dimanche 26 septembre 2010

La carte et le territoire

Le langage (tout langage) est une manière de traverser le réel, d'en lisser les contours, d'en extrapoler des modèles, autant de lois qui ne sont que des cartes grossières et approximatives d'un territoire à la profondeur insondable (pour paraphraser quelque peu Korzybski).

Le langage est à la base de la connaissance puisqu'il délimite, quadrille, généralise. Il est appropriation du réel par l'humain. L'homme vit alors à l'intérieur de ce langage qu'il a surimposé au réel: toute connaissance conscientisée ne peut exister hors du langage, or l'homme est un être de savoir, de "capital culturel", donc un être de langage. Ce dernier est donc ce qui lui permet à la fois d'arraisonner la nature, de l'instrumentaliser (de s'en rendre "maître et possesseur" dirait Descartes), mais c'est aussi ce qui l'en éloigne, l'en coupe, l'en détache. Le langage est le symbole de la finitude humaine, de son confinement inhérent dans un univers absolu. Il devient alors pour l'homme une sorte de 4ème dimension cloisonnante, au même titre que le temps et l'espace. Il vit à l'intérieur de celles-ci, or absolu et vérité résident précisément dans leur abolition radicale.

dimanche 12 septembre 2010

Les Hommes [Chapitre 3]

Assis dans son 19 m2 hors de prix, Eric regarde par la fenêtre et observe les oiseaux partis pour le soleil, loin de sa prison. Ils sont comme ces souvenirs, pense-t-il, ces souvenirs d'enfance qui semblent flotter dans un univers parallèle.

Il se souvient avec intensité le premier livre qu'il a lu, au CP: "Histoire du prince pipo". Avec quelle fascination il avait découvert ce monde peuplé de mots, ces territoires imprimés ouvrant des portes sur la magie, sur les recoins oubliés par la science et son objectivité toujours valide, sa vérité froide. Lorsqu'il avait refermé le livre après des heures de lectures heureuses, quelque chose s'était passé, un léger déplacement de son âme, l'enclenchement d'une gachette qui avait enfanté d'un désir: "je veux être écrivain!". Il est loin ce rêve maintenant, loin de ses abattoirs où il passe ses journées, loin de ces couloirs bourdonnants, de ces machines à photocopier, de ces ordinateurs jamais éteints, de ces étages qui s'écrasent les uns sur les autres, de ces tours défiant les arbres.

Ca fait bien longtemps qu'il n'avait lu un livre, et pourtant il fut un temps où ils tapissaient sa vie, ses murs. Il avait écrit même plus petit, à l'école primaire. Peut-être un jour... Lorsqu'il rentrera chez lui avec un restant de courage et de volonté, avec l'envie de se tenir debout comme un homme qui avance. Peut-être qu'un jour, les mots lui parleront encore...

Par la fenêtre, la nuit commence à ronger les restes de soleil qui s'attarde, le ciel est le théâtre d'une guerre quotidienne, sublime, diaprée de lumière et de nuit. 19h42: il est temps de rejoindre Mariachi comme il aimait lui-même à se prénommer. Un ami rencontré durant les études, Mariachi et Eric ont fréquenté la même école, et occupent les mêmes emplois, à peu de choses prés. Son ami avait pris la décision de lui faire découvrir son quartier, à lui, qui déteste Paris. Montmartre... Il en avait tellement entendu parler qu'il en était écoeuré, mais c'est avant tout l'occasion de manger au resto et de boire un peu, d'oublier encore, au moins de faire semblant. Et puis tout de même, ça fait 5 ans qu'il habite dans cette mangeuse d'hommes et il n'a toujours pas visité la majorité de ses quartiers, de ces morceaux d'histoire.

Eric sort, la nuit semble se jeter sur lui. Il s'enfonce sous terre, avec les autres, les siens, les hommes qui fuient. Le métro l'emporte en hurlant. Samedi soir: les gens rient et semblent heureux, il n'aime pas ça. Son visage se reflète dans la vitre, il se trouve laid, triste, il ne regarde même plus les filles, ces poupées de plastique parisiennes, inabordables, insipides. Qu'on est bien dans le mouvement, dans ce relâchement temporairement autorisé, dans cette passivité si douce. Quelqu'un d'autre conduit, on lui donne les rênes de sa vie et l'on attend, on observe les atomes défiler.

Sa station: Eric descend, il ne se souvient plus la sortie, il en prend une au hasard, de toute façon le hasard ce n'est pas pire qu'autre chose soupire-t-il. Il monte les escaliers. Suit toujours la même direction. Encore des escaliers, en colimaçon cette fois. Il n'avait encore jamais vu cela à Paris. Toujours pas de sortie, cela fait maintenant quelques minutes qu'il monte. Il est seul, le béton l'opresse. Il monte. Monte encore. Y-a-t-il une sortie? Ses jambes sont lourdes, il s'essoufle un peu, accélère. Son coeur bat vite: effort et stress conjugué. Encore un virage: l'air enfin. La gueule de béton s'ouvre sur un lampadaire typique et quelques arbres au bas d'immeubles bourgeois. Montmartre. Il prend son téléphone et appelle Mariachi. Prendre telle rue, continuer tout droit: l'ami est là qui attend.

Un bref salut, une poignée de main puis Eric partage son angoissante arrivée:
-"Putain, c'est la folie les escaliers pour arriver ici. Ca n'en finissait plus, je commençais à sérieusement mal le vivre..."
-"Ouais je sais, ils sont horriblement longs. Bon je vais t'amener dans un petit resto sympa du coin tenu par des fans de rugby. On y mange plutôt bien et ce n'est pas trop cher tu verras."
-"Aller je te suis, je meurs de faim, et de soif aussi... Dis donc, c'est vrai que c'est plutôt joli comme coin en tout cas."
-"Attends, t'as rien vu encore, on va monter un peu tout à l'heure. Je te montrerais là où les communards se sont battus."
L'air était chaud, c'était la fin de l'été qui abdiquait doucement face à l'automne naissant. Ils arrivèrent devant l'auberge: un mélange de style pub irlandais et de troquet franchouillard. La patronne était belle et son décolleté vertigineux.


Le repas prit fin et ils sortirent dans la nuit, une douce langueur les enveloppait pendant qu'ils flanaient dans les rues. Mariachi les conduisit autour de la butte, dans des rues pavés sous lesquels l'histoire de France déterre le sang jadis versé. Eric écoute son guide, il se rend compte de ses lacunes culturelles, de ses gouffres d'ignorance. Le quartier tient ses promesses, c'est la première fois en 5 ans qu'il parvient à être sensible au charme de cette ville. Son âme sommeille ici comprend-il. Ils montent, toujours un peu plus, s'approchant d'une petite placette jonchées de restaurants à touristes qui d'ailleurs sont plutôt nombreux et concentrés sur cette zone. Ils traversent la place, sillonant la foule comme des fantômes pour arriver finalement en haut d'un long escalier étroit. D'en haut: Paris et ses lumières, Paris étendue à leur pieds, immense, fardée, domptée mais vivante. Les lampadaires distillent une lumière tamisée, appartenant définitivement au lieu comme une signature photographique. De la musique parvient à leurs oreilles: la force d'attraction d'une guitare les attire en plein milieu de cet escalier. Un homme assis sur le côté joue et chante une chanson de rock délicieusement accordée à l'instant. Ils échangent un regard entendu et écoutent fascinés.

La musique les transcende tous les deux, le style leur correspond, le morceau leur est inconnu mais plane littéralement sur eux dans l'air du soir, les emportant tous deux dans un monde qu'ils vénèrent: la musique. Le joueur casse une corde, continue un peu puis finalement s'arrête sans que la magie ne descende vraiment. Eric et M s'approchent de l'homme et entament la discussion. Ils apprennent ainsi que le morceau se nomme "Sixteen tons" et qu'il est l'oeuvre de Tennessee Ernie Ford. Le guitariste est un sans domicile fixe, il rit d'ailleurs lorsqu'Eric lui demande s'il vit de la musique: "Je ne vis de rien..." fut sa réponse. Ils partagèrent un moment avec lui. il parla longuement de Lautréamont en expliquant qu'il s'inspirait beaucoup de son oeuvre: "les chants de Maldoror". Lautréamont... Ce nom intriguait Eric, l'attirait avec insistance. Ils le quittèrent avec regret, la tête pleine de rêves. Quel courage de vivre comme ça pense Eric qui en est totalement dépourvu. Dés demain il irait lire ces "chants de Maldoror" pour voir si leur musique lui parlera et lui donnera la force de mouvoir une volonté que d'autres se sont chargés d'assoir.

Les deux amis se quittent de la rébellion dans les idées et de la résignation dans les pieds. Erics'enfonce enfin sous la terre pour retourner dans sa boîte, son cube: 56 rue du Dessous Des Berges.

samedi 4 septembre 2010

Pouah!

J'écris comme je vis, et je chie aussi, ça vous fait chier? tant mieux, j'écris pour vous emmerder et je vous emmerde. J'écris pour faire des vagues pour déranger les bien installés, pour écoeurer les trop gavés.

Mes mots collent à vos yeux comme une odeur de vomi dans le métro, comme la pisse sur les hardes des clodos, comme la merde sur vos consciences.

Il y a tellement de merde dans le monde, tellement d'abrutis qui l'achètent que je n'ai plus d'état d'âme à polluer aussi ce monde de ma loghorrée poisseuse.

Je pisse, je chie, je saigne sur vos disques durs trop pleins de vide.

Void

Des mots reprogrammés qu'on plante comme des clôtures,
Retiennent la liberté dans un défunt futur
Que des jeunes offensés délivrent sur les murs.

On regarde les mots comme des images télé
Qu'aucune conscience fraîche ne sait plus déchiffrer.
Avenir vendu, rien ne va plus les jeux sont faits.

Rappelle-toi là-bas

Tu croyais impossibles ces choses qui sont si vraies.
Tu voyais une route sans l'avoir empruntée.

Le sextan de ton âme n'indique qu'un long passé,
Et ton esprit tassé s'exprime en vers tressés.

On imaginait bien, une vie seul à courir,
Un monde sans chagrin et sans peur de mourir.

Pourtant les faits sont là qui chantent un avenir
Que n'ont jamais porté ni souhaits ni vains soupirs.

Le temps s'exprime en mots et s'habille de mystère
Qu'on croyait enterrés mais repoussent en hiver.

Des saisons qu'on imprime sur le film de nos yeux
Un peu de neige aussi, fondue sur nos cheveux.

Et ces questions vendues au présent retrouvé,
S'en vont trouver réponse loin de nos volontés.

Les Hommes [Chapitre 2]

L'homme est ainsi pareil à la bête, que face au danger, privé d'issue, la violence en lui s'insinue.

Trop de vide remplit par du vide dans son appartement meublé de solitude. Eric ce Samedi s'en sort lancer ses pas sur le pavé qui pleure. Les écouteurs dans les oreilles annoncent des musiques jouant l'homme futur, passé et présent. Et le monde autour prend des teintes éthérées. Les immeubles, les rues, les gens, tout semble se désagréger dans des rythmes crachés par l'électricité.

Pendant que l'univers des hommes semble abdiquer, chassé par la musique de ces notes qui le balaient, Eric prend de l'épaisseur, s'incruste dans l'instant. Son être éclot comme ces fleurs au milieu des décharges, et tout autour de lui, les ordures semblent moins laides.

Seul, le monde a plus d'épaisseur. En approchant des parcs, la nature se révèle et l'accueille en son sein. Les arbres peints de printemps s'adressent à lui et se plaignent des hommes. Ils semblent tendre leurs bras vieillis sur nos cheveux comme l'arthrose du mourrant sur les joues du nouveau-né. C'est la sensation d'être au monde, d'être là. D'habiter le présent voilà tout.

Il faut se mettre en retrait pour voir vraiment les gens dans ce qu'ils ont de poétique se dit-il. La poésie est dans tout mais il faut savoir la déterrer parfois, comme un enfant qui gratte la terre. Eric est cet enfant qui s'émerveille de tout, d'une simple balade dans un parc au sein de cette ville immense qu'on surnomme "lumière". Il s'assoit sur un banc et clot ses paupières. Entendre les bruits, sentir le soleil, aimer le monde. Il fait bon d'être inclus dans le monde, d'être un noeud de cette toile universelle qui relie tout étant à ce qui est. Eric vibre alors, comme un chat qui ronronne, il vibre sur sa fréquence et le monde lui pardonne toutes ces fois, à ronger ses propres liens, à faire trembler l'édifice.

On est bien là, dans le silence des êtres. Le temps n'exise plus, il n'est qu'une ligne de plus s'étirant à l'infini, d'un point à l'autre c'est la même chose, on est là et maintenant. Les gens dans les parcs sont plus heureux qu'ailleurs, ils viennent écouter leur vie, celle qu'ils ont baillonné un jour pour lui préférer la survie. Eric est bien, pas vraiment pressé de rentrer chez lui. Il reprend du courage et s'apprête à partir, à quitter ce train devenu fou qui l'emmène hors de lui et hors de tout. À ce moment là, une pensée nette s'impose à lui: la liberté ne s'attend pas, elle se vit. "Je suis moi donc je suis libre, infiniment." songe-t-il le regard déterminé et serein. Eric pour la première fois, s'observe enfin sans défaillir.