle permet d'obtenir lorsqu'on parvient à s'y conformer suffisamment longtemps. Cela peut s'avérer tellement sidérant que s'apercevoir qu'on a laissé s'essouffler cet élan créateur peut donner un avant-goût de la mort et de l'abandon entropique. Se laisser aller au désordre est chose aisée mais véritable poison pour la conscience lucide qui s'observe ainsi sombrer. Voilà ce qu'a été ma vie intellectuelle, mes trente-deux ans de vie intellectuelle pour être précis. Autant d'années de paresse ou bien d'efforts jaculatoires qui néanmoins, par les réussites surprenantes qu'ils m'ont permis de connaître, me font aujourd'hui amèrement contempler le gâchis dont je suis l'auteur. Un bel outil cet esprit, mais totalement négligé, et plus je le négligeais, plus j'ancrais mon corps dans le carcan d'une discipline de fer, quasiment digne d'athlètes professionnels... Je n'ai rien produit de ma tête, et mon corps, qui lui ne démarrait pourtant pas avec de l'avance est quant à lui capable de produire des performances plus qu'honnêtes.

Si je vous raconte tout ça maintenant, et pardonnez la longueur de cette introduction, c'est pour annoncer solennellement ma ferme intention d'écrire désormais tous les jours, que ce soit sous forme de publication sur ce blog ou pour les prochains romans sur lesquels je travaille, ou bien sous toute autre forme esthétique de littérature. Puisque j'ai totalement gâché ma puissance intellectuelle en reniant la production philosophique, en fuyant l'informatique et en n'entamant jamais de véritables études de physique, c'est décidé, je lancerai toutes les forces (rouillées mais pas nées de la dernière pluie) de mon intellect dans la création esthétique. C'est un peu tout ce qu'il reste lorsqu'on a comme moi un peu trop abîmé son cerveau, et lorsque malgré la résolution de se mettre au travail, on reste un sceptique incurablement(?) flemmard capable d'engager uniquement une promesse de moyen mais jamais de fin - mais y a-t-il d'ailleurs un sens à le faire...

samedi 6 janvier 2018

La semence du vide

On pourrait croire que le vide n'est rien, mais alors pourquoi me faut-il être gros de tant de vide pour enfin écrire?

Le vide n'est vide que de ce qu'on voudrait y voir et qu'on n'y trouve pas.

L'énergie noire

Je repense très souvent aux morts qui me sont chers - qui le sont parce que l'on s'est connus, véritablement, par une sorte d'abouchement des deux âmes - et je ressens alors divers sentiments. D'abord c'est la tristesse qui m'étreint et se répand de haut en bas dans mon corps, comme si quelque chose en moi fondait littéralement. Ensuite une très courte phase de perplexité cède la place à la révolte, contre ce destin odieux imposé à l'homme. C'est alors aussi contre ma propre fin que je m'insurge, mais cet instinct viscéral est rapidement vaincu par un bref examen rationnel de la situation: ma mort n'est rien, elle est peut-être la promesse qu'un jour toute souffrance s'apaisera, elle est le point final qui donne à toute la phrase d'un vécu son ou ses sens. Mais pour les autres, à jamais je m'insurge. Ils n'auraient pas dû partir, ils ne devaient pas mourir. Je ressens comme une sorte d'indécence ou abomination à être le témoin de la finitude des autres, à continuer mon chemin dans l'attente de l'abrupte chute... J'ai aimé ces gens, je suis ces gens, en partie. Et ils sont partis... Combien de membres fantômes abrité-je en moi...?

Le plus atroce c'est de voir ceux que vous aimez approcher dangereusement de la date limite. D'assister à cela et de deviner l'immense panique qui les saisit au-dedans et qu'une pudeur - injustement inculquée par le refoulement qu'impose la société à la mort - les retient de trop exprimer. Mais ce genre d'émotions perce tout de même la surface, par de brefs indices: parole que l'on lance l'air de rien mais qui n'est rien moins qu'une main tremblante et tendue hors des flots, regard qui se perd dans le vertige des abysses...

Depuis bien longtemps je me suis préparé à la mort, je suis désormais face à elle de l'acier trempé. Elle est mon allié, elle m'a désaisi de tout et surtout de la peur. Mais c'est au prix d'un travail immense que je serais bien injuste de demander aux autres. Il est, en l'état actuel - c'est à dire dans cet état général de si faible introspection dans la population - inique d'attendre des autres qu'ils aient suivi ce chemin là. C'est pourquoi je suis révolté de voir l'indifférence du destin à s'exécuter sur des âmes chères et démunies... J'aimerais donner ma vie pour que cessent leurs peurs.

Et pourtant, il est fort à parier que je demeure là, quand elles disparaîtront; lucide, comme toujours, avec ce troisième oeil ouvert sur l'abîme et qui voudrait ne plus jamais voir la souffrance d'êtres qui n'y sont pas préparés. La souffrance est mon carburant, mais chez combien de mes semblables est-ce le cas...

Je n'ai pas la force ni la vocation d'enseigner aux autres à connaître la souffrance. Alors je souffre pour eux, inutilement, d'une douleur qui disparaîtra totalement lorsque je serai seul, sans plus un lien d'amour actuel autour de moi. Puis j'écris ce journal et tous ces poèmes qui chantent à son honneur, qui l'apprêtent, la rendent désirable, la découpent en petits fragments supportables, la dépeignent dans ses contours insoupçonnés. J'espère qu'un jour, j'aurai participé à faire en sorte que les hommes apprennent à aimer la souffrance non comme une présence étrangère et mortifère, mais comme une part d'eux-même, vibrante d'une énergie sans limite.

Le trou dans les secondes

J'ai brisé le rythme, n'écris plus, point n'entend le crissement des mots sur la papier des choses. Je suis dans le silence où le film muet de ma vie s'anime, un peu fou et triste sur l'écran de ma conscience. Dieu que le destin est rude lorsque je cesse de chanter. Il me faut refaire le monde, lui tailler une ombre bien ciselée, diaprée de mes pensées mineures. Les ombres sont belles alors, elles n'éblouissent pas, elles ne sont pas ce réel si étrange qui laisse pantois impuissant; elles sont le vent impalpable dans lequel je découpe les décors où je me mets en scène.

Je n'ai plus le goût des femmes de passage, ni des autres d'ailleurs. À chaque étreinte c'est une occasion de parler de toi. Tu es l'ombre de toutes femmes, ombre folle qu'aucune d'elles pourtant jamais ne projette. J'ai parlé de toi, comme d'habitude, parce qu'alors c'est tout ce qui me manque, puis je me suis couché, seul, après avoir reconduit l'inconnue. Je n'aime pas dormir avec quelqu'un. Je me couche enclavé avec une solitude emplie de toi. Immanquablement alors je rêve, oh non que tu dérailles ta vie pour moi, mais bien que tu la continues, avec qui bon te semble; simplement tu reviens me voir et tu me dis, oniriquement, que c'est bien toujours moi, à jamais moi pour toi, absence que la présence d'autres jamais n'efface...


Puis je me lève au matin, dans les draps chauds dans la pièce froide, l'unique pièce où je vois passer les jours, la pluie le soleil au dehors, quand tout ici reste égal. Je me lève dans la tristesse sans musique de tous ces faux souvenirs, de ces fragments possibles qui n'ont pourtant pas eu lieu. Mes oreilles sont bien vides de ces mots que j'attendais du fond de la nuit, mes yeux ne sont pas remplis des tiens qui me chantent si bien l'absurde sentiment qui rend l'homme un peu ivre, et pour lequel on ment...

C'est le moment d'écrire, de transformer l'indifférence des faits (qui ne sont ni indifférents ni des faits d'ailleurs) en poèmes un peu fades mais qui soulagent sur le coup, autant de chants qui gagneraient à rester éphémères, évanouis dans leur instant. J'écris sur ce journal un énième pansement sur la blessure incurable. L'abîme me regarde, tu es un grand trou dans ma vie. Il me faut redoubler d'attention pour ne pas tomber au matin dans ce vortex qui me guette et m'appelle dès que je rôde alentours. Alors je suis la piste des gestes ineptes du quotidien: je bois mon café, j'enchaîne les mouvements et prends le rythme des choses qui t'ignorent. Je laisse derrière moi le trou béant de ce naufrage que je hante en fantôme obstiné. J'y suis bien seul, tu n'y reviens jamais toi, c'est certain. Tu me l'as dit un jour, je m'en souviens très bien...

Heureusement tu vois j'ai ce double destin, ces ombres où je m'abrite, tous ces sentiers de mots qui m'éloignent de nous. Si tu veux savoir ce que je suis devenu, voilà, c'est cela, un chemin de phonèmes qui font de chaque évènement l'objet que je contemple, que je déclame, et dont je me libère ainsi, comme de cette pulsion de mort qui me jette au matin dans notre union défaite. Tu vois je m'en suis sorti finalement, je vis à peu près normalement...

Mais il y a toujours dans mes terres pourtant vastes, l'abîme qui me guette et qui me charme trop tant il arbore tes yeux.