jeudi 24 novembre 2016

[ LE SYSTEME DU JE ] Logique, physique, éthique, logique...

Il est si simple d'oublier; n'est-ce pas d'ailleurs le mouvement naturel des choses que l'entropie désagrège sans se soucier de nous. Qu'est-ce que le souci pour une loi du monde... D'ailleurs si je devais être strictement kantien, je serais contraint d'admettre que nous contenons en nous, la forme de l'entropie, nous sommes dans notre rapport au réel un dénouement inexorable de nous-même...

On peut oublier les leçons qui nous ont tant servi par le passé. Je ne cesse d'en être la victime, dans un mouvement de vie cyclique qui me fait oublier les petits ingrédients si simples du bonheur. Mais si mes joies sont si fortes n'est-ce pas au prix de terribles souffrances? Il s'agit là d'une évidence: la joie se mesure au regard de la peine. Alors tout est pour le mieux.

Cependant, lorsque je tente d'entretenir le rêve, un peu idiot peut-être, de maintenir une longévité à la paix que j'ai pu si souvent ressentir, je m'aperçois de l'effort harassant que cela suppose. Il faut sans cesse configurer la conscience vers cet horizon, la rendre attentive et comme obsédée par ce bien-être. Tant d'efforts pour maintenir les formes d'un château de sable qui s'en ira de toute façon. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui en fait la valeur? Et les récits de ces effritements, les souvenirs de ces mini-drames alimentent tant de plaisir chez d'éventuels spectateurs - et dieu sait que l'on peut être spectateur de soi-même.

Il est étonnant de voir comme l'écriture ne reflète jamais qu'un moment de ma révolution intime, celui du tourment qui semble totalitaire et qui pourtant, annonce des moments de grâce si profonds qu'ils ont, je crois, su irradier loin à travers l'espace-temps. Peu importe, ce sont d'autres témoins de cela, pour d'autres formes d'expressions.

Il m'arrive de me demander: ai-je vraiment le choix de la forme de ma vie? Est-ce bien moi qui décide de la fréquence de ces ondes sur lesquelles je vibre? Cette réponse que je n'aurai jamais n'est pas indispensable à se choisir une position. Toute représentation du monde sert une éthique, c'est la fiction explicative du monde, les forces de synthèse qui vont permettre à l'homme de placer des cieux autour de lui et une assise plus ou moins solide où imprimer le poids nul de ses pas.

Certains Anciens savaient cela: la philosophie est un cycle sans fin et sans destination finale. Elle est un système de création de comportements, on peut en changer le moindre ingrédient à volonté, ou le moindre agencement de ces ingrédients, pour obtenir une autre attitude face au réel, une relation et un monde différent. La logique sert à élaborer une physique (et par soubassement nécessaire une métaphysique) d'où naît assez naturellement une éthique, c'est à dire un mouvement de vie avec sa démarche propre. Certains passent leur vie dans un seul système qu'ils tentent de figer de toute leur volonté, quand d'autres expérimentent à n'en plus finir la variété possible de cette dynamique créative: logique, physique et éthique.

Pour comprendre cela, faîtes l'expérience suivante: à un fait ou un ensemble de faits (mais l'un et l'autre sont au fond la même chose selon le point de vue), tentez de fournir une explication. Par exemple vous développez telle maladie, vous avez le choix entre trouver une explication psychosomatique (tel traumatisme ou angoisse a produit cette expression pathologique de mon corps) ou encore plus matérialiste (mon organisme étant fatigué et exposé à une forte concentration d'agents pathogènes, il a développé une maladie), ou encore multifactorielle (à savoir que la conjonction des facteurs matériels et psychologiques ont mené à la maladie), ou bien encore sceptique (peut-être qu'une de ces explications est juste, peut-être pas, peut-être le sont-elles toutes...), j'en passe et des meilleures. Ce qui compte c'est que quel que soit le choix que vous ferez, celui là donnera du sens à ce qui vous arrive, il sera le liant de la trame narrative que vous écrivez de votre propre destin. Un même individu peut très bien trouver un grand réconfort dans l'approche psychosomatique, et le jour d'après passer à l'explication matérialiste et y trouver tout autant de réconfort.

Pour tout évènement, a fortiori qui vous concerne personnellement, vous demandez une explication, c'est le mouvement inné de la conscience qui unifie le divers de l'expérience. L'explication, c'est à dire au final la représentation d'un monde avec ses lois est une condition de l'existence humaine. Même celui qui vouerait sa vie au pur hasard, bâtit sa destinée en fonction d'un principe: le chaos. Ce faisant, il unifie et arraisonne ce qui pourtant échappe à toute rationalisation, il fait du chaos une loi explicative de sa vie et se représente un monde paradoxalement ordonné sous le signe du chaos, au sein duquel il pourra agir sereinement. Par conséquent, et cela il l'ignore, sa vie n'a rien de chaotique...

Nous pouvons tirer une conclusion/hypothèse de tout cela: la pensée peint des représentations mentales des évènements et ce faisant produit un monde, c'est à dire une unité suffisamment déterminée pour qu'une attitude, un mouvement, des gestes, des directions, des décisions puissent être entrepris. Toutes les fictions que nous nous jouons n'ont d'autre suite logique que l'éclosion d'un positionnement, d'un choix et d'un geste. Ainsi, la dialectique permettant de résorber la dualité pensée/action est composée de ces trois moments: logique, physique, éthique, autrement dit, langage, savoir (en fait représentation et donc croyance), action.

Mais pour celui qui, conscient de cela, sait écouter et accepter l'existence possible de ces indéfinis systèmes dialectiques, l'action est le fondement d'une métamorphose de son langage puisqu'elle lui fournit des expériences nouvelles et d'autres explications possibles des évènements vécus, qui peuvent déboucher sur de nouvelles représentations d'où écloront bientôt de nouveaux comportements. Cette dynamique est un flux vital qui ne doit pas cesser, de la même manière qu'une eau doit courir pour rester saine.

Ne soyez pas une eau croupie...

Scolie: la sorte d'individu qui se vante de n'appartenir à nul monde et d'être en permanence en transit entre les lieux et les ères ne fait pas partie de la caste des voyageurs. Celui qui reste dans le train ne fait jamais l'expérience d'une autre terre, d'un autre rythme que celui de sa propre fuite. Et quel est donc l'objet de cette fuite, si ce n'est le refus de la condition humaine, qui est une condition cosmique (par essence?). Celui qui s'installe dans le mouvement pour le mouvement, sans plus jamais vouloir habiter un monde déterminé, cherche en fait à hypostasier le temps. Autrement dit il cherche à substantifier ce qui n'est qu'une médiation temporelle: il s'agit là d'une tentative de reniement de la détermination achevée au profit du processus lui-même. Ce faisant, il triche et se ment, habitant la terre indéterminée et désunie de sa propre force de représentation, ne voyant pas qu'elle n'est qu'une méthode aux productions indéfinies. Il faut croire un temps en un monde pour qu'il existe et se constitue, or cet individu ne croit qu'en sa capacité à croire (c'est à dire à bâtir des mondes) tout en reniant les productions de sa propre croyance, se condamnant par là à un exil de tout, et surtout de lui-même.

mardi 22 novembre 2016

Fiola Triolet

J'ai rencontré Fiola Triolet elle était ivre de violette
Ces boucles étaient rondes comme les clochettes
Qui tintent entre les doigts l'été

Je l'ai regardé qui passait là,
L'esprit léger musicaux petits pas
Qui claquent un rythme délicat

Dans son dos des ailes battaient sobrement
Dansons le ciel efface nos tourments
Qui s'y noient si délicieusement

Mon coeur voudrait conserver pour lui
Ces heures pétillantes de pluie
Que Fiola plante dans la nuit

Oh la douceur de ses gestes
Corps enfantin délié de tout lest
Je t'en prie reste

J'ai rencontré Fiola je n'ai su la garder
Je l'ai vu passer là sans trop se retourner
S'effacer du cadre d'un destin dégradé

Qui dont capturera ma fée
Quel être serait si parfait
Qu'il renouerait pour moi ce que le temps défait?

Son nom?
Fiola, Fiola Triolet
Deux mots des promesses à n'en plus compter

On l'a vu pour la dernière fois
Sauter dans les flaques d'un trop grand poids
Eclabousser d'innocence la face des rois

On l'a vu près des lacs du tourment
Où boivent les âmes chues du firmament
On l'a vu sur ma peine lovée dans un chant

Fiola, Fiola Triolet
Dis te souviendras-tu?
Son rire bruisse comme un champ de blé

Je prie seulement, pour qu'il ne se soit tu...

dimanche 20 novembre 2016

L'amour brisé des gens qui s'aiment

J'aimerais que l'on puisse réparer les amours brisés comme on le fait des pare-brises des autos. Un simple coup de fil, rendez-vous est pris chez un expert, le tout prend quelques minutes et on repart avec un véhicule aux vitres neuves. Peut-être quelque époque viendra où de telles choses existeront, mais ils sera probablement trop tard pour nous, le véhicule qui nous a mené si loin pourtant restera à la casse.

J'aurais pu prendre la moindre lueur de tes yeux et allumer des cieux nocturnes plus brillants que des amas d'étoiles, j'avais le souffle d'un amour infini pour cela et qui peut raviver d'une cendre la flamme enfuie depuis longtemps. J'ai ce pouvoir en moi, au moment même où j'écris ces lignes, au moment même où ma vie n'est qu'une existence à tes côtés de fantôme. Je me lève dans l'écho de tes rires et je m'endors dans le poudroiement diapré de tes yeux, je vis des expériences auxquelles tes réactions ravivées donnent un relief nouveau, indispensable à faire un monde où la dimension de mon amour existe.

J'écris des musiques hélicoïdales qui sont, maintenant je le sais, l'imitation trop imparfaite du sillon de tes cheveux dans l'air. Je ne suis pas réparateur d'amour mais qu'est-ce que j'ai de force en moi pour faire vivre ta personne, je me découvre des ressources insoupçonnées, tout ça sans effort. Je tombe au détour de mes périples intérieurs sur de nouveaux souvenirs dont j'avais oublié l'existence, il me suffit d'un geste, d'une parole, d'une scène pour que ma journée se perde dans la fragrance de tes parfums et le mouvement impur de tes mains.

On peut faire tant de choses avec les débris d'une vie commune. J'en ai suffisamment pour que ta chanson ne cesse jamais. Je possède en mon arrière-boutique des bibliothèques entières d'observations anthropologiques sur ta personne, des milliers d'heures d'images capturant le style de ta vie, et des pelletées de sentiments qui redonneraient un souffle animal à l'immobilité minérale des morts.

Je sens couler sur moi tes larmes anciennes et j'entends tes paroles en différé, celles-là même qu'une peur ancienne m'empêchait de goûter en ta présence, et qui pourtant aujourd'hui dessinent sur ma face épuisée des sourires interminables et niais.

Je monte encore dans ce véhicule au rebut, j'y dors même souvent, je vibre et danse parce qu'il est le symbole d'un idéal infrangible peut-être, mais que je poursuivrai sans faille jusqu'aux confins de ma pensée.

Lorsque j'ai vraiment trop peur, du monde et des masques qu'il revêt, je me cloître dans un baiser de toi à la durée suffisamment longue pour que s'apaisent mes angoisses. Il y a de grands lambeaux de moi dans ces baisers incommensurables.

Il se pourrait bien que je vive éternellement, ou d'une durée indéterminée et suffisamment longue pour que la fourmilière humaine si efficace fasse advenir la caste des experts en amours brisés... Qu'arrivera-t-il alors? Il me faudra en contacter un pour lui montrer l'engin abandonné, il sourira certainement devant les dérisoires tentatives de réparation que j'aurais exécutées, mais je crois qu'il respectera profondément le soin que j'aurais apporté à chaque fragment, tous les croquis que j'aurais dessinés, ces musiques composées pour rappeler le bruit de son moteur, les films qui tentent de redonner un mouvement à ce qui gît pétrifié.

Peut-être que l'on me proposera un emploi, moi l'inutile, on m'aurait trouvé là une fin agréable aux autres...

Peut-être qu'un jour je serai cet homme qu'on appelle lorsqu'il faut réparer l'amour brisé des gens qui s'aiment sans savoir comment...

Le symbole muet des vies

Ce n'est de la faute de personne si je n'ai pas su m'adapter à la société... Ou est-ce au monde lui-même? Toujours est-il que je n'ai pas su. Je n'ai pas vraiment voulu aussi, je crois que c'est pour cela que je pleurais beaucoup enfant. Je n'ai jamais accepté la résistance du réel à mon imaginaire soyeux. Dans ma tête, je suis réellement ce que je veux être. Les musiques n'ont pas besoin d'être écrites pour me procurer le sentiment qui doit en résulter,  je le goûte a priori comme s'il suffisait de penser au concept d'une pomme pour en avoir le goût. L'imagination m'a toujours prémuni des efforts auxquels contraint le réel - je dis cela et pourtant l'imaginaire est bel et bien une réalité, il est d'ailleurs la seule réalité que nous ayons.

Et tout me semble infranchissable depuis le prisme parfait de l'en puissance. Toutes réalisations contenues dans l'irréalisé, tout achèvement dans l'inachèvement. Sauf peut-être le mien? Mais cette destination n'est-elle pas une illusion, comme toutes le sont? Qu'arriverait-il si je vivais satisfait? Serais-je heureux ou bien plus vide encore? Et si je suis si vide aujourd'hui, est-ce parce que je suis satisfait?

Tant de fois les roues de ma raison ont imprimé leur trace dans la terre meuble de la réalité immatérielle. Tant de fois j'ai suivi des chemins, débroussaillé des terres en friche, franchi lacs et forêts... Je pourrais écrire un guide de la survie imaginaire et tout le monde pourrait mourir enfin dans le concret, s'abandonner aux mensonges qui constituent mon royaume mais dont je suis persuadé qu'ils ne mentent pas vraiment...

J'ai parfois l'impression de heurter sans cesse les bornes des formes humaines et je suis fasciné par cet Autre, cet envers interdit comme le sont les galaxies lointaines où ont échoués tant de mes songes, grèves stellaires aussi lointaine que les destinations finales.

Je vais toujours trop loin et trop vite, je ne suis pas la mesure, je joue en décalé et me retrouve inexorablement en avance sur l'orchestre des choses, sur le rythme naturel de l'accomplissement de toutes vies. Soliste impatient qui poursuit ses fausses notes parce qu'il veut toujours des choses toucher la frontière. Et cette frontière une fois atteinte est à ce point intolérable qu'elle devient la racine d'un tourment indéracinable, un tourment essentielle.

J'occupe mes heures, mes heures d'à côté, mes heures toujours en retard ou en avance sur le tempo, seul, avec la musique des mots qui n'obéit qu'à moi. J'ai trouvé ma patrie, dans les vastes pleines du concept, où l'on parle de formes sans pouvoir en saisir, où il est question plus de leur condition de possibilité que de leur éventuelle réalisation.

J'occupe mes heures, je m’empaquette dans les mots et me défait doucement comme la cigarette qui de solide se fait évanescente fumée se dissipant dans le jeu des métamorphoses.

Et moi, vers quoi me dissipé-je? Vers quel plafond les particules de mon énergie s'agrègent-elles, insoupçonnées, témoins silencieux d'une existence fugace et discrète?

C'est probablement dans tout ce que nous ne voyons pas que nous devrions chercher la trace des destins, l'histoire des choses que l'on ne pourra plus reconstituer: le symbole sans signification d'un sens oublié.

mardi 15 novembre 2016

Esthétique du vide

On me dit parfois qu'en courant après toi, je cours après une illusion, mais tous les rêves et toutes les intentions ne sont-elles pas des illusions? Ne passons-nous pas notre vie à passer à côte des choses que nous visons sans jamais les atteindre pleinement?

Les projections ne sont que les ombres de formes qui dorment en nous, alors je n'ai pas de honte à courir après un rêve de toi qui bruisse en mes cellules.

Les feuilles frémissent dehors, sous la respiration du monde, tandis que je m'endors chaque nuit dans les émanations de tes boucles brunes et sucrées.

On me dit que je m'accroche, que je me complais, mais je n'ai point de libre arbitre en ces choses, je ne choisis pas ce que je veux et encore moins ce que j'aime.

Les avis de chacun ne sont que le reflet de leur propre expérience, parfois elle peut s'accorder à la nôtre, et parfois ce n'est pas le cas, il s'agit pour vous d'un autre puzzle et quelques pièces manquantes laissent un vide béant dans l'ensemble. Mais les vides peuvent être esthétiques à leur manière...

Ne trouvez-vous pas beauté en la chute du faucon chassé? Dans le râle d'agonie du gibier? Dans le souffle silencieux des morts? Dans les traces du tourment sur les joues des gens? Dans le crissement des choses qu'on déchire? Le battement du temps qui défait les formes: celles des visages aimés, des actions accomplies et des vies vécues...

On me dit parfois tant de choses que je ne sais plus qui croire: ma pensée limitée ou bien la parcelle des autres? Et pourquoi pas ne plus rien croire, ou bien tout c'est selon...

Mais je regarde des cieux si bleus qu'ils me font pleurer tant ils me rappellent l'absence de tes yeux. Comme les bonheurs sont creux quand ils ne sont plus partagés, avec toi seulement...

Ah comme ton absence est belle dans le nombril de mon errance, elle qui me fait chanter des hirondelles dans un babil en déshérence. Regarde tous ces poèmes, tous ces vains griffonnages sur les murs d'une caverne, offrandes et hommages à une déesse qui n'en veut point.

Pourquoi continué-je à croire en toi quand il y a tant à voir dans les tréfonds du rien...

jeudi 10 novembre 2016

Empruntez mes secondes

Ne pas trahir le sentiment inital, voilà ce que chacun des mots, ainsi que leur agencement, doit s'attacher à faire. Je ne parviens que trop rarement à ce résultat délicat. Faire en sorte qu'une phrase, à la grammaire si éloignée(?) de la noèse sentimentale, puisse reproduire, à sa manière musicale, les intervalles de la psyché, ses gammes et ses accords.

Je me demande parfois quel sentiment vous agite à la lecture de certains textes...

Minuit quanrante-deux, je sais désormais une chose, je la sais parce qu'elle relève de l'expérience, et qu'elle constitue donc un jugement synthétique a posteriori: c'est bien la nuit que s'opère au mieux la transsubstantiation de mes sentiments profonds en une surface sémiotique; elle-même transmuée de flux photonique à vibration moléculaire (si vous lisez à haute voix), et puis à cette vibration de l'âme qui semble agiter tous les organes à la fois, la tonalité du sentiment vécu, ineffable et donc intraduisible.

Je fais un bien piètre ouvrier de l'écriture, poète que je suis, chanteur accroché aux basques de l'oisiveté. Je ne construis jamais un texte, je l'expulse hors de moi, dans une expression brève et aussi intense que possible, telle une calligraphie de l'âme qui signe d'un mouvement ce qui n'a de nature que pour soi. Je jette et je m'en vais... Beaucoup de repos et de concentration pour une si brève libération jaculatoire... Jamais je ne retravaille, la chose demeure comme elle est sortie. Demain est un autre jour, il faudra recommencer d'autres gestes, créer d'autres harmonies, peut-être plus heureuses...

Les samouraïs pratiquaient la calligraphie, je suis un calligraphe qui pratique le combat. Peut-être qu'à chaque humeur alphabétique de mon âme (comme tous les hommes je partage le goût des concepts vides), je lance une estocade censée vous ôter la vie, du moins dérouter le rail de votre existence afin de vous amener sur une déclinaison improbable et impromptue?

Je parle de mon écriture comme je pourrais parler de n'importe quelle autre chose... Je l'ai assez répété, ce qui compte c'est ce style, ce rythme que vous impose la structure de mes phrases, ces intervalles que je choisis entre les idées, ces accords que j'arrange et qui sont parfois le fruit du moment, parfois le fruit d'un bourgeon lointain, planté là par quelque lecture marquante ou autre expérience de la vie courante.

Je suis un style, c'est à dire un moyen de locomotion pour le corps et l'esprit. Je vous emmène, sur mon esquif usé qui ne possède aucune ancre, avec ses voiles qui se gonflent quand elles veulent, et qui après d'interminables heures de mollesse se tendent brusquement d'une énergie inouïe, d'un seul souffle qui laissera faire ensuite l'inertie. Sur quel océan naviguons-nous ainsi? Celui de nos minutes perdues, celui du sens interne où l'on aime à se claquemurer pour écouter le clapotis de l'eau sur l'écorce de la conscience, c'est à dire celui de nos solitudes qui passent comme des ombres furtives et que personne ne connaîtra jamais...

C'était une figure bien compliquée que j'ai tracée aujourd'hui... Il me faudra encore d'autres traits, d'autres essais, pour extirper de cet entrelacs ontique, les fils aux jolies couleurs qui m'ont mené jusqu'à ces secondes là.

lundi 7 novembre 2016

L'écorce d'un doute

Me voilà dans un parc, dans le but d'écrire quelque chose dicté par ma volonté propre, mais je me demande, au vu du résultat, dans quelle mesure je ne suis pas moi-même écrit, déversant alors ces mots qui n'étaient pas ceux de mon rêve.

J'avais telle idée, et me voici pétrifié dans mon élan, comme emmuré dans le béton d'une nécessité qui en a décidé autrement.

Je me révolte un peu, je pose le stylo et cesse le mouvement.

Pourtant ce geste est bien à l'opposé de l'intention initiale... Cette grève aussi, l'ai-je vraiment voulue?

dimanche 6 novembre 2016

Dans les plumes de la nuit

C'est dans les plumes de la nuit que se cachent les plus lointains souvenirs. Et puis, surtout, les plus fugacement intenses, charriés devant l'esprit par un envol des barrières et des inhibitions qui permettent à une conscience d'exister sans sombrer. Il est tellement facile de sombrer sous le poids des jugements lucides...

Alors la nuit, le voile se détend, et tout reflue à la surface comme une mauvaise marée qui viendrait bouleverser la géographie de l'âme, transformer les bancs de sable, rogner un peu sur la dune qui protège la végétation et sa vie fragile.

Dans les plumes de la nuit se nichent mes plus beaux sentiments, les plus effroyablement belles houles de la psyché où s'élèvent les vagues de mon amour, à travers les brumes de cette détresse existentielle qui fait de l'homme au troisième oeil l'écho d'une souffrance originelle.

Dans les plumes de la nuit d'aucuns parviennent à dormir, dépourvus d'origine, déposés par le rivage du sommeil comme une conque voyageuse par inertie... D'autres veulent percer les horizons, et jusqu'au moule de leur forme intime, sentant là quelque étrange facétie des phénomènes dans le fait de vouloir figer l'informe au sein d'une délinéation bien déterminée, dans le fait de vouloir segmenter la droite sans fin. Une sorte de nécessité vitale (mais qui peut s'avérer si délétère) fait cogner la volonté contre les barreaux du présent, et de l'ici, dans cet en-soi qui n'en est pas vraiment un parce que jamais au repos, toujours s'extrayant de lui-même pour s'observer et se surmonter encore. Quelque chose réclame gloutonnement une mue de tous les instants, un dépouillement de toutes les peaux comme si nulle n'était suffisamment chatoyante et diaprée pour offrir à l'oeil toutes les nuances encore impliquées dans le noyau d'une vie.

La seule fission qui advienne alors, dans son exaltation libératrice, se cantonne pour moi à quelques notes de musique et notamment à l'écriture poétiquement prosaïque de ces quelques sentiments, fondus dans le moule d'une langue inadaptée à tout sentiment, et pour cela délicieusement appropriée à refléter la lourde condition de l'homme: tragique incomplétude, nécessaire inadéquation. Entre la pensée et les choses...

Dans les plumes de la nuit qui se referment frissonnent mes questionements, mes humbles doutes quant à tout, les regrets qui viennent poindre à la lisière de l'âge mur, les craintes et les déceptions, les espoirs qui meurtrissent et tout leur lit d'incertitude.

Dans les plumes de la nuit, comme quelques perles mal assorties mais source d'une lueur chaleureuse - comme peuvent l'être les diffusions de la lumière des hommes, comme des myriades de fenêtres aux tons différents sur la façade d'un immeuble sans début ni fin - : la mélodie de ces sentiments intimes qui se tiennent la main dans l'unité d'une conscience qui les rêve tout en n'étant rien d'autres qu'eux.

Dans les plumes de la nuit, accrochées au néant, autant de mains tendues vers une source d'amour, vers un oeil irrémédiablement ouvert lui aussi sur le cours des choses, et qui capterait dans son abîme, avec une infinie empathie, le clignotement de mon existence, les soubresauts d'un tourment qui brûle au fond de l'être comme un pétrole aussi précieux que létale.

Dans les plumes de la nuit, ces quelques phrases comme un collier, lorsque mutines elles s'échinent à dédaigner un sommeil trop étale.

Dans les plumes de la nuit, ce message aux confins...

vendredi 4 novembre 2016

D'où jaillissent les mondes

Je me souviens ces jours où la vie roulait, fendait l'air vers le ciel d'une intention, se souciant guère de sa possible réalisation. C'étaient les jours heureux où d'aucuns me suivaient, et même s'ils avaient tort, cela participait à leur cheminement propre, leur liberté avait besoin d'une tutelle (dont ils s'apercevraient un jour qu'elle n'est rien d'autre qu'eux...); et j'étais un navire commode pour emporter sur mon large pont les rêves d'autres humains. Je cherchais sans cesse, soulevant l'assise céleste des étoiles pour observer l'envers des choses, je voulais savoir quand bien même il n'y aurait rien à savoir, je voulais enrichir mon expérience de l'ignorance, je voulais étendre mon monde et j'arpentais sans relâche toute dimension inconnue.

Sisyphe redescend chercher son rocher inlassablement parce que Sisyphe est vivant, et s'il décidait d'arrêter il  n'y aurait plus rien alors, plus qu'un supplice bien pire qu'une mort anticipée. J'ai oublié de vivre.

Il me faut repartir arpenter les sentiers de la connaissance, il me faut regarder ce que les autres ont construits de royaumes féeriques où endormir leurs jours. Il me faut les comprendre et en incorporer les principes constructeurs, il me faut continuer d'apprendre des croyances cohérentes pour avancer et construire mes propres châteaux de sable. Je serai la marée haute qui viendra sans pitié effriter les fondations de tous mes édifices, traces tangibles du jeu de l'âme. Tout nomade est un ami du temps, obéissant à la nécessité de manger ses propres enfants.

Depuis trop longtemps j'ai cessé de jouer, mais je dois reprendre la route, produire mes propres histoires et partager mes contes auprès de quelques curieux de passage. Les gens aiment écouter l'odyssée d'autres humains, je dois redevenir le barde itinérant qui connaît les royaumes intérieurs où d'autres n'ont pas le temps ou pas le goût de s'aventurer. Je dois dire l'étrange qui est pourtant le reflet familier de chacun, je dois redevenir l'étranger qui est partout chez lui parce qu'il apporte à tous une part d'humanité souterraine ou parfois oubliée.

Je dois ramener les ombres de la caverne sous le soleil des hommes car c'est bien de l'obscurité que jaillissent les mondes.

jeudi 3 novembre 2016

[ LE SYSTEME DU JE ] Scepticisme et croyance

Il est assez paradoxale pour un sceptique de n'admettre aucune croyance, or c'est pourtant ce qui m'est arrivé depuis quelques temps. Il est remarquable à ce sujet de voir la décision kantienne totalement opposée: "j'ai donc du abolir le savoir pour laisser une place à la croyance" (CRP, Kant). C'est pourtant clairement Kant qui a raison, à savoir qu'uniquement sur une inconnaissance totale (qui est la même chose qu'une connaissance partielle) peut croître sans limite la croyance. Le terreau même des croyances est l'ignorance. Ainsi, une ignorance assumée et comprise (c'est à dire non a priori mais a posteriori, fruit d'une remontée de la connaissance jusqu'à ses racines arbitraires) est le terreau privilégiée d'une croyance éclairée et non aveugle, c'est à dire non susceptible de se transformer en conviction dogmatique.

Ainsi, la croyance est la fleur, le doute la tige et l'arbitraire (ou ignorance) le terreau. Ainsi, la position du scepticisme, en invalidant toutes les prétentions du savoir, réhabilite la croyance. Le sceptique choisit un monde, celui de sa culture, puisqu'il ne peut y avoir d'existence humaine totalement acosmique. Choisir un monde c'est choisir une croyance, mais, pour un sceptique, il s'agit d'en demeurer conscient et de pouvoir à chaque instant considérer les autres mondes possibles comme de potentielles habitations.

Ce qui fait la force du scepticisme c'est sa grande maîtrise de l'outil qu'est la raison. En effet, la raison traverse croyance et connaissance en ce sens qu'elle prend racine dans l'ignorance qui produit la croyance, et parvient à éclore en une connaissance. Mais seuls les dogmatiques isolent ainsi la fleur du terreau originaire, créant par là un système artificiellement clos, lors même que le vrai circuit d'une raison suivie avec rigueur est celui-là: ignorance -> croyance (axiomes) -> connaissance -> ignorance. Car au bout de la connaissance, il n'y a qu'un retour possible à l'ignorance pour échapper à la régression à l'infini que produit inévitablement la connaissance. Ainsi, la connaissance est un système de croyances organisé. C'est en transmuant les croyances initiales en principes axiomatiques, que la connaissance émerge et forme un monde. Mais c'est en parcourant celle-ci dans une régression à l'infini (du moins en l'inférant) que le savant parvient de nouveau à la croyance à travers la découverte des contradictions et des limites de la démonstration rationnelle. De là, il ne peut que retourner à l'ignorance, mais une ignorance a posteriori que je qualifierais d'éclairée. C'est là l'ignorance sceptique, féconde en mondes, et surtout propice à la liberté pour tous les mondes d'exister.

La puissance de la raison réside aussi dans son terreau irrationnel qui la contraint à admettre la validité de l'irrationnel, de l'a-rationnel. Rien n'est impossible pour le bon scientifique, le penseur logique et rigoureusement rationnel: voilà sa conclusion ferme.

Il semble que le réel soit particulièrement sensible à la croyance, c'est notamment ce qu'une bonne compréhension de l'histoire des sciences montre abondamment: le réel collabore avec un système de croyance (un système transcendantal) pour former un monde. Le monde de l'aveugle ne nie pas celui du voyant et inversement, tous peuvent coexister dans la relation si singulière qu'entretient un système transcendantal avec un réel protéiforme et indéterminé (pour ce que nous pouvons en juger).

Je m'avance alors à une hypothèse qui paraîtra peut-être farfelue à certains (mais qui me démontrerait son invalidité?): la grande tâche de l'humanité sera, dès qu'elle aura saisie l'enseignement du scepticisme, d'apprendre à trouver une place à la croyance et de savoir au mieux l'utiliser pour bâtir le ou les mondes dans lesquels elle souhaite vivre.

De quel étrange bois?

Qu'ai je bien pu perdre en route, pour me sentir aussi vide? Quel trésor enfoui dans les décombres d'un passé rutilant ne m'offre plus aujourd'hui les caresses lénifiantes de sa clarté profonde? Serait-ce toi, encore?

Il m'arrive par moments de me sentir comme une eau croupie, sans mouvement, sans point de fuite pour qu'advienne le flux courant qui produit un destin. Je suis désormais sans avenir, sans trajectoire et sans horizon. Cloîtré dans une zone de confort où stagnent les eaux dormantes du possible, privée du filtre d'une terre à travers laquelle jaillir à l'air libre des actes mondains, dans ce monde où vivent les hommes et la somme fondue de leurs actions.

Il est certes agréable de n'être qu'un oeil, glouton et riche de tant d'images, de tant de savoirs qui se défont dans l'inconnaissance. Il est parfois profondément épanouissant d'être la tranquillité contemplative d'une conscience pure, mais inéluctablement, un ressac finit par vous ramener vers l'intranquillité intrinsèque qui a pu produire ce moment de répit.

J'ai des fourmis dans l'oeil, il me pousse mille pattes depuis la rétine, et la surface lisse de ma cornée frémit et bouillonne de tant d'intentions, bande l'arc de sa volonté hégémonique vers bien des cieux, dispersant ainsi mon énergie en vaines contemplations oisives qui toutes s'annulent pour me laisser sans direction.

Trente années d'existence pour en arriver là: au milieu d'une mer de possibles où proviennent de chaque directions d'exquis parfums incomplets, que seules les effluves des autres peuvent compléter...

J'aimerais être un héros de guerre, sans crainte, farouche et craint - j'aurais pu l'être si je n'avais pas arrêté le combat...

J'aimerais être un écrivain, plein de romans et de philosophies aux architectures sublimes - j'aurais pu l'être, si je ne m'étais pas abandonné à l'inertie...

J'aimerais être l'homme aimé de toi, le soleil que tu disais t'éclairer - j'aurais pu l'être, si je ne m'étais pas enfui en moi...

J'aimerais être ce pirate informatique à la puissance illimitée, sachant des choses que tous ignorent - j'aurais pu l'être, si je n'avais pas rejeté les machines et le réel virtuel...

Aucun bourgeon n'a pu devenir une fleur, chacune de mes humeurs passant sur tout cela comme un mauvais hiver qui stoppe tout, emportant promesses de fleurs et de fruits dans un vent de dédain et de mélancolie.

Quelle est donc cette espèce d'arbre que je suis, avec en son centre une sève qui ne circule plus qu'en boucle restreinte, n'alimentant qu'un coeur de vie, embryon pétrifié sur le chemin de sa croissance et qui toujours rebrousse chemin vers son néant d'origine? Il y a des arbres qui sont beaux et appréciés, par ce qu'ils offrent d'eux à la lumière, par leurs formes esthétiques et leurs couleurs diaprées, mais que pourrait-on faire d'un arbre où tout n'est que richesse ravalée, harmonies celées qui se taisent dans le silence mat des fibres?

J'aimerais que quelqu'un d'autre donne un sens ma vie... En ce qui me concerne j'abhorre bien trop cette expression pour m'en préoccuper.