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jeudi 2 juin 2022

Le tour de soi

Que faire, de ce corps latent... Que faire d'un soi qui coule au temps, sans le rythme des voix qui scandent à rebours des étoiles, un cœur d'humain paumé, d'humeur perdue dans la laiteuse nuit...

Accompagne -- Ô si tu veux! -- indispensable pluie de lettres, une déroute à travers champs, loin des enseignes lumineuses; éventaires indécents du paradis fichu...

Seul, c'est impossible... Pagode inerte au courant de l'éther, où chercher un repère? Il n'y a pas jusqu'au vide qui s'avère trompeur... Plein de tout l'Illimité -- quelle blague! J'apprends, pour moi et d'autres proies, des mots du dictionnaire... définitions ineptes, privées de référent. Calligraphie atone d'un destin... Solitude éclatante...

Ma présence érode élément après élément. La présence désirée d'un fondement me refuse sa main malgré le pont des mots. Eux aussi forment un cercle imperfectiblement clos... qui regarde l'abîme.

Même la limite du monde est un centre infini...

Réel indispensable, opaque indifférent; ô jamais ne t'avise d'envoyer un reflet. Il faut une limite à tout, même à soi-même... Surtout, à soi-même.

samedi 25 décembre 2021

L'universel dans l'art

Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.

Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.

En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.

Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.

Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...

Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.

Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.

C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.

Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.

La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.

lundi 23 août 2021

Truisme

 On aimerait bien accéder aux choses. Ne dit-on pas d'ailleurs, en matière de roman, qu'il faut laisser la description objective refléter le sentiment intérieur du personnage? Pourtant, dans chaque ligne, chaque phrase, une comparaison ou une métaphore qui semble donner âme aux pierres, aux végétaux, aux paysages entiers. Comme si tout cela, tout, devait pouvoir susciter l'empathie de l'humain, le ramener à lui et lui fournir enfin la clé de sol de ces étranges notes posées devant lui. Nous habillons le réel, sans cesse, nous dévoyons l'absolue originalité, l'inexpugnable extranéité des choses qui devraient nous laisser là, chancelants, dans l'étrangeté atone de ce qui est. Nous sommes terrifiés par le silence d'un monde qui ne serait pas fait de notre bois. Séparés de tout par un abîme infrangible, nous jetons dans le trou nos vaines pelletées de sable et nous rendons incapable de reconnaître le réel pour ce qu'il est: cette indéterminabilité à la racine de tout jugement.

Notre conscience est totalitaire, elle n'accepte rien en-dehors d'elle-même, c'est elle qui définit le monde. Ainsi deux principales conséquences possibles: soit le monde n'est que le songe exquis d'un furieux solipsisme, soit nous sommes irrémédiablement voués à vivre à côté des choses, dans l'interprétation, dans la médiation des signes qui ne renvoient jamais que vers nous-mêmes...

jeudi 15 avril 2021

Derrière le verre sans tain

 Je n'ai que mes poèmes pour me tenir compagnie; et pour me tenir lieu d'achèvement. Autrement je ne possède rien: ma vie est une note de bas de page où chaque lettre ouvre sur une galaxie poétique; mais personne n'ouvre ces lettres. Personne, à juste titre, ne le fera.

J'ai de trop hautes aspirations pour exister tel que je suis et m'injecter dans la matière des formes. Comment supporterais-je la vue de mes reflets ignobles dans d'indéfinies œuvres spéculaires. On ne peut renier une œuvre, il faut accepter que c'était là, à l'époque, tout ce que l'on savait faire de mieux.

Je ne fais rien. Je me contente d'être sublimement affecté par les actions des autres. Je coule interminablement dans l'océan versicolore de la beauté environnante. J'y étouffe la flamme de mes velléités; étrangle mon égo. Produire de la beauté ce n'est pas la même chose que de l'éprouver. J'éprouve en mon purgatoire privé le parfait équilibre des abîmes les plus noirs et de cimes acméiques. Je vis dans ce parfait vertige de chutes ascensionnelles.

Personne ne saura ni ne goûtera l'absolue singularité de mes délices. Ni non plus celle, terrible, de mes angoisses. Il n'y a pas de signes pour cela, je n'ai pas les moyens d'en dessiner les routes, d'ouvrir une fenêtre sur mon désunivers. Je reste prisonnier, à perpétuité, derrière le verre sans tain de l'odieux solipsisme.

dimanche 26 août 2018

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

Ma vie est comme ce cri d'oiseau, timide et persistant, et peut-être vain car affairé à seulement passer du jour présent au lendemain.

Qu'ai-je bâti si ce n'est rien.

Pourtant, je connais des cabanes et chateaux sis dans une immense forêt de bambous. Ceux qui s'y égarent ne goûtent guère le génie d'habitations fait-main, ils se hâtent bien vite de rentrer dans leurs immeubles impersonnels, d'aller où on leur dit, et de porter leur coeur sur ce qu'on a, pour cela même, étiqueté.

Il me semble que le monde ne cherche plus à évoluer, repu et stagnant dans les eaux de la médiocrité. L'on n'aime plus les rebelles aujourd'hui, les ermites un peu fous, les esprits ébréchés. La différence est un épouvantail et la liberté un ennemi.

Peut-être suis-je venu trop tôt, ou peut-être trop tard. À quoi servirait-il de le savoir...

Je m'invente des origines stellaires dans des poèmes que personne ne lit, comme une manière de rompre avec la solitude tout en lui prenant la main.

Tout ce qui me satisfait ici-bas est jugé inutile, oisif et de peu d'intérêt. Les horizons qui m'animent sont au mieux des loisirs improductifs, sans valeur pour la société. Je suis la pièce inadaptée d'un puzzle achevé.

Cette tristesse des confins qui m'habite doit bien pourtant être de quelque valeur, il s'agit là tout de même d'un profond sentiment que je brûle comme un pétrole qui mène la carlingue de mon existence. Tout cela n'est-il rien? Réellement rien? Je veux dire: socialement rien?

Mon être, mes goûts, mes passions, mes oeuvres sont-elles à ce point ineptes qu'elles doivent être ignorées comme s'il ne s'agissait de rien?

Tu-tuuu Tut!

L'oiseau continue de chanter, qui s'en soucie si ce n'est moi... Ce chant est le point de départ de ma rêverie, je l'accueille, j'en fais quelque chose, et par là il existe. Quant au son qu'aura fait ce poème, advienne que pourra, que personne ne le prenne, je ferai semblant de n'en point prendre ombrage, de demeurer sublimement indifférent.

A-t-il même existé ce son? Et comment le savoir s'il reste sans effet sur le monde extérieur...

Dans un monde parallèle à ces pensées, et peut-être sans contact avec lui, des chiens s'approchent bruyants de mon corps penché sur un banc public, et qui saigne quelque chose - comme on transfuserais sous forme d'arabesques sur fond blanc des sentiments autrement informes. Les chiens me heurtent, reniflent mes sandales, bavent sur mes pieds, mes vêtements, comme si je n'étais pas vraiment là, pas véritablement singulier; tout juste objet préformé et sans surprise prêt à être désintégré-digéré dans leur monde de promiscuité écœurante: un monde despotiquement unique et absolu.

Cette vie est sans égards pour rien: des univers qui s'ignorent se télescopent et chacun tente de fondre l'autre en un objet défini dans son propre système. Désengagé de naissance de cette guerre universelle, je continue de brûler ma vie en chants ou cris éphémères.

Tu-tuuu Tut!

De toute façon cela ne veut rien dire pour autrui, tout juste un signe à interpréter, c'est à dire un objet à constituer puis agencer dans son petit royaume personnel... Le solipsisme tue lentement et moi je vis encore... À quel point de ma course en suis-je?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

jeudi 18 janvier 2018

Dans les vignes



Je marche. Marcherai-je toujours? Se pourrait-il que j'arrête - et que restera-t-il alors à faire?

Je marche dans les vignes, au milieu des sarments coupés attendant en tas au bout des allées. La récolte fut-elle bonne cette année? Et les raisins, seront-ils bien sucrés? L'amour des cieux et de la terre donnera du bon vin je l'espère....

Je marche et pense. Cela aussi, cesserai-je un jour - et que restera-t-il à faire alors?

Je pense au long des pas - où sont-ce les pas qui se posent au long des songes? Je me surprends encore dans quelque rêve dérisoire où je suis une idole, irrésistible, à qui tout réussit, que l'on adule - et même après la mort que diable je m'enivre! Il est doux de rêver, de se jouer si bien la scène qu'on en est persuadé qu'elle doit être vérité; qu'elle sera vérité.

Bientôt je m'invective - à quel pas en étais-je? Mais à partir de quand les compter... -: enfin mais pour qui te prend-tu?! Un héros, un à qui tout sourit? À qui tout frappe à la porte, le succès puis l'objet fantasmé? Le succès est moins important que la Femme, que l'idée, parce qu'alors tout serait justifié au nom de ce qu'il y a de plus beau, de l'amour! Le coeur en arrêt, suspendant sa respiration pour le retour de la chose aimée. Et la bouche disant à cette dernière: je te pardonne, si tu savais... Je te pardonne tout!

Je ris, marche et pense, observe au-dehors autant qu'au-dedans, je hume et sens, j'entends aussi, moins l'extime que l'intime. Je me moque de ce moi qui peut faire toutes ces choses ensemble et pourtant de tout cela ne peut retenir qu'un point d'écoulement, une seule chose à la fois, odeur ou son, image ou contact, que la mémoire réagencera en bouquets. Qu'a-t-on besoin d'histoires, nous existons déjà sous forme de récit...

Mais tout de même, au milieu des sarments je souris de moi-même, de ce désir de reconnaissance, de ce désir d'amour qui me prend par moment et disparaît, aplani par la raison qui apaise et dissout. Soudain je m'interroge: et si chaque acte de ma vie n'était que la réponse à ce besoin si fort? Alors j'aurais partagé avec mes semblables, la merveilleuse propriété émergente des destins: de toutes ces formes agencées et unies qui dans leur infinie complexité sont une conséquence nécessaire d'un même désir d'amour, et font le plaisir des sourds que nous sommes: d'abord à nous-mêmes, puis à ces causes qui nous déterminent.

Je m'en vais par la vigne mais la vigne soudain cesse, abrupte, comme mes pensées. Pensées qui sont deux chiens se courant après, se tournant autour tantôt jouant tantôt grognant pour se punir.

J'avance désormais sur la courte portion goudronnée avant de fouler de nouveau l'herbe en souriant aux moutons qui, je ne sais pourquoi (ou bien le sais-je mais suis-je trop flemmard pour bien l'analyser), me sont si aimables que je me prends à pleurer rien qu'à me tenir là, auprès d'eux et des mouvements si délicats de leur bouche pour cueillir l'herbe dont ils se nourrissent. Pourquoi racontais-je cela... Ah oui, je m'achemine encore entre ce bois qui me fait un jardin et cette boîte qui retient mon destin. Entre les deux je songe et parle tout haut, arborant ce sourire dément du héros absurde. Absurde oui, mais héros peut-être pas, pas plus que les gens dans leurs maisons, pas plus que les moutons qui broutent...

Je rentre docile à la bergerie, vingt mètres carrés de murs blancs où ploient mes épaules de lilliputien géant.  Dieu que je suis minuscule, et frêle. Je ne suis rien, pas même un mouton, pas même un chien. Sur ma porte close, rien ne vient taper, ni succès ni Femme; tout juste peut-être le vendeur d'internet ou bien les éboueurs pour le calendrier. Je n'ai rien à leur donner, parce que je ne possède rien. Comment leur faire comprendre que l'agencement du monde est ainsi fait qu'il n'y a métaphysiquement rien à donner, c'est impossible...

Je traîne un peu, le soleil garde ses feux pour d'autres cieux plus lointains. Peut-être que là-bas, la gloire et la Femme s'y trouvent...

Je suis arrivé, je m’assois. Je cesse de penser. Coquille. Vide.

Peut-être n'étais-je rien tout à l'heure?

Tandis qu'ici, maintenant, pas même rien...