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jeudi 21 septembre 2023

Aphorisme philosophique

La philosophie est une science de la croyance.

mardi 11 juillet 2023

Le synthétique et l'analytique vus par le hasard

Le hasard est un terme qui, plus qu'une réalité ontologique, semble recouvrir une réalité épistémologique trahissant une ignorance des causes déterminantes d'un phénomène. En ce sens, pour Cournot, le hasard peut être défini comme l'enchevêtrement indéfini de chaînes causales indépendantes qui s'entremêlent pour former le nœud du phénomène imprévu.

"M. Dupont se lève de bon matin et va chez son dentiste; sa sortie est déterminée: déterminisme pathologique (inflammation de la gencive, par exemple), déterminisme psychologique (confiance de M. Dupont en son dentiste), déterminisme social (l'heure du rendez-vous est fixée par le praticien). Dehors il fait une tempête déterminée par des conditions météorologiques et d'ailleurs prévue par l'O.N.M. Conformément aux lois de la mécanique le vent détache d'un toit une énorme tuile branlante. La tuile tombe selon la loi de la chute des corps. Seulement, et c'est ici qu'apparaît ce que Cournot nomme le hasard, la tuile tombe juste sur la tête de M. Dupont." (Logique, court traité de philosophie, André Vergez et Denis Huisman, p. 89) . Le hasard est ici le point de rencontre de ces séries causales indépendantes: toutes sont individuellemnt déterministes, mais leur conjonction produit de l'imprévisibilité.

Seulement l'indépendance des séries causales ne saurait être postulée trop rapidement, il faut ici nous demander s'il ne s'agit pas plutôt d'une indépendance due à l'ignorance. En effet, deux séries causales en apparence indépendantes ne le sont qu'à partir d'un certain référentiel d'étude qui ne laisse apparaitre aucun lien direct et évident entre les séries. Toutefois, le fait que celles-ci puissent s'entremêler et se rencontrer pour produire un phénomène qui s'érige en produit de leur commuauté montre une chose: les deux séries existaient sur un même plan, plan lui même causalement déterminé, et qui donc est apte à les subsumer sous une même explication les réunissant toutes deux. Pour le dire autrement, il existe toujours un référentiel, une certaine échelle dans laquelle fusionnent les deux séries pour n'en faire qu'une. Si ce référentiel n'existe pas encore: il est le but de la science.

Ainsi, pour reprendre notre exemple, nous pourrions affirmer qu'il était possible, en amont, de prendre une échelle plus large par laquelle sont réunies toutes ces séries causales et au sein de laquelle l'événement malheureux est tout à fait prévisible. C'est d'ailleurs totalement le cas, en réalité, puisque toutes les séries citées sont déterministes. Si elles sont en apparence indépendantes elles n'en demeurent pas moins spatialement contigües, ce qui explique qu'en dézoomant nous puissions observer la trame globale qui les unit dans un même motif. Ce qui produit l'indétermination du résultat est la synthèse des séries qui multiplie exponentiellement la complexité du calcul à réaliser (notamment en démultipliant le nombre de facteurs causaux). Le hasard est dans ce cas imputable à la complexité mais non à l'imposibilité en droit de déterminer l'effet de cet enchevêtrement de causes.

On peut aller plus loin et imaginer qu'une théorie physique ultérieure, de la même manière que les lois de Maxwell ont permis d'unifier les phénomènes électriques et les phénomènes magnétiques, permettra d'expliquer tout événement énergétique comme déterminé par des principes et lois unifiés.

Ce problème est en fait très semblable à celui qui amène à distinger le synthétique de l'analytique. Ce qui nous apparaît synthétique dans la connaissance ne l'est que par l'ignorance des principes fondamentaux sous lequels sont contenus les jugements précédemment étrangers. Autrement dit la connaissance produit les principes unifiant ce qui relevait de l'hétérogène avant qu'on les ait découvert. Le mouvement scientifique est tout entier tourné vers la production de principes qui subsument les phénomènes et jugements en apparence étrangers pour les unifier par la tautologie.

Il n'y a donc que de l'analytique dans la connaissance car le synthétique n'est que l'effet d'une certaine échelle par laquelle nous analysons les phénomènes et sous laquelle ils nous paraissent étrangers, plus ou moins disjoints. Connaître c'est précisément changer d'échelle (à la fois spatialement et temporellement) pour qu'apparaisse enfin le plan sur lequel le divers des phénomènes se résorbe dans une causalité commune les déterminant tous.

mardi 15 novembre 2022

Conscience, personne, liberté chez Kant

La personne (le pour-soi) se différencie de l'objet, de la chose (l'en-soi), par cette conscience qui la met à distance d'elle-même. C'est cette nature duale du sujet humain qui va justifier chez Kant le passage de l'ontique au déontique, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes.

Certes la conscience nous met à distance de nous-même par un acte réflexif, et permet ainsi au sujet d'envisager une autre trajectoire que celle que déterminent ses états empiriques. Mais envisager un autre possible n'est pas pareil que de connaître un droit chemin, que de savoir ce qu'il faut faire. La conscience ne nous place face à aucune autre loi que celle du possible que seules des croyances (ou postulats pour reprendre les termes kantiens) peuvent structurer en déontologie.

Autrement dit la dignité humaine ne provient pas de la conscience mais de la croyance. La conscience ne dévoile en rien une échelle de valeur qui fournirait un critère de jugement des actions et pensées humaines, elle ne fait qu'apparaître le possible sans jamais prêter à un seul une quelconque supériorité de principe par rapport aux autres. Le mode d'être du pour-soi ne fonde absolument pas la morale, seulement ses conditions de possibilité. La morale n'est fondée que sur l'autorité de jugements qu'on érige au statut de postulat, d'axiomes.

Par ailleurs on ne sait pas si la conscience fonde nécessairement la liberté: il est tout aussi bien possible de penser que le sujet transcendantal est déterminé par d'autres lois que celles de la nature, ou bien par des lois de la nature que nous ignorons (ou encore par une telle intrication de facteurs qu'on ne parvient plus à en analyser l'écheveau). Ainsi le sujet conscient, la personne, serait simplement la relation entre deux entités (transcendantale et empirique), permettant une mise à distance au sein même de l'unité (la synthèse des états empiriques agit comme une force qui lierait les particules dans l'atome), toutes deux déterminées par des lois.

Kant était tout à fait conscient de ses problèmes et c'est lui qui montre, avec une acuité nouvelle, à quel point le monde humain est tissé de croyances nécessaires. Ce sont elles qui fondent la structure de l'existence humaine: en l'homme, tout n'existe que par un acte de foi. Seule la sensation brute ne nécessite aucun acte de foi, mais l'organisation des sensations en perceptions et, plus généralement, en un monde connaissable, ordonné, ne peut se faire que sur le fondement de croyances organisitrices, de principes fondateurs.

lundi 31 octobre 2022

Problèmes kantiens: matière (qualité) et forme (quantité)

On note, chez Kant, une distinction entre les formes a priori de la sensibilité (espace et temps), mobilisées par l'intuition pure, et la matière a posteriori de la sensation (qualité vécue), mobilisée par l'intuition empirique. Mais la seconde est bel et bien rendue possible par les premières, autrement dit c'est à partir du moule spatiotemporel que les qualités sensibles peuvent s'offrir.

Si l'esprit ne peut percevoir qu'à partir de ses formes a priori (l'espace et le temps dans le cas qui nous occupe), alors cela signifie que les qualités sensibles (couleur, son, texture, etc.) doivent pouvoir être entièrement exprimables par elles. Or un monde entièrement fait des formes a priori de la sensibilité est un monde géométrique (ou plus largement mathématique), dépourvu précisément de qualité. La qualité sensible est un donné, passif, qui nous vient de l'extérieur, mais Kant n'explique pas comment une telle qualité (une telle catégorie ontique) peut seulement être perçue dès lors qu'elle excède ou transcende les seules formes de l'espace et du temps.

Je vais tenter de m'expliquer plus clairement: il est impossible (d'après Kant lui-même) à partir du seul monde des figures et relations spatiales, de produire la qualité sensible (par exemple la couleur). Pour que cette expérience ontique advienne il faut qu'un élément purement extérieur (hétérogène) soit intégré par le système transcendantal de la sensibilité. Or si ce divers sensible est fondamentalement autre et irréductible à l'espace-temps géométrique, fait de quantités (et de leurs relations), alors il n'est pas expérimentable par l'homme. Pour qu'il le soit, il faut postuler une forme a priori de cette qualité qui soit de la même nature ontique. On ne comprendrait pas, autrement, comment l'espace-temps pourrait servir de fondement relationnel à quelque chose de radicalement différent, comment pourrait s'organiser une interaction entre ces deux catégories.

Sortir de l'aporie suppose de postuler que toute qualité est réductible à une configuration mathématique (spatiotemporelle) particulière, et qu'il n'est donc nullement besoin d'un apport extérieur pour produire le phénomène de qualités perçues. Si c'est bien la position d'un Hobbes, ce n'est absolument pas celle d'un Kant... Ce dernier ne nous explique absolument pas comment l'homme pourrait percevoir la qualité à partir des simples formes de l'espace et du temps, quand le premier ne nous explique pas comment la propriété émergente d'une qualité peut naître de rapports purements quantitatifs.

Jamais espace et temps ne sauraient encadrer des objets dont la nature n'est pas purement spatiotemporelle, or c'est précisément ce que suppose l'existence de la qualité en cela qu'elle contient un élément irrémédiablement hétérogène à l'espace et au temps, que les formes a priori de la sensibilité ne savent générer par elles-mêmes -- et qui leur est donc fondamentalement, et radicalement, étranger.

En fait, il apparaît que la séparation nette que fait Kant entre contenu (matière) et forme n'est pas tenable et suppose le même genre de bricolage ad-hoc auquel il recourt pour parvenir à insérer dans la causalité phénoménale (naturelle) une liberté nouménale.

Entendons-nous bien: la théorie proposée par Kant est époustouflante d'ingéniosité et permet de comprendre l'efficacité des mathématiques dans l'appréhension des phénomènes naturels. Cela dit, elle ne permet absolument pas d'expliquer l'union de la qualité et de la quantité, de la matière et de la forme: elle maintient une dualité stricte, une théorie de l'homme déchiré.

Mais ce n'est pas seulement là que le bât blesse: la théorie des formes transcendantales de la sensibilité suppose que tout peut se réduire à ce fondement spatiotemporel, ce que nie précisément Kant en refusant à la qualité la possibilité d'être générée a priori par les formes pures de la sensibilité. La qualité doit donc se mouler mystérieusement dans le cadre des formes de la sensibilité, absolument étrangère et pourtant au contact de celles-ci... inexplicablement.

vendredi 2 septembre 2022

Un problème de l'idéalisme transcendantal

 J'aimerais pointer du doigt ici un problème particulier concernant la philosophie kantienne de la connaissance. Si l'on prend en considération l'idée selon laquelle les formes de la sensibilité, qui constituent les conditions de possibilité de l'intuition d'objets, et donc de cet objet de tous les objets qu'est le monde, sont inhérentes aux structures transcendantales du sujet, on est alors placé face à un choix: soit il faut considérer que le sujet transcendantal est identique pour tous et que, pour ainsi dire, nous sommes tous "locataires de l'esprit", et alors il devient possible de comprendre comment les hommes vivent dans le même monde, c'est-à-dire le même espace-temps. Soit nous devons considérer qu'espace et temps sont véritablement des formes propres à tout sujet transcendantal et que, par conséquent, le monde des phénomènes est une production du sujet. Mais dans ce dernier cas, il devient impossible de comprendre comment et pourquoi les différents sujets vivent dans un monde commun qui semble pourtant lier les sujets entre eux par le milieu qu'il constitue...

La première hypothèse détruit l'idée qu'espace et temps ne sont que des formes de la sensibilité et non des choses en soi, puisque s'il existe un espace et un temps unique, commun à tous, alors on doit considérer qu'il existe en soi et non pour les sujets. Du moins il doit exister pour cette conscience universelle qu'est le sujet transcendantal qui prête aux sujets empiriques ses structures formelles. Mais par rapport à ces sujets, une telle métastructure correspondrait à un réel, à une chose en soi, qui ne dépend pas d'eux et existe indépendamment d'eux.

La seconde hypothèse pose un autre problème: puisque le monde phénoménal est inhérent à chaque sujet transcendantal, alors il doit exister autant de mondes que de sujet et il ne saurait y avoir un même monde qui parviendrait à relier, par médiation, les sujets entre eux. S'il existait il ne pourrait être alors le produit des structures transcendantales propres à un sujet (puisqu'il serait propres à tous les sujets) et on ne pourrait expliquer l'extrême étrangeté d'une synchronie telle qu'un monde commun et simultané puisse émerger de la multitude... D'ailleurs, puisque ce monde n'existe pas en soi mais pour soi, il ne saurait y avoir un même monde pour deux sujets puisque le monde d'un sujet ne pourrait exister que pour lui, sous peine d'être en soi et non plus pour soi...

Dans la révolution copernicienne, tous les sujets forment un soleil, or on comprend mal comment tous pourraient former un unique centre à partir duquel émerge l'espace-temps d'un monde objectif.

Voilà une des grandes difficultés de l'idéalisme transcendantale, malgré son extrême élégance et pertinence.

Le concept d'intuition chez Bergson

 L'intuition chez Bergson est un concept original qui consiste à penser la connaissance hors du cadre de l'arraisonnement intellectuel qui tend à s'inscrire dans une démarche spatialisante. Ainsi l'intelligence décompose en éléments qu'elle recompose à l'aide de lois, de principes. Pour ce faire elle doit construire ses objets en les découpant sur le flux mouvant de l'expérience et en les figeant dans des catégories, constituées de propriétés générales. Cette opération produit des hypostases de réalités fluentes et fige en des schèmes, des figures, ce qui ne cesse de se métamorphoser, de devenir (c'est la condition du savoir selon Platon). Une telle connaissance repose nécessairement sur la scission entre le sujet et l'objet et donc la nécessaire inadéquation des deux.

Ce que Bergson propose avec l'intuition c'est de sortir de ce paradigme pour faire coïncider sujet et objet, le premier devenant le second, et expérimentant ainsi sa nature de l'intérieur, de manière dynamique (c'est à dire par le flux du vécu, par la durée). Il ne s'agit plus alors de connaître mais d'être, de sentir l'objet par une fusion qui nous mène à devenir son intériorité même. Si une telle chose est séduisante de prime abord, elle n'est pas sans poser de nombreux problèmes dont je vais m'efforcer d'exposer les plus évidents à mes yeux.

D'abord on peut objetcter que devenir autre que soi-même implique nécessairement qu'il devient impossible de rapporter à soi l'expérience vécu: puisqu'on était autre, comment se souvenir et intégrer à soi une expérience radicalement différente? Ainsi il ne peut rester aucune trace, aucun souvenir de l'expérience extatique que représente une telle fusion: tout ce qui se passe hors de soi demeure hors de soi, pourrait-on dire. Pour le dire autrement: si l'on considère que toute conscience est singulière, alors il est impossible à deux singularités de fusionner sans se détruire mutuellement en la création nouvelle d'une tierce singularité.

Mais on pourrait aisément rétorquer à cela que chez Bergson tout est durée et qu'alors la différence entre sujet et objet ne constitue pas une différence de nature mais de degré; ce qui fait qu'il devient possible d'envisager l'exprience extatique comme une expérience conforme à notre intériorité vécue, mais sous d'autres modalités.

Cet argument pose problème en cela que même si l'objet vécu n'est pas de nature radicalement différente, il n'en demeure pas moins que l'identité d'une personne est son histoire: elle est la tonalité de la durée présente dans laquelle résonne tout son passé. Ainsi devenir une autre identité présuppose d'annihiler tout ce que l'on est, tout son passé, pour devenir pleinement l'autre: de son origine à son présent; c'est la condition sine qua non pour être authentiquement l'autre. Or une telle chose implique bien la destruction de soi, du moins sa négation totale et radicale. Si l'on voulait faire de l'objet vécu une expérience contenue en notre identité personnelle, alors notre passé, et, dirons-nous, notre mélodie, viendrait se mếler à celle de la durée de l'objet et en susciterait une interprétation toute différente: un tel processus produirait simplement une tierce réalité: ni celle de l'objet, ni celle du sujet (quoiqu'au final il s'agirait toujours de la durée du sujet, de son histoire, de sa mélodie ontique, enrichie d'une expérience nouvelle mais toujours vécue depuis son intériorité). On voit bien qu'il est impossible de résoudre le paradoxe.

On peut toujours rétorquer à cela qu'une telle représentation est précisément l'œuvre d'une intelligence qui cherche à spatialiser une opération pleinement temporelle (inscrite dans la durée). Mais comme l'espace est une production de la durée, et qu'aucune durée absolue ne saurait exister mais seulement des degrés de tension de celle-ci, tout ce qui est durée est susceptible d'être représentée spatialement, même avec imperfection.

Acceptons tout de même l'objection en s'appuyant sur le paradoxe de Zénon d'Élée qui illustre comment l'intelligence peine à représenter l'opération dynamique du mouvement qui s'inscrit dans la durée d'un vécu (et que l'acte de Diogène de Sinope résout précisément sur ce plan là).

Reprenons alors la métaphore musicale, hautement fidèle au paradigme de la durée bergsonienne. Nous retombons tout de même dans la première objection: il est impossible qu'une mélodie (dont la note présente est déterminée dans sa valeur d'écoute par les notes qui la précèdent) puisse devenir une autre sans produire alors une nouvelle mélodie. Pour bien comprendre ce point, imaginez que l'on insère un passage de tango dans une chanson des Beatles, le résultat ne sera alors ni la chanson originale des Beatles ni le morceau original du tango: le vécu sera différent. Il est impossible pour la chanson des Beatles de se transformer en notre tango, ce sont deux réalités étrangères bien qu'unies par leur nature temporelle.

Il ne peut y avoir d'intuition telle que l'envisage Bergson puisque la conscience, le vécu, est pure intériorité, c'est à dire qu'il est la synthèse présente de vécus passés qui forment une totalité singulière. La conscience étant indivisible ne peut alors intégrer en elle un vécu forain: si elle le fait, c'est en expérimentant des données censées traduire le vécu de l'objet, mais alors il s'agit bien d'une traduction: les vécus forains sont interprétés par le sujet, il n'y a pas à proprement parler d'ex-stase. Si, au contraire, une telle expérience extatique se produit, elle ne peut se faire que de manière purement inconsciente et donc inaccessible au sujet. Il ne pourra jamais savoir ce qu'il a vécu puisque ce vécu ne peut être traduit dans sa propre intériorité sans en fournir une interprétation captieuse.

Nous sommes véritablement enfermé dans notre conscience, ou du moins dans la relation que celle-ci constitue à l'objet, à l'altérité. Mais le système constitué par cette relation forme bel et bien un tout indivisible, indécomposable, absolu et donc sans route vers un ailleurs...

La seule issue hors du paradoxe est la suivante: il faut postuler une conscience universelle et considérer qu'aucune conscience n'est singulière. Mais cela revient à détruire la philosophie bergsonienne en la faisant retomber dans le transcendantalisme kantien car cela revient à dire que toute conscience est transcendantalement identique aux autres, dans sa fome, et que seul le contenu matériel change. Il devient alors possible, comme le propose Kant dans la CRP, qu'on fasse intégrer à une conscience des vécus étrangers qui seront immédiatement assimilés et intégrés à l'histoire personnelle du moi. Mais là encore une erreur se cache: pour Kant, la conscience n'est pas à confondre avec les structures transcendantales du sujet, elle est cette conscience psychologique qui synthétise le passé dans un moi unique et singulier. Or synthétiser en soi l'ensemble du vécu d'une autre entité ne peut que produire, là encore, une évolution du même moi à qui l'on a injecté, pour ainsi dire, l'expérience d'un autre sujet. Mais nous n'irons pas plus loin dans cette direction tant elle est opposée à la pensée bersonienne.

mardi 14 juin 2022

Relativisme et autocontradiction performative

Certains philosophes dogmatiques clament, à bon droit, que le relativisme épistémologique consiste en une contradiction logique intenable. La faute du relativisme tiendrait dans son autocontradiction performative, telle qu'elle s'illustre par la proposition suivante: "toute vérité est relative". Si l'on exaimine un peu cette proposition relativiste alors on constate effectivement qu'elle se contredit par le simple caractère d'universalité (non-relative) du jugement formulé. Il s'agit donc d'une affirmation dogmatique.

J'aimerais d'abord déconstruire cette lecture non rigoureuse qui voit dans la cohérence parfaite du relativisme une incohérence logique, avant de revenir sur la véritable autocontradiction contenue dans le positionnement dogmatique.

Affirmer que toute vérité est relative n'est pas sortir du relativisme pour plusieurs raisons. D'abord il s'agit bien ici d'une proposition qui n'est vraie que dans un certain contexte épistémologique: notamment celui qui fonde la vérité sur ses critères de connaissance, autrement dit qui définit la vérité par ses méthodes de démonstration ou justification. Est vrai ce qui peut se prouver comme étant vrai.

Mais on pourrait rétorquer à cette critique par un autre angle d'attaque: nous savons que la vérité des propositions d'un système formel (par exemple en arithmétique) découle de leur démonstration (dérivation) à partir d'axiomes qui ne sont pas démontrés (et dont la vérité repose donc sur une autre acception du concept de vérité). Ceci a pour conséquence paradoxale (mise en lumière par Aristote dans Seconds Analytiques, II, 19) que pour maintenir le caractère apodictique des propositions fondées sur la démonstration (et pour ne pas sombrer dans une régression à l'infini), il est nécessaire de prêter à la vérité des axiomes une autre nature qu'aux premières. Autrement dit la vérité étant définie par la démonstration, il devient alors nécessaire de fonder cette démonstration même sur des vérités non-démontrables, et donc d'une autre nature.

Et bien c'est exactement le même paradoxe qui est à l'œuvre dans la proposition relativiste "toute vérité est relative". Il faut faire reposer le relativisme sur de l'absolu, de la même manière que les formalismes font reposer la vérité de leur démonstration sur la non-démonstrabilité (c'est à dire, pourrait-on dire, sur la non-vérité...).

Maintenant attaquons-nous à quelque(s) contradiction(s) du modèle dogmatique affirmant d'une part qu'il existe une différence entre vérité et connaissance -- autrement dit que le caractère vrai d'une proposition ou d'un fait ne repose pas sur la connaissance que nous en avons -- et d'autre part qu'il existe des vérités absolues.

En effet, lorsqu'ils affirment qu'il existe des vérités absolues, ils ne font rien d'autre qu'affirmer qu'une proposition est vrai OU fausse (de manière exclusive) indépendamment de la connaissance que nous en avons (c'est à dire que la vérité est indépendante des critères qui nous la font connaître). Or, en faisant cela, ils affirment qu'il existe des vérités mais que la vérité étant indépendante de la connaissance qu'on en a, et étant précisément un attribut absolu des choses (car le dogmatisme s'accompagne bien souvent d'un réalisme ferme), alors on ne peut absolument pas la connaître.

Comprenons bien ce qui est en jeu: si connaître la vérité d'un fait ou d'une proposition ne rentre absolument pas en compte dans le caractère de vérité de ce fait ou de cette proposition, dans la définition même de la vérité, alors, puisque celle-ci ne nous est accessible que par la connaissance (que serait une vérité détachée de tout sujet, une vérité qui n'est pas connue...), nous ne pouvons jamais déterminer si un fait ou une proposition sont vrais ou faux. La vérité nous est à jamais inaccessible (cf. étymologie du mot absolu) puisque nous ne pouvons avoir qu'une connaissance par nature relative des objets, fondée sur la scission essentielle du sujet et de l'objet. Nous ne pourrons jamais nous assurer de manière absolue qu'un fait ou une proposition sont vrais pour la simple et bonne raison que la vérité étant totalement indépendante de nos critères de jugement, elle est une chose qui nous excède: nous ne pourrons jamais emprunter le point de vue de l'objet sur lui-même, et cela même en multipliant les points de vue: il existera toujours plus de points de vue, plus de relations à l'objet que celles que nous parviendrons à synthétiser dans notre connaissance.

C'est là tout le problème du réalisme ontologique (qui constitue d'ailleurs le contexte nécessaire au dogmatisme ce qui, notons-le, relativise paradoxalement la portée de ce dernier à une posture ontologique bien particulière): s'il existe un réel absolu, indépendant de mon expérience et de ma connaissance, alors je n'ai aucun moyen d'y accéder puisque je suis enfermé dans ma relation de sujet à ce réel. Pour devenir parfaitement objective il faudrait que ma connaissance puisse être simultanément tous les points de vue possibles sur l'objet et qu'elle le soit dans un temps infini (pour comprendre l'objet dans sa dimension temporelle et non simplement spatiale). Il semble bien qu'une position réaliste pleinement conséquente ne puisse mener qu'au concept kantien négatif de chose en soi.

Pour conclure: affirmer qu'il existe des vérités absolues, c'est s'interdire toute possibilité, en droit, de pouvoir en avoir une connaissance certaine. Cela revient, dans les faits, à du relativisme... Le relativiste est en général plus avisé parce qu'il est conscient des limitations de sa position et qu'en lieu et place de réel il préfère parler de monde (en en assumant pleinement la multiplicité). Le relativiste comprend que, par nature, nul absolu ne saurait être connu. C'est précisément parce que la vérité est relative que nous pouvons entrer en relation avec elle, mais cela se fait au prix d'une limitation conséquente de sa portée...

Le dogmatisme est paradoxalement un abandon de la vérité sous la forme de deux absolus: l'absolu épistémologique et l'absolu ontologique.

mardi 10 mai 2022

Protagoras

On se dit parfois, bien volontiers, que l'intelligence humaine est décidément très semblable à l'intelligence artificielle de nos ordinateurs. On se demande alors si ce n'est pas parce que l'intelligence en soi est ainsi faite: un ensemble d'interconnexions et de signaux électriques dont le réseau compplexe fait émerger la merveille de la conscience, et, en-deçà, de l'intelligence performative.

On se dit aussi, face aux fictions de notre cru qui nous impressionnent tant par la proximité de leurs représentations avec la réalité humaine, que nous sommes décidément à l'image de ces objectités, que nous en sommes les déclinaisons. Combien de fois ai-je entendu dire que nos vies semblaient étonnement semblables à la réalité virtuelle décrite dans le film Matrix. Ou encore que la réalité elle-même devait consituer un immense jeu vidéo, puisque les jeux témoignent d'une proximité étonnante avec l'expérience que nous faisons de l'existence.

Mais c'est là, et à chaque fois, une inversion malvenue de l'ordre des productions. Il ne faut pas oublier que si l'ordinateur est si semblable à certains de nos fonctionnements cérébraux, c'est parce que lui-même est conçu à notre image, à l'aune de ce que nous vivons de l'intellect. Et si les jeux ressemblent tant à l'existence que nous menons c'est aussi, très probablement, parce qu'ils héritent de la façon dont nous nous représentons en tant qu'acteur au sein d'un monde dont nous nous acharnons à exhumer les lois. Nous fabriquons des règles axiologiques à l'aune desquelles nous sommes à même d'évaluer la valeur de nos actes, de la même manière que des points rétribuent les actions de nos personnages vidéoludiques.

Toute la tentative des neurosciences de voir dans le cerveau et ses interactions physico-chimiques un fondement de la conscience est une étrange amnésie du fait que le cerveau lui-même, dans la manière dont nous nous le représentons, est une construction épistémique dont nous sommes les bâtisseurs. Et toujours nous succombons au réalisme a priori, implicite, qui nous fait prendre l'écran sur lequel nous projetons nos phantasmes pour le réel dont nous émergeons.

N'oublions pas le bon vieux Protagoras car c'est peut-être une vérité dont on gagnerait à se souvenir celle qui propose que "l'homme est la mesure de toute chose".

mardi 15 février 2022

Hume, Kant, et le problème de la causalité

Kant se réveillant de son sommeil dogmatique pour répondre à Hume parvient effectivement à réhabiliter la notion de substance en tant qu'elle est l'objet constitué par un phénomène à l'aide d'une synthèse du divers sensible par l'intermédiaire de catégories, notamment celle de causalité. Ce que Kant parvient à faire c'est changer la nature épistémique de la causalité, qui passe du statut de concept produit par induction à concept a priori, transcendantal, et absolument nécessaire à ordonner toute expérience -- ce qui revient à dire que tout le donné sensible, c'est à dire la matière de nos perceptions, doit être passé au filtre de cette catégorie de causalité. La conséquence en est bien la valeur nécessaire et universelle de la causalité: c'est à partir d'elle que se constitue l'expérience du monde sensible, et il n'est donc pas juste de dire, comme le faisait Hume, qu'elle n'est que l'hypostase branlante d'une hypothèse émise par la répétition d'une certaine association entre deux objets ou événements.

Toutefois, ce que n'a absolument pas fait Kant en répondant à Hume, c'est de permettre à la science d'affirmer de manière apodictique que les relations de causalité qu'elle détermine entre les phénomènes et les objets qui se donnent à travers eux, sont vraies, de manière nécessaire et universelle. En réalité, ce n'est pas parce que la catégorie de la causalité est devenue transcendantale, a priori, et qu'elle est donc formellement apodictique, que son contenu actuel, c'est à dire la manière dont elle est appliquée à un divers sensible, l'est aussi. Pour bien comprendre cela, nous pouvons prendre l'analogie du syllogisme. Un syllogisme peut très bien être formellement correct et pourtant totalement faux du point de vue du contenu.

Lorsque j'affirme: tout ce qui est rare est cher, or un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher, je ne fais rien d'autre qu'employer une forme logique éprouvée de manière érronnée: l'erreur se glissant dans le contenu qui se fond dans ce moule formel.

C'est exactement le même problème qui se pose aux jugements scientifiques, même après la remarquable révolution coppernicienne de Kant: le lien causal a beau être justifié formellement, il n'en reste pas moins matériellement soumis à l'erreur. Et ce n'est pas parce qu'il est nécessaire que tout phénomène possède une cause par laquelle il est engendré, que les associations causales que la science va définir seront exemptées d'erreur. Je peux très bien associer au fait d'avoir brûlé un cierge ma réussite à un examen, sans pour autant que cela soit juste, et sans pour autant remettre en cause la nécessité qu'il existe véritablement un faisceau causal explicatif de cette réussite.

Ainsi, le travail kantien n'apporte rien à la confiance que peuvent avoir les scientifiques en leurs hypothèses et leurs modèles explicatifs. Ils sont tout autant soumis à l'erreur, qui elle, ne peut se reposer uniquement sur l'expérience et la contingence inductive afin d'être éventuellement débusquée. C'est pour cette raison que Popper énonce un fait important en prêtant à l'expériementation un pouvoir non de validation des théories, mais de falsification. Nous ne possédons aucun critère nécessaire et indubitable pour affirmer qu'un modèle explicatif est absolument vrai. Et tout ce qu'affirme Hume en la matière demeure totalement valide et en accord avec l'expérience.

samedi 25 décembre 2021

L'universel dans l'art

Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.

Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.

En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.

Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.

Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...

Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.

Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.

C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.

Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.

La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.

vendredi 24 décembre 2021

Le monde est une grammaire

Ce que je ne peux pas dire en musique, je l'écris. Et par là perd l'aspect informe et primordial de la pensée originaire, ineffable et par là sublimement singulière. Je me moque de l'avis d'Hegel. Proposition de plus qui peut trouver, comme les autres, l'axiomatique qui la rend vraie. Mais je vis dans un autre référentiel que ce qui fût le tombeau du grand dogmatique.

C'est, bien entendu, en deçà du langage que gît la vérité: celle qui est singularité absolue, et par là ne peut servir d'élément à nulle connaissance. L'absoluité de la sensation, de la qualité vécue, incapable d'adhérer à un quelconque signe sans se nier définitivement: voilà ce qui ne peut être contesté.

Cette curieuse propriété du langage, de faire exister la relation, en faisant de simples syncatégorèmes de nouvelles substances est véritablement remarquable. La relation devenue ainsi elle-même objet hypostasie dans l'immédiateté d'un signe la pure médiation sans substance.

La langue est le champ gravitationnel de la pensée: c'est elle qui lui confère une masse et fond le monde en une forme pesante et persistante, qui autrement s'évanouirait dans une différenciation perpétuelle. Elle concrétise ce qui ne peut pas tenir à l'être.

mercredi 20 octobre 2021

Philosophie du combat

Lorsque Nietzsche définit la noblesse par l'entremise des mœurs, des habitudes, des valeurs qui ont permis à une catégorie d'êtres humains (dominant une époque) de survivre au sein d'un environnement hostile, il affirme que c'est le modèle de la guerre qui permet à l'homme de produire des valeurs, de s'élever par-delà lui-même grâce à l'adversité salvatrice. Un peuple qui serait dépourvu de conflits serait par là même mou et sans attrait, médiocre et incapable de produire ces cimes qui surplombent les époques de la grande Histoire, et servent de repère au grand récit de la culture humaine.

Mais une chose que n'a pas su voir Nietzsche c'est qu'il est tout autant possible d'obtenir le même résultat par le combat et non la guerre. Le paradigme du combat est bien différent de celui de la guerre en cela que cette dernière cherche l'annihilation de l'autre, de l'altérité rebelle. Le soldat cherche à détruire pour violer, pour triompher sans magnanimité, il cherche à surmonter autrui pour prendre sa place, son périmètre d'existence, ou en faire son fidèle servant, ombre spéculaire de lui-même.

Lors d'un combat l'autre n'est pas un ennemi à éradiquer, il est au contraire le partenaire essentiel par qui peut advenir l'adversité. Non une adversité dépourvue de danger et par là même totalement factice: malgré les règles, on peut mourir en combat (comme nous le rappelle tristement un événement récent), celui-ci est peut-être moins dangereux mais l'enjeu y est néanmoins réel et la possibilité d'annihilation toujours là. La véritable différence réside dans le fait qu'elle est acceptée par les deux parties, non comme une fatalité inévitable, mais comme un possible à prendre en compte, bien que non enviable. L'homme qui s'avance au combat est prêt à mourir, lui aussi, mais il sait pourquoi il le fait, il peut trouver en lui une raison d'aimer cette épreuve qui consiste en une opportunité que l'adversaire accepte de bâtir avec lui. Leur surface de combat est le signifiant de l'enfer intime propre à chaque agoniste qu'il s'agit de traverser. La fin du combat, voit souvent les lutteurs se jeter dans les bras l'un de l'autre, et si tout le monde est sauf, l'enseignement est peut-être encore plus conséquent que lors d'une guerre: les deux peuvent en bénéficier sans se départir de leur dignité et leur liberté.

Le combat est le vrai paradigme de l'homme noble, de celui qui veut toujours s'élever par-delà lui-même. La guerre est incapable de prodiguer un enseignement à toutes les parties prenantes, ce que fait précisément le combat.

dimanche 8 août 2021

Le réel et l'utopiste

 Il m'arrive trop fréquemment, lors de tentatives de débat politique, d'être confronté à une ou deux croyances adverses qui amènent mon interlocuteur à être persuadé d'être dans le camp de la vérité, face à un curieux contradicteur dont le verbiage philosophique n'a de sens que dans un paradigme idéel totalement coupé de ce qu'il nomme le "Réel". J'ai pourtant entendu pléthore de locuteurs employer ce terme de "Réel" pour s'en réclamer, et tous avaient comme unique point commun de ne fournir de celui-ci que des versions à chaque fois différentes et souvent contradictoires. En tant qu'"utopiste", il me faut donc analyser brièvement cette notion de "réel" dont je serais déconnecté et, par là, privé de légitimité dans un discours qui, précisément, n'aurait plus aucun référent.

Plusieurs arguments intéressants reviennent le plus souvent lorsque je demande à ces personnes quel est le réel dont ils parlent. D'abord on peut parler du préjugé physicaliste qui consiste à dire, par exemple, qu'une sensation (telle que la douleur ressentie après un coup) est réelle. Ensuite, il y a le préjugé factuelle, qui consiste à dire que le réel c'est telle ou telle situation économique, politique, sociale vécue par mon interlocuteur; par exemple travailler tous les jours de la semaine dans l'acception capitaliste du terme, payer des impôts, faire les courses, etc. Ces illustrations du réel sont censées me convaincre, par la certitude immédiate qu'on leur prête, que les critiques que je porte à un état donné de l'organisation des sociétés humaines sont nécessairement utopistes et irréalisables. Pourquoi le seraient-elles? Il semble qu'une réponse à cette question serait le fait que ces critiques cherchent à promouvoir (en lieu et place du système économico-politique actuel) un autre agencement des rapports de forces et un autre paradigme de l'activité humaine qui serait trop éloigné de celui que nous connaissons.

Attardons-nous un instant sur ce point. Si, par exemple, une redistribution moins inégalitaire des richesses créées par l'activité économique était quelque chose d'utopique, il faudrait expliquer d'une part comment cette utopie a déjà pu se produire à certains moments de l'histoire humaine, a cours encore dans certaines sociétés (qu'on appelle ironiquement "primitives"), se produit même au sein des systèmes capitalistes (dans certains contextes tels que la sécurité sociale par exemple). Il semblerait que l'utopie d'un tel projet résiderait exclusivement dans le fait qu'il prône un état de l'organisation économique différent de celui qui est en place. Mais lorsque l'on écoute parler les personnes qui jugent ces idées utopistes, ils prônent eux aussi une réforme du système économique, simplement leurs réformes sont moins radicales et consistent en des ajustements leur permettant de mieux tirer leur épingle du jeu. Mais qu'est-ce qui permet justement de dire que certains changements sont radicaux et impossibles et d'autres réalistes et pragmatiques? Il semble que la réponse à cette question réside dans le fait que les changements radicaux s'attaquent à la structure d'une organisation politique et économique, tandis que les propositions des "réalistes" s'appuient sur cette même structure et la légitiment en la naturalisant, souhaitant simplement qu'elle subisse quelques adaptations et ajustements qui permettraient au rapport de force d'être plus en leur faveur. Un rapport de force qui serait en faveur de tous et qui nierait la possibilité, pour certains, d'amasser des richesses en quantité incommensurable serait alors utopique parce qu'il nécessiterait des transformations structurelles qui sont, en droit, irréalistes.

D'une part, qualifier ces transformations structurelles d'irréalistes demeure problématique puisque, souvent, le seul argument en la faveur de cette qualité irréaliste réside dans l'induction historique. À partir de tentatives passées, qu'on juge correspondre à cette velléité de transformation structurelle, qui se sont soldées par des échecs, on en infère que cette dernière est irréalisable. Il y a là, d'abord, une erreur logique qui consiste à induire à partir de faits particuliers et contingents une vérité générale, universelle et nécessaire. La logique ne le permet pas. Lorsque la sécurité sociale fut mise en place par Ambroise Croizat, il y a fort à parier qu'elle aurait été jugée utopiste plusieurs décennies en arrière. Pourtant, une telle chose existe encore aujourd'hui, à l'encontre, il faut le reconnaître, de tout le mouvement néo-libéraliste dominant.

En réalité, cette accusation d'utopie n'est pas recevable pour plusieurs raisons. Considérer qu'un but quelconque que l'on se fixe, est tellement éloigné d'un état donné qu'il devient en droit irréaliste, est une contradiction logique. Il n'y a aucune loi qui permette d'affirmer qu'une organisation politique et économique humaine quelconque constitue un état d'équilibre naturel, une forme homéostatique (telle qu'un organisme quelconque) déterminée par des lois naturelles qui en préviendraient tout éloignement. Encore une fois l'histoire infirme, par des occurrences particulières, une telle généralité de la loi. D'autant plus que le capitalisme demeure relativement jeune au regard de l'histoire des sociétés humaines. Ensuite, il est évident que fixer des objectifs éloignés ne constitue pas en soi une impossibilité telle que le jugement définitif d'utopie puisse leur être attribués légitimement. L'homme parvient aujourd'hui à voler alors même que cela aurait pu paraître totalement surréaliste à un mésopotamien de la cité D'Ur (fut-il besoin de remonter aussi loin...). En fait, ce qui ressort de cette accusation d'utopisme est clair: un certain état des choses, fruit de conventions humaines, a été naturalisé par tout un ensemble de personnes qui voient dans ces conventions et leur produit, le fruit d'une nécessité presque naturelle, c'est à dire d'une nécessité qu'il n'est pas possible, en droit, de remettre en question. Il devient aussi incongru à leurs yeux de remettre en question le système capitaliste que de remettre en question la mortalité des organismes humains (encore que le capitalisme parvienne à montrer, à travers le transhumanisme notamment, qu'un tel projet est légitime...).

Ce qui nous amène au préjugé physicaliste. Lorsqu'une personne considère que les sensations constituent le "Réel", il effectue par ce jugement une négation du projet scientifique. En effet, ce qui distingue le projet scientifique est précisément sa velléité à abstraire des contingences de l'expérience subjective la réalité sous-jacente, indépendamment des formes (phénoménales) par lesquelles elle se manifeste dans sa relation à un sujet. Un tel projet se construit en opposition totale à l'expérience subjective, ce qui permet à la physique de décrire un métal comme l'or en faisant abstraction de toute expérience possible par laquelle un individu pourrait le connaître sans intermédiaire, par son corps, et notamment ses sensations. Ainsi, les personnes qui affirment que le réel est constitué de leurs sensations se placent, de fait, en opposition à la science. Ce qui est problématique parce que ces personnes ne s'en rendent pas forcément compte, et si tel était le cas, il est assez certain qu'elles désavoueraient totalement une telle opposition.

Une sensation, bien qu'elle constitue pour un sujet donné, l'ultime et absolu fondement de toute expérience, ne saurait constituer le réel en tant que chose en soi, en tant que ce qui subsiste sous les déterminations subjectives à travers lesquelles il s'offre, parfois de manière contradictoire (en fonction des attributs du sujet qui l'appréhende). Lorsque ces personnes se considèrent "dans le réel" en parlant de leurs sensations, elles s'imaginent être en prise immédiate avec la chose en soi, lors même que leur expérience n'est que la médiation qui s'effectue lors de la relation d'un sujet et d'une chose à travers la constitution d'un objet d'expérience. Nul n'est en prise immédiate avec le réel (si une telle chose existe). Et il y a une grande violence à affirmer le contraire puisque cela revient à se faire soi-même la mesure de toute chose, à faire de son expérience subjective le critère de toute réalité et par conséquent de toute vérité. Pourtant, si nous croyons effectivement que l'expérience du rouge, par exemple, est universellement partagée, de fait nous n'en savons absolument rien.

Pour toutes ces raisons, je me méfie grandement des personnes qui affirment haut et fort être dans le "réel" tandis que d'autres ne seraient que dans les idées. Le réel n'est-il pas précisément une idée? Comment affirmer d'ailleurs qu'une telle chose existe? Lorsque nous appréhendons le réel à travers l'expérience phénoménale, ne le faisons-nous pas à travers note conscience subjective, c'est à dire précisément à travers nos idées? Toute sensation est polysémique: une douleur peut devenir plaisir dans certains contextes, elle peut aussi être le produit d'un crime et détruire celui qu'elle affecte ou encore être le résultat de la bravoure et ainsi galvaniser en fonction des contextes. On voit bien que toute sensation est intriquée dans un ensemble de jugements à travers lesquels s'entretisse sa valeur. La douleur n'est pas une sensation, elle est un jugement qui émerge d'un fond représentatif. Le réel que nous constituons est une représentation. Quelqu'un qui vous accuse de verbiage philosophique tandis qu'il prétend dire le "réel" est simplement quelqu'un qui ne sait pas voir les lunettes qu'il porte sur les yeux, qui ne parvient pas à percevoir et identifier les représentations qui lui servent de préjugés et colorent son expérience de la teinte d'un jugement qu'il confond alors avec une donation immédiate et brute du réelle. Cette personne, au lieu d'être dans le réel, est dans les croyances, comme nous le sommes tous, mais l'ignore ou ne veut pas le voir. Le réel n'appartient à personne.

Je n'ai jamais pu avoir de réponses précises aux problèmes que je soulève ici, probablement car il m'a toujours été impossible de parvenir au bout de mon argumentation dans une discussion de vive voix sans que celle-ci dégénère rapidement. J'ai toujours fait face à un aveuglement borné de la part de mes interlocuteurs qui semblent refuser systématiquement de répondre à mes arguments par d'autres arguments logiquement valides. Pour ça, je demeure inexorablement étranger à toute une large majorité de mes concitoyens qui ne souhaitent pas écouter ce qu'ils jugent être des élucubrations philosophiques. Je demeure, pour eux, dans l'erreur, le flou, l'utopie et nous ne pouvons communiquer sur des bases saines parce que j'ai tort a priori. Il y a là une violence difficilement concevable qui me fait considérer à chaque tentative de débat, la possibilité de me retirer du monde et de la société de ces "réalistes", car la douleur est profonde et vive de vivre dans un monde fracturé où l'on se tient du mauvais côté de la barrière. Je n'ai aucun espoir. Je constate des mécanismes de défense dont la solidité repose sur la nécessité vitale et la conservation de soi que je ne saurais vaincre. Je n'ai que la raison, la logique impuissante, et plus j'écoute les gens parler, plus je constate que ce qu'ils nomment "réel" consiste en la concrétion dense et acérée d'émotions qui semblent vaccinées contre le péril rationnel. Je n'ai nulle place en ce monde, nul ami, nul avenir car il n'y aura pas de reconnaissance, il n'y aura, semble-t-il, que cette éternelle lutte perdue d'avance, d'une poignée d'idéalistes face à ceux qui habitent le réel et par conséquent peuvent seuls exprimer la vérité.

Je suis si fatigué de tout cela, et meurtri. Appartenons-nous vraiment encore à la même espèce?

dimanche 30 mai 2021

Principe génétique de l'œuvre et morphogénèse phénoménale

 Il n'y a jamais inspiration d'une œuvre déjà formée, réalisée et exprimée. L'inspiration concerne plutôt un sentiment esthétique, une idée, une intuition ou une mélodie noétique qui entre en contact avec les formes idiosyncrasiques d'un individu, avec ses capacités.

Cela dit, l'artiste ne pourra intuitionner l'essence de son œuvre que de manière préformée, déjà en accord avec les modalités intuitives qui le constituent (et qu'il a développé à travers son histoire), ainsi que les formes expressives qu'il aura choisies (ou du moins celles qui lui sont le plus naturelles). On ne peut sentir la chose en soi, l'informe et l'indéterminé. Il faut nécessairement que l'intuition fournisse un matériau pré-moulé, un germe.

Ce germe, ce génome, se développera ensuite morphogénétiquement par la technique et le travail de l'artiste. C'est par le soin qu'il apporte à ce germe que va pouvoir naître et éclore, peu à peu, la forme réalisée de cette puissance dont l'artiste s'est fait le réceptacle. Une même idée, une même chose peut ainsi se développer d'une indéfinité de manière, au sein d'un même individu, en fonction des outils qu'il emploiera pour la faire naître au monde phénoménal, ou entre différentes personnes.

L'intuition artistique, de la même manière que toute intuition, est une rencontre avec la chose en soi traduite sous la forme d'un phénomène qui se déterminera de plus en plus à mesure du choix opéré par l'artiste d'un support ontique et d'une technique.

Contrairement au règne des perceptions et intuitions banales, qui font signes vers le reste du monde naturel, l'œuvre doit faire du phénomène par lequel elle s'incarne le signe transcendant d'une indétermination originaire (non totale puisqu'elle ne serait alors rien pour nous), suffisamment qualifiée cependant pour que l'on la perçoive et suffisamment générale pour qu'elle déborde le cadre de son domaine phénoménal et parle aux structures de l'individu percevant, en fonction de ses modalités intuitives propres.

Autrement dit, le morceau de musique ne doit pas être compris par autrui d'un point de vue purement musical. C'est pour cela qu'il peut faire naître en son auditeur toute une variété de réactions allant du sentiment émotionnel au mouvement corporel (la danse, la vision imaginative, l'impression poétique, le vertige, etc.). Il est apte, lorsqu'il est interprété par autrui, à reproduire un message, un signifié qui ré-installe le germe intuitionné initialement par l'artiste au sein du récepteur, dans son indétermination originaire, en laissant ainsi à ce dernier la possibilité de faire éclore à partir de ce noyau ontique, toute une variété de mondes qui porteront, dans la forme de leur écho, la signature ontologique du récepteur.

Par là, l'œuvre propose un véritable champ morphogénétique ouvert. Il n'est pas clôt par une définition mais institué par le principe génétique de l'œuvre.

jeudi 27 mai 2021

L'art comme expression d'une singularité absolue

L'art ne donne jamais l'universel, le quantifiable, le commun. Tous ces qualificatifs ne s'appliquent qu'à la grammaire que l'artiste emploie, à la matière dont il use pour l'informer de son sentiment propre. L'art ne donne que l'extrême singulier, c'est son but ultime, l'expression à partir d'un matériau et de règles communes d'une intimité absolue, insulaire et intangible.

Il est autrement dit l'affirmation communautaire (dans sa velléité) d'individus cherchant à franchir les frontières de la conscience enclavée afin de s'assurer qu'autrui existe bien selon la même modalité existentielle (sensible et intelligible) -- au moins en partie. Par l'œuvre, l'artiste cherche à aboucher sa conscience à celle du spectateur, il cherche une famille, il est comme l'enfant qui souhaite partager son engouement, sa souffrance, ce trésor enfoui qui lui rendît la vie moins désagréable pour une poignée d'instants. Ce qu'il veut partager c'est cette singulière subjectivité vécue qu'aucun objet ne saurait être.

Paradoxalement, les seuls outils à sa disposition pour ce faire sont l'universel et l'impersonnel, attributs de l'objectivité même: la signifiance esthétique use d'une grammaire culturelle, de techniques culturelles et donc de tout ce qui est précisément commun. C'est à ce prix que l'œuvre est accessible par d'autres. La matière commune et ses lois constituent l'éclairage d'une scène, d'un écosystème au centre duquel se montre l'opacité de la conscience intime, trou noir auquel jeux de lumières et agencements perceptifs prêtent une valeur rehaussée, installent au centre de l'attention, distinguent, permettent de circonscrire en une forme, un contours qui, bien qu'ils n'enclosent que du vide, définissent et délimitent cet espace vacant et ce néant, et lui font dire plus précisément ce qu'il n'est pas. Ainsi donc matière et lois communes sont la lumière qui éclaire et donne forme à l'œuvre d'art, écrin d'un centre opaque, d'une singularité vécue qui hurle, du fond de sa cellule, vers l'altérité environnante pour y découvrir d'autres qu'elles, identiques et communes elles aussi, par leur indicible et absolue singularité.

mercredi 19 mai 2021

Esthétique: le statut de l'œuvre

L'art est un processus de création qui ne produit pas des œuvres d'art mais des objets (ou artefacts). Aucun objet n'est en soi œuvre d'art. Pour qu'il soit qualifié de tel, il est nécessaire qu'il soit intégré dans un système représentatif par un regard, une perspective.

En effet, c'est dans l'agencement d'un (ou plusieurs) objet(s) au sein d'une perception qu'une valeur esthétique peut ou non se dégager. Ainsi n'importe quel objet peut être qualifié d'artistique: une baguette, une chaise, un couteau. L'art moderne a d'ailleurs montré qu'un objet banal peut être détourné de sa fonction et vu selon une perspective neuve, artistique. La photographie est un exemple frappant qui montre à quel point c'est le regard sur une scène naturelle, la perspective par laquelle on agence un existant déjà formé, qui va précisément créer la valeur esthétique de ce qui n'est, après tout, qu'une reproduction photographique d'une intuition visuelle humaine. L'affaire Brancusi est un autre exemple frappant que le statut esthétique d'un objet n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais bien plutôt qu'il relève d'un statut culturel et au moins intentionnel. En ce sens, ce n'est jamais l'auteur d'un objet qualifié d'œuvre d'art qui fonde l'aspect esthétique de cet objet mais cette tâche incombe bien, toujours, au spectateur. Notons au passage que l'auteur d'une œuvre est tout autant spectateur face à celle-ci que le simple spectateur lambda qui tombe sur cet objet et n'a participé en aucune manière à sa production. Lui aussi porte un regard sur l'objet qu'il fabrique, il lui donne sens à travers une intentionnalité qui fonde son statut esthétique.

Ainsi produire une œuvre par un regard esthétique sur un objet (déjà conçu ou non) requiert de pouvoir être soi-même artiste. Ceci est logiquement nécessaire dès lors que l'on accepte que l'aspect esthétique ne réside pas en l'objet mais dans le regard qui le saisit et l'organise dans la syntaxe d'une perception. Si l'artiste doit être défini comme celui qui produit des œuvres d'art, alors toute personne apte à déterminer un objet en œuvre d'art par son regard est, de fait, un artiste. Nous répondons ainsi à une question lancinante qui est la suivante: peut-on être artiste si l'on n'a jamais produit d'œuvre? La réponse est oui pour la simple et bonne raison qu'à partir du moment où l'on se montre capable d'emprunter un regard esthétique (au sens de beauté artistique) sur un objet, cela veut dire que nous le constituons comme œuvre d'art par la manière dont notre regard l'agence dans un système représentatif qui lui donne sa valeur esthétique. Autrement dit nous faisons preuve, par notre regard (ou écoute où tout autre intuition par laquelle nous constituons l'objet) de signifiance esthétique au sens où le réseau sémantique que nous tissons à partir de l'objet et dans lequel nous l'insérons comme point nodal, est le tissu ontologique de l'œuvre d'art. Un artiste qui n'aurait jamais produit lui-même d'œuvre d'art matérielle ou même idéelle, et donc ce qu'on pourrait nommer un 'artiste en puissance', est de fait un artiste en acte dès lors qu'il est apte à saisir un objet qui lui est présenté par un regard esthétique. Il est donc faux de dire qu'il n'est qu'artiste en puissance. Par conséquent il est donc vrai de dire qu'il n'est aucun artiste en puissance, mais, contrairement aux affirmations sartriennes qui déterminent l'artiste par ses créations actuelles et non celles qu'il aurait pu créer, il faut bien préciser encore une fois qu'aucun objet produit n'est en soi artistique. L'art n'est pas dans l'objet il est dans le regard ou l'intention, par conséquent même celui qui n'a jamais rien produit d'autre que des regards esthétiques sur des objets est un artiste en acte. Proust, pensant seulement quelques passages d'À la recherche du temps perdu, serait toujours en soi Proust, bien qu'il ne le soit pas nécessairement pour autrui. Par ailleurs, il faut aussi le préciser, celui qui a produit maintes œuvres qu'il n'a jamais considéré comme artistiques alors que tout une partie de la population ne fait que louer leur valeur esthétique n'est pas un artiste. Seul son public l'est.

Prenons un exemple trivial. Une baguette de pain peut être une œuvre lorsqu'elle est jugée comme telle par quelqu'un. Il suffit pour cela d'imaginer le regard plein d'admiration d'un boulanger amateur ou professionnel, qui admire la pureté des courbes, le nuancier des couleurs de la croûte, le contraste des textures entre l'extérieur croustillant et le moelleux de la mie. Il est aisé de se mettre dans sa tête et de ressentir l'effet sidérant que peut avoir l'objet dans la manière qu'il a d'incarner parfaitement, par sa singularité même, la généralité d'un idéal pourtant purement intelligible, faisant de cette baguette l'archétype même des baguettes (tel que le conçoit le spectateur), excédant les caractéristiques purement pratique de par l'harmonie qu'il perçoit dans la précision de chaque détail, comme si l'objet débordait de toute part sa fonction par l'exposition de détails inutiles et sublimes, porteurs d'une signifiance ouverte, signes d'une intention à interpréter. La capacité à partager cette signifiance esthétique (à l'aide de mots, de couleurs et traits, ou de tout autre moyen d'expression servant à exprimer le regard intime) va avoir pour effet de produire une représentation du regard esthétique lui-même, afin d'en faire un objet extime apte à convaincre autrui de la nature artistique de l'objet. Il arrive qu'alors, ce faisant, l'on produise une autre œuvre d'art qui n'est que la traduction d'un regard essentiellement intime porté sur un objet. Mais là encore ce n'est jamais l'objet représenté qui est œuvre d'art c'est la représentation, le représentant. C'est pour cette exacte raison qu'un résumé d'œuvre littéraire ne peut se substituer à l'œuvre elle-même; bien qu'il puisse, lui-même constituer une véritable œuvre pour celui qui en est le spectateur. Néanmoins ce jugement ne peut, en droit, être nécessairement partagé, pire il peut très bien rester unique et singulier. C'est pour cette raison que toute œuvre peut être observée de manière totalement prosaïque, en l'intégrant dans un système de représentation fonctionnel par exemple (en regardant le tableau comme plateau ou bien en considérant la chanson comme un bruit dérangeant, etc.).

Imaginons un cas concret. Si les peintures des grottes de Lascaux étaient en fait des marques chargées d'une fonction pratique servant à comptabiliser lors d'une chasse le type et le nombre d'animaux tués ainsi que de consigner les personnes ayant participé à la chasse (en les identifiant par la trace de leurs mains par exemple). Plus de vingt mille ans plus tard, des humains découvrent ces peintures et y voient le signe indubitable d'une intention esthétique. Ils déterminent alors les peintures par le qualificatif d'artistique et colportent l'idée selon laquelle les premières velléités esthétiques humaines remontent au moins à vingt mille ans. On ne saurait ici être plus dans le faux puisque la signifiance esthétique n'est ici portée que par les humains qui découvrent, bien plus tard, ces peintures rupestres. Ce sont eux qui introduisent un signe forain pour l'intégrer de force à leur propre langue et qui lui attribuent ainsi une signification supposée. L'exemple est peut-être un peu tiré par les cheveux mais il est, d'une part, loisible, et d'autre part, tout à fait paradigmatique et peut être appliqué, dans son essence, à un nombre de cas infini.

lundi 10 mai 2021

Aphorisme du poète en chantier

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'ineffable.

 

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'abîme.


Composer un poème est presque équivalent à composer de la musique: l'acte de production s'y confond quasiment avec celui de réception. L'intervalle entre la création et l'interprétation est très court. Dans le roman, ce n'est pas le cas et il faut toute la complexité de la structure narrative (et sa temporalité) pour que l'efflorescence sémantique s'y déploie. En cela, la poésie est une technique de l'être (et particulièrement de l'être langagier): elle ne produit pas l'acquisition d'un savoir-faire par lequel des artefacts reconduisent laborieusement à l'expérience; elle est une praxis, un savoir-être, par lequel l'étant s'affûte et se transforme en une modalité esthétique de l'existence.


Le poème est accessoire, il n'est que le barreau d'une échelle qu'il faut jeter après usage. L'effet de la poésie est de mener à habiter, presque immédiatement, l'espace-temps de manière esthétique: elle ourdit le regard.


Le poème n'est pas le but de la poésie.

vendredi 7 mai 2021

Psychopathologies du désir

 D'où proviennent les pathologies du désir? Plusieurs sources semblent pouvoir être identifiées. D'abord on peut les situer dans l'enfance, et ce de différentes manières. Il peut y avoir, dans un premier temps, eu une "mauvaise" éducation face à la gestion de la frustration. Autrement dit il est possible que certains individus aient vu, tout du long de leur jeunesse, leurs désirs comblés sans autre forme de procès, sans jamais avoir à se confronter à la frustration ou l'interdit. On peut encore imaginer qu'ils n'aient jamais été encouragés à construire par eux-mêmes le processus d'assouvissement d'un désir, soit qu'ils aient été servis par les autres (comme mentionné précédemment), soit qu'ils aient été au contraire placé face au manque comme face à un interdit qu'on ne peut transgresser, dans une sorte de fatalisme (qu'on leur ait dit qu'ils ne méritaient pas d'obtenir ce qu'ils désiraient ou encore qu'ils en étaient incapables). Dans les deux cas, la conséquence peut en être un dérèglement qui rend l'individu inapte à rechercher puis mettre en œuvre des solutions d'assouvissement.

Mais cette explication est sans doute la plus évidente et la moins enthousiasmante. Il est tout à fait probable qu'un individu ait pu voir se modifier son rapport au désir, de l'enfance à l'âge adulte, passant d'une modalité saine et efficiente de celui-ci à une modalité pathologique. L'absence de désir peut être une de ces pathologies mais il est bien plus probable qu'il s'agisse là plutôt d'un symptôme par lequel s'exprime d'autres problèmes liés à l'appétence, comme la contradiction des élans (isosthénie) (dans laquelle s'annule tout horizon de la volonté). Autre pathologie intéressante: la volonté d'atteindre un but, un état, tout en refusant le cheminement intermédiaire pourtant nécessaire à l'achèvement de l'objectif poursuivi.

L'isosthénie du désir peut être produite par une éducation critique qui amène l'individu à une forme d'"incroyance" produisant chez lui un scepticisme intempestif venantt briser toute formation durable de valeur en tant que jugement accolé à une action, un état, un but qui pourrait valoir la peine de  le poursuivre. Je laisse ici la parole à Kant (S'orienter dans la pensée): "[...] comme la raison humaine ne cesse d'aspirer à la liberté: une fois qu'elle a brisé ses entraves, son premier usage d'une liberté dont elle a depuis longtemps perdu l'habitude dégénérera nécessairement en abus et en une confiance téméraire dans l'indépendance de son pouvoir à l'égard de toute restriction, en une conviction de la toute puissance de la raison spéculative qui n'admet rien d'autre que ce qui peut être justifié par des principes objectifs et une conviction dogmatique, et nie hardiment tout le reste. La maxime de l'indépendance de la raison à l'égard de son propre besoin (renonciation à la croyance de la raison) signifie dès lors incroyance; mais celle-ci n'est pas de nature historique car on ne peut absolument pas penser qu'elle est intentionnelle ni, par suite, qu'elle est responsable (chacun devant, qu'il le veuille ou non, nécessairement croire à un fait suffisamment avéré tout autant qu'à une démonstration mathématique); mais il s'agit d'une incroyance de la raison, d'un fâcheux état de l'esprit humain qui commence par retirer aux lois morales toute leur force comme mobiles du cœur et même, avec le temps, toute leur autorité et fait naître le mode de penser qu'on nomme licence de la pensée, c'est à dire le principe selon lequel on n'a plus à reconnaître aucun devoir."

Cette incroyance de la raison dont parle Kant n'a d'ailleurs pas besoin d'être absolue et achevée pour mettre en péril la fonction désirante puisqu'il suffit d'un doute suffisamment constitué pour saper les fondations même d'une croyance capable d'asseoir le jugement sur une base de permanence nécessaire à l'ériger en motif d'action. Celui qui n'est guidé que par le savoir devient prisonnier de l'incertitude inhérente au savoir physique, s'appliquant sur les phénomènes qui contiennent nécessairement une part d'a posteriori (par l'intermédiaire du divers qui en constitue la matière qui sera coulée dans les formes de l'intuition et de l'entendement) et donc d'imprévisible.

Quant à celui qui est capable de désirer durablement un état de choses mais qui ne parvient pas à impulser le processus d'action qui mènerait à la réalisation de cet état de choses, celui là souffre d'un problème ergonomique, au sens étymologique du terme. Son anti-utilitarisme (c'est à dire son incapacité à accepter d'employer des objets ou des actions comme moyens en vue d'une fin qui leur est étrangère) l'empêche d'agir en vue d'un objectif pourtant désiré. Son idéal lui impose le règne de l'immédiat et son désir ne peut dès lors plus être analysé en moments intermédiaires qui n'ont de mérite à ses yeux que de servir de passage à l'état désiré. Il est incapable d'envisager la réalisation de ces actions intermédiaires puisqu'il ne les désire pas elles mêmes, mais bien plutôt leur terme qu'il conçoit de manière indépendante dans son achèvement accompli. Son seul moyen d'avancer malgré tout vers l'objet de son désir, c'est de rendre alors désirable à ses yeux chaque moment, chaque étape intermédiaire, mais cela n'est pas toujours accessible et aisé.

Comment en arrive-t-on à une telle déchéance? Il semble intéressant d'avancer ici l'hypothèse d'un sur-développement de l'imagination, ou du moins d'une surutilisation de celle-ci. En effet celui qui, par l'imagination, est capable de simuler la temporalité physique et de parvenir à vivre (en esprit) des situations rêvées, trouve dans cette expérience onirique (qui n'est pas produit par le sommeil mais par la veille) tout ce dont il a besoin. Les sentiments qui seront suscités par ces phantasmes n'ont rien à envier à la réalité, il est par exemple prouvé qu'imaginer jouer d'un instrument active les mêmes zones du cerveau que l'activité réelle et vous permet de progresser presque aussi bien. Par conséquent celui qui est capable d'imaginer, avec une grande vivacité, tout ce qu'il désire dans un monde intérieur au sein duquel il s'érige en véritable déité, n'a plus aucune raison de souffrir la temporalité limitée des phénomènes physiques, la résistance de la matière qui impose à son esprit d'en passer par ses lois (par l'intermédiaire de la technique) afin de donner corps aux idées de sa psyché. Par l'imagination, cet homme a déjà tout ce qu'il désire, immédiatement: il compose les musiques les plus sublimes sans jamais n'avoir à apprendre aucun instrument, puisqu'il est capable d'utiliser n'importe quel son par l'instrument de son esprit dont il est un virtuose. Il peut produire en lui, presque immédiatement, les sentiments vertigineux que son regard sur les choses lui procure, et que la rédaction laborieuse d'un poème saurait (ou non, selon les individus et selon les conditions de lecture) reproduire, ou encore la complexe et patiente architecture narrative d'un roman. Il n'a pas besoin d'apprendre à peindre puisqu'il produit par son imagination les plus belles images qui soient pour lui, à son gré, qu'il peut même les animer dans des métamorphoses picturales hallucinées capable de susciter une ivresse peu commune. Tout cela se passe aisément, en son âme, à chaque fois qu'il le souhaite. Comment pourrait-il accepter de produire alors des images mutilées de ces paradis idéels à partir de techniques mal maîtrisées (ou que seul un interminable travail pourrait parfaire), bien souvent incapables de rendre avec fidélité toute la subtilité de ces images psychontiques?

Cet homme s'est à jamais enfermé en lui-même, comme dans un tombeau, dont il rêve cependant d'ouvrir la porte à ses semblables, afin de partager cet univers de beauté qu'il cultive et fait naître selon la temporalité si véloce d'un psychisme surefficient. Nous n'avons néanmoins que la matière extérieure et rebelle afin de dresser des ponts entre nos âmes... Sur laquelle nous ne pouvons qu'inscrire de dérisoires traces, chargées de faire signe vers l'abîme sans fin de nos existences psychiques, où se déploient librement les merveilles du désir esthétique.

mardi 4 mai 2021

De l'Extinction

 Le brahmane n'est pas exempt de désir. Il est assez probable que nul homme vivant (capable de se maintenir en vie plus longtemps qu'une simple inertie biologique le permettrait) ne puisse être sans désir. Exister humainement, c'est désirer, c'est être porté par le principe du désir.

Le brahmane, cela dit, utilise la puissance de ce principe éternel pour l'orienter vers l'Extinction; c'est à dire non pas vers l'annihilation du désir en tant que principe d'intentionnalité (ou extatique) mais l'annihilation de l'alternance de ses objets. Ce qu'il cherche à éteindre ce n'est pas le désir en tant que principe stable et pour ainsi dire a priori, mais plutôt la nature de ses manifestations, ses vacillations, ses éparpillements, sa danse erratique qui écartèle le Soi en autant de directions qu'un vent extrinsèque semble impulser. Le brahmane met tout son désir dans la fixation d'un seul objet, dans l'abolition de la temporalité du désir (produite par la variation intempestive des objets de celui-ci)  afin d'accorder enfin l'objet du désir à son principe même, et ainsi l'abstraire en une éternité. Le désir, de poiésis devient praxis, il ne cherche plus à se réaliser dans les illusions de transcendance, mais trouve de manière immanente son principe de réalisation que les bouddhistes confondent avec son Extinction. Il y a bien extinction d'une certaine modalité du désir mais non du désir lui-même qui est un principe éternel pour l'être humain.

La preuve? Le sage ou l'aspirant, passe son temps à aller contre ses désirs, ses penchants et vise à tout instant un état particulier: il est tout entier tendu vers son but, sa vie en est le cheminement obstiné.

lundi 3 mai 2021

Digression méditative ou l'idée de temps cuite au soleil

 La philosophie n'est pas une activité intellectuelle qui met en branle des concepts irréductibles à des sensations. Bien au contraire, je trouve qu'elle n'est qu'intuitions (non pas au sens d'inspiration divine qui viendrait injecter en l'homme une vérité quelconque par l'effet d'une révélation, je parle plutôt d'affection sensible) et images. D'ailleurs il n'y a pas de pensée qui ne soit une sensation, même le langage est entendu par images acoustiques auxquelles sont liées des images d'autres types encore. Cela dit on ne sent pas par son corps, mais bien par sa conscience (preuve en est le sommeil). Chaque sensation est une image ou la synthèse en une durée, qu'on appelle un état, d'une succession d'affections. En fait c'est toute la dualité entre le corps et l'esprit qui doit être ici annulée sous peine de ne plus rien comprendre à tout cela. Le corps ne peut être qu'une idée de l'esprit, une vue de l'esprit, de la même manière que l'esprit ne peut être qu'un produit du corps. Nous n'avons pas d'idées de choses insensibles.


On pourrait m'objecter que l'idée même de l'infini vient contredire cette thèse (mais ce n'est pas une thèse, je n'affirme rien, je ne fais que parler, je ne prétends pas à la vérité, j'en alimente un courant voilà tout) mais je ne serais pas d'accord. La raison en est que l'infini est la sensation de la conscience qui se vit sur le mode de la permanence. Même lorsqu'elle cesse, elle cesse pour autrui ou par rapport à un référentiel externe, étranger, qui agit alors comme trace et témoin de cette cessation temporaire qui inclut conscience et inconscience dans une synthèse plus vaste qu'on pourrait nommer existence. Néanmoins du point de vue de la conscience, la seule chose qui est expérimentée c'est la conscience... La mort n'y pourra rien y faire puisque la conscience n'aura jamais connaissance de sa fin, elle n'en aura nulle expérience. Elle se vit donc, pratiquement, sous le rapport de l'éternité, et l'idée d'infini n'a rien d'une chimère spéculative.

Il en va de même pour l'idée du fini, c'est par l'expérience d'états de consciences temporaires et fluents que la finitude est perçue et ressentie, mais elle ne peut l'être que sur un fond d'infinité, de permanence éternelle.