Tout naît de la souffrance, toute individuation est déchirement, toute forme est un déni du fondement. Vagues ondulations sur l'océan du Rien, nous existons comme un écho centripète qui, se refermant sur lui-même, croirait devenir monde. Les sens tournés vers l'intérieur, nous sentons bien, vaguement, que quelque chose nous rattache à ce qui nous excède et nous anéantit, sans toutefois jamais pouvoir en être sûr, sans en pouvoir formuler de connaissance. Notre origine, et surtout notre fondement, ne saurait être objet à nos yeux. Seule la musique: pure ou bien dégénérée en des formes de plus en plus figées et spatiales, entrouvre en notre nécessaire isolement une brèche par où nous croyons percevoir l'informe substance où se trace, éphémère, la forme de notre âme.
Évohé. Emmenez-moi, formes de la dissolution, dans le cœur de l'abîme où je suis né.
Océan, Océan: si fort que s'y noient les pensées; si présent que s'y broient les reflets.
À perte de vue la poussière des choses, le temps a tout poncé. Point de variété bariolée et tapageuse, juste les nuances bleues de la mer et beiges du sable.
Océan, simple et sans choix, tellement intense que s'y tait la conscience.
Océan, Océan: tu es trop fort pour elle, qu'elle se taise à jamais...
Dans l'océan s'éteignent mes pensées. Ce monde est si présent que chaque voix se tait. Goutte parmi les gouttes, chose bien à sa place, pleine et dépourvue de vacuité.
Maison de paille au toit de tôle
Et lumineuse maille quadrillant les deux pôles
Réveil nocturne, dans le silence des pleurs
Pour le motif absurde que mourir fait peur
Horizons verticaux des abysses
Où se dessine en créneau l'abscisse
Escalier escarpé qui plonge aux limbes
De ténèbres informes que je regimbe
À affronter un jour
À saisir dans les sens
C'est en surface que vit l'amour
Et nulle chose n'a d'essence
Je flotte là et voilà ma sirène
Visage qui me suit de l'enfance
Au présent qui la traîne
Comme antique rémanence
De quelle vie abolie t'en viens-tu
Pour être là quand tout autour s'est tu
Tes yeux de chat tes joues creusées
Sont à mes sens comme imposés
Tu nages et je te suis par l'escalier
Tu es de l'eau je suis de l'air
Étrange mais il me faut voler
Vers cette ville familière
Ô toi cité que je n'ai jamais visité
Je te connais dès que mes yeux se ferment
Je ne sais qui de toi ou de moi nous a donc enfanté
Mais c'est ici que ma liberté germe
En haut, le soleil se réfracte
Et tombe comme un puits de lumière
Sur les bleus sombres de la mer
Et l'amas des cellules qui font pacte
Je me réveille le coin des yeux humide
Il fait noir et j'ai le coeur languide
Dans cette chambre qui n'est pas mon port
Mais le navire qui me condamne à mort
Terre de mon enfance
Du lit mouillé de mes errances
Ce rêve était mon grand exorciste
Expurgeant de mon âme le monde triste
Réseau complexe, tubulures lumineuses
Image de mon espace-temps
Je me demande si tu es menteuse
Lorsque tu m'offres un sein latent
Moi l'enfant qui tête le songe
Absorbant docile comme l'éponge
La couleur du Grand Totipotent
Qui dégorge en couleur outre-temps
C'est un récit sans histoire
Qui lie les lettres et narre
Ce qui ne peut être dit
Qu'au chant de mélodies
Sur l'étale et sombre mare
Qui naît de mon destin déteint
Flottent les fleurs pourpres de mes hématomes
Formant le macabre bouquet de ces vies monochromes
C'est là le sang de l'âme, où vacille la flamme
En encre noire imprimée qui reflète abîmé
Le mobilier infâme
D'un univers qu'en vain je m'échine à rimer