vendredi 18 décembre 2015

Le Tout et l'Autre

Trois est le chiffre, trois est toujours le chiffre.
Celui de oui, de non, et de leur réunion.
Mais quatre, s'il est moins naturel, est plus total.
Quatre ajoute au Tout l'Autre,
C'est à dire la catégorie muette et négative
De ce qui échappe aux catégories:
Ni oui, ni non, ni la réunion,
Mais l'Autre, indicible...
Et vers ce qu'on ne peut dire,
On peut tout de même pointer, faire signe.
La quatrième catégorie logique
Est un signe en dehors d'elle-même.
Trois pour résoudre les dualités,
Enfin tout réunir,
Et quatre pour se nier soi-même
Et reconnaître l'Autre.
Trois est un monde pour l'actuel,
Quatre nous indique le possible,
Ce néant originaire,
La source.

mardi 15 décembre 2015

Ce visage là

Parfois, je ne supporte plus la vie sur mon canapé sale, et je me lève, mu par un instinct de fuite, j'en profite pour me punir un peu par une action inepte, comme se brosser les dents. J'allume la lumière et surgit sur la glace le reflet de ma face. J'y trouve, je ne sais pourquoi, un peu de réconfort: j'arrive à trouver de la beauté à mon visage usé, et je me demande alors s'il existe encore, sous cette peau présente, les visages de mon enfance. Je peux les voir, mais ils ne sont plus miens, ils semblent des étrangers que l'on a côtoyé un temps, de simples amis d'enfance oubliés.

Je ne dois être la somme de rien, le non-produit d'un instant qui ne se peut figer. Je file là où il ne restera rien, mais je trouve un peau de réconfort dans l'harmonie de certaines parts de mon visage. S'il n'y a nulle beauté dans ma vie, il y a bien quelque charme dans ce visage là...

Sous les racines

J'ai eu mille destins et nul n'a abouti à rien
Cela je l'ai écrit cent fois et l'écrirai demain

J'écris sans cesse tous mes secrets sans voix
Et recommencerai demain
Dénoue sans fin l'entrelacs de ce moi,
De mon esprit sans main

J'ai eu mille destins et de vie pas une seule
J'ai enfin compris ça drapé dans un linceul

samedi 12 décembre 2015

Epitaphe à mon vieux coeur

Vit-on toujours à l'intérieur d'un paysage? Ou face à lui, ou à côté? Y a-t-il toujours un paysage?

La lune est devenue noire, densément noire et mat avec des reflets anthracites comme si la terre n'était que poussière de cendre compactée. Je marche sur ce croissant de lune cendrée, froid et sans lueur autre que le diffus et lointain éclairage des milliards d'étoiles. Je marche là, comme sur une plage inhabitée et peut-être vierge (qu'en sais-je?). Chaque pas est lourd et soulève un nuage de cendre qui flotte en suspens sans jamais retomber, faisant de mon sillon des petits tas lévitant au-dessus du sol, galaxies miniatures nées sur le passage d'un géant minuscule et brisé, extirpées de l'éternité par mon temps claudicant, celui de cette existence où j'étouffe.

Je suis presque au bord de l'astre, je vois les côtes me border de chaque côté, et la pointe en face qui plonge vers le grand tout, vers cette plénitude spatiale qui semble à certains du vide.

Il me faut un certain temps pour m'apercevoir, au bord du vague interstellaire, que l'astre refroidi sur lequel j'erre incertain perdu et étranger, a la géographie inconnue, et seulement ressentie, de mon coeur. Mon coeur depuis longtemps calciné...

Aucun battement ne pulse en cette terre, juste la mort inorganique, le destin minéral des choses inanimées.

Et, toujours présente, cette sempiternelle question muette: "pourquoi?", que tout ce qui m'entoure s'acharne à rendre incongrue, chose parmi des choses sans causes, chose désirant capturer chaque cause, y compris d'elle-même. Je ne suis rien puisque je ne sais dire qui je suis..? Seul, dans un monde apparemment désert, effroyablement intime et extérieur, les échos d'un silence solitaire comme seule musique à chanter, je n'ai plus rien, plus d'amour et plus de rythme au coeur.

J'en oublie de me demander pourquoi je suis ici, dans ce lieu intime et étrange, ce coeur réifié comme une lune morne où attendre la mort (mais la mort de quoi?). D'ailleurs s'en vient-elle pour des cailloux comme nous? Que des lois exécutent et font.

Mon coeur, cette lune dévastée parmi des astres lointains et probablement inaccessibles.

Il n'y a point de contact entre les choses, rien ne se pénètre vraiment, rien ne fusionne jamais: chaque individu uni à lui seul, jusqu'à la fin qui le détruit dans une union nouvelle qu'il ne pourra goûter (et dont l'idée même est amère et indigeste).

Je n'ai su ni vouloir l'enfer ni le paradis. Cette terre de cendre: mon purgatoire d'éternité où souffrir d'un tourment sans empressement et sans éclat, un tourment qui n'a pas assez le goût de l'effort pour être digne d'être écrit. Et, cependant, je l'écris...

Je suis assis sur la pointe de la lune lorsque je m'éveille quelque peu de ces songes ineptes qui sont l'essence de ma vie, mes jambes balançant mollement dans un espace intersidéral lourd de tant de promesses, de tant d'inconnus où, peut-être, l'on peut vivre autrement, je veux dire sans être sans soi...

Doucement, je me lève et fais un pas dans le possible, comme s'il était une terre; je m'abandonne au vide telle une barque détachée qui dérive en pleine mer. Pour moi tout est fini, enfin je quitte mon vieux coeur.

mercredi 9 décembre 2015

Le cavalier sans tête

Mon oeuvre n'a ni fin ni commencement (phrase d'une banalité sans égale), j'épouse le présent si bien que j'en deviens pareil au temps. Plus qu'une comparaison, il s'agit vraiment d'une fusion, car je suis le temps qui trace chaque sillon dans les sables cosmiques. Peut-être alors que lui aussi, je veux parler du temps pur qui n'existe certainement pas, garde un oeil derrière  lui et que sur chaque regard lancé au devant, se surimpose et se fond le lourd bagage du passé. Le voyageur qui va en Inde met dans l'Inde tout ce qu'il a pu vivre auparavant, ainsi, nulle Inde n'est semblable à une autre, et il n'existe aucune "Inde en soi".

Je suis le cavalier sans cheval, ou dont la monture se fait sentir par ses effets sur les choses, mais qui n'implique aucune sensation pour moi. J'ai beau regarder en tous sens, je ne vois que le monde présent et nulle part de monture. Tout au plus, je vois la longue cape froissée d'expériences de ma vie passée, tout ce long ruban diapré de mes souvenirs que je traîne comme un ciel nocturne aux mille joyaux stellaires.

La nuit, au dehors, n'est jamais aussi sombre que celle qui me suit, et dans laquelle je m'enveloppe pour me protéger parfois du froid d'exister, et pour me couvrir les yeux qui se perdent au loin, vers le néant programmé de tout ce que j'aime.

Hier est une réunion, demain le déchirement d'un adieu; ou peut-être est-ce l'inverse, mais ne peut-on précisément pas vivre toute chose (indéterminée) d'autant de manières différentes et contradictoires? Les choses elles-mêmes sont contradictoires.

Moi-même, dans mon existence insensée. Pourquoi, d'ailleurs, m'a-t-on donné le sens pour penser, pourquoi m'encombrer d'une chose qui ne peut que contempler, orpheline et impuissante, le fondement asensé de tout ce qui est.

Le tableau qui s'efface

Effacer, effacer... Tu ne connais que ça. Tu brosses le tableau de toute existence pour y faire disparaître les formes, tu érodes les figures pour n'en laisser que miettes, sans égard, sans regret ni regard.

Pourtant, des fragments de ton oeuvre, tu recomposes, réassembles, et, bientôt, sur le tableau de l'existence s'affichent les formes, nouvelles compositions que ta main invisible fait jaillir.

En fait, le tableau ne reste jamais blanc, l'absence n'est jamais qu'une absence relative à l'idée de quelque chose que l'on attendait à la place. Ici, tout est plein malgré ton passage qui altère, là où chutent pierres et édifices, maintenant s'élève un horizon, un paysage et une vue d'artiste.

Je ne sais si les pierres et les choses inorganiques possèdent une mémoire et la conscience pour en unifier chaque grain, chaque strate, mais c'est un drôle de privilège empoisonné que de demeurer permanent face aux métamorphoses qui s'effectuent dans ton sillage nécessaire.

Être conscient n'a jamais signifié être libre, être conscient requiert un désaisissement stoïcien, et plus sagement sceptique (c'est à dire sans vérité et sans métaphysique).

Il faut bien du courage, se dit-on, pour regarder la mort s'en venir à notre rencontre, mais le courage requiert la liberté, et la liberté n'est qu'une idée improbable, et de toute façon invérifiable. Nous sommes les mort-vivants courageux parce qu'ils ont été fait ainsi, parce qu'ils n'ont pas le choix.

Jouer des mots

Apprendre à écrire, c'est à dire à composer de la musique, c'est apprendre à jouer, à progresser en tant qu'interprète. Ainsi, mieux vous écrivez, mieux vous lisez, mieux vous faîtes chanter les mots, les liez les uns aux autres dans la prosodie du style qui s'étale, inerte comme une partition, devant vous.

dimanche 6 décembre 2015

La citadelle engloutie

Je suis sec à force d'écrire toujours les mêmes choses, à tenter de rendre ses couleurs à l'ego dévasté. Mes mots n'ont pas de pouvoir et chacune de mes phrases est un mensonge, le délire d'un fou qui gémit à côté du réel. Toute ma vie littéraire est un râle insistant qui ne sait pas se taire. De mains démiurgiques qui grattaient la terre, j'en vins aux voix du tragique et leur écho délétère. Aujourd'hui, je suis l'auteur de plaintes si nombreuses qu'elles parviennent à couvrir le son de vos prières.

Depuis que je sais chanter, je me lasse des mots et de ma voix, j'aspire à d'autres créations, mais trop enclin à la facilité, je refuse une énième lutte avec la matière qui contraint mon esprit à ses règles trop strictes. À quoi me sert le temps, celui qu'on passe à attendre que les édifices soient bâtis quand je peux les imaginer tous, d'un coup achevés?

Vanité et poursuite du vent, je garde dans ma tête les sentiments dorés, les sources de joies intarissables qui abreuvent, sans espoir, mes terres asséchées. Tout s'écoule en moi et revient à ma source, si bien que je déborde un peu d'extases et de beauté contenue, de ce regard sur les choses que nous appelons JE, et par lequel le réel indéterminé se pare de déterminations ornementales, de couleurs et de feux.

Le monde sans un phare

Je vois des souffles sur des pétales à demi-détachés
Qui font voler au vent des couleurs, aux cieux des taches et
Sur mon âme une pincée de bonheur.

Des poumons qui se gonflent aux particules d'air,
Des pétales sans amarre aux lueurs de l'éther,
Voyez par mes mots le monde sans un phare.

Quand tout s'éternisera

Voilà, le bout du chemin qui probablement ne l'est pas, de mon coeur épuisé, peut-être les derniers battements. J'ai vécu là, en bas, dans cette nécropole affligée, où gisent, géants, les fossiles d'éventuelles joies passées. Qui passera par là se demandera peut-être que sont ces traces, à quelle forme de vie étrange appartenaient-elles.
L'on pourrait creuser plus loin et forer alors le noir pétrole de mes souvenirs, sombre et mat comme la mélancolie d'une conscience éternelle. Aliments amers et indigestes pour une âme qui n'est pas prête à mourir.
Depuis longtemps, là-bas, les échos se sont tues, capturés par les grains d'une terre qui garde ses secrets enfouis et ne veut plus revivre.
Tout cela était douleur, et souffrance même dans la volupté...

Peut-être que là-bas, à l'opposé de mes cieux, se trouve un autre ciel pour cette nécropole, un tapis d'étoiles foraines que mes souvenirs allongés contemplent sans les voir, dans le demi-sommeil qu'est le destin des mémoires. Peu importe, tous les cieux sont les mêmes, ils sont comme toutes les choses, il n'ont jamais rien eu à nous apprendre...

Parfois, j'aimerais que tout cela cesse, et que cette nécropole qu'est ma vie soit enfin ensevelie sans sépulture, dans un oubli profond dont on ne peut sortir. Mon coeur serait alors un sarcophage incrusté dans le fond d'un cercueil verrouillé, lui-même enfoncé dans le creux d'une tombe sans nom et sans célébration.
J'aimerais ne plus porter en moi, comme un fardeau impossible, tous les espoirs d'autrui, et ne plus voir en mon néant se disloquer tous leurs désirs. Leur souffrance me fait bien trop souffrir moi qui supporte si bien la mienne.

Ecrire me fatigue... Comme la peau flétrie d'un tambour trop usé, j'aspire à me détendre, à ne plus jamais sentir les pulsions de la vie.

Chemins qui serpentent d'un néant à l'autre tandis que danse absurdement le mirage de la vie. Être conscient c'est faire apparaître la mort, c'est faire surgir en face de tout bonheur un malheur opposé qui le fait exister; enfin, exister c'est n'être jamais totalement heureux sans être absolument malheureux. Chemins de crêtes que nos vies autour desquelles chutent vertigineusement les abîmes sur lesquels malgré tout nous dansons.

Train de mon corps avec la locomotive limité de ce coeur que mon angoisse, parfois, fait vaciller, mais qui pourtant continue sans ciller son voyage insensé. Ma lassitude, par moments, est si profonde qu'elle semble se perdre dans l'obscurité sans origine des causes.

Chemin de fer de la causalité qui fera que ce JE, un jour ne sera plus, mais bientôt brésillé au vent, devenu cendre intégrée au cycle vital d'autres vies insatiables. La mort viendra remplir vos bouches gloutonnes, la mort sera la satiété de tous. Il ne restera plus qu'une ou plusieurs idées dans quelques caboches, des reflets capturés par les yeux d'autrui, et tout s'éternisera enfin.

vendredi 27 novembre 2015

La chair de mon esprit

Ce qui m'a le plus desservi, dans mes relations avec les autres, c'est que les actions n'ont jamais eu pour moi de véritable importance. Ce sont, selon moi, les pensées qui font un homme, pas ses actes, et, malheureusement, je ne cesse d'être jugé pour mes actes insignifiants qui sont autant d'os sans moelle jetés à cette société du paraître et du faire. Je suis défini, un tant soit peu, par mes idées, et c'est pour cela qu'autrui devrait accorder plus d'importance à mes propos qu'à mes gestes programmés, réaction quasi automatique face à l'agression de la vie de troupeau.

Si je m'engage dans une action sans que mon âme y soit, alors je ne puis être cette action, mais je suis tout entier dans la teinte de mes sentiments du moment, dans la symphonie des pensées qui me traversent alors et jaillissent de ma source profonde. Le reste, tout cet artifice scénique, n'est que manifestation factice, sourires et courbettes effectuées pour le spectacle, avec pour seule authenticité l'inauthenticité de mon engagement.

Dans le monde je suis une pierre ballottée ça et là par les forces cosmiques. Pourtant, je ne comprends pas pourquoi je persiste à attribuer plus d'authenticité à mes pensées, à cet esprit qui, je le pense, est tout aussi conditionné par les forces à l'oeuvre dans l'existence des choses, lui aussi point nodal où s'enchevêtrent et s'expriment d'innombrables causes aux racines sans âge. Je ne peux malgré tout m'empêcher de me sentir plus proche de mes pensées, je les accepte et je les suis, comme un vêtement incrusté dans la peau - mais de quelle peau parle-t-on? Qu'est-ce qui peut être au fondement de ce JE?

Ce texte est un cri sans éclat lancé du fond de cette fosse que je suis, où bruissent d'innombrables voix qui se touchent et se répondent en des rubans de vie sans gestes, sans manifestation et sans autre public que moi. Je vous en prie, n'écoutez pas le mouvement sans timbre de mes actes, entendez plutôt les notes que chantent mes mots, le rythme de ma prosodie, le jaillissement spontané(?) des fantômes qui me composent, comme autant de fragments étrangers qui, tous ensemble, constituent pourtant ce que j'ai de plus intime.

Et si, malgré ces mises en garde, vous persistez à me regarder vivre dans mes actions, n'écoutez pas le lourd roulement de mes os, voyez plutôt, de loin, avec beaucoup de recul, combien de dissonances harmonieuses se glissent entre mes actes, combien de soupirs qui se répondent en une musique clandestine s'insèrent dans mon curriculum vitae, tous ces silences qui constituent la chair de mon esprit.

dimanche 22 novembre 2015

L'univers est aussi écrivain

Ecrire n'est pas de mon ressort, c'est l'effet d'un faisceau causal aux innombrables fils entrelacés. Je ne choisis pas d'écrire, c'est la situation ainsi que ma volonté - mais la volonté est un caractère de la situation - qui dictent cet acte. Je ne peux me contraindre à écrire ce que je crois vouloir écrire lors même que mon être (c'est à dire aussi l'immense part inconsciente de moi-même) effectue autre chose. Sachant cela, ou plutôt le sentant, je ne m'offusque plus de voir le stylo que tient ma main déverser sans arrêt mon impuissance à donner forme extérieure à mes illusions internes, mes désirs phantasmés.

J'écris ce qui s'écrit à travers moi, comme une planète passerait en un point indiqué de son orbite. Et si tout cela ne vaut pas grand chose, il faut blâmer l'univers qui s'acharne à faire que ma main se crispe encore sur le lieu d'où jaillissent les mots.

De toute façon je ne suis pas responsable, JE n'est jamais qu'un concept inventé pour une réalité Autre.

vendredi 20 novembre 2015

Courir après le vent

La nécessité d'une fatigue implacable retient souvent mes gestes, que mon âme ravale alors avec perplexité. D'où vient cette fatigue qui engloutit dans ses sables ma volonté fragile? Il me semble parfois que l'idée même de réaliser une action me fatigue par avance, et que jouer en moi la floraison de ces innombrables désirs donne à mon esprit une récolte plus prolixe et plus authentique que ne le saurait faire le réel.

À l'instant, je viens d'écrire, dans la solitude ourlée d'impressions et de mots qu'est ma conscience, l'énième livre que je porte en moi. Je ne le lirai jamais, je sais seulement l'effet qu'il provoque, je connais l'indicible d'où il provient et où les longs chemins lexicaux retournent fatalement. Je sens les formes et préformes des phrases qui le composent, je vis l'alme néant de l'intention grouiller de mille mots.

Je voulais écrire tout autre chose, commencer ce roman-monde (pléonasme) qui me fascine tant, et me voilà condamné à décrire l'arc des nuances sentimentales que constitue la simple idée de le faire. Me voilà méta-moi absolu, chacune de mes pensées rebroussant jusqu'à la source de toutes les pensées; je m'abreuve de métamour et vibre de métavoyages; mon style même est une méta-écriture, et de chaque geste intenté jaillit le méta-geste de ces écrits.

À force de vouloir aller au bout des choses, je me suis rendu compte du caractère indéfini du monde où elles existent, il me fallait alors renoncer vouloir atteindre l'inatteignable horizon. J'ai rebroussé chemin et me suis fait archéologue, j'ai traqué le fondement, la source de ce monde où je demeure en tant que prisonnier libre de partir - mais d'une liberté terrifiante, d'une liberté qui requiert à l'ignorant d'accepter le pari fou que l'évasion soit une fin définitive de tout. Rapidement, j'ai plongé vers les abysses de la pensée, où gisent d'irrationnels cieux, j'y ai contemplé le fond sans fond de tout cela: là aussi, horizon qui se dérobe, rien que la présence inexplicable des choses, sans nulle traçabilité.

L'univers est cette mise en abîme entre deux horizons, où nous existons comme des reflets récursifs impossibles à contenir - c'est d'ailleurs pour cela que la conscience est une fuite, et le monde la trace de son sillage. Qu'est-ce qu'un reflet? Un peu de lumière, énergie universelle piégée pour un temps limité dans la pièce aux miroirs de notre identité?

Je n'ai pas d'origine et ni destination, j'erre en ce monde bâti contre un réel qui demeure à jamais(?) pour moi indéterminé; indéterminé par cela même que les déterminations par lesquelles il surgit et m’apparaît ne sont qu'une note singulière d'un infini musical.

Il ne reste au final qu'à s'amuser parmi les autres, à rire des valeurs dites "universelles" - avec toute la violence dont celui qui les déclare ainsi fait preuve -, de l'imaginaire pouvoir, des conventions auxquelles certains croient tellement fort qu'ils en font des réalités extérieures à leur phantasme. Il ne reste qu'à batifoler dans le bassin du présent, qu'à offrir au monde les fruits de notre existence tout en restant conscient de n'être qu'un parmi les autres.

Tous les projets ne sont que poursuite du vent, mais il est agréable de lui courir après dès lors que nous vivons cela comme un jeu.

jeudi 19 novembre 2015

Aphorismes sceptiques

La philosophie est une perte de temps, sauf pour celui qui en est l'auteur: pour celui-là, elle constitue la satisfaction vaniteuse et narcissique de contempler derrière soi le chemin parcouru.

Plus on augmente la connaissance, plus elle tend vers l'ignorance.

Le philosophe vit trois moment de son existence: d'abord il cherche et croit déceler la vérité, ensuite il doute et remet tout en cause, enfin il cesse de chercher et goûte le mystère des choses.

L'ignorance n'est pas un état initial et originaire, elle est le fruit d'un dépouillement et d'un désaisissement. Parcours ton chemin dans la connaissance, un jour tu t'en trouveras libéré.

mercredi 18 novembre 2015

Hommage à Pessoa

J'ai toujours eu une grande admiration et une sympathie fraternelle pour ces hommes qui, ayant arpenté les terres de la connaissance, ont finalement réalisé qu'elle n'était qu'un paradoxe linguistique, une anamorphose que la conscience fait émerger, de par son existence impossible et pourtant actuelle. J'ai découvert quelques noms que je garde en sépultures animés sur le théâtre de ma nécropole intérieure, et j'en chéris un par-dessus tous les autres parce qu'il a dit, ce que je ne savais point dire, cela seul que je rêvais en silence en de vaines broderies discursives qui resteront inentendues. Je manquerai toujours d'occasions suffisantes pour faire vivre ici l'image que toutes ses traces peuvent suggérer. Pour lui, pour une âme que j'aime narcissiquement, à des années d'écart.

  "Je relis - plongé dans une de ces somnolences sans sommeil où l'on s'amuse intelligemment sans l'intelligence - certaines des pages qui formeront, rassemblées, mon livre d'impressions décousues. Et voici qu'il monte de ces pages, telle l'odeur de quelque chose de bien connu, une impression désertique de monotonie. Je sens que, même en disant que je suis toujours différent, j'ai répété sans cesse la même chose; que je suis plus semblable à moi-même que je ne voudrais l'avouer; et qu'en fin de compte, je n'ai eu ni la joie de gagner, ni l'émotion de perdre. Je suis une absence de bilan de moi-même, un manque d'équilibre spontané, qui me consterne et m'affaiblit.
  Tout ce que j'ai écrit est grisâtre. On dirait que ma vie entière, et jusqu'à ma vie mentale, n'est qu'un long jour de pluie, où tout est non-évènement et pénombre, privilège vide et raison d'être oubliée. Je me désole en haillons de soie. Je m'ignore moi-même, en lumière et ennui.
  Mon humble effort, pour dire au moins qui je suis, pour enregistrer, comme une machine de nerfs, les impressions les plus minimes de ma vie subjective et suraigüe - tout cela s'est vidé soudain comme un seau d'eau qu'on renverse, et qui a trempé le sol comme l'eau de toute chose. Je me suis fabriqué à coups de couleurs fausses - et le résultat, c'est mon empire d'arrière-cour. Ce coeur, auquel j'avais confié les grands évènements d'une prose vécue, me semble aujourd'hui, écrit dans le lointain de ces pages que je relis d'une âme différente, la vieille pompe d'un jardin de province, montée par instinct, actionnée par nécessité. J'ai fait naufrage sans la moindre tempête, dans une mer où j'avais pied.
  Et je demande à ce qui me reste de conscient, dans cette suite confuse d'intervalles entre des choses qui n'existent pas, à quoi cela m'a servi de remplir tant de pages avec des phrases auxquelles j'ai cru, les croyant miennes, des émotions que j'ai ressenties comme pensées, des drapeaux et des oriflammes d'armées qui n'étaient, en fin de compte, que des bouts de papier collés avec sa salive par la fille d'un mendiant s'abritant sous le rebord des toits.
  Je demande à ce qui reste de moi à quoi riment ces pages inutiles, consacrées aux déchets et aux ordures, perdues avant même d'exister parmi les lambeaux de papier du Destin.
  Je m'interroge, et je poursuis. J'écris ma question, je l'emballe dans de nouvelles phrases, la désenchevêtre de nouvelles émotions. Et je recommencerai demain à écrire, poursuivant ainsi mon livre stupide, les impressions journalières de mon inconviction, en toute froideur.
  Qu'elles se poursuivent donc, telles qu'elles sont. Une fois achevée la partie de dominos - et qu'on l'ait gagnée ou perdue -, on retourne toutes les pièces, et tout le jeu est noir."

Pessoa, LI, §442

Aphorismes

"Le paysage tout entier ne se trouve nulle part." Pessoa, LI, §478

En défaisant le noeud

Que pourra bien dénouer le moment de ma mort, et qu'est-ce qui se dévesera au-dehors de ce sac d'impressions qu'est mon identité? Qu'arrivera-t-il lorsque, telle une particule, mon niveau d'énergie changera pour faire passer mon être dans un autre état? Rien ne se perd dans la nature, mais l'entropie défait les formes et que serais-je sinon une forme?

J'ai un peu de regret, par moments, lorsque je pense à cet instant où le cercle tendu de ma conscience souffrira d'une brèche qu'on nomme la mort, et que le réfléchissement centripète qu'est ma conscience s'inversera pour un mouvement centrifuge, éparpillant au reste du monde les fragments que je maintenais unis et fondus.

Tout se défera un jour, tout ce que j'aime aimé, et tout ce qui a constitué ma vie. Je verrai probablement mourir mes parents, puis des amis, les lieux que j'ai connu, certaines ambiances, et tout ceci ne tiendra plus que dans l'immatérialité du cimetière ambulant de ma conscience. Enfin je me verrai chuter lourdement dans la décrépitude de la vieillesse - ne me dîtes pas le contraire, je les ai vu les vieux de ma vie, je les ai vus partir et se voir partir... -, peut-être redeviendrai-je un croyant dogmatique (parce que je ne saurai plus penser avec suffisamment de rigueur et de puissance)... Si cela arrivait, je serai bel et bien mort.

Mais chaque seconde, chaque état de la conscience n'est-il pas une mort renouvelée, encore et encore?

samedi 14 novembre 2015

Désidentification

Ma vie a cela d'étrange qu'elle s'avance en un sens opposé à celui de tous les destins sociaux pré-programmés. Je vis à l'envers de la majorité de mes congénères, ayant ôté le toit de ma demeure et ne m'arrêtant de déconstruire - ou de reconstruire autre chose - qu'une fois les fondations même annulées, rendues au mystère sauvage du surgissement d'un monde.

J'étais quelque chose, ou du moins le croyais-je, mais ce quelque chose n'était pas moi et, prenant conscience de cela, je me suis détourné de ce quelque chose, et vu alors se tenir devant moi, sous mes pieds intangibles, l'amoncellement de qualificatifs prêts à porter pour une âme, comme une plage de galets bariolés.

Au départ, j'ai voulu les ramasser tous, tous ceux que je trouvais à mon goût, conservant les plus attirants dans quelques poches de mon esprit. Mais il s'entrechoquaient maladroitement lorsque je désirais marcher et courir, et me contraignaient à garder sur mon âme un vêtement propre à les contenir. J'ai donc dû jeter là les galets, je les ai rendu à d'autres collectionneurs invétérés qui font de la vie une rangée d'objets chatoyants posés sur une étagère oubliée - or cette étagère est la carcasse de leur âme.

Je suis donc parti me baigner nu dans les eaux du Lethé, et j'ai senti sur mon corps éthéré la langue humide du fleuve qui me léchait l'existence. Je voyais autour de moi les ondes que ma présence provoquait, mais jamais je ne pouvais saisir le moindre reflet. Lorsque je me penchais sur l'eau miroitante et sombre, je ne voyais se refléter que les choses elles-mêmes: c'était un autre fleuve qui se mirait dans l'eau, et tout ce qu'il y avait à voir était cette masse ondoyante, le liquide informe et primordial de mon existence.

Depuis, je me souviens la vie des pierres et la longue et furieuse agonie des astres ardents. Lorsque je regarde un arbre, c'est l'esprit même de cet arbre que j'aspire et incarne, que je détache de lui-même afin qu'il s'apparaisse alors: et c'est le même arbre qui se contemple lui-même par ma distance.

Arbres et feuilles, cailloux sur le chemin - ramassés ou non -, bruissement du vent dans l'air, champignons enfouis sous la terre et qui s'élèvent en silence, perçant le sol pour s'abreuver aux cieux, battements rapides du coeur de l'écureuil, mouvements vifs et musicaux du moineau méfiant, fumée qui s'élève en ondulations floconneuses des cheminées d'hiver, roulement ouaté et sourd où voyage la suie, crépitement du bois qui se libère de sa forme présente par la combustion: tout, j'ai tout été en un instant.

Parfois, nous nous croisons vous et moi, et j'étire alors votre âme dans la distance que je suis, à travers moi, vous observez les reflets de vous-même, et ce que vous aimez, c'est ce qu'il y a de beau en vous, et ce qui vous rebute, ce sont les abîmes insondables que vous fixez dangereusement.

Tragédie cosmique

Je ne sais pas, lorsque je sens ma vie, comment font certains pour croire au libre-arbitre...

Nous désirons presque tous des choses que nous préférerions ne pas désirer, nous nous embrasons pour des choses qui nous apportent pourtant plus de souffrance que de joie. Toute la vie est une tragédie cosmique où le moindre geste est issu d'une conspiration stellaire qui se joue de nous. Les étoiles semblent écrire avec notre sang le roman absurde et tragique d'une planète périphérique. Le ciel est un esthète, il a compris ô combien le tragique est sublime et ourdit, depuis le fond des temps, des synergies antiques produisant le tourment.

Il y a de quoi être artiste lorsqu'on possède un tant soit peu de lucidité, c'est à dire qu'il n'y a plus qu'à se faire l'écho du monde en sacrifiant nos illusions sur l'autel du sublime. De toute façon tout nous emporte vers un ailleurs ignoré - et si nous ne l'ignorions pas, voudrions-nous y aller? -, comme les passagers d'une croisière pour laquelle ils n'ont jamais signé. D'aucuns agissent comme s'ils étaient d'ici, comme s'ils avaient toujours vécu là, et d'autres consument leur temps comme une cigarette, accoudés à la rambarde en contemplant la beauté des cieux et de la mer.

Qu'est-ce que le monde fait ici, que sont toutes ces choses, toutes ces pièces d'un jeu dont nous sommes les joueurs contraints - mais heureux? -, un jeu où même une fois les règles bien connues, on ne cesse d'être surpris et étonné? Cette vie qui m'épate, je la fume par bouffées irrégulières, et certaines (la majorité) ont le goût âcre et douloureux suffisant à en écoeurer; mais toujours, il y a cette arrière-goût délicieux qu'on aimerait étendre pour qu'il devienne enfin la totalité de l'expérience - Ne nous rendons pas compte que si c'était le cas, le délice deviendrait banalité sans nul attrait. Et nous fumons alors de plus belle, avidement, mais c'est toujours le même résultat, la même souffrance teintée d'ivresse qui nous calcine les poumons, toujours le même poison sucré qu'est la vie.

Pourtant, je trouve cela bon et la situation si belle, le sillon de nos coeurs prisonniers qui tambourinent leur tourment dans les espaces indéfinis, la symphonie émouvante de tous nos rythmes qui se mêlent, des chairs qui s'écorchent et continuent d'aimer, inexorablement, tragiquement.

mercredi 11 novembre 2015

À qui en vouloir?

J'étais mêlé moi aussi, dans ce fond d'histoire qu'est la nôtre, incorporé aux cendres du passé, résonant dans quelque écho du temps qui chante son passage dans les cris de toutes choses. Je sais désormais que tu es là toi aussi, le visage barbouillé de cette boue des amours fanés, qui ne le sont que parce qu'on les dit ainsi, et puis parce qu'on y croit aussi... Mais nous avons goûté la terre et celle-ci avait la même saveur qu'autrefois, avec la même douceur moelleuse de nos baisers. "Rien n'a changé" disais-tu: en vérité tout a changé, mais pour que quelque chose puisse changer, il faut qu'une autre demeure, sans vraiment toutefois rester identique.

Il y a toujours nous, comme deux grains de sables pétris par le ressac de l'existence, polis par les méandres d'un destin qui ne parle aucune langue. Et toi, tu cherches encore à comprendre, à ce que tout cela veuille bien dire quelque chose... Moi je regarde nos vies se faire, poésie silencieuse des destinées humaines, qui est sans pourtant être dîte.

Tout est bien je crois, si on le veut. Mais on ne veut jamais ce que l'on voudrait vouloir, effectués que nous sommes par une causalité trop profonde, insondable. L'aiguilleur, en ce qui nous concerne, aura été cruel, ou simplement maladroit... Je m'empêtre dans ton amour et toi dans la conscience que je suis et que tu poursuis comme un horizon lointain. Toi, tu sais être quelque chose, mais une conscience ça n'est rien, cela montre simplement ce qui est, cela témoigne de l'existence des choses depuis nulle part.

À qui en vouloir? À l'existence? À ce fleuve qui nous a fait rouler loin de l'autre, pour nous ramener là?

À qui en vouloir?

Puisses-tu être en paix, je n'en veux plus à personne.

samedi 7 novembre 2015

Je-eux

Je dors en des chemins furieux faisant plus de vacarme qu'un train silencieux.
Du fond d'un trou qui n'est contenu dans rien, j'implore et pense à toi, et lance des "reviens" que nul n'entendra.
Certains doivent attendre des millions d'années pour vivre en bien des formes, je réalise en une vie le bruissement diffus d'innombrables destins.
De cet élan qui se rebrousse je pense à toi, et je recule à chaque pas vers toi.
Comment une déroute peut-elle être un si long sillon, serpentant sur diverses routes et malgré tout soudée au fond?
De ces figures dans les coursives de l'existence, je bats ton rythme comme la peau d'un tambour.
Chaque forme nous déforme un peu et dans chaque homme dansent mille JE.
Regarde comme en ma dispersion ramassée je me fais de ta face un fidèle reflet.

Les avions en haut rayent le ciel, comme les barreaux sociaux qui retiennent mes ailes.
Mais tout ce qui retient soutient aussi, je sais que chaque mur est un parterre possible.
Dans ma tête inversée, et bientôt sans rapport, s'apaise la volonté et le goût de l'effort.

Ce point qui s'ouvre sur l'univers autant qu'il se ferme sur lui, c'est mon âme au fond du destin, aux couleurs de ta nuit.

Du tapis tressés de voix que je suis, je te deviens, néant, sombre source qui luit.

samedi 17 octobre 2015

Capituler

Capituler parfois, sous le joug de la vie, sous le flux des choses qui enchaînent l'attention.

Je manque par moments de cette souplesse d'esprit qui permet le relâchement, le désaisissement de la volonté même de se désaisir.

Être un autre

Comment peut-on à ce point se sentir l'écho de quelqu'un d'autre? Moi qui pensait orgueilleusement avoir arpenté les terres de la réflexion, les territoires fractals de la raison plus que quasiment quiconque ici, je m'aperçois qu'un autre a contemplé ces paysages, et qu'il a, autant que moi et probablement plus, voyagé au loin.

Il n'y a pas jusqu'au style que je ne partage pas (au moins un peu) avec lui. Sans le savoir, à des années de lui, j'ai tenu la même sorte de journal intime, dont le titre qu'il a personnellement choisi aurait dû être le mien.

Chaque fois que j'avance dans ses écrits, je découvre quelque nouveauté qui me le rend plus familier encore. je jouis de cette rencontre, avec la liberté d'y imposer mon rythme propre, je jubile devant les traces d'un homme que la philosophie a lui aussi fini par ennuyer par ses prétentions absurdes.

Comme Pessoa, je n'essaie plus d'expliquer l'inexplicable, tout au plus tenté-je de démêler dans l'enchevêtrement d'une âme quelques filets de mots que l'on peut caresser.

Vanité et poursuite du vent que la philosophie, vanité et poursuite du vent que les ambitions quelconques, nos textes ne sont qu'une occasion de vivre, et non l'imposition orgueilleuse d'une ignorance qui se croit vérité.

Je crois, dans un élan bouddhiste, que je suis la réincarnation possible de cet homme, acceptant alors de na pas avoir la primeur, ni même jusqu'au talent exquis de Pessoa: encore une fois, je marche sur mon ego encombrant et le laisse à terre, inerte et côtes brisées.

Que m'importent ces choses. J'entreprends moi aussi cette autobiographie sans évènements, et peut-être qu'au fond dans cet acte, il ne s'agit que d'une même âme qui vient souffler dans une lignée de carcasses maudites son tourment intarissable, y plantant là, comme seul remède, le plaisir d'exprimer.

Au fond, que m'importe d'être un autre...

jeudi 15 octobre 2015

Dans l'écrin silencieux?

Oui mes écrits sont noirs, comment ne pas en être conscient? Mais comme je l'ai écrit, ce qui ressort de l'expression dite "artistique" n'est qu'une anamorphose de l'être qui s'exprime.

Pourquoi écrire ce que l'humain nomme le bonheur, et qui s'apparente plus à mon sens à des moments de plaisir (avec différents timbres et tonalités)? La lecture d'un souvenir heureux m'est insipide et ennuyeuse dès lors qu'il ne s'agit pas d'une pointe venue relever l'expression moins infidèle de la noirceur.

J'écris comme on se lave des impuretés qui obstruent les pores de la peau, comme on ouvre les volets d'une chambre pour aérer la pièce, ou comme on se contracte violemment pour vomir un aliment indigeste. Mes écrits sont des choses dont je me débarrasse, d'une manière ou d'une autre, parce qu'ils me sont un peu trop lourds dans le ventre de l'âme. J'écris lorsqu'un sentiment me fait ressentir un manque, quand bien même il s'agirait du sentiment d'être tout qui, dès lors qu'il est contemplé par la conscience, n'est plus qu'une carte impossible et figée d'un espace infini.

Les moments de plaisirs ou de bonheur, ne créent aucun décalage en moi, ne laissent aucun creux. Je les vis sans les observer, je me fonds en eux sans les ériger en objet de contemplation: jamais je ne regarde mon bonheur; il est une chose trop sacrée pour que je la souille par la conscience.

Je garde mon bonheur dans des écrins silencieux qui dorment lovés dans le moment qui les a vu éclore. Qu'ai-je besoin d'invoquer tout cela avec la lourdeur de mes mots menteurs, de dénaturer et de défigurer ce qui est sans figure, sans forme et sans discours.

A contrario, je n'ai que faire de maltraiter ma mélancolie et mon mal d'exister. Je fais mentir tout ce chapelet de souffrance pour en faire des musiques aptes à provoquer du plaisir: je fais de mon tourment le fondement d'un bonheur possible, pour moi et peut-être pour d'autres.

Les enluminures de l'âme

Paradoxe d'écrire, d'essayer de faire de soi un être matériel-immatériel de verbes et de noms, paradoxe de vouloir transcrire les qualités indicibles qui font la vie d'une âme à l'aide de l'impersonnalité de mots appartenant à tout le monde, des mots qui sont comme des galets que nous possédons tous.

Comment se dire en accolant les uns aux autres des bouts de choses comme des lettres imprimées découpées dans un journal, à l'aide desquelles on rédige un curriculum vitae aux saveurs supposées de soi. Pourtant, nulle part sur le papier, il n'y a de saveur.

Je me vois penser trop vite pour l'acte lent d'écrire, à tel point qu'il me faudrait noter les idées qui me viennent avant de rédiger tout cela pour ne rien oublier. Mais si je fais cela, trop tard: le vent d'émotion s'en est allé souffler plus loin sa pulpe savoureuse et rythmée, je ne peux rien faire, le moment est enfui, et je reste amusique.

S'écrire est toujours un mensonge auquel on consent, consciemment ou non. On juxtapose les uns aux autres des fragments de phrases possibles, comme pour écrire une partition intime, mais c'est toujours un autre qui viendra se jouer à travers elle, croyant ainsi être cet autre qu'il ne fait qu'interpréter à sa manière.

J'échoue, à chaque texte, à chaque élan verbeux, à faire de moi-même autre chose qu'une mosaïque fade de lettres impersonnelles, labyrinthe éreintant de choses réelles assemblées là par un souffle invisible qui ne se peut saisir.

Je suis TOUT sauf mes mots, mes phrases, ces textes qui ne disent que vous...

L'eau qui dégringole du ciel

Les anfractuosités d'une âme incertaine sont des mondes où se perdre, je les visite parfois, étranger de moi-même. Mes secondes vécues sont une pluie à l'intensité variable: je me vois me déverser partout, dans les moindres recoins de chaque univers que je co-nais; partout, même dans l'exotisme le plus criant, il n'y a que moi et l'expression de mes sens.

Malgré tout, il y a des îles enclavées auxquelles on n'accède que par des chemins tortueux, avec la bonne barque et le bon guide. Il y a tous ces lieux en moi-même où j'aimerais me rendre plus rapidement parfois, et que peut-être je n'atteindrai que dans des siècles.

Je me diffracte en mondes et illusions d'altérité lors même que chacune d'elle est une rencontre avec un moi inconscient qui, tel un univers advenant, surgit sur le théâtre de la conscience, plein et achevé, poli par une lente gestation inconnue de moi-même.

J'entends l'eau qui dégringole du ciel de mon existence, et je vois le ruisseau que l'eau a formé s'écouler je ne sais où, vers des terres lointaines et enfouies. Je me demande alors: est-ce vraiment moi là-bas?

Pourquoi ne sais-je que me perdre dès lors que je me trouve enfin?

Voyager pour voyager, dans un espace éphémère où les sillons s'effacent avalés par le temps, et contempler en passager curieux la vie qui passe comme un train de fret.

Les choses sont des comètes

Dans le cours de ma vie, il m'a semblé amasser quelques vérités qu'une inférence à partir d'expériences forcément limitées a contribué à polir. J'ai bien souvent entendu d'aucuns mettre en garde contre la tentation d'infini, appelant cette croyance une démesure. Aujourd'hui, je diminue fortement la valeur de ces propos - qu'il me semble avoir tenus moi aussi.

Dire qu'il n'y a pas d'infini, c'est vraisemblablement outrepasser les bornes de l'expérience humaine. Qui peut dire qu'une chose est finie? La vie elle-même est-elle finie? Une chose s'achève, et c'est en fait une forme de cette chose qui s'éteint, la chose continuant son existence à travers la rupture graduée de la métamorphose. Toute fin est un commencement, et l'un et l'autre sont des concepts relatifs à un point de vue contextualisé - toute cette phrase est un pléonasme. Une chose est finie ou infinie selon la manière de l'observer, selon l'instantané que nous faisons d'un monde dynamique et fluent - afin de calculer toujours, des valeurs inventées. Dans la transformation générale des choses, nul calcul ne peut s'opérer. Il faut pour cela l'invention de la quantité, or nulle expérience n'offre de réelle rencontre avec la quantité.

Un grain de sable est-il semblable à un autre? Prenons l'exemple purement quantitatif de son poids: peut-on trouver deux grains possédant réellement le même poids? À une certaine échelle, certainement, mais si l'on change de référent, par exemple en s'acheminant vers l'infiniment petit, on découvrira probablement qu'aucun grain de sable n'est semblable à un autre, et qu'il existe toujours une échelle où des différences surgissent, même en terme de poids.

Y a-t-il deux choses identiques (qui permettraient d'attester alors empiriquement l'existence mondaine de la quantité) dans le monde?

Même les photons, ou toutes particules dites élémentaires, ne sont que les quanta d'un point de vue borné par ses limites nécessaires, c'est à dire d'un épistémè. Les particules élémentaires ne sont d'ailleurs élémentaires que dans un épistémè donné qui dès aujourd'hui est périmé: un électron est composé de quarks, et, très certainement, les quarks d'autres choses, et ainsi de suite. Plus nous avançons dans l'indéfini, plus nous nous apercevons que nul objet du monde physique n'est identique à un autre (du monde psychique aussi puisque toute image est unique en cela qu'elle possède une forme), et que la quantité s'effrite dès lors que l'observation de ces objets s'affine suffisamment pour en faire émerger les différences.

Même les particules doivent avoir une individualité, toute chose du monde est probablement un individu, c'est du moins ce que l'expérience nous a montré jusqu'à présent. Quel quarks est véritablement identique à un autre? Combien de différences découvrirons-nous entre deux quarks le jour où nous aurons créé des yeux à l'acuité nécessaire pour voir un peu mieux ce qui les constitue? Les chinois sont-ils tous les mêmes parce qu'ils se ressemblent, vaguement, et qu'ils partagent un faisceau général de comportements similaires dus au partage d'une culture?

Je n'affirme pas pour autant qu'il existe un infini, pas plus qu'il n'existe un fini: l'expérience ne me donne jamais que de l'indéfini dès lors que je cesse de la figer en unités quantitatives abstraites. Les formes elles-mêmes sont indéfinies, découpage arbitraire des sens sur le manteau d'indétermination qu'offre le réel. Là où surgit une forme, une autre peut prendre sa place, selon le jeu complice que JE mène avec le réel.

Après ces considérations je repense alors à la question absurde de savoir si l'univers est chose finie ou infinie. Au bout de l'univers visible, il y a peut-être autre chose, une autre forme, et entre ces deux formes (qui n'existent que par un épistémè - c'est à dire un sujet - particulier), une interface qui sert de transition et de contact; toute chose toujours reliée à une autre, tout individu fondu en les autres. Et l'univers devient fini dès lors que je lui impose le prisme d'une forme, dès lors que je place aux choses qui partout se brouillent en un grand tout et rien, des contours et une unité propre à me les faire capturer au sein du système de finitude que je suis.

Mais dire que je suis un système de finition est aussi un point de vue limité qui juge en imposant une forme, car le système fini de la conscience est précisément un infini cherchant à se réaliser sans cesse dans la forme d'un monde qui advient. Ce qui est fini, ce sont les images, les peintures que le troisième oeil saisit de tout cela, à un instant donné. Cependant, chaque image est simultanément un univers où se perdre pour une autre conscience (c'est à dire, aussi, un autre moment de ce que l'on juge être la même conscience).

Il semble néanmoins douteux que ces images mêmes existent puisque l'expérience les fond les unes dans les autres, dans l'incessante métamorphose qu'est le monde qui advient par la conscience, et même lorsque je contemple une image en cherchant à la figer en esprit, cette image vit de mon temps propre, et la comète que je garde en face de moi change et s'altère en laissant derrière elle, dans le sillage de mon passé, la queue de détails qui se sont détachés d'elle, tandis que d'autres y adhèrent par agglomération. Voilà ce qu'est toute chose tenue dans l'esprit, une comète en mouvement qui ne donne l'illusion de l'identicité que par un défaut d'attention, une perspective tronquée - comme le sont toutes perspectives.

Pourtant, malgré toutes ces belles paroles, les mathématiques ont l'efficacité qu'on leur connait, mystérieuse exactitude de l'approximation quantitative, aveuglément forcené de celui qui s'acharne à ne voir de la comète qu'une seule et même chose, à tout instant de son voyage. Des mathématiques dans un monde de singularités... Idée saugrenue qui semblerait tellement inepte si elle ne jouissait pour elle de l'indéniabilité des faits.

Si les mathématiques existent et font sentir leur effet sur le vaste monde, c'est probablement que tout ce que je viens de dire n'est que le fruit d'un point de vue qui échoue, lui aussi, à rendre compte des choses en soi. Et pourtant je parle, et ce que je dis de l'individualité de toute chose peut être vérifiée par tout un chacun, et pour cela n'en demeure pas moins valide.

Multi-monde qui fait mentir tous les mondes, réel multiforme qui s'offre sans retenue sous des jours différents, à des spectateurs différents.

vendredi 9 octobre 2015

La lueur condescendante des plaisirs interdits

De l'extrême souffrance d'être ignorant naît l'intense exaltation de l'absurde. Être absurde, c'est être profondément nihiliste, conscient que toute valeur n'est que le produit d'une relation triangulaire, entre un critère et deux objets; or il existe des relations diverses et variées, en nombre indéfini.

Être conscient de cela c'est sentir pulser le pouvoir d'être libre (du moins de se sentir comme tel) et puis se faire soulever par le furieux vertige d'une puissance infinie. On marche dans la rue avec la possibilité de se mettre à quatre pattes et de pisser sur le trottoir aux yeux de tous, pleinement conscient que tout ceci n'a nulle importance et que cet acte, en soi sans valeur, tisse autour de lui toutes les valeurs possibles comme autant de fils d'une toile indéfinie. Être sans valeur, c'est voir le monde en blanc, c'est à dire observer la synthèse de toutes les couleurs possibles.

On pourrait s'éventrer en public puis jongler avec ses propres organes, ne serait-ce que la seconde où ceci est encore possible, tout cela n'aurait pas d'importance sous le regard indifférent des cieux. Aucune étoile n'est un juge. Tout juste un pan de la structure laborieuse des sociétés humaines se mettrait-il en branle pour nettoyer le cadavre offensant, et le traiter ainsi par un algorithme itératif déterminé par quelque procédure inscrite sur la peau des arbres qui dort dans les tiroirs. Il resterait une tombe ou un tas de poussière dans une urne, et le vide intersidéral serait toujours aussi vaste...

Penser que l'on a tous les droits parce que le droit n'existe pas est un puissant moteur. L'absurdité de mes limites, ainsi que celle de toutes choses, fait de ma souffrance une absurdité de plus. Au bout de tout cela il y a mon sentiment vacillant d'un état à l'autre par mille gradations: la souffrance d'être absurde et l'extase d'en être conscient - ce qui est encore différent de le savoir.

La vie d'une absurde conscience est ailleurs, ni dans la souffrance, ni dans le bonheur, ni nulle part. La vie de l'absurde est sans cesse dans l'ailleurs qui regarde et le bonheur et la souffrance, et toutes choses, comme autant d'endroits où ne pas exister, autant d'horizons qui se dérobent mais jettent leurs couleurs irisés au front du troisième oeil, comme la lueur condescendante de plaisirs interdits.

Aphorismes

"Là où il y a une forme, il y a une âme." Pessoa, LI, §416

jeudi 8 octobre 2015

Le réel qui déteint

Les oeuvres d'art, lorsque je les savoure avec lenteur, durent des jours et des mois, sont pareilles aux saisons; elles m'affectent et colorent mes sensations et sentiments, mais surtout, le sentiment même de la conscience que j'ai de tout cela. Les oeuvres accompagnent mon destin, et nul ne saurait comprendre une époque de ma vie sans savoir ce que je lis, contemple et écoute.

Sans le timbre de ma conscience, qui lie entre eux mes sensations et sentiments, tout cela ne serait qu'un mille-feuille qui s'ignore, déstructuré et sans unité car composé de couches éparses et absolues, entre lesquelles nulle relation ne pourrait être, et ainsi nul monde apparaître.

Mon esprit est ce lac ou cet océan parcouru par les ondes que provoque le réel qui me touche. Mon moi ce golem aquatique qui se dresse au milieu, interface sensible entre une source indéterminée et la métamorphose mélodique des qualités que je vis.

Les oeuvres et les saisons sont les  marées de mon âme, la houle de mes sentiments qui forme toutes ces vagues expressives qui viennent se briser sur l’écueil des mots.

Il n'y a que dans l'autre vie, silencieuse et de mouvements qui ne cherchent  point à transcrire leur propre vérité, que je puisse me reposer de la vaine agitation d'exister, et surtout de son ombre angoissante qu'est la conscience.

Peut-être, un jour, écrire deviendra pour moi ce mouvement à l'évidente spontanéité, où s'imprimera en courbes enlacées le souffle diapré de mon âme.

mercredi 7 octobre 2015

Dans l'estréchure

Soutenir.
Le poids du passé et le regard de l'avenir.

Dérisoire estréchure du présent.
Antre fécond du néant; de mon néant; du monde que je constitue dans ma relation subjective au réel; dans mon étreinte charnellement contemplative avec le ciel.

Vertes prairies de mon enfance et horizons distants d'autres formes de vie.
Je me tiens là, entre l'ailleurs et l'ici, où les mots ne suffisent plus car ils ne peuvent vivre.

Qui murmerera alors à mon âme les notes propres à l'apaiser.
Qui noiera définitivement l'ignorance crasse d'exister humain, et la foi même qu'ignorance et savoir sont des choses qui existent?

L'arc-en-ciel des qualités

Certaines journées, lorsqu'un ressac de réalité vient emporter au loin les restes de la fête, je demeure seul avec moi-même, percé par un trou béant d'où s'échappe mon âme comme en un siphon maudit. Toutes mes étoiles avec leur douce lueur foraine s'écoulent par ce puit, et j'habite alors, hagard, dans un monde aux cieux exsangues et sans couleurs.

Je me souviens du ciel sans nuage de ma lointaine enfance, et du soleil inlassable: autant de souvenirs qui paraissent, d'ici, inventés et factices.

Chaque objet du monde est planté là, incongru dans son immobile jaillissement, comme disposé sans goût par un algorithme fade faisant surgir implacablement cet univers de synthèse.

Je vois mes joies, mes amours et mes extases se fondre en une mélasse crasseuse, comme si ma vie se douchait devant moi de ces impuretés, pour ne laisser que l'essentiel, c'est à dire rien dont une âme puisse jouir.

Et mes mots se perdent eux aussi, alors que s'éteint jusqu'au moindre désir d'expression. Il faudra attendre un meilleur lendemain, celui-là, pour que rejaillisse de la source l'arc-en-ciel de qualités que je m'acharne vainement - mais les choses vaines ne sont-elles pas les plus sublimes? - à envelopper de mes mots chéris. Il faut attendre ce matin tiède aux tonalités stellaires de tristesse neurasthénique pour que le premier souvenir fasse refluer en moi le plaisir du présent.

vendredi 2 octobre 2015

Saisie verbale de trois pensées

Suave est le son des gens lorsque leur onde court jusqu'à moi sur l'océan multiversel. L'odeur et leur goût dans mes idées...

Nous sommes comme les particules: nous croyons qu'elles se touchent mais elles demeurent en fait séparées par une distance infrangible, par la force immense des champs d'énergies fondamentales.

La belle chorégraphie que nous exécutons tous dans le ballet des mondes, chacun à notre place, y compris moi, dans ma déportation qui est précisément ma place.

Nous sommes tous les acteurs parfaits d'un scénario céleste. Chacune de nos erreurs l'accomplissement nécessaire de la victoire des choses contre rien, qui est aussi la victoire de rien contre tout, et certainement ni victoire ni défaite.

Ce souffle menaçant de la puissance que je sens pulser dans la concentration de mes soubassements intimes, ce souffle est la matrice de tous ces mondes: ceux que je déverse avec les mots, comme ceux qui se jouent dans le silence des actes - y compris des actes immobiles en apparence.

Repos entropique

Doucement................................ Silence... Glissement du satin sur la soie. Puis:

PLUS RIEN.

Echancrure de l'être sur le fond du néant.







Pourtant, j'ai eu tout ce que je voulais.

Mais je n'ai jamais su vouloir.




Regards vers l'impossible; et toujours au-delà; toujours...

C'est le prix de la métamorphose.

Point de repos entropique pour les déséquilibres que nous sommes.

Le reflet des miroirs

Des vagues d'existence, qui sont la chair des sentiments et le sentiment de la chair, m'assaillent de toutes parts. J'existe ces moments dans le silence de ma contemplation, mais, certaines fois, je me prête au rituel désormais familier d'écrire, tentative dérisoire et sublime d'imprimer sur le voile du monde la trace de ce qui n'est qu'en moi.

Aveugles à nos lumières réceptives, nous nous lisons pourtant les uns les autres, feignant de croire que nous accédons ainsi au sanctuaire indispensable d'une altérité que l'on peut reconnaître. Ce n'est jamais que nous-même que nous lisons ainsi, mais c'est par le reflet que l'autre nous renvoie, par le miroir disposé là par ses soins et dont nous nous saisissons.

Les mots des autres ne sont rien qu'une surface lisse réfléchissant les formes que nous y projetons.

Lorsque nous ne savons sortir de nous-même, l'autre, et la croyance qu'on y accède véritablement, devient le placebo nécessaire à la métamorphose qui saura réunir en une forme nouvelle les dualités d'hier.

Peut-être cependant, dans la teinte du reflet renvoyé, dans la forme du miroir, et jusque dans ses ornements, pouvons-nous imaginer la volonté d'où il a pu émerger, déceler la trace de l'autre et cette manière bien à lui de disposer le réel impersonnel pour s'y faire un foyer (inhabitable pourtant et pour toujours inhabité).

Ainsi, ces moments d'existence dont je vous parle, vous ne les vivrez jamais que par le prisme de vos sensations propres, mais, nous nous serons aperçus, et nous savons (ou croyons le faire), par notre sillage respectif, que d'autres mondes existent au sein desquels un autre monarque solitaire règne, prisonnier lui aussi de ses propres lois.

jeudi 1 octobre 2015

J'entends les professeurs

Ce texte est adressé à vous, qui vous reconnaîtrez, et pourtant à personne, parce que nul ne correspond vraiment à cette idée impersonnelle.

Je vois autour de moi tellement de donneurs de leçons, de professeurs qui professent leurs doctrines à tue-tête, avec l'aveuglement têtu d'une mule acheminant sa charge, inébranlable et imperméable au doute. J'en vois tellement que chaque jour cela me rappelle pourquoi j'ai fui ce métier, cette ambiance et ce système qui m'apparaît inepte.

Partout, chez eux, je vois non des joueurs mais des combattants de la victoire, ne souhaitant qu'avoir raison, être la voix de la vérité (et dieu sait qu'on associe souvent vérité et intensité ainsi que rabâchage). Ils entrent dans la partie comme n'importe lequel des autres joueurs, c'est à dire ignorants, mais eux sont convaincus du contraire et disséminent leurs leçons autant qu'il leur est permis, quêtant les promontoires d'où leur pensée pourra se diffuser au mieux. Certains nichent sur des scènes discrètes parce qu'il souhaitent parler pour un public rare, un public à leur image, c'est à dire intelligent et dans le vrai, mais toujours - ô combien cela est important - moins qu'eux-mêmes; d'autres hurlent à tue tête assis sur le sommet des montagnes, et compissent la cohorte des joueurs autour d'eux. D'aucuns (trop?) écoutent et se laissent ainsi gouverner car il est tellement confortable de s’abandonner à un guide. Le possible, l'indétermination, est une responsabilité bien lourde à assumer.

Je regarde tout ceci d'un oeil amusé, je me détourne de ces zones de guerre où la bienveillance condescendante de l'un est un véritable poignard de mépris enfoncé dans la tête de l'autre. Je ne suis pas cet autre, je continue ma route, parallèle et perpendiculaire à la fois, mais malgré tout lointaine dans sa proximité apparente.

Je ne sais qui a raison et qui a tort dans ce grand jeu, ni si de telles choses existent ailleurs que dans nos caboches, autrement que comme des idées qui ne correspondent à rien mais fondent ainsi des horizons pour le voyageur de la vie.

Moi, depuis longtemps peut-être, je n'ai plus d'horizon et je ne sais ce qui guide ma vie à part le chaos de mon geste présent - mais que sais-je du chaos et du fondement de tous mes actes?

J'entends parler tous ces professeurs et laisse glisser leurs punitions sur mon visage informe, je laisse leur voix me traverser et observe la trace éphémère de leurs propos qui bientôt disparaît.

Il n'y a rien que quiconque puisse apprendre à quelqu'un d'autre, et même cette "leçon" n'en est pas une et n'a de validité que d'être l'expression impersonnelle de ce sentiment qui m'est propre, de cette qualité de l'instant qui l'a vu naître et qui demeure indicible, et pour cela à jamais trahie par ces propos.

J'entends les professeurs qui gagnent, et dans chaque victoire trouvent leur satisfaction dans la défaite d'autrui.

J'entends les professeurs, moi qui ne suis l'élève de personne, moi le mélancolique nihiliste blasé et relativiste, moi le vent de fronde qu'on ne veut pas regarder au-dedans de peur d'y perdre ses racines.

Je joue ma partie, sans défaite ni victoire, et tout est bien ainsi.

mardi 29 septembre 2015

Voyageur immobile des plaines éternelles

Il est des moments, comme celui-là, où je vois les heures tomber, comme des perdrix abattues en plein ciel et dont le vol est suspendu par une mort insatiable. Les moments de ma vie s'envolent puis chutent lourdement dans les limbes du passé, de sorte qu'en aucun d'eux je ne peux trouver refuge.

Pourtant, les souvenirs, bien plus que le monde, ont cette constance que l'esprit qui les invoque leur prête, l'illusion de permanence que le présent confère à tout ce qu'il convoque. Dans les souvenirs, je me repose de vivre moi qui suis sans logis, voyageur immobile des plaines éternelles.

Où s'abolit le lieu

Si la fonction ne fait pas forcément l'homme, sûrement doit-elle l'informer d'une manière ou d'une autre. Je vois sans cesse des attitudes s'imprimer sur la cire malléable et informe de mon être. Aussi je me dépotentialise en une concrétion actuelle que le contexte où je suis plongé me pousse à adopter.

Pourtant, nul contexte ne peut contraindre mon implexe, et malgré les chaînes physiques, je dois demeurer profondément libre - quand bien même cette liberté ne serait que le sentiment vécu du dernier maillon d'une nécessité en cours - à mon fondement même. Ainsi, lorsque je me crois contraint d'adopter telle ou telle forme, j'obéis en fait à des idées, mes propres idées que je me fais du rôle à jouer. Chacun de ces rôles est écrit par d'autres mains, notamment par celles, lourdes et sans souplesse, du passé et de la tradition, des convenances et des stéréotypes.

Partout où il y a des chaînes, ce sont les schèmes de ma propre perception et de mon jugement qui les découpent sur l'indétermination du réel. JE est toujours le geôlier, jamais les autres. Le JE ne peut être limité que par lui-même, nulle altérité ne saurait le borner.

Comprenant cela, je demeure malgré tout dans les ornières déjà tracées, je répète avec la douleur accrue d'en être conscient, sans toutefois être capable, encore, de fournir l'effort nécessaire à briser les moules abscons - abscons car je les vois ainsi du lieu et de l'instant où je contemple. Mais je devine en partie l'énergie et la concentration nécessaire à la transformation émancipatrice sans savoir si, un jour, je me sentirai l'envie nécessaire à arpenter le chemin. Pourtant, je continue de me haïr dans les actes que certaines fonctions rémunératrices me font exécuter; ce sont pourtant mes actes, mes choix (bien que j'ignore ce qu'est un choix).

J'avoue: j'ai toujours envié et admiré le courage de ceux qui ont choisi de n'écouter qu'eux-mêmes - cette expression ne veut rien dire car en vérité, lorsqu'on croit écouter les autres, c'est soi-même disant de suivre les autres que l'on écoute -, la force et la beauté des vagabonds volontaires de l'existence.

Le deviendrai-je un jour moi aussi? Je contemple le possible et son image est chaude qui ondule dans mon coeur. Chaque chose que j'aime habite un non-espace sans frontière que je nomme LIBERTE. Ce mot lui-même chante à mes oreilles des rythmes lumineux et chauds d'une aurore singulière en cela qu'elle est celle de toutes les aurores. Dans le vide où se tapie le possible est incrustée la liberté, comme une source au fondement de toute chose et qui jamais, pourtant, ne se confond avec elles.

Je sais maintenant que tous ces souvenirs que je n'ai pas vécu et qui pourtant émergent dans l'acte d'écrire et de penser, viennent de cet éther où je suis né, de ces marées du vide qui sont le ressac ontique dont je me fais l'écho discursif.

Chaque chose est l'instrument du vide, dormant, infini et réalisé, dans cette omniprésence où s'abolit le lieu.

S'offrir au vent

Je vis à la lisière d'une ère à l'agonie, d'un monde à son crépuscule. Le chant du cygne de mon époque s'exprime un peu partout, dans les agitations et violences qui tachent les nations, dans le râle silencieux et brutal d'une nature bafouée, dans le trouble des âmes qui errent dans les impasses du passé, dans l'habitude et la tradition dont mes semblables se parent comme d'un vêtement trop lourd.

Moi, spectateur-acteur de cette tragi-comédie, j'observe le mouvement de la vie avec la curiosité de ce qui viendra après tout ça. L'Histoire ne s'écrit pas avec la poignée d'individus dont les noms resteront, bien au contraire, elle se fait par la cohorte des petites mains anonymes qui acceptent encore l'ombre des maîtres par simple habitude.

Mes semblables vivent comme si la répétition d'un acte, réitiré à travers une certaine durée, muait son fondement arbitraire en une nécessité indéniable.

Tout fonctionne comme si l'humain, l'être le plus indéterminé du règne animal, voulait se doter d'une nature aux contours d'acier, d'une essence immuable et d'une identité d'airain gravée dans l’éternité minérale. Peut-être devrions-nous envisager de détruire les maisons et tout ce qui nous "protège" de l'impermanence du monde - ou plutôt devrais-je dire: de la tonalité d'impermanence qui réside en toute permanence.

Lucidement adolescent

La pensée, pour moi, a été un chemin vers l'adolescence, dont je ne suis sorti (si tant est que j'en sois sorti) que pour mieux y entrer de nouveau. L'adolescence me semble caractérisée par la conscience de la vacuité des structures sociales, puis de la vie elle-même. Le non-sens est une épreuve à traverser à cet âge, or je me sens aujourd'hui plus adolescent qu'hier, plus lucidement adolescent qu'hier.

La définition du féminin

Tu es toujours ressortie au premier plan sur les paysages où d'autres figurent, surimpression de femme sur fond de figurantes. Je ne sais quelle est cette forme d'amour si physique qu'il semble uniquement charnel; mais nous savons, toi et moi, que dans ta chair souffle ton âme. Tu es l'exact opposé de moi, ton expression est toute entière dans chaque pouce de ton corps et pour cela j'en aime chaque partie. Les autres, quand tu es là, se parent d'un voile terne qui n'en fait que des résidus exsangues d'humains, lors même que tes couleurs éclatent dans le grand tableau des choses. Mais tout cela ne crée pas une impression de dépareillement, bien au contraire, chaque chose semble être une note jouée pour accompagner ta propre mélodie, l'environnement un immense orchestre qui se fait discret lorsque tu chantes, et te mets en valeur.

Tu es finalement ce lieu où je me sens délicieusement bien, cependant dieu sait que je n'ai jamais su rester en place et que je ne peux me résoudre à demeurer sédentaire. Pourtant, infailliblement, je veux retourner dans la tiédeur de ton jardin et m'allonger dans les exhalaisons exquises qui sont pour moi l'expression même du féminin.

Au fond, tu en es pour moi la seule définition.

mardi 22 septembre 2015

Suis-je une loi du monde?

L'état de fatigue est un état intéressant par cela que l'attention s'en trouve diminuée ainsi que l'analyse réflexive. Moi qui ai passé une partie de ma vie à l'abhorrer, je me paie aujourd'hui le luxe de l'accueillir comme une donnée quelconque du quotidien. L'intellect se met donc au repos tel un passager accoudé nonchalamment au bastingage d'un bateau, et qui s'accorderait le bonheur de ne rien faire, rien d'autre que la contemplation passive du paysage qui s'écoule dans le siphon du temps.

L'intellect peut soit s'opposer à cet état lénifiant et en apparence improductif, soit l'embrasser et s'y abandonner langoureusement (ainsi que toutes les nuances possibles entre ces deux horizons). Ces moments sont peut-être les plus décisifs de tous, ceux où les couches souterraines de l'esprit mettent en branle d'antiques rouages chargés d'unifier, dans l'ombre, les informations éparpillés. L'esprit, la conscience (et ses différents niveaux), en tout temps, s'active à assembler un monde, architecte dément et compulsif.

Tout ce que je peux produire sur un plan intellectuel en ces moments là est médiocre (du moins jugé par moi comme tel, mais n'est-ce pas la seule chose qui compte?), chaque effort sapé en son fondement même. Il me faut accepter cela et aimer cette passivité qui me rappelle que bien souvent (peut-être tout le temps), l'activité dont je crois être la cause n'est que l'effectuation d'un faisceau causal immense et enchevêtré, d'une intrication de processus - dont l'histoire remonte probablement à l'éternité - qui agissent par synergie à travers ce que je nomme moi: cette symphonie de mes actes.

Si chaque processus est le fruit d'une mécanique alors il obéit à une loi et l'ordre des évènements est ainsi déterminé. Bien sûr, un parfait clinamen viendrait introduire le chaos qui semble s'immiscer partout dans la fonction de la vie, mais peut-on vraiment affirmer qu'il existe une telle chose qu'un hasard absolu? Tout juste, je pense, peut-on le croire.

Un tel système aurait quelque chose de majestueux (cosmos exprime alors cet ordre immense) et d'intrigant, mêlant structure déterministe et flux chaotique. Les grandes fonctions cosmiques avaleraient ainsi des données issues d'un éventuel hasard primordial; chaque monde l'exécution d'un programme nourri d'indétermination.

Il s'agit alors de découvrir si l'indétermination elle-même n'est pas le fruit d'une fonction, et si oui de laquelle.

D'ici, trop d'ici

Je regarde en moi les étoiles - les étoiles sont toujours en moi -  et me vient alors cette étrange sensation: le contact d'un scintillement sur le côté du crâne, la sensation de mille lumières coruscantes qui s'emparent d'une moitié de mon champ visuel. Ce qui est étrange c'est que rien de tout cela n'est purement visuel ou purement tactile, mais la sensation est une synesthésie singulière qui fait de l'image un véritable contact physique ressenti dans cette partie de mon crâne bien particulière. Mon cerveau semble alors pétiller comme si couvaient en lui les myriades de ces brasiers stellaires aussi majestueux que terrifiants.

Je sens véritablement le vide - qui n'est jamais vraiment vide - séparant les espaces intersidéraux et je sens la pulsation ardente de toutes ces étoiles qui se logent dans ma tête. Une partie de moi est ce fragment céleste de mes nuits phantasmées. Je ne sais plus très bien ce que je suis alors, mais j'aime à me transformer tout en restant fatalement au sein de ma structure transcendantale et ses limites - mais qui peut me dire si elle en a réellement?

Soudain, après avoir ruminé ces pensées qui sont en fait des souvenirs, je me lève du canapé bon marché où j'étais assis pour écrire. Je ressens dans les fesses le fourmillement des zones mal irriguées par mon sang, je claudique un peu et me concentre pour garder mon équilibre. Le soleil brille, il n'y a nulle étoile visible et la rémanence de cette image vécue il y a un instant s'estompe dans un espace interne dont j'ignore tout. Cela a-t-il vraiment eu lieu? Je m'étais cru issu des cieux et je me trouve ici, dans ce studio terrien, connecté à toutes les commodités modernes sur lequel mon corps semble moulé.

Décidément d'ici, trop d'ici...

jeudi 17 septembre 2015

[ Le système du JE ] Enfance et possible

Dès l'enfance nous entrons dans le royaume du possible en apprenant à intégrer les rêves au domaine de ce que nous nommons réalité. Cette opération si elle peut être innée est certainement renforcée par la société des adultes qui fait de l'enfance une zone démilitarisée où la loi despotique de l'objectivité est absente. L'adulte permet à l'enfant de croire en ses rêves, mieux il les encourage et lui en propose. On pourrait croire qu'il s'agit là d'un geste bienveillant et désintéressé mais il semble plus probable que l'adulte, par là, se donne à lui-même un espace pour faire exister un imaginaire maltraité par la société et ses velléités totalitaires. Education et science sont la règle qui vient aplanir les déviations de l'esprit, délimiter le réel et séparer le possible de l'impossible.

Pourtant, il semble bien que rien n'est impossible. Ce n'est pas la science qui pourrait dire le contraire puisqu'elle amène paradoxalement à cette conclusion. Celle là même qui détermine des vérités premières à partir desquelles raisonner se perd par son outil même: le raisonnement, qui vient inéluctablement ronger la validité même de ces vérités premières. C'est ainsi la même activité qui bâtit un réel objectif par des déterminations premières qui le déconstruit par la suite.

Quoi qu'on fasse, la plus froide raison semble nous ramener toujours à l'enfance, cet espace-temps où le possible est un domaine indéfini et sans bornes apparentes d'où l'actuel que nous nommons réel émerge dans le jaillissement absurde des phénomènes.

Aujourd'hui je n'écoute avec pas moins d'attention les "délires" autistiques d'un enfant qui projette autour de lui un monde pour jouer que les non moins délires des scientifiques et philosophes qui croient toujours dire quelque chose qui va au-delà d'eux-même, dans ce vieux rêve despotique et fade qu'est l'universel. La parole de l'un et de l'autre est mon réel, la sensation que j'en reçois constitue pour moi le réel.

Mais devinez pour qui mon coeur penche entre celui qui veut faire de son entendement l'univers et celui qui n'est là que pour une chose: jouer.

[ Le système du JE ] La raison de l'irrationnel

À mon sens, un des plus grands rôles de la philosophie (c'est à dire celui que je lui ai personnellement conféré ou découvert) consiste à dépasser les dualités, c'est là une tâche que la raison permet en toutes situations. Lorsqu'un raisonnement amène à déconstruire le sens d'un énoncé, même lorsqu'il s'agit du sien propre, il s'agit bien de conférer précisément un sens à ce qui n'en a pas, en traçant la voie logique menant à cette concrétion rebelle et en apparence alogique du non-sens ainsi déterminé. La logique, la raison, bien sûrement s'achemine, lorsqu'elle est pratiquée avec rigueur, vers ses racines irrationnelles, comme celle des axiomes par exemple.

Ainsi le rationnel s'enracine dans l'irrationnel tout comme ce dernier se découvre et se justifie par le premier. Les deux concepts se lient non dans un rapport d'opposition - qui ne peut naître que d'un état et d'un point de vue figé - mais dans une sorte de consubstantialité dynamique où l'un et l'autre s'embrassent dans une étreinte qui les unit comme deux moments d'un même mouvement. Le paradoxe est le milieu naturel de la philosophie.

Quatre vers, une route

Les belles paroles se sont tues, il n'y a plus d'âme pour les murmurer
Si ce n'est comme un souvenir déchu que l'on ne voudra plus endurer.
Ma vie une suite d'erreurs que j'apprends à aimer
Et tes yeux une route où je me prends à errer.

vendredi 11 septembre 2015

[ Le système du JE ] Philosophie

Ecrire une philosophie n'est pas une activité sérieuse ni même très utile. Il s'agit plus d'une expression égoïste que l'on s'adresse à soi-même, comme pour cartographier son propre esprit ou comme on écrirait la législation propre à une conscience d'exister. Toute tentative d'objectivation relève plus de l'expression d'une volonté totalitaire de réduire l'altérité rebelle du réel à la vision personnelle et unifiée que constitue un monde, que d'une véritable entreprise de partage d'un éventuel savoir sur le réel en soi. D'ailleurs, écrire cette phrase, qui veut tente d'ériger le relativisme en une vérité générale, relève de la même volonté et n'a par conséquent, comme toute tentative de cristallisation d'une expérience subjective en savoir objectif, que peu d'intérêt.

La philosophie est intrinsèquement subjective, comme le sont tous les mondes connus, précisément parce qu'ils sont connus. L'objet en soi demeure, à mon sens, par delà les bornes d'une distance infranchissable, précisément parce qu'elle est bien plus qu'une distance une modalité ontique autre.

Cependant les hommes, malgré leur irrémédiable solitude et altérité les uns envers les autres, semblent sensibles aux expressions d'autrui, à la vibration familière d'une autre singularité. Les autres sont des sons, qui parfois nous touchent et parfois nous exaspèrent, parfois nous intéressent et parfois nous laissent indifférents.

Le son de mon âme, qui tente de résonner à travers ces mots à la validité limitée car contextualisée, pourra, peut-être, sembler à quelque autre une musique de ce genre, dont la situation existentielle au moment de la lecture déterminera une valeur particulière et enclavée, elle aussi, dans ce contexte limitée.

À la vérité, en m'imprimant ainsi sur le réel, je fais signe vers moi-même (sans bien savoir ce que cela peut vouloir dire) bien plus que vers une quelconque réalité absconse que j'effleure sans cesse sur les bords de mon être, et qui demeure, inéluctablement, à la lisière de mon monde, dans ce non-lieu où intérieur et extérieur tendent à se confondre sans pourtant jamais s'annuler.

mardi 8 septembre 2015

La femme sur le fond bleu

Onde et corps et couleurs oblongues
De tes airs de tabac de mon enfance heureuse.
Où sont passés les secondes, les mois les années
Que le temps a placé entre nos ères amoureuses?
Où se cache la distance que la norme attendait
La froideur l'ennui que nos choix promettaient?
Et moi, idiot, je plonge dans tes yeux comme autrefois
Effile mon coeur exclusif tout au long de tes doigts.
Mon toit c'est tous nos souvenirs, les cendres qui sont joie
Que le moindre de tes longs soupirs sait raviver en moi.
Je n'apprends rien, je joue et perd infiniment,
Je n'ai pas d'autre jeu que de t'aimer éternellement.

dimanche 6 septembre 2015

L'inqualifiable transition

L'éclair de givre des jours oeuvrés se plante dans mon coeur mais il n'a plus la même froideur qu'avant, celle qui me glaçait du corps à l'âme et me laissait exsangue, dépossédé de ma sève sur l'autel du travail. J'accepte la brûlure qui m'affecte et tente désormais d'exister en son sein. Malade, fatigué ou neurasthénique: je m'exprime. Je m'exprime dans ma vie à travers les gestes esquissés, à travers mes regards et mes respirations, à travers ma façon d'être présent. Ma véritable oeuvre c'est ma vie et ce quotidien qu'auparavant j'abhorrais, et dont aujourd'hui je me sers comme d'une toile où s'imprime la calligraphie de mon âme, mes aspirations modestes et impossibles, dans un accord de couleurs et de sons.

J'existe de toute l'étendue de mes états, je n'ai plus peur d'exister, d'offrir mon rythme tel qu'il est.

Tout change, et la richesse de mes formes passées compose la simplicité complexe de mon présent, de cette lente et parfois vertigineuse transformation qui fait le monde aussi impermanent et indéterminé que moi. Dans ma mémoire dort, profondément enfoui dans on ne sait quel non-espace, le livre de mes jours, le poème qu'imprime en moi, par mon regard, le flux diapré des jours. Peut-être un jour celui-ci sera extirpé puis exposé à d'autres yeux, d'autres oreilles et d'autres sens; et l'on verra alors dans quelle poésie ineffable se baignait mon existence, on comprendra la douleur d'un homme lorsqu'il prend conscience que nul moyen d'expression n'a la substance nécessaire à l'expression de cette vie.

Le feu de mon âme, plus proche état connu du néant primordial, là où l'énergie ne prend encore aucune forme, dans l'anti-chambre de toutes choses, ce feu s'ébat désormais en toutes pièces traversées. J'ensemence de mon souffle toutes les cages matérielles qui voudraient le contenir, je n'ai plus peur, je suis la chose qui traverse les formes et n'a ni intérieur ni extérieur car elle en est la pure et inqualifiable transition.

Flamme-âme

Petite flamme déchaînée, je vois ta danse endiablée d'on ne sait quel point du réel.
Tu es le mouvement d'une énergie presque éthérée, calligraphie subtile d'une quasi-liberté.
Flamme-âme consumant le combustible alme d'une matière concentrée,
La tige sur laquelle tu te dresses féline est une concrétion énergétique
Où dans chaque micron dort une puissance outrepassant la raison.
Et ce joyeux flambeau qui se tient dans le vide où dorment les possibles
Dans le bruissement de néant que soufflent chaque chute
Lorsque doucement résonne l'éternel chant du temps.
Toutes les musiques ici sont en vérité des oraisons funèbres
Célébrant dans la mort le début d'autres vies.

Je vois une flamme qui est presque femme
Dans la grâce sauvages de ses courbes.
La circonvolution est le sel de ma vie
Je m'y perds et cherche dans ce mouvement encore tangible
Le calme immatériel de tous les possibles
La source tranquille infinie de l'énergie pure
Le fondement vide de toutes les danses à venir.

jeudi 3 septembre 2015

Se faire se défaire

Note: premier jet qui sera peut-être prolongé.

Soleil noir de l'anxiété et route de mon âme inempruntées
Qu'aurais-je été sans vous et vos manières apprêtées.

C'était un jour commençant à rebours
Sous une lumière pareille à du velours
Les gorges chantaient des goulées de gaieté
Et l'âme au fond de toute identité
Versait une larme profonde, isolée.

J'ai toujours été ainsi
Cachant mes pleurs dans des sourires
Et riant aux éclats de mille soupirs.

Et maintenant le chant qui gronde tout au-dedans
Parle d'amour avec un souffle menaçant.
Tout est ainsi, lovée dans une fausse dualité
L'instant qui naît, et qui s'oppose à son éternité
La guerre-amour qui les fait exister.

J'ai trop longtemps posé les yeux sur le soleil
J'ai le regard aussi léger qu'une hirondelle
Je m'y enfuis par delà les lumières
Au fond des puits de néant où meurent les rivières.

Le sol auparavant si dur est devenu friable
Et plus léger que l'air
Je crois qu'à force d'être instable
Il a fini par se défaire

Comme les notes de mes chansons passées
Celles que dénotent mes vies trépassées
Regarde, vois comme se perdent mes pas
Voyageur galactique sans pays et sans toit.

"Plus rien", se nomment les murs de ma maison
"Dans le vent", s'appelle mon destin
Je suis un homme qui n'a plus de raison
À force d'avoir exploré ses intestins.

Aujourd'hui, ce sont des couleurs et des sons
Des murs en fumée, des humeurs et des songes
Toute la cohorte un peu cassée
De mes idées de mes pensées

Ce sont eux le véhicule et la substance de mon âme.

"Haussez les pont-levis!"
Entre moi et la réalité
Je sais bien que la vie
N'est pas félicité.

La vie n'est pas déterminée d'ailleurs
Elle se vêt des espoirs aussi bien que des peurs.

J'entends partout des musiques verticales
Qui me charrient jusque dans les étoiles
C'est toujours là-bas, vers les cieux si lointains
Que je porte les pas de mon coeur incertain.

Je ne suis plus rien
Rien que des formes qui se font se défont
Je ne suis plus rien
Le bruit d'une chute dans un puits sans fond.

lundi 17 août 2015

Ma vie sans les formes

La mer immense sous ce ciel un peu trop dense qu'exprime la tempête et le pluie ruisselante. La mer n'a rien à dire, a-t-elle seulement souci de nous? Je la regarde se confondre avec le ciel dans un accord étrange où s'annule la ligne d'horizon. Que fais-je dire à tout ce mouvement, clapotis des vagues, ressac et recommencement? Pourtant lorsque j'observe attentivement, je ne vois rien qui recommence, rien d'autre que mon arbitraire jugement qui détermine à partir de ses abstractions subjectives un recommencement phantasmée. Une vague, deux vagues, trois vagues... Pourtant nulle vague n'est la même, et nulle part surgi des flots ne se montre le concept, l'idée.

Si j'observe plus calmement l'immense chaudron bleu qui me fait face, parcouru d'innombrables frémissements et fêlures qui forment une mousse blanche et luminescente sous le ciel sombre, si j'observe tout cela, je vois se déconstruire toute unité phantasmée; je vois se déconstruire tout découpage surimposé au flux impermanent des choses. Le temps n'est plus une étendue qui se découpe métronomiquement, il est flux que je suis, un flux qui me perd si je l'écoute sans idée - mais cela aussi, regarder sans idée, est une idée, alors peut-être devrais-je dire: si je l'écoute avec l'idée de ne pas avoir d'idée... Lorsque je m'astreins à cette expérience, étrangement je ressens le sentiment d'être tout, d'être indéfectiblement le monde, lié à ce jaillissement de phénomènes qui s'estompent peu à peu, engloutis par l'uniformité changeante du déroulement de l'être. Je suis une forme d'être piégée dans la coquille de mon corps-esprit où se font entendre les échos de cette existence cosmique, et l'empreinte de ce son que forme ce ressac ontique que je suis, je l'appelle monde, et moi, et j'incline trop souvent à faire de cette forme la seule que peut prendre la non-chose qui advient partout et en tous temps.

Sortant de ma rêverie silencieuse, je réintègre un monde plus structuré dans lequel se dessinent des intervalles où viennent s'emboîter les unités que sont les choses que je dénombre. Réapparaît alors la succession de ces idées que je nomme vagues, revient tout simplement la forme, c'est à dire la désunion que j'applique au flux du tout qui me parvient et l'unité isolée que je forme avec cette pâte de réalité et qui me permet de saisir un monde sous mes sens.

Cependant, tout à l'heure, lorsque j'étais au loin, dans les vagues et dans le déroulement du temps, le monde s'abolissait, les formes n'existaient plus, et ce que je prenais pour moi était alors perdu, confondu et uni dans le silencieux glissement de l'être. Et je sais qu'alors, je n'étais plus rien car je devenais tout.

vendredi 14 août 2015

Le bouquet de bouquets

Des jours qui ont roulés depuis celui de ma naissance, je ne me souviens que d'une chose: j'ai été tant de vies en une seule. L'homme amoureux et responsable protégeant sa femme et projetant foyer et enfants; le vagabond qui méprise cela et celui, tout autant vagabond, qui suspend son jugement. J'aurais été, par brefs moments, l'écoeurant pervers aux idées effrayantes, et puis le saint qui n'a que bonté à offrir.

Je tire des bilans à intervalles réguliers, comme si ma vie allait prendre fin dans la seconde à venir; si je le fais c'est que je meurs fréquemment, je suis mort innombrablement.

Parfois je ressens le souffle d'un sillage inconnu et lointain, c'est la queue étrange de destins non vécus, d'autres vies qui dorment dans le champ immense du possible; et toutes ces vies m'altèrent réellement et chantent au coeur de mon présent accord.

Je suis toujours plus et moins que ce que je crois. Combien d'endroits conservent la luminescence tiède de mon passage éphémère?

J'ai des jours à venir autant d'images que des jours passés. Le futur me procure autant de sensations et de sentiments présents que le passé. Et je suis le point de convergence évanecent de ces forces hétérotopiques, façonné comme toute chose ici, baignant dans l'ignorance douce, celle-là même qui me permet de surfer sur la fine écume des houles quotidiennes.

La vie est ce bouquet de qualités ressenties que ma mémoire assemble avec imperfection mais goût. Et dans ce bouquet figure aussi la sensation vécue de la contemplation de celui-ci, le goût du bouquet devenant alors lui-même une fleur maintenue parmi les autres, si bien qu'il est autant constitué de sensations éparses que de reflets de lui-même.

Je me tiens à l'instant devant le paquet de lignes qui s'amasse en tas sous mes yeux: semence insipide que mon corps expulse et qui n'a jamais été moi, jamais que le langage impersonnel, les mots des autres que je ne parvenais pas à digérer et que mes mains vomissent pour se soulager.

lundi 10 août 2015

Magma

Marcher dans les sombres prairies d'un pays sans armée. Est-ce un rêve, une idée, une chose appartenant au réel extérieur?

La douleur logée dans le ventre qui est telle un mauvais coup de pied jeté dans le tas recroquevillé et endormi de ma rage. Celle-ci qui s'éveille tout d'un coup, les yeux grand ouvert, la rage devenant le monde et chaque phénomène.

Partout, sur le manteau périssable des jours, je trace mes symboles (incantation dérisoire vers on ne sait quel ailleurs ou envers des choses), incise le poids nul de ce que je crois être moi: étrange et pathétique scarification du réel que je prétends croire me faire exister. Là, jonchant les murs virtuels jaillissant d'un réel hypothétique, et probablement tout aussi virtuel (puisque simple idée), jetés ça et là, les fragments de mon âme, les humeurs que la souffrance amène au-dehors.

L'écho de dinosaures depuis longtemps mâchés et remâchés par les intestins de la terre parvient encore jusqu'à d'antiques oreilles qui sont miennes. Qu'entendent-elles au juste, de quel non-temps et de quel non-espace viennent ces ricochets sonores qui font de moi cette curieuse singularité sans attache, sans place où exister autre que la non-localité d'un mouvement sans but; d'un mouvement qui s'étire au-delà du temps et de l'espace, vers une idée impensable que pourtant je garde en moi comme un trésor perdu.

Le grincement du métal sur le bitume rugueux est le bruit de mon tourment. Moi, carlingue usée qui traîne son inertie sur des routes que j'imagine inempruntées et qui, pourtant, ne sont que les autoroutes de toutes les vies.

Et le goût des choses? Ce goût que je crois singulier et qui, pour autant que je sache, pourrait être le même que celui des autres. C'est l'impersonnalité possible de ma personnalité qui amène au bord de mes lèvres les cendres de saveurs inconnues. Je ne sais rien.

Je ne sais rien et j'ai voulu écrire des philosophies lors même que pulse dans mes idées silencieuses plus de profondeur et de densité que dans les verbes de chaque langue humaine et non humaine. Vulgarité de ma vie passé, regard que je porte désormais sur ces choses, mais regard transitoire, c'est du moins ce que je crois savoir.

Je vois, derrière le rideau de mon arrière-boutique, des plages qui m'attendent à l'autre bout du monde. Je vois une langue de terre bordée par deux océans gigantesques, je vois ses cotes effilées caressées par la main délicate et virile de l'eau. Je suis une femme, une femme ardente et qui désire la main du maître, je pourrais bien offrir ma vie à tous les Poséidon de l'univers.

Des images de cette planète sans atmosphère, en prise directe avec l'immensité sidérale et silencieuse, dansent en demi-teinte dans ma tête toujours un peu endormie. Cela fait-il un bruit inimaginable lorsqu'une étoile explose là-bas, ou bien est-ce le silence qu'impose au son le vide? J'aime l'idée de ces inconcevables explosions d'énergie se produisant sans un bruit. Je regrette peut-être un peu de n'être pas à leur image: moi, lorsque je détruis la concrétion éphémère de ma planète intime, il se produit du vacarme sous la forme de mots que déversent mes mains comme un pleur. J'apprends à me taire.

Dans quelques milliers d'années, quelque part dans un lieu du ciel lointain, vivra peut-être un descendant de mon esprit, sur quelque planète orbitant autour de quelque étoile coruscante. Je pense à lui de mon temps et de mon lieu, et peut-être à son tour imaginera-t-il un ancêtre idéel, qui pourrait être moi, quelqu'un ayant passé par là et qui le comprendrait dans ses ruminations nocturnes. Je t'aime avant ta venue humain, frère stellaire.

Je suis seul désormais, la liberté est une amante exigeante qui n'hésite pas à faire mal. Je demeure tout seul avec la violence de mes départs et de ce que les choses que je laisse en arrière pourraient prendre pour des abandons, quand je les aime de tout mon coeur et ne pourrai jamais m'en détacher.

Une dernière chose, juste un post scriptum à ce texte insensé. Je t'aime Aurore, et tu persistes en moi comme un ciel sous lequel je m'éveille chaque jour. La solitude est l'état sans lequel je perd conscience vois-tu, et seul, je ressens comme jamais, l'onde fleurie de ta présence.

mardi 14 juillet 2015

L'ami

Ecoute l'ami, écoute la poésie facile, acquise au prix de tant d'heures passées à baigner dans ses eaux, à mettre en son orbite la somme de mes pensées.

Ecoute l'ami le moment nous bercer, tu es là, je suis là, et toute la création aussi. Au-dessous de nous, dans un monde ignoré, dorment les fatigués au giron de la terre, tandis que nos regards qui s'élèvent en l'air, ourdissent des projets aux confins de l'éther.

Vois l'ami comme il est simple de faire vibrer la vie, écoute donc mon chant pour toi, c'est une ode matinale matinée de rosée où se déploie mon amour en des tons irisés. Vois comme la teinte du bonheur a les reflets de ton bon cœur.

Regarde l'ami, nous longeons la mer et ses côtes dorées, nos pas si peu pressés s'imprimant dans le sable d'existences broyées. Entends-tu comme moi les vagues se briser et le ressac, comme la vie, qui vient tout emporter?

Sache ami que j'aime vivre à tes côtés, c'est bien pour ces instants que je suis entraîné à faire de ma langue instrument pour chanter.

Je te regarde fermer les yeux, jamais je ne saurai ce qu'en toi tu ressens. Cela dit j'imagine et chaque image est une manière de faire de ton altérité un reflet de mon âme.

Ce n'est pas seulement mon cœur mais tout mon corps aussi qui se met à chanter, chaque mot n'est rien mais je les ai tressés pour te faire des ponts vers mon âme en chantier.

Sais-tu l'ami que tu es le plus vieil amour rencontré, et je regarde la force des arbres se dressant non loin dont chaque nœud figure nos destins intriqués.

Te souviens-tu Rabat? La chambre ouverte sur la nuit et les histoires d'enfants qui montaient vers la lune?

Le sens-tu encore le cœur de cette ville qui pulse dans les ruines de l'enfance lointaine? J'en ai les yeux gonflés de l'eau du grand Lethé, moi le nomade pour qui les souvenirs valent plus que les choses.

Le gazouillis des serins, l'air iodé de l'espace marin, l'aurore mordorée qui ne veut pas finir, mon corps près du tien reposé de matin, la vibration terrestre au creux des reins, notre présence omnipotente et libre qui pulse dans l'éther.

Sens-tu le vent si frais s'insinuer dans nos cheveux, tous les oiseaux qui chantent de nous accompagner?

Te sens-tu courageux? Je peux mourir tu sais, je n'ai plus peur de rien, je goûte sans contrainte à tous les petits jeux.

Je me souviens à tes côtés des tourments surmontés, je trempe mon esprit dans le sillon des nuits, observe la déroute qui nous mène ici: sur la dérive du présent je souris au destin: nous nous aimons je n'ai plus peur de rien.

Dans chaque mélodie le silence a sa place, et c'est pourquoi je vais taire ma source. Laissons donc les étoiles bien prendre la relève, entendrons-nous alors le bruissement du monde, le lent flux de sa sève.

Doucement l'ami, laissons-nous transporter de vertige abyssale, pour se dissoudre en horizons d'indéfini spatial.

Je ralentis, je me tais d'avoir trop palabré.

je respire, je suis heureux, car je t'ai ramené...

L'enfant

Ma vie est un suave et curieux poème dont mes écrits ne sont qu'une ombre sans relief et terne.

J'ai retrouvé l'enfant qui sommeillait en moi, je suis redevenu celui que j'ai toujours été. Et tout me semble un chant, le monde même une somme de champs où s'égarent mon pas joueur et mélodique, sans hâte et sans destination.

Aujourd'hui je sens que cette vie n'est qu'un passage. Ce que ces autres récitent comme une antienne, avec une ferveur toute religieuse - et qui n'avait alors, pas plus de sens pour moi que l'éclat terne des trésors - est désormais une expérience que je ressens par tous les pores. Peu me chaut que tout cela soit faux, il n'y a pas de règles, pas de critères non plus, il n'y a que mes songes et les pensées tenues.

Je n'ai plus d'intérêt pour les textes endormis dans les plis de la toile; si ce n'était le cas, quel genre de fétichiste dément aurais-je alors été, chérissant les formes d'ombre que le soleil projette, et jusqu'aux traces que mes pas moulent sur le sable des jours?

Je ne suis plus cet homme (du moins totalement), me revoilà enfant, et ce que je récolte a l'attrait éphémère des galets ramassés, des secondes égrenées. Brûlons ces textes, l'âme a chanté, elle n'a que faire du passé.

Je sens aujourd'hui, comme une vérité apodictique, que je fus toute chose: l'écureil comme la nuit, le soleil comme la pluie. Il me semble que tous les autres ne m'ont rien appris, c'est toujours de moi-même qu'est venu l'enseignement, c'était toujours moi qui me resouvenais. Le monde est une projection de mon âme, chaque chose un reflet des idées. Je redeviens tout, tel un dieu amnésique recouvrant la mémoire, je redécouvre tout et tout cela me revient.

Je suis chaque chose, de l'ignoble au sublime, de l'atome aux sphères ultimes.

Je suis l'enfant qui rit le monde en cascades, et chaque larme, chaque geste est un morceau de cieux que je fais advenir.

Cette conscience depuis laquelle j'écris est l'inverse nécessaire de ma totalité. Moi multiple, dans un fragment uni je me suis limité. Et le monde est ce dialogue halluciné que j'entretiens avec moi-même, entre ces deux moi qui se regardent comme deux étrangers.

Je fais l'amour, j'aime jusqu'au temps, dans chaque étreinte une mort pour jalonner la course sans fin, le déploiement éternel de l'indéfinité.

Je fais l'amour avec la mort, je suis l'enfant, la source de tous les trésors.