mardi 14 juillet 2015

L'ami

Ecoute l'ami, écoute la poésie facile, acquise au prix de tant d'heures passées à baigner dans ses eaux, à mettre en son orbite la somme de mes pensées.

Ecoute l'ami le moment nous bercer, tu es là, je suis là, et toute la création aussi. Au-dessous de nous, dans un monde ignoré, dorment les fatigués au giron de la terre, tandis que nos regards qui s'élèvent en l'air, ourdissent des projets aux confins de l'éther.

Vois l'ami comme il est simple de faire vibrer la vie, écoute donc mon chant pour toi, c'est une ode matinale matinée de rosée où se déploie mon amour en des tons irisés. Vois comme la teinte du bonheur a les reflets de ton bon cœur.

Regarde l'ami, nous longeons la mer et ses côtes dorées, nos pas si peu pressés s'imprimant dans le sable d'existences broyées. Entends-tu comme moi les vagues se briser et le ressac, comme la vie, qui vient tout emporter?

Sache ami que j'aime vivre à tes côtés, c'est bien pour ces instants que je suis entraîné à faire de ma langue instrument pour chanter.

Je te regarde fermer les yeux, jamais je ne saurai ce qu'en toi tu ressens. Cela dit j'imagine et chaque image est une manière de faire de ton altérité un reflet de mon âme.

Ce n'est pas seulement mon cœur mais tout mon corps aussi qui se met à chanter, chaque mot n'est rien mais je les ai tressés pour te faire des ponts vers mon âme en chantier.

Sais-tu l'ami que tu es le plus vieil amour rencontré, et je regarde la force des arbres se dressant non loin dont chaque nœud figure nos destins intriqués.

Te souviens-tu Rabat? La chambre ouverte sur la nuit et les histoires d'enfants qui montaient vers la lune?

Le sens-tu encore le cœur de cette ville qui pulse dans les ruines de l'enfance lointaine? J'en ai les yeux gonflés de l'eau du grand Lethé, moi le nomade pour qui les souvenirs valent plus que les choses.

Le gazouillis des serins, l'air iodé de l'espace marin, l'aurore mordorée qui ne veut pas finir, mon corps près du tien reposé de matin, la vibration terrestre au creux des reins, notre présence omnipotente et libre qui pulse dans l'éther.

Sens-tu le vent si frais s'insinuer dans nos cheveux, tous les oiseaux qui chantent de nous accompagner?

Te sens-tu courageux? Je peux mourir tu sais, je n'ai plus peur de rien, je goûte sans contrainte à tous les petits jeux.

Je me souviens à tes côtés des tourments surmontés, je trempe mon esprit dans le sillon des nuits, observe la déroute qui nous mène ici: sur la dérive du présent je souris au destin: nous nous aimons je n'ai plus peur de rien.

Dans chaque mélodie le silence a sa place, et c'est pourquoi je vais taire ma source. Laissons donc les étoiles bien prendre la relève, entendrons-nous alors le bruissement du monde, le lent flux de sa sève.

Doucement l'ami, laissons-nous transporter de vertige abyssale, pour se dissoudre en horizons d'indéfini spatial.

Je ralentis, je me tais d'avoir trop palabré.

je respire, je suis heureux, car je t'ai ramené...

L'enfant

Ma vie est un suave et curieux poème dont mes écrits ne sont qu'une ombre sans relief et terne.

J'ai retrouvé l'enfant qui sommeillait en moi, je suis redevenu celui que j'ai toujours été. Et tout me semble un chant, le monde même une somme de champs où s'égarent mon pas joueur et mélodique, sans hâte et sans destination.

Aujourd'hui je sens que cette vie n'est qu'un passage. Ce que ces autres récitent comme une antienne, avec une ferveur toute religieuse - et qui n'avait alors, pas plus de sens pour moi que l'éclat terne des trésors - est désormais une expérience que je ressens par tous les pores. Peu me chaut que tout cela soit faux, il n'y a pas de règles, pas de critères non plus, il n'y a que mes songes et les pensées tenues.

Je n'ai plus d'intérêt pour les textes endormis dans les plis de la toile; si ce n'était le cas, quel genre de fétichiste dément aurais-je alors été, chérissant les formes d'ombre que le soleil projette, et jusqu'aux traces que mes pas moulent sur le sable des jours?

Je ne suis plus cet homme (du moins totalement), me revoilà enfant, et ce que je récolte a l'attrait éphémère des galets ramassés, des secondes égrenées. Brûlons ces textes, l'âme a chanté, elle n'a que faire du passé.

Je sens aujourd'hui, comme une vérité apodictique, que je fus toute chose: l'écureil comme la nuit, le soleil comme la pluie. Il me semble que tous les autres ne m'ont rien appris, c'est toujours de moi-même qu'est venu l'enseignement, c'était toujours moi qui me resouvenais. Le monde est une projection de mon âme, chaque chose un reflet des idées. Je redeviens tout, tel un dieu amnésique recouvrant la mémoire, je redécouvre tout et tout cela me revient.

Je suis chaque chose, de l'ignoble au sublime, de l'atome aux sphères ultimes.

Je suis l'enfant qui rit le monde en cascades, et chaque larme, chaque geste est un morceau de cieux que je fais advenir.

Cette conscience depuis laquelle j'écris est l'inverse nécessaire de ma totalité. Moi multiple, dans un fragment uni je me suis limité. Et le monde est ce dialogue halluciné que j'entretiens avec moi-même, entre ces deux moi qui se regardent comme deux étrangers.

Je fais l'amour, j'aime jusqu'au temps, dans chaque étreinte une mort pour jalonner la course sans fin, le déploiement éternel de l'indéfinité.

Je fais l'amour avec la mort, je suis l'enfant, la source de tous les trésors.