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mercredi 25 juin 2025

Ataraxie

Refermer les crocs térébrants de rage sur le rien de sa miserable vie ne saurait éclairer de sens le prosaïsme ambiant et la médiocrité. On ne contrôle rien et cela nous écrase toujours un peu plus sous une masse grandissante de frustration -- mais cette frustration ignore qu'alors la vie serait peut-être encore plus odieuse...

Si les crocs aiguisés par l'acte automatique d'affutage qui pousse un homme sans espoir à décupler sa puissance pouvaient, ne serait-ce qu'une seule fois, s'enfoncer dans la chair de quelque chose, d'un morceau de substantielle réalité, alors peut-être que le monde porterait la marque de notre révolte, mais peut-être, aussi, tracerions-nous sur notre propre épiderme les cicatrices d'une auto-dissolution programmée, d'un anéantissement de soi -- car c'est là, peut-être, le seul accès connu au bonheur, la véritable ataraxie.

Exhaustion

Ai-je dit ce que j'avais à dire? Ai-je exhalé à travers le filtre des mots l'âcre fumée de mon âme et ses volutes intranquilles? Je ne saurais le dire. Il m'arive parfois, de me sentir poussiéreuse bibliothèque aux couleurs sombres, surrannées. Le bois verni cotoyant le vert pur du cuir de fauteuils et d'abats-jours en verre fumé. À travers les rayons obliques d'un soleil diaprant le sol, je m'ébats dans le flottement lénifiant de particules suspendues -- celles-là même qui furent l'analogie propitiatoire à l'ontologie atomiste. Il n'y a personne en moi, je suis cet édifice, enceinte du silence où seule se meut la part inorganique du monde.

Je n'ai rien à dire. Je l'écris tout de même: on n'écrit jamais mieux que ce qui ne se peut dire. Je suis vide de toute connaissance et mes rayons portent en eux les couches superposées du savoir dépourvu de conscience: toute la science n'est qu'arabesques et ondes acoustiques.

Mais tout discours n'est-il pas seulement ça? De quel droit nommé-je ces pages un journal?

La forme, le fond: des propriétés émergentes.

mardi 24 juin 2025

Spondanomancie

J'écris pour projeter dans le monde autre chose que ma pathétique et vieillisante carcasse. Il m'a été donné de jeter mondainement des parties de cette vie biologique qui ne veut rien dire: j'ai donné du plaisir, expulsé violemment le code source d'un programme dont je ne suis que l'insipide et innombrable itération. Tout cela n'est pas moi. Ce moi que je crois être l'âme doit lui aussi trouver un chemin en l'ordre des phénomènes. Je n'ai trouvé mieux que les mots et leur musique pour être le sémaphore d'une âme spectrale et putative.

L'écriture est envoûtement: on injecte la temporalité dans ce qui n'en a pas, le rythme et l'harmonie dont le poème est hyménée. Tous ces poèmes n'ont aucune existence intrinsèque, ils ne sont que la relation qu'une âme entretient à elle-même à travers le texte. La littérature est un miroir par où se dérobe aussi l'existence de qui n'a pas d'en-soi.

Il serait toutefois injuste de dire que tout cela n'a nulle valeur; en fait, contempler cette grammaire est un travail de spondanomancien: dans les débris que le vide a laissé sur le monde, une esthétique du sens érige laborieusement le récit d'une tragédie -- nul ne peut demeurer insensible à celle-ci car elle ne sait être autre chose que celle de toutes les consciences.

Aséité

L'expérience du vide est cathartique. Elle dérègle tous les sens parce qu'elle annule en l'homme l'élan de tout comprendre, de tout déterminer par projection de cause finale. La vie s'écoule, inane pour la conscience inexorablement sémantique. L'être biologique est seul victorieux, se dressant sur le passé de l'ascendance par toute la vérité de l'organisme qui métabolise et croît sans autre but que que son plein développement -- si ce n'est sa transmission. L'organisme appartient à la vie, il est régi par un principe dont on peut tant soit peu saisir les ressorts grossiers. La conscience, quant à elle, ne sait trouver son principe, elle ne fait que perdre récursivement la trace d'une origine et d'une fin et c'est pourquoi, dès lors qu'elle cherche à se saisir, advient en elle le vertige par lequel s'écoulent les cadres de la métaphysique -- et tout, alors, n'est plus que temps, aséité abolie.

mercredi 4 juin 2025

Enthousiasme

Il faut chercher -- chercher toujours -- à faire des signes les fins en soi chargées de de dévoiler un sens qu'il ne nous appartient aucunement de rendre transcendant. C'est à l'autre d'ourdir par d'échevéennes connexions sémantiques le sens qu'il tisse de ses désirs. Il faut que la manière d'agencer chaque signe, chaque proposition, chaque marque de ponctuation, soit apte à révéler un ordre -- secret mais perceptible -- capable d'attiser le désir de compréhension, capable d'amener le lecteur au travail par lequel son imagination tresse les éléments d'un monde répondant à ses phantasmes inconscients. Il faut qu'il croie trouver dans le système réticulaire de ces glyphes une vérité atemporelle qui l'élève à la divinité qui gît en lui sans qu'il ne puisse la saisir sans un intermédiaire. Il faut donc être ce détour par lequel un dieu naît à lui-même. Et c'est cela que l'art procure, ce que l'on nomme: enthousiasme.

Pièces détachées

Face au monde désassemblé, se trouver là et observer chaque élément épars gésir sur le champ des regards... Trouver cela étrange qu'un univers entier puisse être ainsi démonté, par la pulsion infantile de remonter aux fragments primordiaux -- pour tout recommencer.

Se trouver atone et muet face au réel qui ne consent jamais à se dévoiler totalement, à ce Réel sans Vérité.

Que reste-t-il à faire alors? Si ce n'est se lancer dans cette catoptromancie de la conscience réflexive qui ouvre sur l'abîme intérieur...

Ici même les coquillages, lorsqu'on les place contre l'oreille, ne dise rien qu'un son uni menant à des degrés d'hypnose -- induite, bien malheureusement, par notre consentement.

lundi 26 mai 2025

Vulnéraire

Retenir les cris à l'intérieur, pour ne pas déverser son âme au-dehors de soi-même, jusqu'à extrusion totale du noyau d'agonie. En cas de crise, il est formellement nécessaire de clore ses yeux et ses oreilles, de retenir sa respiration et de boucher ses narines, sous peine que l'inexpugnable médiocrité du "monstre bipède" s'infiltre dans la chambre d'isolement et vienne troubler le diapason tout juste tolérable de l'interoception.

Soyez partculièrement prudent à parvenir à l'aporie la plus totale, il n'y a qu'ainsi qu'une violente réaction émétique pourra être évitée qui -- des cas ont déjà été obervés -- pourrait mener, lors de rares complications sévères, à l'extrusion du susmentionné noyau d'agonie.

L'aporie est particulièrement indiquée dans les cas aggravés de misologie avec épisodes aigus de pyrrhonisme purulent externe/interne; mais aussi dans une situation d'insulte matutinale de la part d'un carossier en colère parce que vous avez osé vous garer sur une place de parking libre en face de son enseigne.

Dès lors que l'épisode est suivi par une suffocation partielle via des doses importantes mais non létales de mépris, atrophie inellectuelle et analphabếtisme léger dans une instituion publique de formation des citoyens, il est urgent de consulter un médecin agréé capable de pratiquer l'aporie par injection intracardiaque.

Les effets apotropaïques de l'aporie sont reconnus et attestés par les experts de l'agence nationale de sécurité du médicament. Bien respecter la posologie recommandée par votre médecin.

samedi 24 mai 2025

[ INSTITUTION ] Babel

Il est bien nécessaire, parfois, de vérifier qu'existe encore en nous cette volonté d'expression et la capacité de s'y livrer concrètement. À force de procrastination, il est si simple d'habiter l'abstraction comme un monde possible qui, à force de demeurer seulement possible, plonge cette partie si chère de nous dans une déréalisation pire que la mort elle-même.

En attribuant à un élan de sa personne une valeur transcendante et essentielle, on en vient facilement à repousser tout moment de s'y fondre pour la raison qu'entrer dans le sacré ne saurait se faire sans préparation préalable, sans cette forme de sainteté qu'est l'inspiration par laquelle on croit sortir de la médiocrité pour toucher la grandeur d'une extranéité. Alors on hésite, on attend le moment opportun qu'on ne sait plus créer parce que le but fixé nous paraît de plus en plus lointain, intangible, aussi reculé que l'est une divinité qu'il ne faut pas trahir.

Ne plus écrire, parce qu'on recherche dans l'écriture plus que ce que l'on est, plus que tout ce qui est immédiatement donné dans le prosaïsme d'une vie dévorée par la quotidienneté et le consommatoire. Or il faut un extrême détachement pour parvenir à sortir de la roue et s'élever vers la Beauté qui nous maintient vertical.

J'essaie, de temps à autre, de vérifier par des incantations pathétiques si la Beauté est encore là, tout en méditant de lui rendre hommage, un jour, par une cathédrale du Verbe dont la forme phantasmée s'ourdit jour en jour en ma psyché dévastée. C'est du désert brûlant que s'élève en mirage ma Babel idéale, ma rédemption, mon hommage.

Un jour, peut-être, je ramasserai tous les fragments épars de mes brouillons de courage pour forger cette armure chargée de s'ajuster aux articulations innombrables de cette Vérité que je contemple, et moi aussi j'ourdirai du tourment la forme du divin.

samedi 10 mai 2025

Arcanes

La poésie est comme la musique, elle est comme toute chose: une découverte et non une création. Cela ne veut pas dire que ce qui est découvert est une chose exogène, peut-être que nous ne faisons (à travers les mathématiques, les sciences, les arts) que retrouver l'expression de nos propres lois internes.

Pour cela je ne fais pas partie de ceux qui récusent l'inspiration. Écrire de la poésie, vibrer d'ivresse créatrice, n'est rien d'autre pour moi que d'être effectué par une certaine tonalité vibratoire du réseau des choses qu'on nomme expérience ou vécu. C'est tout l'agencement du contexte qui produit sur ma personne l'état extatique par lequel me parviennent des profondeurs de l'être les fragments de beauté-vérité que les sons indiquent.

La partition de tout cela n'est pas le fruit d'un calcul et l'homme ne sait pas créer au sens authentique du terme. Je conçois l'activité du poète comme celle d'une pythie avec l'enthousiasme en moins, à moins de voir la divinité non plus comme une transcendance exotique mais comme une tonalité particulière, une harmonique par laquelle le poète résonne avec des notes englouties dans l'accord complexe du vécu naturel.

On trouve la vérité: de là découle le caractère d'évidence en tant que réminiscence; pas au sens platonicien cela dit, du moins si l'on veut prendre le mythe d'Er le pamphylien au pied de la lettre, mais plutôt une réminiscence de ce qui est toujours donné à l'intuition mais de manière confuse, enfoui dans l'écheveau du divers que le poète tisse en séparant les fils pour en faire ressortir les motifs inaperçus.

Travailler ce n'est pas agencer morceau par morceau un ouvrage par tatônnements successifs, l'art n'est pas identique à la prodction technique. Travailler, pour le poète, c'est s'entraîner encore et encore à intégrer la technique afin qu'elle lui soit un nouvel organe, capable de remplir sa fonction sans que l'on ait à y penser: il n'y a qu'ainsi que la technique peut devenir pur signifiant sans empiéter sur le vécu à ressentir.

Travailler c'est avoir répété suffisamment de brouillons pour que la vérité puisse frayer son chemin sans encombre, sans rupture, par un souffle ininterrompu qui expulse la délicate haleine de la poésie se déposant sur la vitre d'un miroir. Il faut que le geste soit parfait, fluide, et qu'il pogresse avec facilité, comme la nature. Plus le poème sort spontanément, plus il est expulsé par une poussée jaculatoire, et plus il retient pure et concentrée la vérité dont il est signe.

Le poète est condamné à la poésie jusqu'à sa mort, car l'idéal acméique de l'expression pure et achevée ne peut être, par essence, qu'un horizon intangible.

Toute tentative de s'éterniser est en droit vouée à l'échec, car ce n'est pas la nature de l'homme d'être.

jeudi 17 avril 2025

[ DESTITUTION ] Filières technos

 Il faudrait statuer sur ce sort, en évaluer la dignité, soupeser les motifs qui font le quotidien merdique d'un professeur de philosophie en filières technologiques. Car tous les jours, croiser des élèves qui ne disent pas même bonjour, entrent dans la classe avec des écouteurs ou un téléphone, sans un regard, ayant à peine de quoi prendre le cours en note et qui parviennent en terminale sans même avoir un niveau de collégien: tout ça vous alourdit l'existence, vous rive au cœur une boule de plomb qui vous coule et vous suffoque sous l'océan de la déréliction.

Je n'ai pas choisi cela... ce n'est pas mon métier que d'être un résidu d'exigence dans une instititution qui n'en a plus, les a noyées dans la résignation de son personnel qui, presque invariablement, se protège de l'offense en fardant l'éducation nationale d'une captieuse cosmétique -- enfouir le réel, toujours, pour se nourrir d'histoires qui font tenir les murs et les carcasses.

Pendant ce temps l'offense que je représente, avec mes attentes d'un autre temps, est un intolérable coup de pied dérisoire dans la fourmilière outrée qui se défend de moi. Même les collègues se font anticorps, comme cette professeure de mathématique s'exclamant en plein conseil de classe lorsque je me plains du niveau: "de toute façon on sait bien qu'on ne fait rien en phlosophie, on joue sur sa calculatrice". Personne ne s'est offusqué de ces propos banals, tout juste l'intéressé et, miraculeusement, un père d'élève, décidément anachronique lui aussi.

Car aujourd'hui les parents sont souverains à l'école, des tyrans claniques faisant trembler le cœur des personnels éducatifs qui se plieraient en quatre pour ne pas affronter leur ire, leurs propos accusateurs et menaçants dès lors qu'un enseignant ose mettre des notes au-dessous de 14 et leur faire remarquer que, peut-être, l'attitude et l'investissement de leur progéniture n'est pas vraiment conforme au minimum attendu. Ça fait peur les familles... L'école doit rentrer dans leur emploi du temps personnel, abonder dans le sens de leurs illusions narcissiques, de leurs dogmes -- que nous contribuons à renforcer histoire de ne pas être accusé de "non-assistance à personne dans ses opinions".

Il est donc tabou de mettre 0 pour un devoir non-rendu, pour une tricherie, sous peine de voir la fourmilière en branle-bas de combat pour conjurer l'insolent qui trouble la tranquillité hiératique des lieux. Alors l'ordalie se manifeste sous la forme de courriels envoyés par la proviseure adjointe, parfois le CPE, le professeur principal enfin et qui, tous, prennent a priori le parti d'élèves irresponsables et hypocrites qui savent pertinemment que rien de ferme ne saurait s'opposer à eux, fils de rois et reines dont les enseignants sont les serfs. Il faut dissuader l'importun.

Alors ils accusent le professeur de n'avoir pas noté l'échéance sur pronote, l'eût-il rappelée des dizaines de fois en cours, nient même en avoir jamais entendu parler, fut-ce le cas à chaque séance depuis plusieurs semaines. Et ces discours ont le poids d'ordonnances royales, on ne les remet pas en cause, c'est au collègue récalcitrant de rentrer dans le rang, de comprendre enfin ce qui se joue ici: la gronde s'élève dans les familles, la note compte au contrôle continu (et l'on entend ici les chuchotements indignés de tout l'aréopage)... Il ne faudrait quand-même pas que la réalité échappe à la fabrique de la médiocrité et du menonge, à ses moules institutionnels, et que l'adversité qui fait les hommes fassent une criminelle irruption dans ce sanctuaire des saints qu'est l'école!

On finira bien, si l'on insiste, convoqué par l'inquisitoire bureau du proviseur adjoint qui, raisonnable et patient, fera preuve de pédagogie afin qu'un professeur égaré, recouvre tous ses sens et devienne à sont tour le héraut du grand vide.

S'il persiste dans l'erreur, la réputation, l'isolement, le harcèlement des familles, auront de toute façon raison de lui, détruiront son estime, l'empliront de ces doutes qui, la nuit, se transforment en cauchemars, le jour en cette souffrance révoltée qui s'infiltre dans la moindre porosité du couple pour en disjoindre peu à peu les cellules -- et pourquoi se battre alors pour la vérité si c'est pour perdre tout amour...

On ne naît pas hypocrite et lâche, on cède à un système qui nous étreint de toute part, nous définit, ourdit notre statut. Les autres vous disent, dans l'intimité, qu'ils sont d'accord avec vous, mais ils ne tendront pas la main, n'auront pas quelques mots encourageants qui pourraient transmuer pourtant le désespoir d'un homme: publiquement ils se taisent, font bloc, roc, montagne inébranlable et silencieuse qui vous surplombe imperturbable, qui vous écrase même, ménaçante comme une Géhenne endormie.

Mais vous, comment vous réveillerez-vous de ce cauchemar autrement que par cette abjecte solidarité mécanique qui fait de l'Éducation Nationale une destitution de toutes les valeurs qu'elle arbore, l'institution du harcèlement et du travestissement. Il faudra donc fermer bien grand les yeux, conspué et honni, pour ne plus lire au frontispice de ces lycées sans âme et sans philosophie, coincé dans ces lundis matins blafards et verglacés "Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir".

mercredi 16 avril 2025

[ INSTITUTION ] Caberdouche

 Une institution, c'est normalement quelque chose qui tient, quelque chose de ferme, une sorte de monument d'airain dans le branloire du monde. Et pourtant celle qui m'accueille et suce ma sève en parasite est d'une impéritie notoire, aussi mal faite que cette vie sans but pour une humaine nature dont toute l'essence réside, précisément, dans le sens...

Dieu que tous les eudémonismes me sont intolérables, il y a bien plus de manières de se suicider ou se détruire que de parvenir au bonheur. On trouve même souvent de la joie à se détruire jusqu'à l'os. Et toutes les pathétiques joies qu'on se donne ne mènent à rien d'autre qu'à cet instant qui nous tient dans sa toile, en relative bonne santé, dans une situation sociale relativement réussie, et tout ce relatif achèvement nous donne une nausée absolue -- sans qu'on parvienne toutefois à vomir.

Même les mots s'abîment de cotôyer notre médiocrité: radieux qu'ils étaient, ils se mettent à arborer cette grisaille universelle des civilisations, la plupart sont d'un ennui terrible, il faut en chercher de nouveau que nous salirons de nos mains afin qu'ils deviennent, comme les autres, une unité de la langue commune.

Savoir que rien n'a d'importance ne fait pas léviter pour autant les pavés dans le ciel, une gravité cosmique nous arrime au quotidien de plomb, nous achemine sur un comptoir en bois massif, une jour de semaine, le matin, pour y poser le cercle hyalin d'une libération éphémère, avec sa mousse qui nous coule sur les doigts qui finiront poisseux. Et l'on pourra sentir alors l'odeur douceâtre qui nous rappellera, plus tard, dans la geôle d'une heure ouvrée, la possibilité d'une île -- où il serait si bon de se laisser engloutir par les eaux...

Pour le bonheur il faut croire, or d'églises où vivent encore quelques divinités, je ne connais que tous ces caberdouches de villages endormis où des nageurs amateurs s'échinent à demeurer jute au-dessous de la ligne de flottaison, offrant le sacrifice du dipsomane à des idoles lagéniformes qu'on aligne en rangs serrés. Quelques milliers de Saint-Pierre entrouvrent les portes du seul paradis qui soit, de la seule réalité indubitable, c'est-à-dire cette arche où s'accrocher quand le déluge du monde menace d'asphyxie. Tout le spectacle de cette souffrance venue se réfugier réchauffe le cœur autant que les liqueurs qui s'accrochent paresseusement aux parois de nos verres. Il n'y a qu'ici qu'on puisse alors être ensemble, et s'acheminer au néant sans cette solitude qui nous dévore jusqu'au trognon.

mardi 15 avril 2025

À une amie

 En passant sur le trottoir de cette ville, le souvenir chute, éclate à mes pieds, devant moi, en mille éclats qui forment une iridescence mnésique où chaque reflet m'offre un monde où se perdre. Je continue ma route et face à la devanture du bistro se mettent à crépiter sous mes pieds de fines gouttes contenant chacune l'histoire érodée d'un morceau de vie: la bruine de ces souvenirs me couvre les cheveux et s'étend ruisselante sur le sol et sur chaque pavé que je foule. Nous avons vécu d'innombrables vies ramassées dans les nuits de la jeunesse: tu étais là, accrochée au comptoir, comme à ce bastingage où nous tanguions allègrement, matelots isolés sur une mer d'absurde. Chacun capitaine d'un frêle et grinçant esquif que nous menions à quai, dans les odeurs de bières et de whisky, réunis là pour un temps -- que l'on souhaitait si long qu'il s'étire aujourd'hui sur la moitié de notre vie -- avant de repartir seuls, sur la galère du destin.

Demain je repasserai, peut-être, par ces ruelles étroites, et j'y verrai, sûrement, quelques poussières de rêves incrustées dans le sol, vomies un soir sans lune où j'ai fait du béton une excroissance de ma mémoire.

 Toi... toi tu es dans bien des souvenirs, Phaéton dans son char de soleil, en route pour allumer le Sud, mêle-casse au comptoir de l'aurore qui se confond parfois au crépuscule. Les eaux t'ont emportée, mais nous te retenons dans les filets de l'âme, et nous sentons encore ta peau brunie, l'enrouement de ta voix et les regards de ta lunaire face. Je n'en ai connu qu'une, il en existait tant à découvrir...

Nous te gardons avec nous, imparfaitement mais tout de même, la flamme éclaire encore des cœurs qui tous, comme une ville nocturne, forment le réseau lumineux de ton absence. Et que sommes-nous finalement, si ce n'est les sémaphores obstinés qui adressent au ciel l'interrogation lancinante -- la seule que partage tout humain --: pourquoi?

samedi 29 mars 2025

Titanomachie

Oh cet œil ouvert sur les choses, se peut-il qu'il cesse un jour d'approfondir ce regard térébrant? Voir le monde tel qu'il est: et s'étourdir d'hyperalgie. Absorber le flux d'information nocif compulsivement, et vivre ce destin scototrope qui fait de tout votre être l'ensemble de toute ombre. Mais pour que tout cela s'arrête il faudrait bien savoir, un peu du moins, se délester d'anankastie, accepter de ne pas comprendre, de ne pas savoir; se laisser, en somme, saisir par l'ignorance, en être l'apôtre et le pantin. Mais on préfère demeurer gyrovague, et se gaver de monde, tisser l'inextricable réseau de représentations épistémiques, étendre sa conscience à ce qui même est inconçu. Mais pourquoi diable habiter cet espace en herméneute acharné, soumettre chaque chose à une allégorèse? Ce n'est pas à la Terre que nous finirons par mettre feu ainsi, comme Phaéton, mais c'est au noyau vain de l'âme -- cette âme asidérale d'avoir avalé toute l'ombre et toute la lumière tant et plus.

Stylites nous vivons sur la colonne escarpée de la conscience et nous n'avons dès lors plus de repos; même la nourriture n'est plus qu'information, concept, connaissance: un réseau lacunaire d'atomes intangibles.

La lave qui coule dans nos gorges n'a plus rien de matérielle, elle est la couleur du monde pestilentiel qui se déverse dans le caniveau des œsophages: propagande, corruption, profit, pédocriminalité et leur allégorie humaine sur le papier glacé d'affiches publicitaires, sur l'étendue hyaline de nos écrans connectés. Nous sommes le peuple enchaîné qui vénère ses Belial et ses Mamons - ce nom si proche du mot maman...

De savoir tout cela ne sert à rien. Ce n'est plus de connaissance dont le monde a besoin, mais d'action, de l'homme qui franchit l'Achéron et chacun des cercles de l'enfer pour s'enfoncer au cœur de l'odieuse Géhenne. Ce qu'il nous faut: c'est le courage de parler à la mort en l'appelant par son nom, de plonger dans ses yeux un regard scyalitique, capable de porter au point de fusion le mal en nos idoles hideuses.

Écrire ce n'est pas descendre de la colonne, c'est encore dépendre des autres, c'est encore accepter dans le calme lénifiant de sa minable citadelle. Attraper le glaive de la justice et sauter lourdement sur les pavés du sol, ensemble, armée d'humains aux yeux bandés qui font trembler le nouveau monde pour qu'il s'effrite en un tas de passé. Voilà ce qu'il faut faire, stylites du monde entier, anachorètes en guenilles, gyrovagues éparpillés, ermites hallucinés. Que la justice lie les hommes en un nouvel état des choses, qu'advienne enfin ce nouvel âge du monde. N'ayez crainte car chacun de nous qui périra dans cette titanomachie revient d'emblée à Esculape: le sang lilial de ces martyrs sera la grande Aurore du renouveau.

Frères stellaires dont le réseau de lumière fait vibrer l'univers...

 

Marchons!

mardi 18 mars 2025

Érémitisme convivial

 Peut-on forer un chemin de sagesse dans la vie sociale sans que personne n'en sache rien, sans abandonner tout le monde derrière soi -- seulement en franchissant par moments la porte qu'on a découpé et en foulant le sentier patiemment tracé, coudée après coudée, comme un prisonnier désireux de concilier claustration et complet détachement?

samedi 15 mars 2025

De furie et de prose

 Dans un champ d'âmes assises, fauchant les jeunes pousses de ma croissance exquise; un tronc noueux coupé en trogne élance des têtards zélés vers un vague illétré. Chaque jour élaguer les folles et immatures branches afin d'alimenter l'âtre d'une résistance à l'ordre qui produit ces débris d'âmes éparpillés que sont les plans euclidiens des nations -- où d'atomiques consciences têtent compulsivement la si captieuse science au goulot de médias anticorps de vérité.

Et toute cette arbitraire force, fardée d'institutions, se présente en Nature tandis que sous le voile du mensonge, les moissonneurs des corps résignés tranchent dans l'aubier: butineurs de résine au cœurs amidonnés.

Pour cela, j'étête ma bicéphale entité afin que des racines une révolte pousse, innombrable: de furie et de prose.

Une chose à savoir

 Ce que cela fait d'être musique; plus rien d'humain; hétéromorphe et extrané...

Mais que serait la musique sans une conscience qui la ramasse en un vécu? Et être une conscience n'est-ce pas là, finalement, être rien -- et rếver d'être toutes choses?

Demain, dans un an ou dans dix, je sentirai de toutes les manières une chose dans ma conscience (chenille, arbre, papillon), pendant des heures entières en oubliant d'être moi -- en défaisant le rêve illusoire. N'être enfin que regard toucher sentir goût d'une chose réelle et qui  ne souffrirait aucune hypostase, aucune polarisation erronée séductrice.

Demain je redeviendrai ce que, toujours, j'ai été sans savoir.

vendredi 14 mars 2025

Ras des pâquerettes

 Si ma constellation littéraire formait un paysage, elle serait un vaste champ diapré de fleurs au ras du sol: pâquerettes, violettes odorantes, véroniques petit-chêne, gaillet-croisette, lamiers pourpres, primevères, peut-être quelques compagnons rouges et, sporadiquement, quelques-unes un peu plus hautes; mais, jamais, nulle part, aucun de ces palais de carbone gigantesques que font les arbres de canopée, aucun projet grandiose s'élançant tel une Babel entếtée vers un ciel d'achèvement. Je n'aurai su produire que par fragments, des petits pétales sans calice qui jonchent un sol étal et plat, sans éminences car sans les moyens nécessaires à cette prétention de construire patiemment l'unité d'un chef-d'œuvre.

Je suis cette prairie quelconque à peine distinguée des autres, et qui produit des fleurs qui sont le fondement possible d'indéfinis bouquets, d'agencements grandioses que nul n'aura réalisé -- un matériau, un possible, à jamais égaré.

Dévitalisation

 Je ne sais plus contenir ce désir d'abolition qui mûrit en moi. De pulsatile la présence s'est désormais faite constance, permanence vibratoire d'une nécessité évidente d'abolir le processus d'eccéité jusqu'à la moindre radicelle. Qu'il ne reste plus rien de moi que ces contingents effets, leur esthétique délinéation dans le mouvant des choses. Et que tout cela n'appartienne à personne, que tout existe d'une appartenance holiste qui est le contraire de l'exclusivité d'un lien d'autorité. Je ne veux d'autorité ni sur toi, ni sur mon œuvre. Puissiez-vous contenir bien plus encore que ce que mon infime conscience aura voulu figer de sa perspective étriquée. Puissiez-vous transcender infiniment l'inane instrument qui produisit un jour ces vibrations d'amour, et qu'enfin seule la musique résonne dans le vacarme des humains affairés.

Que la vie, transitoire, passe de mon principe aux vôtres; et si mon œuvre vit, je pourrais dire alors que, véritablement, j'ai créé quelque chose qui vaille pour des hommes.

jeudi 13 mars 2025

Rien qui vaille

 D'où vient cette irréstible séduction de la métaphysique bouddhiste? Comment cette originale représentation de l'Être peut-elle tant faire écho à certains développements plus tardifs de la philosophie, et, même, s'accorder si bien avec la crise de la physique contemporaine?

Voilà une croyance qui ne me répugne, et, penser qu'il soit possible de quitter son corps et les fers de l'existence égotique sans laisser autre trace que la conque exsangue d'un signifant abandonné derrière soi constitue un délice auquel je succombe par moments. Je n'ai jamais été aussi prêt à déserter ce lieu, ce destin, cette matrice où je m'encastre comme une donnée quantitative traitée par l'ordonnancement administratif de nos sociétés sans âme.

Si je pouvais être suffisamment égoïste, ou bien ne même plus croire que l'égoïsme soit possible, j'emprunterais la route qui m'éloigne du soi. Mais faire cela est aussi détacher d'autres dont l'équilibre repose en partie sur cette fiction que l'on est. Un tel risque ne peut s'entreprendre que dans la foi la plus totale or ma foi est plus humble que toute métaphysique complexe, aussi séduisante et vraisemblable soit-elle. Ma seule métaphysique est qu'il existe une transcendance: cela ne justifie en rien la souffrance des autres. 

Toutefois, au terme naturel de ma vie, qu'il me soit donné l'occasion d'illustrer, par mon acceptation et mon absence de regret, qu'il ne demeure en moi nul désir de recommencer autrement. Je n'ai nulle volonté d'habiter un autre corps, d'inscrire un destin différent, aucun fantasme ne saurait m'emprisonner dans sa force d'attraction pour autrui. Quand mon histoire sera achevée, je ne ressentirai pas le désir que les choses eussent été différentes et d'être, enfin, les rêves qui ont bien pu me traverser dans cette vie, mais qui sont aujourd'hui si loin que je ne porte sur eux rien d'autre qu'un regard attendri.

Je veux partir comme toi: parce qu'il n'y a plus rien d'autre à accomplir -- parce que je n'attends plus rien de la vie et que le bonheur même ne me dit rien qui vaille.

mercredi 12 mars 2025

Le roi borgne

 La fonction lumineuse projette ses unités depuis sa source éloignée du ciel, et tout ceci ricoche sur les façades des bâtiments austères, éclairant chaque brique ainsi que les joints qui les lient en formant des structures alvéolaires qui semblent pousser vers les cieux. Un rai trouve l'angle parfait pour gicler dans mes yeux depuis la réflexion d'une surface vitrée: aveugle, je continue de voir, pourtant, ce qui devrait m'être donné par les sens. Les angles aigus des toits qui coupent l'arête verticale d'une façade, les formes géométriques de tous ces solides qui projettent leur stéréographie à travers l'épaisseur de l'air où s'envolent mille particules de la ville enrouée. Les ombres qui se jettent des murs pour recouvrir les sols de sciagraphie savante. Les rectangles colorés des fenêtres encadrant la spéculaire surface qui fait cette chambre aux miroir des rues, piégeant récursivement la lumière.

L'exécution mathématique de tout cela ne cesse jamais, même par ingestion de stupéfiant elle n'en demeure pas moins active; anamorphique mais réelle; comme une simulation vidéopathique sans fin dont nous serions partie prenante jusqu'à ce que l'humanité voile par quelques pelletées de terre le signifiant déclinant d'une conscience éteinte -- mais que savons-nous de cette extinction? pouvons-nous seulement prétendre que la fonction récursive d'une conscience peut un jour s'abolir? Cesse-t-il un jour ce programme si bien agencé qu'il éternue des galaxies comme une bruine imaginaire?