jeudi 23 février 2012

Une vérité obreptice

Tu n'écris plus de poésie, tout juste quelques paragraphes rongés par les vers. Oh je le sais, je ne mets plus de fard à la vie, peut-être ai-je enfin déçu tous mes vains espoirs. Et que pourrais-je leur dire alors, à tous ceux qui ont cru? "Vous savez, on ne va pas contre sa nature; je n'étais pas comme vous, pas fait pour réussir". À quoi bon opposer à leurs croyances d'autres tout autant douloureuses...

Je ne vois plus la beauté dans l'imperfection, seulement l'imperfection dans la beauté. Moi-même me suis devenu égal, je ne m'intéresse plus vraiment. Que me faudrait-il donc penser de tout? Et de rien? Dites-le moi, après tout que valent mes pensées de plus que les vôtres? Je pourrais tout aussi bien être un autre et ainsi te satisfaire... Et pourtant ce sont toujours les mêmes travers qui restent bien ancrés, mes vieilles erreurs et ma vieille identité. Il faut bien que je crois en moi pour subsister ainsi, je suis ma propre étoile. Une naine rouge tout au plus, je ne suis pas de ces supernovae, pour cela il faut un tant soit peu d'éclat.

Je n'écris plus de poésie tout juste des non-sens que j'habille de mystère. Tiens, voilà, tout est dit! En une phrase me voilà démasqué. Mon quatrième de couverture est cet amer remord décliné en maintes tonalités; un monologue d'angoissés qui aiment à crier plus fort que n'importe quelle vérité. De ces gens là, des gens comme moi, j'en connais trop. Des égoïstes croyant être la mesure de toute chose. Le monde est leur pantoufle, il ne s'adapte qu'à leur pied.

Je n'écris plus de poésie, est-ce vraiment un mensonge? Et tous mes points finals sont des fins obreptices...

samedi 18 février 2012

Vers la femme

Je tiens à remercier l'ami Sylvain pour les précieuses discussions sur le sujet suivant auxquelles ont donné lieu nos dernières rencontres. Sans lui, cette réflexion n'aurait probablement pas vu le jour, du moins pas encore...

Il m'a été donné, au fil des ans, de porter ma curiosité sur une certaine catégorie de femmes qui, à mon humble avis, incarne un archétype pertinent de la figure féminine. Cette femme constitue véritablement un univers étranger et il m'aura fallu faire un pas vers elle pour accoucher de cette fragile et précaire cartographie du continent qu'elle incarne.

Cette étude a pour point de départ le constat suivant: l'idéal amoureux porté par l'homme semble s'opposer fondamentalement à celui de la femme. Plus concrètement, la forme sublimée de l'amour masculin se confond avec l'amour chrétien qui donne sans jamais rien attendre en retour. L'homme aime l'être chéri dans la liberté qu'il incarne; en cela il peut aimer sa vie durant en silence, sans même qu'un regard de l'autre ne l'effleure un instant. À contrario, la femme semble porter essentiellement son amour sur la relation entre elle et son amant, dans une personnification de cette relation qui s'incarnera ultimement dans l'entéléchie constitué par l'enfant. Pour résumer grossièrement, l'homme amoureux reste en-dedans de lui-même, seuls son attention et son sentiment sont portés vers l'extérieur tandis que la femme déplace le centre de gravité de son existence d'elle-même à cette nouvelle entité que forme le lien amoureux dans une sorte de sublimation de sa propre individualité.

Une incidence immédiate de ce paradigme féminin est que l'amour ne peut subsister intact dés lors que meure la relation bilatérale entre elle et l'aimé ce qui n'est pas forcément le cas chez l'homme pour qui l'amour est au contraire une apothéose de la liberté individuelle. Si l'homme peut se satisfaire de cet amour en-dedans, la femme, elle, n'a dés lors plus la place d'exister sur le mode amoureux puisque le centre de gravité de son existence s'est dissout.

Par conséquent, ce qui peut être vu par l'homme comme une forme quasi-absolue d'altruisme peut, au regard de la femme, passer pour la pire forme d'égoïsme. Réciproquement, l'altruisme féminin dans l'amour peut à son tour être perçu comme de l'égoïsme par le mâle dans son besoin irrévocable de réciprocité. Quant à savoir qui des deux a raison, il faut répondre ici par une amphibologie: personne et tout le monde; il s'agit de deux perspectives différentes mais toutes deux pertinentes du fait amoureux.

Cependant, peut-être pouvons-nous aller plus loin en affirmant que c'est en fait la femme qui fait véritablement montre d'altruisme dans sa capacité à exister hors d'elle-même, dans cette entité qu'est le couple, puis, enfin, dans cette autre entité incarnée par le lien mère-enfant. En un sens, la femme, par son amour, se prépare à faire don de soi pour accoucher d'une vie nouvelle. Il serait toutefois trop caricatural de s'arrêter là car il est bien entendu que la femme trouve dans cette situation matière à se réaliser, peut-être même se réapproprie-t-elle pleinement son individualité dans son statut de mère...

Quant à l'homme, plongé dans cette relation de couple, il ne peut qu'être sans cesse confronté au doute dû au fait qu'il ne reconnaît plus la liberté individuelle de la femme dans ce nouvel équilibre qu'elle tente d'instaurer. Il se retrouve alors à peser dans la balance de manière conséquente, chose qui n'était pas vraie dans le lien initial unissant deux êtres bien équilibrés en eux-mêmes. Dans sa propre conception de ce nouveau paradigme, l'homme se trouve être l'objet de deux forces contraires qui sont le doute et l'être aimé. À ce stade, le doute est quasiment devenu une donnée autonome en incarnant le symbole de la liberté (perdue?), celle de tout quitter pour se retrouver de nouveau seul face à soi-même. De l'autre côté, la femme qui, par l'amenuisement de sa réalité personnelle et individuelle, force l'homme à aller contre sa nature en décentrant à son tour l'épicentre de son existence vers le couple. Le doute est donc bien un contrepoids chargé de rétablir l'équilibre existentiel de l'homme en son centre.

lundi 13 février 2012

Tentative de synthèse sur le thème de la croyance

Introduction

Lorsqu'on s'interroge sur les concepts de bonheur, d'humanité, de sentimentalité, de vérité, bref lorsque l'on tente d'explorer les multiples dimensions humaines en en questionnant le fondement, il est un thème qui revient de manière récurrente: la croyance. Cette dernière semble être le ciment, le lien entre tout les traits inhérents à l'homme (dans l'acception philosophique du terme), mieux elle semble en être la substance et l'essence.
Par conséquent, il devient urgent de poser certaines questions: en quoi la croyance est-elle consubstantielle à l'idée d'"Homme", qu'est-ce qui relève de la croyance et pourquoi croyons-nous?
Je vais tenter ici d'apporter des éléments de réflexions, des pistes à explorer concernant ces sujets connexes, qui, à terme, pourront donner, je l'espère, naissance à une synthèse relativement pertinente sur le sujet. Encore une fois, il me faut préciser que ce texte est un instantané et qu'il peut être amené à évoluer voire à se contredire totalement, en accord avec une conception relative (relative à une époque et à un contexte au sens large) et plurielle (au sens où il n'existe pas une vérité mais des vérités) de la vérité. La lecture de cette tentative de synthèse devra d'ailleurs amener le lecteur à ne plus croire en une vérité mais plutôt en une croyance en celle-ci.

L'homme: un univers de croyances

Si l'on veut définir l'homme autrement qu'en l'enfermant dans une dimension biologique et génétique, on aura naturellement tendance à mettre en avant les caractéristiques que constituent le langage, la conscience, l'intelligence et l'éducation. Loin d'être une liste exhaustive, ces territoires humains sont cependant les plus notables dans la perspective de notre synthèse. Cependant il en est un qui peut suffire à relier tous ces points et à déterminer l'homme plus que toute autre chose, c'est le langage. Pour "fabriquer" des hommes il faut une éducation et l'éducation est érigée sur le langage. Pour que l'homme soit, il lui faut penser or il ne semble pas exister de pensée hors du langage. Plus qu'une pensée, l'homme use d'un (ou de plusieurs) raisonnement qui est tout entier imprégné de la structure du langage.

À ce stade de la réflexion, il est judicieux de s'arrêter sur ce langage et d'en dégager les caractéristiques principales. Je ne ferai pas ici d'analyse du concept de langage (concept que j'ai plusieurs fois traité par diverses approches) mais je m'attacherai à mettre en lumière un des fondements du langage qui sera particulièrement intéressant pour la suite de l'exposé. Pour reprendre et schématiser Saussure (il est à mon sens celui qui a le mieux dessiné le concept de langue), la langue est un système de signes. Un signe est une entité à double face constitué d'un signifiant et d'un signifié (le sens). Ce qui caractérise ce signe est son arbitrarité (excusez le néologisme mais il sera utilisé pour toute référence au caractère arbitraire), c'est à dire qu'à un signifiant quelconque, on va décider d'associer un signifié de manière totalement arbitraire. Autrement dit, l'homme invente un système auquel il devra croire et c'est précisément cette croyance en ce signe qui va permettre au langage de se matérialiser. Par la langue, l'homme commence à poser sur le chaos de l'existence, un sol relativement solide et propice à supporter le poids de sa pensée et de tous les édifices intellectuels humains. L'homme commence à s'incarner par un pacte: celui du signe qui dés lors se dresse comme sa première croyance, sa croyance originelle. Les mots sont les premières briques et le langage sert de fondation.

À partir de cette première étape, l'homme doit ensuite s'élever vers la connaissance et la compréhension mais pour cela, il a désormais besoin, par comparaison avec le langage en tant que support à la pensée, d'un socle à partir duquel ériger ses connaissances, et ce socle est incarné par les axiomes. Ces derniers, tout comme les mots sont absolument arbitraires puisqu'ils sont par essence indémontrables. Ils sont des vérités admises qui vont servir d'unités à des opérations plus complexes. La définition même d'une chose indémontrable que l'on édifie en vérité est la croyance. C'est donc par les croyances que l'homme va ériger son système de connaissance et de réflexion, c'est par les croyances qu'il déterminera ce qui est faux ou vrai. La croyance est alors le seul rempart que l'homme peut dresser entre lui-même et le chaos de la réalité. Par elle, les choses acquièrent leur continuité (la dimension temporelle) par l'intermédiaire du langage qui les fixera dans l'univers culturel humain. L'homme peut enfin parcourir le monde par les signes qui l'illustrent à ses yeux et se l'approprier. Il peut cartographier le réel afin de s'y retrouver. Cette représentation mentale très puissante que vont permettre les mots va favoriser l'émergence d'une subjectivité forte à l'inertie très prononcée: le royaume nouvellement crée craint le changement et l'instabilité.

Nous est-il possible malgré tout d'imaginer l'homme hors de cet univers? Toute tentative dans ce sens ne laisse place, à mon sens, qu'à l'animal humain mais non pas à cette acception anthropologique du terme. Sans langage et sans axiomes, aucun raisonnement ne serait loisible privant ainsi l'homme de toute représentation mentale de la réalité. Nous avons besoin d'un épistémè, autrement dit d'un socle de croyances suffisamment solides pour supporter les pas de notre pensée balbutiante. Cette dernière étant par essence discursive, elle se sert du langage et l'existence d'une pensée non croyante basée sur le langage apparaît comme une aporie. En effet, le raisonnement étant une chaîne de causalités reliée par une logique, il semble privé d'existence dés lors que toute cause de départ est perpétuellement reniée. C'est un peu comme vouloir monter un escalier dont la première marche s'effriterai à peine le pied posé dessus. Il semble que tout raisonnement requiert une croyance, même éphémère, le plus bel exemple à ce sujet constituant sans doute la courant sceptique de la philosophie grecque antique. Toute croyance était chez eux sans cesse remise en question mais existait malgré tout le temps du discours, ne serait-ce que réduite à sa plus simple expression sous la forme d'un langage et d'axiomes dont ils se servaient pour raisonner. L'incroyance absolue n'est à priori envisageable qu'en tant que négation de la pensée même.

Le bonheur comme religion


Les plus beaux exemples de systèmes de croyances sont les différentes religions que l'homme a inventées tout au long de l'Histoire. Ils ont tous en commun le désir de rendre l'existence humaine heureuse ou tout du moins supportable. Outre les religions, d'autres systèmes de croyances tels que les différents courants philosophiques ont aussi tenté de porter l'homme au bonheur. Cependant le concept ne semble pas limité à la seule philosophie ni aux religions, bien au contraire, nous employons tous ce mot et nous cherchons tous, religion ou non, adhérent à un système philosophique ou non, à le toucher du doigt. Trait symptomatique de ce fait: le nombre de mots existant pour la même définition: ataraxie, bonheur, béatitude, extase, félicité, et bien d'autres. De quoi est donc fait ce bonheur et comment y accède-t-on?

Le bonheur n'étant pas une réalité phénoménale mais un sentiment humain, il relève purement et simplement de la croyance. Il est croyance en la nature positive (vision dualiste du monde où s'opposent bien et mal) d'un état de chose et s'appuie donc sur un jugement. Atteindre au bonheur c'est ainsi se penser conforme à une certaine image du bien ou au moins croire que l'on peut tendre vers cette image. Qu'est précisément ce 'bien' si ce n'est une croyance enracinée dans d'autres plus profondes induites par la culture, l'éducation et l'expérience? Pour être heureux, il suffirait donc d'avoir doublement la foi: une première fois dans l'existence du bien et enfin dans notre propre accord avec celle-ci.

Comment diable est-ce possible que d'aucuns n'entrant nullement, sur bien des points, en résonance avec leur concept de bien puissent malgré tout, en toute conscience de cause, être heureux? Probablement car la conscience de leur(s) défaut(s) constitue déjà un aveu, une véritable confession intime et comme le dit le proverbe: "faute avouée, à moitié pardonnée". À partir de ce constat de départ, il leur est loisible d'avoir foi en leur propre perfectibilité ou devrais-je dire le salut de leur âme. On voit bien comme le bonheur s'organise comme une véritable religion possédant sa doctrine nourrie de valeurs auquel s'ajoute un système de récompense (basé sur la foi et la praxis). Cette structure se retrouve chez les non religieux chez qui l'éthique se substitue à la doctrine permettant ainsi une plus grande souplesse (voire un renversement des valeurs) mais fonctionnant selon le même principe. Ce qui importe est toujours la conformité à un groupe de valeurs ou du moins le mouvement vers une certaine harmonie avec ses valeurs.

Etant donné que tout absolu est étranger à l'homme, un individu totalement dépourvu de croyances est (toujours dans une acception anthropologique de l'humain) un paradoxe, cependant, imaginer un homme avec juste ce qu'il faut de croyance pour maintenir une pensée raisonnable conjointement à un scepticisme profondément enraciné est chose vraisemblable. Celui-là ne peut connaître qu'au pire les affres du doute, au mieux l'égale indifférence mais le bonheur lui est totalement interdit. Il ne pourra devenir heureux que lorsqu'il  aura érigé son propre doute en croyance à laquelle se conformer, comme ont pu le faire par le passé les sceptiques de la Grèce antique. Le bonheur est la récompense des croyants.

Le sentiment comme rêve éveillé


Comme nous venons de le supposer, le sentiment de bonheur semble s'apparenter à une pure croyance, mais qu'en est-il du reste des sentiments humains? Sont-ils tous des croyances?

Pour répondre à ces questions, rappelons-nous que le sentiment est une manière de se vivre et ainsi de porter un jugement sur une représentation subjective de la réalité (cf. thèse contre la naturalité des sentiments). En cela, il devient précisément une croyance de l'individu en une disposition particulière de son être car tout jugement est une croyance pouvant être défaite à loisir (deux éducations opposées ne produiront pas chez un individu la même grille de jugement). Le sentiment est donc la manière de vivre son propre jugement. En effet qu'est-ce qui justifie le remord face à une faute commise? D'abord le fait que l'on croit en la valeur négative de notre action. Par conséquent nous croyons aussi à l'existence d'un potentiel bien et le remord vient de la honte que nous éprouvons vis à vis des autres et de nous-même de n'avoir pas été conforme à cette image du bien. Le sentiment se nourrit donc d'une éthique, d'une échelle de valeurs qui ne sont autres que des croyances auxquelles on adhère.

La croyance comme surimposition à la réalité

Le sentiment est subjectif, il est une représentation mentale centrée sur l'individu, jugée par lui. En cela la croyance s'oppose au sentiment parce qu'elle veut bien souvent ignorer le sujet et s'ériger en vérité objective. Elle se veut vérité absolue, axiome sur lequel peut se reposer l'individu malgré les vacillements de son identité, de sa conscience. Ainsi la croyance est une projection de l'individu à la réalité, une projection à sens unique. Pour qu'elle donne naissance à un sentiment, il faut qu'elle se dédouble et que cette projection de l'individu vers la réalité donne lieu au renvoi d'un reflet, d'un retour de la réalité à l'individu. Le sentiment naît alors du jugement que porte l'individu sur ce reflet de lui-même. La croyance avant d'être sentiment doit toujours se dédoubler et s'inverser: la vérité objective doit être posée (observée) par l'individu qu'elle va éclairer à son tour selon la tonalité du sentiment. C'est le même principe qui donne naissance à la conscience, l'individualité doit parcourir le chemin d'elle-même à une réalité extérieure et de cette réalité s'en retourner à elle-même.

La croyance en elle-même part d'un mouvement opposé à celui-ci, à savoir que le croyant initie un processus de scission entre son moi (qui nécessite un témoin extérieur et absolu pour poser son existence et la maintenir hors du chaos) et la réalité (qui pourtant ne font qu'un) afin d'échapper aux fluctuations ontologiques propres à  l'individu, au doute. Le sujet croyant fixe ainsi un cadre qui formera un univers indépendant et objectif pour devenir le fondement de son existence. L'homme par un jeu d'ombres chinoises se met à croire en ses propres mirages. En cela la croyance est donc précisément une tentative d'échapper au "silence déraisonnable du monde", à l'absurde réalité dans un grand jeu de dupe. Elle est une réaction de la conscience face à cette réalité muette, un mensonge consenti dans lequel la conscience nie une partie d'elle-même pour la rendre extrinsèque et propre à fonder une réalité objective et quasi-absolue. Elle est le ciment avec lequel sont liées les représentations mentales de l'individu.

jeudi 9 février 2012

Socrate n'a jamais rien écrit...

Depuis quelques décennies, voire peut-être depuis bien plus longtemps que ça, notre société a élaboré une conception de la réussite (au sein de la vie publique) bien particulière et par ces particularités, très révélatrice d'un état d'esprit, d'une ère de notre Histoire.

Qui réussit aujourd'hui? Les artistes, les ingénieurs, les spécialistes, les entrepreneurs, les commerçants, les financiers, etc. et je me borne à des catégories très générales. Ce qui ressort d'un tel constat? Dans aucun de ces qualificatifs ne se peint le visage de l'homme, seule la tâche est représentée. L'homme est adoré dans sa fonction, dans ce qu'il fait, ce qui le spécialise. Plus un homme va s'incarner dans un domaine d'activité particulier en s'y enfonçant toujours plus, plus il gagnera le respect, plus il aura de poids dans la société. Bien plus qu'individualiste, notre société est alors productiviste.

On ne respecte pas ce qu'est un homme mais ce qu'il représente et ce qui le représente: son oeuvre. L'homme est reconnu par ce qui est finalement extrinsèque à lui, il est conçu dans une visée purement utilitariste. Qui sont les hommes extraordinaires de notre époque? Pas les artistes ni même les célébrités médiatiques qui ne sont que d'ordinaires travailleurs, de parfaits spécialistes. Les vrais originaux résident probablement dans l'ombre et le silence de la vie publique que l'on ne montre pas, ils sont peut-être ces hommes qui aiment la vie et l'humain pour ce qu'il est dans sa totalité. Car celui qui ne veut retenir de la vie qu'une activité bien définie, celui-là n'est jamais en paix car il recherche dans sa tâche un exutoire propice à le délivrer de son impéritie à exister. Il me semble vraisemblable que les hommes en paix sont ceux qui s'attachent moins à ce qu'ils produisent qu'à ce qu'ils sont, qui ne voient pas seulement le résultat de leur effort mais observent avec plus d'attention encore le processus de création qui est finalement ce qui les définit le mieux, ce qui est leur identité en action. Ceux là savent embrasser la diversité et n'ont pas peur d'admettre en public qu'ils n'ont pas forcément de talent particulier par lequel ils peuvent briller, ceux là n'ont pas besoin de tels prétextes à se faire valoir.

Peut-être que notre monde occidental devrait apprendre à apprécier en l'homme ce qui en constitue sa structure profonde, sa substance. Peut-être devrions-nous cesser de vouloir être immortel pour embrasser un peu de cette éternité qui habite chaque instant présent, chaque moment de l'existence. Peut-être, enfin, que nous gagnerions à écouter le silence face auquel on est seul, plutôt qu'à ne rechercher que le bruit.

Rappelons-nous que Socrate n'a jamais rien écrit...