vendredi 11 août 2023

Pour aller où?

 Qu'aurons-nous à nous dire, lorsque tu sortiras de tes babils; du décalage insurmontable de nos deux temporalités? Car nos deux présents ne coïncideront, pour ainsi dire, jamais, il ne peut y avoir de réelle égalité entre la profondeur de mon présent -- toujours se creusant -- et la surface du tien. À moins qu'en un présent ne se tiennent pas nécessairement tout le passé, et qu'il en aille avec le temps comme avec ces régions de l'espace inexorablement trop lointaines pour interagir de nouveau avec notre lieu...

De toute façon qu'aurais-tu à penser d'une âme inadaptée à l'existence? une âme qui croit savoir quelque secret sur la vacuité de la vie que l'écrasante majorité ne veut pas voir dans cette irrépressible obstination de vivre néanmoins?

Je n'ai probablement pas l'étoffe d'un tuteur, et resterai à jamais trop étranger à la joie d'être pour t'insuffler le goût de croître et de vivre en ce décor. J'ai cherché, longtemps, l'envers de tout cela... et me suis lassé de ne rien trouver. Ou plutôt de trouver quelque chose que j'aurais préféré ne pas avoir à voir.

Je ferai de mon mieux pour que tu restes à cette échelle de la nature où se meuvent les êtres, et que point tu ne t'élances en ces pérégrinations ontologiques par lesquelles l'âme ivre d'ailleurs se fourvoie pour toujours en un changement irrécusable de paradigme, à la recherche de ce référent absolu qui fait l'étoffe de toutes les œuvres, de tous les chants et de tous les sublimes.

Quitter la finitude... mais pour diable aller où?

dimanche 6 août 2023

Sept milliards de Pythies

 À quoi aura bien servi l'éclosion laborieuse de ce style? nouvelle forme biologique dans la symphonie du vivant. À quoi bon? Cette aisance avec laquelle je peux rédiger ces complaintes, à quoi servira-t-elle? Je peux dire "j'ai vécu", par elle j'ai véritablement vécu: c'est-à-dire que je suis devenu. C'est peut-être la plus haute valeur possible au fond...

Pourtant, c'est toujours la société qui ourdit les valeurs, en garantit le cours. Or nulle société n'a jamais prêté attention à cette petite animalerie pathético-poétique, cirque ambulant d'un solipsisme ubique et éternel. Pour que j'ai réellement existé, pour que ce en quoi j'ai mis toute mon obstination et ma persévérance, tout mon plaisir aussi, pour que toute cette sublimation de souffrance ait une quelconque valeur il faudrait que le monde s'en aperçoive, qu'il s'y abreuve et goûte l'ambroisie venimeuse de mes mots; et qu'il prononce enfin son verdict.

Sans cela, tout ceci n'a pas existé autrement qu'en tant que rêve récursif d'une conscience totalitaire et impérialiste. Le réel n'aura pas eu lieu voilà tout.

Est-il posible que ma vie soit étrangère au réel..? Est-il possible aussi que tout cela ne soit qu'illusion de beauté pour une âme immature?

Sept milliards de Pythies doivent désormais répondre, maintenant que se disloque ma créativité.

vendredi 4 août 2023

Aphorisme du souhait

 Qu'est-ce que je souhaite? Je veux contempler le monde mourir, et m'éteindre avec lui.

naissance sociale, mort astrale

 Tous ces chants dévastés méritent bien mon silence. Autant de bruit doit bien enfin ressortir sur un fond de néant approprié. Voici mon silence monde... Inécouté... comme le reste de cette errance musicale.

Une concession suffit à faire s'effondrer l'édifice branlant d'une vie. Me voilà donc éparpillé, sur le sol des conventions sociales, rangé dans une boîte orthogonale, pareille à des millions d'autres adjacentes. Une femme, un travail, une maison, un crédit, un enfant, un foyer donc, et tout cela qui aspire le suc de ma vie, de cette chimère qu'est mon temps.

Les fruits intemporels qui un jour sont sortis de moi, et que je hante désormais -- mi-émerveillé, mi-honteux --, n'ont plus le temps de pousser, de s'extraire du monde et de ses cycles récurrents. Je n'ai plus d'énergie pour chanter, plus d'énergie pour voir et mordre le réel pour en ramener les formes épiphaniques. Plus d'énergie pour la joie. Plus de création. Plus de verbe.

Et tout ce qui consolidait le fondement de ma vie n'est plus qu'un souvenir brumeux tapi dans l'ombre du présent étique: la sensation d'un membre fantôme. J'ai abdiqué face à la vie, j'ai fini par me fondre dans le courant des hommes -- et chaque jour je souffre de ressembler un peu plus à chacun.

Pour cela la poésie m'a désertée. Je ne suis l'élu d'aucuns vents, d'aucun souffle, d'aucune tragédie. Je vais passer mes jours à vivre pour les autres, à me fondre dans la race, dans cette continuité biologique qui réclame son dû depuis les premiers jours.

Il n'y aura plus de création. Je n'en ai plus la force. Je m'éteins à demi dans ce destin en série, désintégré pour de bon dans la matrice sociale de la convenance. La joie enfuie est remboursée sous la forme d'un salaire mensuel qui me permet d'être dans tous mes objets, dans tous les projets de vie qui saignent le présent pour irriguer l'aérien avenir.

Je n'ai plus la force d'écrire. tant pis, cela aurait fait belle histoire...