vendredi 18 février 2022

Tes lourds bagages

 Je souhaite, dans l'arrière-fond de mes pensées, qu'un jour enfin l'ondée, passe sur ton front aussi; qu'elle puisse pénétrer au fond de tes racines, lustrale comme un néant senti, décapant de l'égo ce suint qui laisse, aussitôt qu'on te touche, les moins poisseuses jusqu'au lendemain...

Car je te vois ami, dans la beauté qui néanmoins te suis, enveloppe d'ombre familière ce scintillement dont tu veux qu'il aveugle autrui -- d'admiration. Celui-là même que tu ne sais pas voir.

Peut-être n'est-il pas trop tard, de ranger ces regards que tu jettes sur chaque être que tu souhaites immoler sur cet autel de ton désir -- pour ce que tu es terrorisé qu'un jour il se tarisse...

J'ai bon espoir que tu parviennes à décrocher de ton profil ce réseau de vanité qui t'enserre en sa toile, et qui m'empêche, parfois, de poser doucement ma main sur ton épaule.

Regarde un peu l'abîme, il se pourrait qu'y brûlent d'anciennes manières, qui pèsent désormais sur l'instant qui appelle.

Coquillages

"Péché aussi de vous dire trop comment je me représente ce que les hommes et les femmes appellent amour, qui est d'aller dans des maisons noires au fond d'alcôves plus tristes qu'eux-mêmes, pour s'y mêler en silence comme les ombres."

Montherlant, La reine morte


"Oh mon Dieu! Dans ce répit qui me reste, avant que le sabre repasse et m'écrase, faites qu'il tranche ce nœud épouvantable de contradictions qui sont en moi, de sorte que, un instant au moins avant de cesser d'être, je sache enfin ce que je suis."

Op. Cit.

mardi 15 février 2022

Hume, Kant, et le problème de la causalité

Kant se réveillant de son sommeil dogmatique pour répondre à Hume parvient effectivement à réhabiliter la notion de substance en tant qu'elle est l'objet constitué par un phénomène à l'aide d'une synthèse du divers sensible par l'intermédiaire de catégories, notamment celle de causalité. Ce que Kant parvient à faire c'est changer la nature épistémique de la causalité, qui passe du statut de concept produit par induction à concept a priori, transcendantal, et absolument nécessaire à ordonner toute expérience -- ce qui revient à dire que tout le donné sensible, c'est à dire la matière de nos perceptions, doit être passé au filtre de cette catégorie de causalité. La conséquence en est bien la valeur nécessaire et universelle de la causalité: c'est à partir d'elle que se constitue l'expérience du monde sensible, et il n'est donc pas juste de dire, comme le faisait Hume, qu'elle n'est que l'hypostase branlante d'une hypothèse émise par la répétition d'une certaine association entre deux objets ou événements.

Toutefois, ce que n'a absolument pas fait Kant en répondant à Hume, c'est de permettre à la science d'affirmer de manière apodictique que les relations de causalité qu'elle détermine entre les phénomènes et les objets qui se donnent à travers eux, sont vraies, de manière nécessaire et universelle. En réalité, ce n'est pas parce que la catégorie de la causalité est devenue transcendantale, a priori, et qu'elle est donc formellement apodictique, que son contenu actuel, c'est à dire la manière dont elle est appliquée à un divers sensible, l'est aussi. Pour bien comprendre cela, nous pouvons prendre l'analogie du syllogisme. Un syllogisme peut très bien être formellement correct et pourtant totalement faux du point de vue du contenu.

Lorsque j'affirme: tout ce qui est rare est cher, or un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher, je ne fais rien d'autre qu'employer une forme logique éprouvée de manière érronnée: l'erreur se glissant dans le contenu qui se fond dans ce moule formel.

C'est exactement le même problème qui se pose aux jugements scientifiques, même après la remarquable révolution coppernicienne de Kant: le lien causal a beau être justifié formellement, il n'en reste pas moins matériellement soumis à l'erreur. Et ce n'est pas parce qu'il est nécessaire que tout phénomène possède une cause par laquelle il est engendré, que les associations causales que la science va définir seront exemptées d'erreur. Je peux très bien associer au fait d'avoir brûlé un cierge ma réussite à un examen, sans pour autant que cela soit juste, et sans pour autant remettre en cause la nécessité qu'il existe véritablement un faisceau causal explicatif de cette réussite.

Ainsi, le travail kantien n'apporte rien à la confiance que peuvent avoir les scientifiques en leurs hypothèses et leurs modèles explicatifs. Ils sont tout autant soumis à l'erreur, qui elle, ne peut se reposer uniquement sur l'expérience et la contingence inductive afin d'être éventuellement débusquée. C'est pour cette raison que Popper énonce un fait important en prêtant à l'expériementation un pouvoir non de validation des théories, mais de falsification. Nous ne possédons aucun critère nécessaire et indubitable pour affirmer qu'un modèle explicatif est absolument vrai. Et tout ce qu'affirme Hume en la matière demeure totalement valide et en accord avec l'expérience.

vendredi 4 février 2022

Les paupières closes

Poème retrouvé au hasard dans un coin de cahier...

 

Et moi, suis-je encore capable d'écrire

Quelque chose digne de déranger les halls silencieux de dame Éternité?

Fond de verre au teint pourpre de tanin,

Voilà qui me rassure loin de la pulpe de ta main.

Je lis, des arguments bien formulés;

J'use de raison, calcule -- péroraison...

J'en oublie même à révasser.

J'ai les ides géométriques et je ne sais plus faire d'images.

Je n'use de parole que pour dire quelque chose

Et j'inhume, inconscient, de trop puissants langages.

Que reste-t-il à espérer?

Qu'un gestionnaire affairé ordonne ma liberté,

Qu'il structure le réseau de mes veines

Et que mon sang serve au projet...

Qu'on me dise où m'asseoir, et comment exister...

À qui prendre la main pour former une suite continue d'un signifiant ensemble.

Que plus un lendemain ne gise au fond du cendrier

Dans le sperme séché, et les paupières closes.

Aphorisme de l'égocentrisme

 Je ne peux pas leur écrire, les appeler, me tourner vers eux. Je suis trop occupé à réparer quelque chose de très abîmé; quelque chose qui est mon âme.