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samedi 11 novembre 2023

Aphorisme épistémique

 La vérité ne veut rien dire; elle n'est qu'une présence.

dimanche 23 avril 2023

Aphorismes anti-scientistes

La vérité est cette recherche d'un autre que soi à qui se soumettre.

La vérité est, par essence, pure hétéronomie.

mardi 14 juin 2022

Relativisme et autocontradiction performative

Certains philosophes dogmatiques clament, à bon droit, que le relativisme épistémologique consiste en une contradiction logique intenable. La faute du relativisme tiendrait dans son autocontradiction performative, telle qu'elle s'illustre par la proposition suivante: "toute vérité est relative". Si l'on exaimine un peu cette proposition relativiste alors on constate effectivement qu'elle se contredit par le simple caractère d'universalité (non-relative) du jugement formulé. Il s'agit donc d'une affirmation dogmatique.

J'aimerais d'abord déconstruire cette lecture non rigoureuse qui voit dans la cohérence parfaite du relativisme une incohérence logique, avant de revenir sur la véritable autocontradiction contenue dans le positionnement dogmatique.

Affirmer que toute vérité est relative n'est pas sortir du relativisme pour plusieurs raisons. D'abord il s'agit bien ici d'une proposition qui n'est vraie que dans un certain contexte épistémologique: notamment celui qui fonde la vérité sur ses critères de connaissance, autrement dit qui définit la vérité par ses méthodes de démonstration ou justification. Est vrai ce qui peut se prouver comme étant vrai.

Mais on pourrait rétorquer à cette critique par un autre angle d'attaque: nous savons que la vérité des propositions d'un système formel (par exemple en arithmétique) découle de leur démonstration (dérivation) à partir d'axiomes qui ne sont pas démontrés (et dont la vérité repose donc sur une autre acception du concept de vérité). Ceci a pour conséquence paradoxale (mise en lumière par Aristote dans Seconds Analytiques, II, 19) que pour maintenir le caractère apodictique des propositions fondées sur la démonstration (et pour ne pas sombrer dans une régression à l'infini), il est nécessaire de prêter à la vérité des axiomes une autre nature qu'aux premières. Autrement dit la vérité étant définie par la démonstration, il devient alors nécessaire de fonder cette démonstration même sur des vérités non-démontrables, et donc d'une autre nature.

Et bien c'est exactement le même paradoxe qui est à l'œuvre dans la proposition relativiste "toute vérité est relative". Il faut faire reposer le relativisme sur de l'absolu, de la même manière que les formalismes font reposer la vérité de leur démonstration sur la non-démonstrabilité (c'est à dire, pourrait-on dire, sur la non-vérité...).

Maintenant attaquons-nous à quelque(s) contradiction(s) du modèle dogmatique affirmant d'une part qu'il existe une différence entre vérité et connaissance -- autrement dit que le caractère vrai d'une proposition ou d'un fait ne repose pas sur la connaissance que nous en avons -- et d'autre part qu'il existe des vérités absolues.

En effet, lorsqu'ils affirment qu'il existe des vérités absolues, ils ne font rien d'autre qu'affirmer qu'une proposition est vrai OU fausse (de manière exclusive) indépendamment de la connaissance que nous en avons (c'est à dire que la vérité est indépendante des critères qui nous la font connaître). Or, en faisant cela, ils affirment qu'il existe des vérités mais que la vérité étant indépendante de la connaissance qu'on en a, et étant précisément un attribut absolu des choses (car le dogmatisme s'accompagne bien souvent d'un réalisme ferme), alors on ne peut absolument pas la connaître.

Comprenons bien ce qui est en jeu: si connaître la vérité d'un fait ou d'une proposition ne rentre absolument pas en compte dans le caractère de vérité de ce fait ou de cette proposition, dans la définition même de la vérité, alors, puisque celle-ci ne nous est accessible que par la connaissance (que serait une vérité détachée de tout sujet, une vérité qui n'est pas connue...), nous ne pouvons jamais déterminer si un fait ou une proposition sont vrais ou faux. La vérité nous est à jamais inaccessible (cf. étymologie du mot absolu) puisque nous ne pouvons avoir qu'une connaissance par nature relative des objets, fondée sur la scission essentielle du sujet et de l'objet. Nous ne pourrons jamais nous assurer de manière absolue qu'un fait ou une proposition sont vrais pour la simple et bonne raison que la vérité étant totalement indépendante de nos critères de jugement, elle est une chose qui nous excède: nous ne pourrons jamais emprunter le point de vue de l'objet sur lui-même, et cela même en multipliant les points de vue: il existera toujours plus de points de vue, plus de relations à l'objet que celles que nous parviendrons à synthétiser dans notre connaissance.

C'est là tout le problème du réalisme ontologique (qui constitue d'ailleurs le contexte nécessaire au dogmatisme ce qui, notons-le, relativise paradoxalement la portée de ce dernier à une posture ontologique bien particulière): s'il existe un réel absolu, indépendant de mon expérience et de ma connaissance, alors je n'ai aucun moyen d'y accéder puisque je suis enfermé dans ma relation de sujet à ce réel. Pour devenir parfaitement objective il faudrait que ma connaissance puisse être simultanément tous les points de vue possibles sur l'objet et qu'elle le soit dans un temps infini (pour comprendre l'objet dans sa dimension temporelle et non simplement spatiale). Il semble bien qu'une position réaliste pleinement conséquente ne puisse mener qu'au concept kantien négatif de chose en soi.

Pour conclure: affirmer qu'il existe des vérités absolues, c'est s'interdire toute possibilité, en droit, de pouvoir en avoir une connaissance certaine. Cela revient, dans les faits, à du relativisme... Le relativiste est en général plus avisé parce qu'il est conscient des limitations de sa position et qu'en lieu et place de réel il préfère parler de monde (en en assumant pleinement la multiplicité). Le relativiste comprend que, par nature, nul absolu ne saurait être connu. C'est précisément parce que la vérité est relative que nous pouvons entrer en relation avec elle, mais cela se fait au prix d'une limitation conséquente de sa portée...

Le dogmatisme est paradoxalement un abandon de la vérité sous la forme de deux absolus: l'absolu épistémologique et l'absolu ontologique.

jeudi 19 mai 2022

Aphorisme du fossoyeur de Vérité

 Quand il n'y a plus de vérité, il y a du choix; et non de la croyance, car la croyance est toujours l'espoir d'une vérité.

jeudi 13 janvier 2022

Aphorisme de l'auto-connaissance

 Il n'existe pas de connaissance de soi; aucun savoir préalable ne peut guider les pas d'un homme. Le chapelet de ses actions forme une indéductible vérité.

dimanche 31 octobre 2021

Les vrais cercles

Existe-t-il des instants irrécusables, où Le destin dont on rêve (parce qu'on n'en connaît que le fantasme) , nous a vraiment filé entre les doigts?

Et pourquoi tout accomplissement, toute réussite possède invariablement ce goût de cendre insupportable que laisse tout instant sur son sillage effréné?

Je hais les compliments, je hais l'achèvement pour ce qu'il est la fin d'un rêve qui vaut mieux que toutes les vies réelles.

Je préfère vivre dans la réalité de mes idées, abstraites, imparfaites, tronquées, schématiques et pour cela aussi précises et parfaites que les figures géométriques -- celles-là même qui sont absentes du monde...

Voilà ce que j'ai appris de ma torture: nous n'aimons pas le réel, nous haïssons son imperfection et son incomplétude, sa profonde indétermination et son indéfinité intrinsèque. Nous aspirons à être les fils de nos pensées, de pures créations de nous-mêmes, plus causes de soi que tous les Dieux transcendants...

Il n'y a que dans l'image et le concept qu'existent les vrais cercles.

samedi 2 octobre 2021

Paquet d'atomes effrayé

Inexorablement, avec une lenteur appliquée, ceux que l'on nomme humains me tuent, arrachent de moi, un à un, les morceaux de mon amour, piétinent le cadavre putride de cet espoir qui s'est déjà, depuis longtemps, détaché de ma peau. Je ne parviens plus à faire preuve d'empathie, à ressentir ce que mon supposé congénère est censé ressentir face au monde qui l'enceint. Après avoir réduit à l'esclavage les noirs durant des décennies, après avoir colonisé ou envahi des pays arabes, j'entends certains oser m'affirmer que leur culture est en danger, que des hordes de musulmans viendraient mettre en péril la fine fleur de la civilisation occidentale, son raffinement subtil et sa généreuse élégance. J'entends gronder dans leurs bouches le nom de la haine. Des gens n'ayant jamais même songé au concept de vérité une seule seconde dans leur vie se mettent à parler au nom de la science, donnent des leçons, interprètent les données (après les avoir soigneusement sélectionnées), affirment haut et fort ce qu'ils savent, ce qui est vrai, absolu, sans aucun doute, fustigeant ainsi toute la horde des barbares et ignorants, complotistes (puisque enfin, c'est bien connu, l'histoire ne connaît aucun complot, il n'y a pas d'intérêts qui trament dans l'ombre pour asseoir leur domination, tout cela se saurait), anti-vaccins, tous ces gens sans raison qu'il s'agit d'éduquer afin qu'ils puissent voir, enfin, l'étincelante vérité en face.

Tous ces gens qui ne se sont jamais soucié de science se réfugient désormais en son temple comme en une église nouvelle, plus respectable que les anciennes religions, plus démocratique puisqu'elle a pour elle le privilège de la démonstration, et pour cela plus légitime à se montrer totalitaire. Ils ne connaissent pas la différence entre induction et déduction, entre la vérité comprise comme cohérence logique ou adéquation à la chose, mais ils savent qu'ils sont du côté de la vérité, qu'ils croient intemporelle, sans histoire, éternelle, et comme des fanatiques aveuglés par la foi sont prêt à purifier les colonies de cloportes sans âme de tous ceux qui doutent, contestent, mettent en perspective, ne posent pas genou à terre devant les arguments d'autorité de ce nouveau clergé laïque.

Il faudra bientôt que j'injecte leur fausse ambroisie dans mes veines pour mériter de vivre parmi eux, pour respirer leur air, pour être pris au sérieux, pour m'élever du mépris où je séjourne, pour avoir même le droit de demeurer esclave...

Je crois que je peux dire aujourd'hui, humanité -- certaine humanité du moins mais si tristement hégémonique --, que je n'ai plus d'amour pour toi, et que j'en perds jusqu'au respect qui devrait être acquis pourtant. Je suis maudit par le fait d'être trop rigoureusement logique, de discerner vos biais cognitifs, vos antinomies, les angles morts de vos pensées, de suivre le fil dialectique jusqu'à un point que vous semblez ne pas pouvoir imaginer. Pourtant, je ne fais qu'écouter vos propos, tirer les conclusions qui découlent de vos postulats, je ne fais que vous montrer l'absurde où mènent vos amorces de réflexion. Pour cela vous me haïssez. Certains seraient prêts, même, à me crucifier sur place s'ils en avaient l'autorité. Oh mais cela viendra humains, cela viendra. La liberté est une somme de paragraphe dactylographiés qu'une simple ordonnance émende prestement. Il y a bien des manières de se débarrasser d’ennemis, comme laisser mourir chez soi celui que l'on assiège, jusqu'à dessèchement totale de l'âme, épuisement des corps.

De plus en plus, je pense à vous laisser, avec les salvatrices piqûres de votre industrie pharmaceutique et son altruisme débordant, avec vos codes barres que vous devriez directement vous faire tatouer sur les fronts pour plus de commodité, avec vos Zemmour, votre vérité qui est le nouveau Dieu sans concept -- un simple mot dans votre bouche --, avec vos jugements binaires qui ne peuvent que découper le monde en Bien ou en Mal, avec votre amnésie pathétique, avec ces mots qui vous servent de crucifix pour conjurer des vampires inventés, avec votre égoïsme d'ignorants, votre culture supérieure, vos droits de l'homme universels -- c'est sûr que c'est pratique de définir soi-même qui entre ou non dans le champ de bataille de la grande humanité --, avec votre planète en flamme qui pleure silencieusement, sanctionne vos croyances -- quand le voyant d'alerte se met à clignoter il est plus simple de taper dessus, et de hurler qu'il dysfonctionne.

Au fond, j'aimerais que vous partiez, que ce soit vous qui débarrassiez le plancher, que vous déménagiez votre cirque plus loin, sur quelque autre bras de galaxie, mais je suis capable de reconnaître l'échec où il est: capable de voir que nous sommes une infime minorité à penser, à réfléchir, à ne pas chercher refuge dans des palais de certitude d'où l'on pourra affronter son voisin honni, à ne pas vouloir imposer ses choix aux autres, de gré ou de force, à ne pas être en permanence si effrayés... Car au fond voilà ce que vous êtes, de pathétiques paquets d'atomes rongés par la peur.

mardi 17 août 2021

Le rien qu'on dérange

 Je ne sais si l'on on peut peindre des formes vraiment pures, qui ne font le contours de rien, d'aucun contenu,de nulle matière pour les remplir. Je ne sais et j'essaie, pourtant, portant de mes doigts nus les sèmes qu'aussitôt je viendrai délaisser... Quel étrange morse crypte mon tempo? Quel message sous-jacent, fruit d'une intention préalable fonde le jaillissement de ma prose, un peu comme le vomissement des roses qui parlerait de graine enfouie... Je tisse, grammaire des intestins, un interstice entre les choses, une brève de silence entre de vains destins. Et que contiennent mes mélopées? Que valent ces quelques méga-octets d'ordre binaire, serrés et alignés comme des rangs de militaires? Et quelle guerre annonce l'armée de mes mots jetés sur le tapis blanc, comme un drapeau, de mes batailles immatérielles?

Toute cette mathématique ne présage-t-elle, au fond, qu'un chaos de plus inavoué. On ne peut jamais parler des choses. Le monde qu'on bâtit s'érige sur un sable de sons, dressant des murs de lois, et tout notre discours ne noue qu'un lien factice entre deux absolus d'indétermination... Qu'est-ce que peut bien vouloir unir la relativité? Que cherche donc à figer la vaine vérité?

Dans les veines bleues du monde où poudroient les étoiles de la Voie Lactée fusent les particules élémentaires de Tout, ubiques comme toute chose réelle, jamais uniques ni singulières, comme le crut l'humanité trop fière... Pas un atome ne possède identité, à la racine (connue) de toute réalité, ne gît qu'indétermination et brève écume de ces champs que notre vie vient perturber.

Et moi, élément fait d'indocile élémentarité, j'ordonne le possible, articule le vide autour de ma personne inepte; badigeonne de couleurs l'obscure monture du monde, et dans la moindre page blanche et dénuée de signes, fusionnent toutes teintes et des nuances exquises que mon âme étriquée ne sait comment penser.

Tout, je dis bien Tout, était déjà contenu dans le rien qu'on dérange.

C'est tout le nœud des formes qu'il s'agit de défaire, pour que les qualités que l'on croit distinguer, se réimpliquent enfin dans la pelote brouillée de rien, inexorablement fondues dans le néant de l'Unité.

Car sous les formes le Réel infini.

vendredi 16 avril 2021

Français, françaises: je vous ai compris

Face au jugement de ceux qui pensent que tout cela, tout ce petit cosmos poétique (cette cosmétique?), n'est rien, pourquoi me sens-je si fragile? Tout cela n'est-il vraiment rien? Rien qui vaille? Et ce jugement qui est le leur, est-il plus que tout cela? Est-il quelque chose de plus fort? Qui décide de la valeur des choses?

Si c'est là le sens de ma vie, je sais que pour l'écrasante majorité des gens, elle n'a strictement aucun sens, qu'elle n'est que fumisterie. C'est sûr que leur monde à eux n'est pas que le simple désagrément d'une fumée passagère, d'une éphémère vapeur. Leur monde est un incendie où se consume le droit d'être autrement. Il faut gagner jusqu'au droit d'occuper un espace.

Je ne suis véritablement rien; pour qui décide de la vérité. Tout ce que je pourrais entreprendre, tout ce que mon destin tend à produire dans le monde, est calciné par anticipation, de sorte qu'il ne reste de mes actions qu'un misérable tas de cendre que les vents de l'utilitarisme balayent comme un rien, dans un éparpillement que rien n'unit si ce n'est l'entêtement d'un homme qui se refuse à mourir.

À chaque instant, en permanence, je suis placé face à l'ineptie de mon existence pour les autres. Je dois me défendre d'être un parasite, surnuméraire, bon à rien et qui n'ajoute rien à la société si ce n'est d'être une bouche à nourrir supplémentaire, un fardeau.

Qu'ai-je à répondre à cela... Si ce n'est mon acception de l'être-au-monde qui se traduit en leur langage par un seul et unique mot: utopie.

Ma vie a une valeur inconsistante, comme celle des idées, mais elle possède visiblement une importance, un poids, qu'il s'agit pour autrui de soulever de sa position et d'injecter de gré ou de force dans la grande mécanique économique.

Tout ce qui est gratuit est dépourvu de valeur; mais doit être entretenu.

"Tu es gratuit et dépourvu de valeur", ai-je entendu.

lundi 29 mars 2021

Ceux de l'utopie

T'es tu bien fait les dents?

Cela soulage tant

De mordre dans une âme?

Juste pour la détruire

Réduire

En miettes

En poudre d'escampette

L'étincelle mutine

Qui démarre le feu

Allonge sur le bûcher

Ton corps qui tremble au froid des autres

Odieuse altérité

Qu'il faut brûler

Allons...

Qu'il faut brusquer

Pas de dialogue possible

Pas avec ces gens là

La réalité c'est cela

Mais surtout pas ceci

Enfin...

Ces gens de l'utopie

Qui parlent pour rien dire

De qui se moquent-ils?

À prendre chaque mot par la racine

À définir nos si belles notions

Et qu'il n'en reste rien

Rien qu'une horrible confusion

On ne peut pas parler avec ces gens là

Ils ne sont rien

Un bourdonnement gênant

Idéalistes utopistes fumistes

...

C'est bien, tout doux Ho là Hooo...

Je t'écoute

J'accueille tout ton monde

Comme s'il n'y en pouvait avoir d'autres

Comme si ce qui est un beau jour

Sera de toute éternité

Ne crains donc pas la vilaine utopie

Elle n'a nulle place où exister

Que dans les faux discours

Des ratiocinateurs

Et tous ces gens qui analysent

L'évidence même du bon sens

Nihilistes grossiers

Pédants outranciers

Qui font comme si l'on ne sait rien

Comme si plus rien n'allait de soi

Même la vraie réalité...

N'aie crainte mais

Un jour

Rappelle-toi

Que ton présent d'aujourd'hui

D'hier n'était que l'utopie.

lundi 22 mars 2021

Métaphysique pessoenne: la sensation et les choses

"être une chose c'est ne rien signifier du tout.

Être chose c'est ne pas être susceptible d'interprétation."


"Je regarde, et les choses existent.

Je pense et j'existe moi seul."

Ces quatre vers extraits des poèmes non assemblés d'Alberto Caeiro sont encore à eux seuls un petit traité de métaphysique. Le poète sensationniste discrédite d'emblée la signification pour la bouter hors du domaine des choses. Signifier c'est interpréter or une chose n'est pas "susceptible d'interprétation".

Les choses dont parle l'auteur ce sont les sensations. Ces sensations sont absolues bien que subjectives. Elles font exister ou plutôt sont la preuve immédiate et intuitive que le monde senti existe comme chose extérieure réelle. Regarder une chose, la sentir de n'importe quelle manière c'est témoigner de son existence. Non pas celle de l'objet, qui est une reconstitution perceptive et suppose l'action des facultés cognitives, mais celle de la chose sentie. S'il s'agit d'une fleur, on ne dira pas que la fleur existe mais pour être plus précis que cette chose que je vois sous la forme d'une ligne verticale de couleur verte (la tige) surmontée d'une couronne colorée (l'ensemble des pétales)  est réelle. Si je sens cette fleur, je dirai alors que le parfum singulier qui semble émaner de cet endroit de l'espace est réel. Fleur, tige, couleur, toutes les étiquettes de la langue correspondent à des conventions factices qui font signe vers des concepts problématiques qui synthétisent un ensemble de sensations disparates, senties à différents moments et indépendantes, dans l'unité artificielle d'un objet. Ce n'est jamais l'objet qui existe mais les sensations pures sont elles absolument vraies, ce sont elles le réel extérieur. "Tout comme les paroles échouent quand elles veulent exprimer la moindre pensée, ainsi les pensées échouent quand elles veulent exprimer la moindre réalité."

La sensation n'est pas une interprétation. Caeiro est tout sauf kantien, et a fortiori tout sauf idéaliste. Il n'y a pas des formes transcendantales de la sensibilité qui sont la condition d'apparition du monde extérieur, ce qui ferait alors des sensations des mensonges par rapport à une entité primordiale qui existerait véritablement, indépendamment de nos facultés à la saisir, et donc hors de nos catégories. Le réel est sensible et il coïncide totalement avec la manière dont il est senti. Pour cela il devient problématique d'affirmer l'existence d'un monde objectif, puisque chaque sensation est unique il n'y a pas à s'interroger sur la persistance d'objets sous-jacents aux sensations et qui demeureraient identiques entre deux moments ou entre deux points de vue différents. C'est ce que l'auteur nomme "réel".

Le fait que les choses sont sans interprétation les désigne comme se donnant immédiatement, elles ne requièrent aucun travail actif de l'esprit (concept hautement artificiel pour l'hétéronyme) qui viendrait autrement nécessairement y mettre du sien et dénaturer la chose même.

Dès lors que la pensée intervient, cesse alors d'exister le monde comme vérité extérieure. Les choses ne sont plus. Par la pensée, la seule chose qui se donne à saisir c'est le "moi seul". La pensée n'est pas faite pour ouvrir sur l'extérieur, elle n'est pas un organe de l'intuition extérieure. Elle n'a pour objet qu'elle-même et ne peut qu'invariablement produire un monde soliptique où ne sont saisies que des reflets du moi qui surcharge d'idéalité tout objet, s'affranchit de la matière pour produire elle-même le monde qu'elle croit alors sentir comme une chose extérieure. La pensée est toujours un processus réflexif par lequel les choses perçues ne sont que des prétextes à refléter différents profil du moi (lui-même concept artificiel). Penser, c'est projeter autour de soi le néant de soi-même, interpréter c'est remplacer l'éclat immédiat de l'être senti par le récit médiateur d'objets factices qui constituent médiatement un monde, et parce qu'il est le produit d'une médiation, ne correspond plus qu'à des concrétions cognitives, à des idées qui se mélangent à la matière sentie et brouillent les réalités singulières se donnant de manière absolue dans la sensation. Rien, dans le réel, n'est quantité, rien n'est identité, toute chose sentie n'existe que dans l'instant de la sensation et toute sensation ultérieure sera essentiellement autre: le réel est une singularité absolue qui se donne immédiatement par proximité sensible. Le monde au-delà de nos sensations est une idée, une chimère, il n'est qu'un agrégat imaginaire à nos sensations réelles.

vendredi 12 février 2021

Marathon

 J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.

Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.

Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.

Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.

dimanche 7 février 2021

Aphorisme éidétique

 Souffrance est mon essence, combattre ma vérité, mourir est mon destin.

vendredi 11 septembre 2020

Esperanto

Une langue logique
Universelle
Des yeux lucides
Clairs
C'est à dire en mouvement
Sur un chemin d'amendement
Celui de vérité

Des jugements prudents
Et non de ces lances guerrières
Dont on se perfore mutuellement
Sans cesse

Aimer
La chose singulière
Non pour ce qu'on en peut dire
Et qui n'est que l'universel
Le commun
Mais pour l'indicible unicité
Le point de fuite
Où le langage échoue

lundi 6 janvier 2020

Aphorismes sur la vérité

La vérité ne produit pas de savoirs. Elle les critique.

La vérité est un processus et ce processus a pour nom "critique". L'école de cette discipline est le scepticisme.

La philosophie est, dans son écrasante majorité, non une recherche de la vérité mais la quête d'un monde justifié; la tentative de légitimation d'un totalitarisme épistémologique.

La vérité ne construit rien, c'est la croyance qui bâtit les mondes car c'est elle qui assure la consistance et la permanence des briques du discours conceptuel.

La vérité nous montre les conditions de possibilité des mondes et l'impossibilité des mondes en tant que chose en soi.

Le processus critique de la vérité montre en quoi le réel n'est précisément pas un monde.

lundi 30 septembre 2019

Le pourrissement de l'âme

Il n'y a plus aucun centre à mes pensées, plus de moyeu propre à soutenir la périphérie et imprimer un sens au roulis nauséeux des songes.

Je n'ai plus de modèle de moi-même, plus d'idéal à poursuivre - ils ont tous été grignoté par le scepticisme et l'esprit critique - et pour cette raison je ne peux plus me définir qu'en tant que processus même d'indéfinition. Je ne me vois jamais comme état ou substance pourvue de qualités particulières mais au contraire comme processus de qualification, comme méthode de détermination.

Une conséquence de cette particularité est qu'il m'est devenu presque impossible de raisonner pour moi-même, c'est à dire en étant réellement intéressé par la poursuite d'un but, captivé par la promesse d'un jugement à venir. Il n'y a pas de jugement totalement faux ni entièrement vrai. Ainsi il m'arrive de raisonner pour le compte d'autrui, comme on s'amuse quelques minutes avec un enfant, pour lui faire plaisir, pour remplir son devoir, et parce qu'on peut le faire.

Mon âme est une nébuleuse d'images diverses et variées, de fragments de pensées, d'impressions, de dialogues contradictoires, pareille au ciel dont chaque étoile est devenue filante. Tout ceci est à la fois harassant et mortellement ennuyeux car sans fil narratif ni direction - or sans direction il n'y a pas de voyage...

Existe-t-il une limite au pourrissement de l'âme?

mercredi 9 janvier 2019

Comme on tresse les mondes

Il y a des choses, étrangement, que le monde semble ordonner. Et il n'est pas en notre pouvoir de refuser.

J'entends la pluie battre sur le carreau du vélux, et je sais, d'un savoir total et cellulaire, que c'est là le signal qu'il me faut écrire. Ne s'agit-il que de mon interprétation subjective, de ma propre fiction intime? Nul ne pourrait ni l'affirmer ni l'infirmer avec certitude. La certitude n'est pas de ce monde, elle se tient hors des relations, de toute atteinte, en un lieu inaccessible et secret. La vérité quant à elle n'est qu'un choix, celui d'obéir en l'occurrence à la pluie, et au message que je lui prête. Et qui s'impose pourtant comme une réalité extime.

Tout est tellement mélangé dans cette existence... Le laid dans le beau, la création dans la destruction, le positif dans le négatif. Les gens s'emplissent les poumons de l'air des morts, de la fumée qui s'échappe des crématoriums, du dioxyde de carbone qu'expirent les enfants dans le halètement de leurs jeux. Et toute la vie se nourrit de la mort, comme cette dernière se nourrit de la vie. Tout fusionne, coexiste, se confond, consubstantialité des contraires qui se dissolvent dans l'étoffe unie du Réel.

Réel... Voilà bien le pouvoir des mots, qui de la forme définie, nous parlent de l'indéfini, réalisent la prouesse d'enclore en eux l'univers au complet tout en n'étant cependant qu'une partie de ce dernier. C'est qu'à la lecture du mot: Réel, chacun fait advenir sa totalité personnelle, son grand Holos, son univers. Et peut-être le mot ne se tient-il nulle part, comme s'il ne préexistait pas à la représentation qu'il ne peut donc pas susciter, puisqu'il en est une émanation...

À quoi se résume l'essence des objets? Il me semble que tout n'est qu'image que l'esprit fait tenir dans un flux de conscience qui peut varier, métamorphosant ainsi les objets et avec eux l'univers (image ultime qui voudrait les renfermer toutes, mais l'entreprise est sans espoir). Amas de cellules, chairs, muscles, atomes, quarks liés par des forces qui ne sont qu'images de ce qu'on ne saurait saisir. Que sommes-nous?

Au final ne restera que l'histoire que chacun se raconte. Comme dans un roman, d'aucuns suivent avidement le même fil narratif, celui-là même qui pousse leur volonté à habiter la seconde à venir. Tandis que d'autres parcourent la même scène à travers d'infinis points de vue, sautant d'un narrateur à l'autre, tressant ainsi les mondes dans le cours d'un destin.

C'est peut-être pour tout cela que la métaphysique est le domaine privilégié de la mélancolie, parce qu'on y est libre de croire en tout - et même que les choses auraient pu être autrement - sans plus avoir à prétendre qu'il y ait un quelconque savoir.

dimanche 14 janvier 2018

D'un monde à l'autre

Il m'arrive de contempler des abîmes inquiétants, en cela que s'y abandonner signifierait presque nécessairement la fin de mon existence, l'annihilation de ma volonté d'être et de poursuivre une route désavouée. Cela m'arrive lorsque je porte un regard en regret vers tout ce que, pensé-je, j'aurais pu accomplir si... Peut-être aurais-je pu travailler sur l'axiomatisation des mathématiques, peut-être aurais-je pu faire, moi aussi, avancer la science. Mais quelle est cette condition qui a manqué pour que cela n'arrive pas? Et si au fond j'ai bien réalisé et accompli les seules choses dont j'étais capable au moment où les choix s'offraient alors... Se croire capable d'avoir agi autrement, croire un peu trop en ce que les philosophes nomment le libre-arbitre, c'est croire en la responsabilité, se prendre pour un empire dans un empire causal, c'est s'imaginer bien des choses invérifiables pourtant.

Non, le cours de ma vie est bien la marque de ce que j'étais capable de faire dans les situations auxquelles j'étais confronté. Parce que se persuader que dans un contexte bien déterminé on aurait pu agir autrement, c'est produire la fiction d'un contexte autre où, effectivement, l'agencement systématique des éléments causaux aurait mené à un effet différent. Mais vous n'avez pas vécu dans ce monde fictif que l'esprit s'invente, mais dans le monde actuel (en l'occurrence passé) où le système extraordinairement complexe (dès lors qu'on l'analyse) du monde a produit de manière nécessaire ces choix et ces actions que vous avez effectués.

Il ne sert à rien de regretter. Bien sûr, il est facile de le dire lorsqu'on traverse cette conclusion nécessairement produite par le système de notre réflexion qui a agencé souvenirs et jugements admis pour en déduire ce nouveau jugement, comme dans un calcul. Mais pour celui qui, dans un moment de sa vie à l'axiomatique différente et à la sémantique autre, les valeurs ne sont pas les mêmes, alors les règles de calcul produisent de manière légitime un résultat autre. Qui a raison entre les deux, celui qui regrette à bon droit, ou celui qui égrène ses fragments de sagesse dont il confond la cohérence avec la nécessité universelle et décontextualisée?

Aujourd'hui, je suis celui qui a opéré un choix, celui qui, immergé dans une axiomatique particulière a suivi un sillon rationnel l'amenant à contempler le trou béant des regrets, par lequel l'estime de soi et le goût de vivre s'écoulent comme par un siphon. Mais je suis celui qui a cherché toute sa vie à voir l'axiomatique de tous jugements, et pour cela je suis le resquilleur, l'apostat, qui n'hésite pas une seconde à sauter sur un autre train et à refaire le monde sous un nouvel angle, peut-être contradictoire avec le précédent mais non moins légitime et cohérent. J'ai agencé les éléments différemment et je suis arrivé là, dans la rédaction hâtive de ce texte qui constitue un petit grain de sable supplémentaire au journal de ma vie, dans la gamme de moi mineur.

Il n'y a rien à regretter. Ce n'est pas une vérité que j'énonce, c'est un choix. Un choix que j'aurai à faire et à refaire, chaque fois que mes pas me porteront au bord du précipice bien connu qui fait qu'une fois extrait d'une situation donnée, je contemple dans l'espace vacant les autres chemins possibles, qui ne l'étaient cependant pas lorsqu'on se replace dans le mouvement passé avec les données et les forces qui le caractérisaient.

J'ai bien opéré ce choix, mais ai-je jamais dit que j'étais libre de le faire...?

mercredi 4 février 2015

Brisure de symétrie

L'homme est un thésauriseur invétéré, il amasse les jugements comme autant de richesses censées lui apporter un avantage sur les autres, censées lui donner prise sur un réel fondamentalement forain et ananthropique. Combien de fois ai-je assisté au triste spectacle de mes semblables, luttant pour faire rentrer chaque objet dans une case bien déterminée: gens comme choses sont soumis à un arraisonnement incomplet et partiel. J'emploie le terme incomplet car il s'agit là d'une bien curieuse manière de se revendiquer de la raison et d'arborer bien haut son étendard quand on ignore visiblement tout d'elle. Sur la droite aux extrémités inexistantes, on prélève un segment dont les extrémités sont les axiomes. Quant à la légitimité de ces axiomes on gardera sagement le silence, respectant par là le principe wittgensteinien.

Toutes les pensées rationnelles qui ont tentées de dépasser la religion par le mépris en se réclamant de la raison sont d'élaborées auto-hypnoses. Quelle est la différence entre un discours absolutisant qui a prétention à dévoiler la vérité du réel et un discours qui se veut relatif et entrecroisé tout en plaquant d'un bout à l'autre de son existence des jugements absolus? On ne peut utiliser la raison sans lui donner un fondement irrationnel tout comme on ne peut faire produire à une fonction (ou une méthode) de résultat (de dérivation) sans la nourrir par une première valeur. Or qui peut prétendre connaître une seule valeur du réel, qui peut même être assez fou pour prétendre savoir si le réel s'embarrasse même d'une telle chose?

L'évidence est une des plus belles preuves du dogmatisme de ceux qui se revendiquent précisément anti-dogmatiques. La raison est capable d'avaler n'importe quelle évidence pour la brésiller au vent, pour en faire émerger la vacuité et l'arbitraire fondamental. Même les vérités les plus élémentaires sont balayées par la raison. J'en veux pour preuve ce principe de géométrie euclidienne pourtant admis par tous: deux droites parallèles ne se croisent jamais. Or ici aussi l'erreur dogmatique se cache sous les atours de l'évidence, car des géométries non euclidiennes montreront comme il est tout à fait possible de vivre dans un univers où deux droites parallèles se croisent en un (ou plusieurs) point de l'espace. Peut-être vivons-nous d'ailleurs dans un tel modèle.

Tout discours et par conséquent toute vérité proclamée ne prend sa validité que dans un contexte bien défini par des axiomes qui définissent le cadre de jeu. Ce cadre est précisément arbitraire. Qu'il relève de l'évidence logique ou bien de l'évidence sensible, aucune de ces chimères ne résiste au passage de la raison. En cela elle est une méthode semblable au temps: prenant des valeurs sur lesquelles elle s'applique et s'effectue. Impossible de dire si le travail de la raison est une construction ou une déconstruction, si elle unifie ou divise, car ces opérations n'existent qu'au sein d'un jugement circonscrit dans ses bornes contextuelles. Ce que l'un construit peut-être la déconstruction et la ruine d'un autre, et chaque jugement a besoin pour exister d'un terminus a quo purement arbitraire et d'une origine tout autant arbitraire.

En tant que méthode la raison est apte à créer toutes sortes de choses, toutes sortes de jugements et de phantasmes humains. Nous avons tenté d'unifier sans cesse le réel à partir d'un modèle rationnel propre à nous en donner les dynamiques, puis nous voilà maintenant pris des les filets de la division et de l'irréductible multiplicité. La science voyage et oscille entre unification et division, au gré des différentes directions vers lesquelles les hommes portent leur regard. Combien de physiques différentes et apparemment incompatibles seront nécessaire pour décrire la multi-réalité? Jusqu'à ce qu'un changement de regard amène une unité inespérée pour que par la suite, d'autres divisions éclatent, encore et encore.

Nous sommes des créateurs de monde et le malheur de l'homme c'est cette compétition qu'il s'impose avec ses semblables pour devenir voix unique, méthode universelle et absolue, seule source de vérité. Car au final la vérité c'est, me semble-t-il, toutes choses en ce monde, tout ce qui apparaît, est pensé, fabriqué, vu, entendu, etc. Tout ce que la méthode qu'est l'être, et probablement le temps, fait émerger est une vérité, le moindre jugement totalement dérisoire possède un contexte de vérité qui lui est propre. Et nous continuons à lutter pour la suprématie d'un monde: scientifiques, philosophes, religieux, etc., alors même que nous devrions pouvoir trouver l'unité de toutes nos diverses forces dans le fait même d'être des forces créatrices. Nous sommes pareils à des fonctions, des coquillages échoués sur le sable de la vie et qui, lorsqu'on les place contre l'oreille, chantent l'écho d'un réel à la fois distant et omniprésent, chacun selon sa tonalité propre, chacun exprimant à sa manière incomparable une vérité de ce qui est.

Je me gausse lorsque je vois les nouvelles théories scientifiques sur le multivers, envisager que peut-être tout existe, que chaque possible se réalise dans une infinité de dimensions comprenant elles-mêmes une infinité d'autres dimensions. Cela, la raison l'avait pensé bien avant, cela, la méthode prolifique de la raison l'avait élaboré, mis en mots, dans des traités philosophiques, dans des poèmes, dans des discussions qui se sont éteintes à mesure que le son des paroles se fondait dans le passé. Bien sûr que dans le Grand Tout, tout a certainement dû arriver, et arrivera encore et encore au sein d'univers fractals. Lorsque j'écris ces mots, à chaque oscillation atomique se déroule probablement une création d'univers parallèles ou imbriqués déclinant la somme de tous les possibles, et combien de moi existent alors lus ou non lus de combien de vous...

N'oublions pas que s'il existe quelque chose à voir, quelque chose que l'on appelle un monde, c'est à cause de cette brisure de symétrie totalement arbitraire et qui a, à un moment donné, fourni à la fonction de l'être une valeur propre à faire émerger le résultat toujours advenant d'un monde qui apparaît.

À tous ceux qui voient en moi le désespoir philosophique et la mort, je leur répondrai que ce qu'ils nomment mort n'est qu'une couleur de la vie. Je leur répondrai que j'ai déjà emprunté un autre point de vue d'où j'observe la construction de leur jugement, faisant émerger alors un nouveau tableau et un nouveau discours où ces catégories s'annulent, je leur répondrai que ma vie de nomade est certes douloureuse parfois, mais qu'elle me permet de sentir à chaque instant la vive brûlure de la source éternelle, qu'elle fait de moi certes un non-être, mais aussi une multitude d'êtres différents, qu'elle me prive de toute demeure, mais qu'elle fait de chaque instant et de chaque dimension une pièce de ma maison.

La seule chose éternelle et immuable que je peux concevoir, c'est la puissance pure dont nous sommes tous une incarnation. Chaque acte, chaque fait, chaque objet est pris dans le flux d'une histoire qui défait ce qu'elle a fait pour faire à nouveau. L'unification de tous ces divers se trouve précisément dans ce que nous partageons: notre fonction imaginative, notre fonction calculante, notre fonction sensible... L'absolu qui fait naître tout cela n'est quant à lui rien du tout, simple récursivité d'une fonction du chaos par laquelle émerge à chaque spin la nouveauté éclatante d'une brisure de symétrie.