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jeudi 21 septembre 2023

Aphorisme philosophique

La philosophie est une science de la croyance.

mardi 15 novembre 2022

Conscience, personne, liberté chez Kant

La personne (le pour-soi) se différencie de l'objet, de la chose (l'en-soi), par cette conscience qui la met à distance d'elle-même. C'est cette nature duale du sujet humain qui va justifier chez Kant le passage de l'ontique au déontique, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes.

Certes la conscience nous met à distance de nous-même par un acte réflexif, et permet ainsi au sujet d'envisager une autre trajectoire que celle que déterminent ses états empiriques. Mais envisager un autre possible n'est pas pareil que de connaître un droit chemin, que de savoir ce qu'il faut faire. La conscience ne nous place face à aucune autre loi que celle du possible que seules des croyances (ou postulats pour reprendre les termes kantiens) peuvent structurer en déontologie.

Autrement dit la dignité humaine ne provient pas de la conscience mais de la croyance. La conscience ne dévoile en rien une échelle de valeur qui fournirait un critère de jugement des actions et pensées humaines, elle ne fait qu'apparaître le possible sans jamais prêter à un seul une quelconque supériorité de principe par rapport aux autres. Le mode d'être du pour-soi ne fonde absolument pas la morale, seulement ses conditions de possibilité. La morale n'est fondée que sur l'autorité de jugements qu'on érige au statut de postulat, d'axiomes.

Par ailleurs on ne sait pas si la conscience fonde nécessairement la liberté: il est tout aussi bien possible de penser que le sujet transcendantal est déterminé par d'autres lois que celles de la nature, ou bien par des lois de la nature que nous ignorons (ou encore par une telle intrication de facteurs qu'on ne parvient plus à en analyser l'écheveau). Ainsi le sujet conscient, la personne, serait simplement la relation entre deux entités (transcendantale et empirique), permettant une mise à distance au sein même de l'unité (la synthèse des états empiriques agit comme une force qui lierait les particules dans l'atome), toutes deux déterminées par des lois.

Kant était tout à fait conscient de ses problèmes et c'est lui qui montre, avec une acuité nouvelle, à quel point le monde humain est tissé de croyances nécessaires. Ce sont elles qui fondent la structure de l'existence humaine: en l'homme, tout n'existe que par un acte de foi. Seule la sensation brute ne nécessite aucun acte de foi, mais l'organisation des sensations en perceptions et, plus généralement, en un monde connaissable, ordonné, ne peut se faire que sur le fondement de croyances organisitrices, de principes fondateurs.

jeudi 19 mai 2022

Aphorisme du fossoyeur de Vérité

 Quand il n'y a plus de vérité, il y a du choix; et non de la croyance, car la croyance est toujours l'espoir d'une vérité.

dimanche 8 août 2021

Le réel et l'utopiste

 Il m'arrive trop fréquemment, lors de tentatives de débat politique, d'être confronté à une ou deux croyances adverses qui amènent mon interlocuteur à être persuadé d'être dans le camp de la vérité, face à un curieux contradicteur dont le verbiage philosophique n'a de sens que dans un paradigme idéel totalement coupé de ce qu'il nomme le "Réel". J'ai pourtant entendu pléthore de locuteurs employer ce terme de "Réel" pour s'en réclamer, et tous avaient comme unique point commun de ne fournir de celui-ci que des versions à chaque fois différentes et souvent contradictoires. En tant qu'"utopiste", il me faut donc analyser brièvement cette notion de "réel" dont je serais déconnecté et, par là, privé de légitimité dans un discours qui, précisément, n'aurait plus aucun référent.

Plusieurs arguments intéressants reviennent le plus souvent lorsque je demande à ces personnes quel est le réel dont ils parlent. D'abord on peut parler du préjugé physicaliste qui consiste à dire, par exemple, qu'une sensation (telle que la douleur ressentie après un coup) est réelle. Ensuite, il y a le préjugé factuelle, qui consiste à dire que le réel c'est telle ou telle situation économique, politique, sociale vécue par mon interlocuteur; par exemple travailler tous les jours de la semaine dans l'acception capitaliste du terme, payer des impôts, faire les courses, etc. Ces illustrations du réel sont censées me convaincre, par la certitude immédiate qu'on leur prête, que les critiques que je porte à un état donné de l'organisation des sociétés humaines sont nécessairement utopistes et irréalisables. Pourquoi le seraient-elles? Il semble qu'une réponse à cette question serait le fait que ces critiques cherchent à promouvoir (en lieu et place du système économico-politique actuel) un autre agencement des rapports de forces et un autre paradigme de l'activité humaine qui serait trop éloigné de celui que nous connaissons.

Attardons-nous un instant sur ce point. Si, par exemple, une redistribution moins inégalitaire des richesses créées par l'activité économique était quelque chose d'utopique, il faudrait expliquer d'une part comment cette utopie a déjà pu se produire à certains moments de l'histoire humaine, a cours encore dans certaines sociétés (qu'on appelle ironiquement "primitives"), se produit même au sein des systèmes capitalistes (dans certains contextes tels que la sécurité sociale par exemple). Il semblerait que l'utopie d'un tel projet résiderait exclusivement dans le fait qu'il prône un état de l'organisation économique différent de celui qui est en place. Mais lorsque l'on écoute parler les personnes qui jugent ces idées utopistes, ils prônent eux aussi une réforme du système économique, simplement leurs réformes sont moins radicales et consistent en des ajustements leur permettant de mieux tirer leur épingle du jeu. Mais qu'est-ce qui permet justement de dire que certains changements sont radicaux et impossibles et d'autres réalistes et pragmatiques? Il semble que la réponse à cette question réside dans le fait que les changements radicaux s'attaquent à la structure d'une organisation politique et économique, tandis que les propositions des "réalistes" s'appuient sur cette même structure et la légitiment en la naturalisant, souhaitant simplement qu'elle subisse quelques adaptations et ajustements qui permettraient au rapport de force d'être plus en leur faveur. Un rapport de force qui serait en faveur de tous et qui nierait la possibilité, pour certains, d'amasser des richesses en quantité incommensurable serait alors utopique parce qu'il nécessiterait des transformations structurelles qui sont, en droit, irréalistes.

D'une part, qualifier ces transformations structurelles d'irréalistes demeure problématique puisque, souvent, le seul argument en la faveur de cette qualité irréaliste réside dans l'induction historique. À partir de tentatives passées, qu'on juge correspondre à cette velléité de transformation structurelle, qui se sont soldées par des échecs, on en infère que cette dernière est irréalisable. Il y a là, d'abord, une erreur logique qui consiste à induire à partir de faits particuliers et contingents une vérité générale, universelle et nécessaire. La logique ne le permet pas. Lorsque la sécurité sociale fut mise en place par Ambroise Croizat, il y a fort à parier qu'elle aurait été jugée utopiste plusieurs décennies en arrière. Pourtant, une telle chose existe encore aujourd'hui, à l'encontre, il faut le reconnaître, de tout le mouvement néo-libéraliste dominant.

En réalité, cette accusation d'utopie n'est pas recevable pour plusieurs raisons. Considérer qu'un but quelconque que l'on se fixe, est tellement éloigné d'un état donné qu'il devient en droit irréaliste, est une contradiction logique. Il n'y a aucune loi qui permette d'affirmer qu'une organisation politique et économique humaine quelconque constitue un état d'équilibre naturel, une forme homéostatique (telle qu'un organisme quelconque) déterminée par des lois naturelles qui en préviendraient tout éloignement. Encore une fois l'histoire infirme, par des occurrences particulières, une telle généralité de la loi. D'autant plus que le capitalisme demeure relativement jeune au regard de l'histoire des sociétés humaines. Ensuite, il est évident que fixer des objectifs éloignés ne constitue pas en soi une impossibilité telle que le jugement définitif d'utopie puisse leur être attribués légitimement. L'homme parvient aujourd'hui à voler alors même que cela aurait pu paraître totalement surréaliste à un mésopotamien de la cité D'Ur (fut-il besoin de remonter aussi loin...). En fait, ce qui ressort de cette accusation d'utopisme est clair: un certain état des choses, fruit de conventions humaines, a été naturalisé par tout un ensemble de personnes qui voient dans ces conventions et leur produit, le fruit d'une nécessité presque naturelle, c'est à dire d'une nécessité qu'il n'est pas possible, en droit, de remettre en question. Il devient aussi incongru à leurs yeux de remettre en question le système capitaliste que de remettre en question la mortalité des organismes humains (encore que le capitalisme parvienne à montrer, à travers le transhumanisme notamment, qu'un tel projet est légitime...).

Ce qui nous amène au préjugé physicaliste. Lorsqu'une personne considère que les sensations constituent le "Réel", il effectue par ce jugement une négation du projet scientifique. En effet, ce qui distingue le projet scientifique est précisément sa velléité à abstraire des contingences de l'expérience subjective la réalité sous-jacente, indépendamment des formes (phénoménales) par lesquelles elle se manifeste dans sa relation à un sujet. Un tel projet se construit en opposition totale à l'expérience subjective, ce qui permet à la physique de décrire un métal comme l'or en faisant abstraction de toute expérience possible par laquelle un individu pourrait le connaître sans intermédiaire, par son corps, et notamment ses sensations. Ainsi, les personnes qui affirment que le réel est constitué de leurs sensations se placent, de fait, en opposition à la science. Ce qui est problématique parce que ces personnes ne s'en rendent pas forcément compte, et si tel était le cas, il est assez certain qu'elles désavoueraient totalement une telle opposition.

Une sensation, bien qu'elle constitue pour un sujet donné, l'ultime et absolu fondement de toute expérience, ne saurait constituer le réel en tant que chose en soi, en tant que ce qui subsiste sous les déterminations subjectives à travers lesquelles il s'offre, parfois de manière contradictoire (en fonction des attributs du sujet qui l'appréhende). Lorsque ces personnes se considèrent "dans le réel" en parlant de leurs sensations, elles s'imaginent être en prise immédiate avec la chose en soi, lors même que leur expérience n'est que la médiation qui s'effectue lors de la relation d'un sujet et d'une chose à travers la constitution d'un objet d'expérience. Nul n'est en prise immédiate avec le réel (si une telle chose existe). Et il y a une grande violence à affirmer le contraire puisque cela revient à se faire soi-même la mesure de toute chose, à faire de son expérience subjective le critère de toute réalité et par conséquent de toute vérité. Pourtant, si nous croyons effectivement que l'expérience du rouge, par exemple, est universellement partagée, de fait nous n'en savons absolument rien.

Pour toutes ces raisons, je me méfie grandement des personnes qui affirment haut et fort être dans le "réel" tandis que d'autres ne seraient que dans les idées. Le réel n'est-il pas précisément une idée? Comment affirmer d'ailleurs qu'une telle chose existe? Lorsque nous appréhendons le réel à travers l'expérience phénoménale, ne le faisons-nous pas à travers note conscience subjective, c'est à dire précisément à travers nos idées? Toute sensation est polysémique: une douleur peut devenir plaisir dans certains contextes, elle peut aussi être le produit d'un crime et détruire celui qu'elle affecte ou encore être le résultat de la bravoure et ainsi galvaniser en fonction des contextes. On voit bien que toute sensation est intriquée dans un ensemble de jugements à travers lesquels s'entretisse sa valeur. La douleur n'est pas une sensation, elle est un jugement qui émerge d'un fond représentatif. Le réel que nous constituons est une représentation. Quelqu'un qui vous accuse de verbiage philosophique tandis qu'il prétend dire le "réel" est simplement quelqu'un qui ne sait pas voir les lunettes qu'il porte sur les yeux, qui ne parvient pas à percevoir et identifier les représentations qui lui servent de préjugés et colorent son expérience de la teinte d'un jugement qu'il confond alors avec une donation immédiate et brute du réelle. Cette personne, au lieu d'être dans le réel, est dans les croyances, comme nous le sommes tous, mais l'ignore ou ne veut pas le voir. Le réel n'appartient à personne.

Je n'ai jamais pu avoir de réponses précises aux problèmes que je soulève ici, probablement car il m'a toujours été impossible de parvenir au bout de mon argumentation dans une discussion de vive voix sans que celle-ci dégénère rapidement. J'ai toujours fait face à un aveuglement borné de la part de mes interlocuteurs qui semblent refuser systématiquement de répondre à mes arguments par d'autres arguments logiquement valides. Pour ça, je demeure inexorablement étranger à toute une large majorité de mes concitoyens qui ne souhaitent pas écouter ce qu'ils jugent être des élucubrations philosophiques. Je demeure, pour eux, dans l'erreur, le flou, l'utopie et nous ne pouvons communiquer sur des bases saines parce que j'ai tort a priori. Il y a là une violence difficilement concevable qui me fait considérer à chaque tentative de débat, la possibilité de me retirer du monde et de la société de ces "réalistes", car la douleur est profonde et vive de vivre dans un monde fracturé où l'on se tient du mauvais côté de la barrière. Je n'ai aucun espoir. Je constate des mécanismes de défense dont la solidité repose sur la nécessité vitale et la conservation de soi que je ne saurais vaincre. Je n'ai que la raison, la logique impuissante, et plus j'écoute les gens parler, plus je constate que ce qu'ils nomment "réel" consiste en la concrétion dense et acérée d'émotions qui semblent vaccinées contre le péril rationnel. Je n'ai nulle place en ce monde, nul ami, nul avenir car il n'y aura pas de reconnaissance, il n'y aura, semble-t-il, que cette éternelle lutte perdue d'avance, d'une poignée d'idéalistes face à ceux qui habitent le réel et par conséquent peuvent seuls exprimer la vérité.

Je suis si fatigué de tout cela, et meurtri. Appartenons-nous vraiment encore à la même espèce?

vendredi 7 mai 2021

Psychopathologies du désir

 D'où proviennent les pathologies du désir? Plusieurs sources semblent pouvoir être identifiées. D'abord on peut les situer dans l'enfance, et ce de différentes manières. Il peut y avoir, dans un premier temps, eu une "mauvaise" éducation face à la gestion de la frustration. Autrement dit il est possible que certains individus aient vu, tout du long de leur jeunesse, leurs désirs comblés sans autre forme de procès, sans jamais avoir à se confronter à la frustration ou l'interdit. On peut encore imaginer qu'ils n'aient jamais été encouragés à construire par eux-mêmes le processus d'assouvissement d'un désir, soit qu'ils aient été servis par les autres (comme mentionné précédemment), soit qu'ils aient été au contraire placé face au manque comme face à un interdit qu'on ne peut transgresser, dans une sorte de fatalisme (qu'on leur ait dit qu'ils ne méritaient pas d'obtenir ce qu'ils désiraient ou encore qu'ils en étaient incapables). Dans les deux cas, la conséquence peut en être un dérèglement qui rend l'individu inapte à rechercher puis mettre en œuvre des solutions d'assouvissement.

Mais cette explication est sans doute la plus évidente et la moins enthousiasmante. Il est tout à fait probable qu'un individu ait pu voir se modifier son rapport au désir, de l'enfance à l'âge adulte, passant d'une modalité saine et efficiente de celui-ci à une modalité pathologique. L'absence de désir peut être une de ces pathologies mais il est bien plus probable qu'il s'agisse là plutôt d'un symptôme par lequel s'exprime d'autres problèmes liés à l'appétence, comme la contradiction des élans (isosthénie) (dans laquelle s'annule tout horizon de la volonté). Autre pathologie intéressante: la volonté d'atteindre un but, un état, tout en refusant le cheminement intermédiaire pourtant nécessaire à l'achèvement de l'objectif poursuivi.

L'isosthénie du désir peut être produite par une éducation critique qui amène l'individu à une forme d'"incroyance" produisant chez lui un scepticisme intempestif venantt briser toute formation durable de valeur en tant que jugement accolé à une action, un état, un but qui pourrait valoir la peine de  le poursuivre. Je laisse ici la parole à Kant (S'orienter dans la pensée): "[...] comme la raison humaine ne cesse d'aspirer à la liberté: une fois qu'elle a brisé ses entraves, son premier usage d'une liberté dont elle a depuis longtemps perdu l'habitude dégénérera nécessairement en abus et en une confiance téméraire dans l'indépendance de son pouvoir à l'égard de toute restriction, en une conviction de la toute puissance de la raison spéculative qui n'admet rien d'autre que ce qui peut être justifié par des principes objectifs et une conviction dogmatique, et nie hardiment tout le reste. La maxime de l'indépendance de la raison à l'égard de son propre besoin (renonciation à la croyance de la raison) signifie dès lors incroyance; mais celle-ci n'est pas de nature historique car on ne peut absolument pas penser qu'elle est intentionnelle ni, par suite, qu'elle est responsable (chacun devant, qu'il le veuille ou non, nécessairement croire à un fait suffisamment avéré tout autant qu'à une démonstration mathématique); mais il s'agit d'une incroyance de la raison, d'un fâcheux état de l'esprit humain qui commence par retirer aux lois morales toute leur force comme mobiles du cœur et même, avec le temps, toute leur autorité et fait naître le mode de penser qu'on nomme licence de la pensée, c'est à dire le principe selon lequel on n'a plus à reconnaître aucun devoir."

Cette incroyance de la raison dont parle Kant n'a d'ailleurs pas besoin d'être absolue et achevée pour mettre en péril la fonction désirante puisqu'il suffit d'un doute suffisamment constitué pour saper les fondations même d'une croyance capable d'asseoir le jugement sur une base de permanence nécessaire à l'ériger en motif d'action. Celui qui n'est guidé que par le savoir devient prisonnier de l'incertitude inhérente au savoir physique, s'appliquant sur les phénomènes qui contiennent nécessairement une part d'a posteriori (par l'intermédiaire du divers qui en constitue la matière qui sera coulée dans les formes de l'intuition et de l'entendement) et donc d'imprévisible.

Quant à celui qui est capable de désirer durablement un état de choses mais qui ne parvient pas à impulser le processus d'action qui mènerait à la réalisation de cet état de choses, celui là souffre d'un problème ergonomique, au sens étymologique du terme. Son anti-utilitarisme (c'est à dire son incapacité à accepter d'employer des objets ou des actions comme moyens en vue d'une fin qui leur est étrangère) l'empêche d'agir en vue d'un objectif pourtant désiré. Son idéal lui impose le règne de l'immédiat et son désir ne peut dès lors plus être analysé en moments intermédiaires qui n'ont de mérite à ses yeux que de servir de passage à l'état désiré. Il est incapable d'envisager la réalisation de ces actions intermédiaires puisqu'il ne les désire pas elles mêmes, mais bien plutôt leur terme qu'il conçoit de manière indépendante dans son achèvement accompli. Son seul moyen d'avancer malgré tout vers l'objet de son désir, c'est de rendre alors désirable à ses yeux chaque moment, chaque étape intermédiaire, mais cela n'est pas toujours accessible et aisé.

Comment en arrive-t-on à une telle déchéance? Il semble intéressant d'avancer ici l'hypothèse d'un sur-développement de l'imagination, ou du moins d'une surutilisation de celle-ci. En effet celui qui, par l'imagination, est capable de simuler la temporalité physique et de parvenir à vivre (en esprit) des situations rêvées, trouve dans cette expérience onirique (qui n'est pas produit par le sommeil mais par la veille) tout ce dont il a besoin. Les sentiments qui seront suscités par ces phantasmes n'ont rien à envier à la réalité, il est par exemple prouvé qu'imaginer jouer d'un instrument active les mêmes zones du cerveau que l'activité réelle et vous permet de progresser presque aussi bien. Par conséquent celui qui est capable d'imaginer, avec une grande vivacité, tout ce qu'il désire dans un monde intérieur au sein duquel il s'érige en véritable déité, n'a plus aucune raison de souffrir la temporalité limitée des phénomènes physiques, la résistance de la matière qui impose à son esprit d'en passer par ses lois (par l'intermédiaire de la technique) afin de donner corps aux idées de sa psyché. Par l'imagination, cet homme a déjà tout ce qu'il désire, immédiatement: il compose les musiques les plus sublimes sans jamais n'avoir à apprendre aucun instrument, puisqu'il est capable d'utiliser n'importe quel son par l'instrument de son esprit dont il est un virtuose. Il peut produire en lui, presque immédiatement, les sentiments vertigineux que son regard sur les choses lui procure, et que la rédaction laborieuse d'un poème saurait (ou non, selon les individus et selon les conditions de lecture) reproduire, ou encore la complexe et patiente architecture narrative d'un roman. Il n'a pas besoin d'apprendre à peindre puisqu'il produit par son imagination les plus belles images qui soient pour lui, à son gré, qu'il peut même les animer dans des métamorphoses picturales hallucinées capable de susciter une ivresse peu commune. Tout cela se passe aisément, en son âme, à chaque fois qu'il le souhaite. Comment pourrait-il accepter de produire alors des images mutilées de ces paradis idéels à partir de techniques mal maîtrisées (ou que seul un interminable travail pourrait parfaire), bien souvent incapables de rendre avec fidélité toute la subtilité de ces images psychontiques?

Cet homme s'est à jamais enfermé en lui-même, comme dans un tombeau, dont il rêve cependant d'ouvrir la porte à ses semblables, afin de partager cet univers de beauté qu'il cultive et fait naître selon la temporalité si véloce d'un psychisme surefficient. Nous n'avons néanmoins que la matière extérieure et rebelle afin de dresser des ponts entre nos âmes... Sur laquelle nous ne pouvons qu'inscrire de dérisoires traces, chargées de faire signe vers l'abîme sans fin de nos existences psychiques, où se déploient librement les merveilles du désir esthétique.

jeudi 30 avril 2020

Dans les draps de soi

Qu'es-tu donc... Quelque chose du mouvement. L'élan premier, ou deuxième? Dixième ou six cent trillionième...? Pour toi celui de la source. Pour moi...? Une illusion, la croyance qu'alors on se tient près, tout près; pourquoi diable les choses seraient-elles aussi déterminées, corpusculaires... J'ai besoin de savoir... Ai-je réussi? Réussi? Qu'essaies-tu d'achever par moi... Peu importe le stade, ce qui te guide est l'intuition, le sentiment, la croyance. Rassure-toi dans la croyance humain. Dors en ses draps de soie, confortables et lénifiants, lisses et si légers... Saisir dans l'élaboration des formes ce qui prélude à la structure aboutie. Faire apparaître la dynamique même du paraître. Comment faire, dès lors que l'on se tient soi-même au sein de ce paraître...

lundi 6 janvier 2020

Aphorismes sur la vérité

La vérité ne produit pas de savoirs. Elle les critique.

La vérité est un processus et ce processus a pour nom "critique". L'école de cette discipline est le scepticisme.

La philosophie est, dans son écrasante majorité, non une recherche de la vérité mais la quête d'un monde justifié; la tentative de légitimation d'un totalitarisme épistémologique.

La vérité ne construit rien, c'est la croyance qui bâtit les mondes car c'est elle qui assure la consistance et la permanence des briques du discours conceptuel.

La vérité nous montre les conditions de possibilité des mondes et l'impossibilité des mondes en tant que chose en soi.

Le processus critique de la vérité montre en quoi le réel n'est précisément pas un monde.

dimanche 3 novembre 2019

Aphorismes sur la croyance

Il est si dur de croire en quelque chose, c'est là le combat de la vie.

Croire tout en restant lucide, sans dogmatisme ou fanatisme. Croire en conférant à quelque chose une valeur venu du fond de soi. Croire même lorsqu'on ne croit plus en soi.

Il faut croire sans raison, sans motivation extérieure, parce que la croyance est la seule façon de vivre.

La croyance est la force qui fait sortir du vide la substance des mondes.

jeudi 17 octobre 2019

Discipline et agnosticisme

La discipline semble une nécessité vitale dès lors qu'on constate jusqu'à quelle extrémité le délitement de l'âme peut atteindre lorsqu'on suit le penchant naturel de sa propre inertie.

S'astreindre à une conduite permet à l'homme d'accomplir plus que ce qu'il n'est. Par cette action, qu'il a pourtant mené de lui-même, il réalise alors qu'il est peut-être précisément plus que ce par quoi il se pensait défini. Il peut alors épouser le mouvement du temps dans la perspective d'une croissance en lieu et place d'une érosion destructrice.

Cette éthique est constituée par l'union harmonieuse d'une croyance ou foi, par nature invérifiable et agnostique, et d'une pratique ou conduite, absurde et autonome.

Croire ou ne pas croire

Croire ne relève pas du savoir. On ne peut pas dire à quelqu'un qu'il a raison ou non de croire en ce qu'il croit. La croyance n'est pas du domaine de la raison mais de l'imagination.

Croire, c'est créer. Ainsi l'on peut se joindre à cette croyance ou s'en détourner, mais il n'est pas possible de la réfuter ou de la démontrer. En notre qualité d'être défini et limité, dès que nous usons de notre entendement nous pensons dans un paradigme sujet-objet, c'est à dire dans la relation ou relativité. Ainsi nul ne peut se faire le critère absolu. Il existe une infinité de chemins pour relier un point à un autre, et, plus important, il existe toujours un chemin, même s'il ne nous apparaît pas immédiatement.

Croire c'est représenter un monde, produire une tonalité d'existence. C'est prendre le divers des sensations pour l'organiser en un tableau possédant sa propre structure et unité.

vendredi 4 octobre 2019

Méditations autour de la croyance et de la raison

Les gens comme moi ne parviennent pas à accepter le fondement irrationnel de la raison. L'action s'en trouve grandement menacée. L'esprit qui veut tout arraisonner rend les choses si friables qu'aucune fondation n'est possible. Cet esprit devient le mouvement pur, mais intranquille puisque inconscient de son but, causé par l'extérieur, en réaction aux choses. S'il cherche quelque chose, c'est l'existence d'un appui, d'une fondation à partir de laquelle bâtir un abri; mais, par sa disposition, il a fait de cette possibilité d'un fondement une chimère.

Pourtant, si la raison marche ainsi - quand bien même serait-ce à son encontre - c'est qu'un fondement préalable est déjà posé, bien qu'ignoré - sciemment ou non. Un tel esprit part du principe stable qu'aucune croyance ne peut être fondée de manière absolue. Il cherche la justification des croyances par la rationalité, ce qu'il ne peut précisément trouver puisque celles-ci sont une condition de possibilité de la raison même. La raison est consubstantielle aux croyances comme l'arithmétique l'est aux nombres (c'est à dire aux valeurs qui sont la traduction mathématique du jugement et de la croyance). On imagine difficilement un calcul ne s'appliquant pas sur des variables déterminées, c'est à dire des valeurs.

Ainsi la raison a besoin des jugements qui sont les unités, les valeurs, sur et par lesquelles elle s'exécute. C'est le statut même de ces jugements qui pose problème au rationaliste puisqu'il souhaiterait les voir comme des constantes ou des résultats assurés et définitifs lors même qu'ils sont des variables et des postulats temporaires justifiés de manière relative.

Le rationaliste intranquille cherche à se reposer à l'ombre de jugements absolus produits et adoubés par la raison même alors que celle-ci ne peut que partir d'eux comme postulats et hypothèses nécessaires a priori et donc indémontrables. Pour cela, ces jugements doivent naître hors de la raison et sont irrationnels - sans pour autant être injustifiés.

L'irrationnel et le rationnel sont les deux jambes de l'esprit pensant, ce dernier doit se tenir sur les deux s'il veut s'assurer une marche confortable et saine - il doit aussi pour cela savoir s'asseoir et s'allonger. Qui veut voyager par ses propres moyens ferait bien d'apprendre à marcher sur deux jambes, sans attendre d'elles qu'elles lui fournissent la justification de son périple.

Les croyances sont les briques permettant à la raison de bâtir - de réagencer et de transformer -, il serait absurde de croire que l'on peut vivre dans tous les édifices simultanément ou produire un bâtiment qui soit adapté à tous les contextes et toutes les situations - autrement dit qui soit lui-même tous les bâtiments. Ce fantasme de l'infinité accomplie, réalisée, est un puissant moteur s'il ne devient pas hypostasié. Il n'est que l'horizon qui anime la curiosité du voyageur, une idée régulatrice et non une chose.

À celui qui se convainc qu'il peut toucher l'horizon et le saisir n'est promis qu'insatisfaction, folie et probablement mort par épuisement. L'infini ne se vit pas comme expérience définie, il ne s'enclot pas dans le fini bien que le langage, par l'existence du mot, prête à le croire. Le mot fait signe vers ce qu'il n'est pas.

Nous ne pouvons situer l'infini en nous mais nous sommes situés dans l'infini (ou du moins l'indéfini), de manière absolument relative. Nous serons toujours quelque part à quelque moment par rapport à un référentiel donné, et bien que le regard puisse embrasser de vastes étendues, il ne peut saisir ce qui est sans fin. Le regard lui-même ne peut naître et se projeter que d'un point précis. Le regard enfin n'est pas celui qui observe.

La raison n'est qu'un outil. Le paysage vécu est fait de croyances et la raison est une force qui s'exerce sur les éléments de ce paysage qu'elle contribue à façonner. Nous vivons dans le paysage. Mais si la force peut interagir avec lui c'est qu'elle partage nécessairement une part de sa nature, elle est donc aussi paysage mais dans une perspective différente. Ce dernier, pris comme ensemble d'éléments déterminés est une représentation spatiale de l'expérience. La force, vue comme dynamique abstraite s'appliquant sur le paysage est elle une représentation temporelle de celui-ci. En tant que temporalité nous sommes infinis puisque processus même de définition. En tant que spatialité nous sommes déterminés et figés sous la forme d'un objet.

dimanche 29 septembre 2019

Pensées sur l'action

La raison, l'intelligence, en tant que méthode érode tout conclusion et tout jugement. Comme le temps, elle est négation de ce qui est.
En cela elle inhibe l'action qui repose essentiellement sur la croyance.
Le désir quant à lui est fondé sur l'instinct et l'inconscient mais, chez un esprit lucide et trop conscient, ce dernier est sans cesse contredit par l'intelligence critique. La conséquence étant l'atrophie du désir voir sa dissolution totale.

Il est donc bien nécessaire, pour qu'un groupe d'individus agissent de concert et forment société, de faire reposer l'édifice social sur une ou des croyances communes. Il ne doit en aucun cas s'agir de choix, puisque ceux-ci sont soumis à la critique et ne peuvent trouver aucune justification ultime; il faut que la société repose sur une foi commune en quelque chose d'irrévocable. La foi est irrationnelle, et ce socle est la condition sine qua non d'une politique rationnelle.

dimanche 15 septembre 2019

Aphorisme

Le monde appartient à ceux qui croient en quelque chose. Les autres ont le réel.

lundi 11 février 2019

La question des croyances

Il y a des gens qui passent leur vie à chercher ce pour quoi ils sont au monde. La Grande raison, le sens de leur vie. Je me suis longtemps demandé si l'on pouvait être dépourvu d'une telle chose, jeté dans le monde, là, comme ça, tel quel, dans toute l'absurdité d'une existence sans finalité. Dans la grande famille des ratés, il existe deux espèces différentes: ceux qui ne sont fait pour rien, qui n'ont développé aucun talent parce qu'il n'ont pas d'amour particulier pour une activité déterminée; et ceux qui ont visiblement un certain talent pour un peu tout et n'importe quoi, ceux qui pourraient presque tout réussir, plus ou moins. Je ne sais pas si l'un de ces deux sorts est plus enviable que l'autre. Probablement que l'un produit une frustration insupportable quand l'autre suscite une profonde dévalorisation de soi, un total désespoir.

Je crois que le problème, dans les deux cas, c'est ce que nous croyons. La question de savoir quelle(s) croyance(s) nous acceptons d'intégrer. Car celui qui ne croit pas que l'homme ait une raison d'être sur terre, autre que la fiction qu'il s'invente pour supporter de vivre, alors celui-là est peut-être moins enclin au désespoir et à la frustration. Il peut être indifférent aux injonctions des morales, il cherche son plaisir et s'y consume pleinement. C'est peut-être là sa véritable vertu, au sens grec du terme. Notons que cet homme croit en quelque chose, il croit qu'il n'y a pas de sens à la vie. Si jamais il vient à en douter, les ennuis commenceront: l'espoir fera son apparition, d'abord timidement, puis avec plus d'insistance. Il fera de l'homme un pantin, quêtant partout sa grande révélation, la réponse à la question que pose son existence. Cet homme là est incapable de voir le réel - c'est à dire dans les limitations inhérentes à l'humain: de manière négative, comme une chose qui toujours échappe aux déterminations. Il ne verra partout qu'un monde qui répondra, docilement, à l'injonction de son espoir maladif, chaque objet deviendra un moyen de répondre à sa soif de transcendance. En contrepartie de la violence qu'il imposera au réel par cet appauvrissement ontologique, il habitera un monde stable et déterminé, où les valeurs sont fixées une fois pour toutes, où chaque chose a sa place dans la grammaire universelle qui tisse le récit de sa croyance. Celui qui cherche quelque chose sait toujours d'avance ce qu'il recherche, il n'en est simplement pas conscient et la mémoire ne lui reviendra qu'au jour de la révélation. Platon avait une doctrine de la connaissance pertinente et qui donne à réfléchir. Connaître quelque chose semble bel et bien s'apparenter à un resouvenir, car alors pourquoi serions-nous frappé, face à une vérité nouvellement découverte, comme si nous étions là face à quelque chose qui nous était auparavant étranger, et qui d'un coup devient familier, évident?

Mais, ceux qui doutent réellement et s'aperçoivent bien qu'aucune connaissance apodictique ne peut être atteinte sans un critère absolu - or ce critère puisqu'il est absolu ne peut être déduit, il faut qu'il soit posé en tant que principe, par un acte arbitraire de croyance initiale, comme le sont les axiomes -, ceux-là donc tracent leur déroute dans une modalité sentimentale bien différente, le monde qu'ils habitent est mouvant et comme informe. Nous pourrions dire que ces hommes habitent un monde métamorphe où aucune délibération cohérente ne peut avoir lieu, pour la simple et bonne raison que la délibération est pareille à un calcul, elle requiert des unités, c'est à dire des valeurs, fixées, qui serviront à pondérer. Or si le monde change sans cesse et que ces hommes ne donnent jamais leur plein assentiment à un quelconque principe, cela veut dire qu'il leur faut ériger une science qui ne repose sur aucune axiomatique. Cela est une antilogie pure et simple.

Certains sceptiques de l'antiquité, confrontés à ce cruel dilemme, ont préconisé de suivre l'axiologie de la culture dans laquelle on évolue, d'en emprunter les valeurs afin d'agir de concert avec la société dont on est issu. Pourtant, l'adoption d'une telle attitude est problématique et contradictoire puisqu'elle suppose d'accepter l'idée qu'il n'y a rien à perdre dans la posture sceptique qui est la leur, et qu'il est plus commode, plus enviable, d'emprunter les valeurs propres à un système de croyance séculaire. Mais selon quel critère est-il possible de poser une telle affirmation? Et si, faisant cela, ces hommes introduisaient la croyance théorique à partir de la nécessité pratique? Tout acte ou plus particulièrement toute décision est adossée à une axiologie théorique qui vise à produire des valeurs essentielles au processus délibératif. Pour vous en convaincre il me suffit de vous inviter à répondre à la question suivante: vous vous trouvez à un carrefour d'où partent deux routes, l'une mène à une vie de richesse et de confort matériel dénuée toutefois d'appétence intellectuelle et de passions, l'autre à une vie ascétique mais emplie de spiritualité et d'amour. Comment pourriez-vous choisir si vous n'aviez pas au préalable, dans votre représentation du monde, une échelle de valeur pouvant s'appliquer aux différentes situations mentionnées? Vous seriez incapable de délibérer parce qu'il n'y aurait précisément rien à comparer, il n'y aurait que deux singularités impossibles à quantifier et donc à subsumer sous un étalon de mesure.

Ainsi, ceux, parmi les sceptiques, qui préconisent de suivre les traditions et coutumes de leur siècle sont précisément à ce carrefour. Deux routes s'offrent à eux: l'une qui mène à une vie dont les actes se conforment à la morale en vigueur, l'autre qui demeure indéterminée, chaotique et irrationnelle. Ils opèrent un choix et par là acceptent un système de valeurs, dès lors ils ont quitté l'habit du sceptique. Ils croient en quelque chose. Leur critère pratique (mais qui est donc une théorie sur laquelle va s'adosser leur éthique) est le fait que l'indécision et la marginalité est invivable et qu'il faut, pour vivre, entrer dans un système de croyance.

Il n'y a aucun sceptique absolu, c'est à dire que nous pouvons quitter sans cesse un système de croyance pour un autre, mais nous ne nous trouvons à aucun moment en dehors de tout système. Si une telle chose arrivait, la vie cesserait alors assez naturellement puisque aucune délibération ne pourrait être en mesure de s'opérer ce qui mènerait à une mort certaine. Le sceptique croit en ses sensations, les sens lui sont axiomes. Mais dire cela c'est ne rien dire autre qu'un non sens. Les axiomes sont théoriques, ils servent une science et donc une représentation. La vie consciente, parsemée de délibérations, est contrainte de cartographier l'expérience afin d'opérer des choix. Celui que fait le sceptique antique, à savoir préférer la vie conformiste à la mort chaotique par exemple est le produit d'une axiologie abstraite.

Ce que j'essaie de pointer du doigt à travers cette longue ratiocination, c'est que précisément la vie ne tolère pas le scepticisme. Autrement dit cette philosophie, comme le concept même de connaissance, est un concept paralogique. Il est indémontrable, dans le système épistémologique qui est le nôtre, qu'une connaissance soit possible et il est tout autant indémontrable qu'un véritable scepticisme soit loisible. Cette doctrine est pareille au concept de néant, on peut en parler mais jamais la vivre, car lorsqu'on est en son coeur, elle ronge ses propres fondements, sa possibilité même d'existence. Les sceptiques effectifs sont donc les enfants de la métamorphose, leur existence est transmondaine, ils sont en réalité en transit entre les mondes, ce sont des nomades existentiels.

Le nomade, s'il jouit d'une certaine forme de liberté - notons aussi que le nomade est écologique car il n'épuise pas la terre où il séjourne temporairement - est néanmoins sans logis et sans assurance. Il doit faire sans cesse confiance au réel duquel il est à la merci. Le nomade n'a pas d'assurance, pas de réserve en cas de pénurie, pas de défense contre le monde où il se tient. Sa seule force est sa liberté, sa possibilité de vivre hors de la Cité, fragilement, et peut-être douloureusement aussi, mais en côtoyant la périodique volupté des vertiges libertaires.

La grande question, la question centrale, et peut-être la seule vraie question qu'une philosophie lucide doit se poser, c'est la question des croyances. Il y a en la matière, un chantier si vaste et tant illimité.

mercredi 9 janvier 2019

Comme on tresse les mondes

Il y a des choses, étrangement, que le monde semble ordonner. Et il n'est pas en notre pouvoir de refuser.

J'entends la pluie battre sur le carreau du vélux, et je sais, d'un savoir total et cellulaire, que c'est là le signal qu'il me faut écrire. Ne s'agit-il que de mon interprétation subjective, de ma propre fiction intime? Nul ne pourrait ni l'affirmer ni l'infirmer avec certitude. La certitude n'est pas de ce monde, elle se tient hors des relations, de toute atteinte, en un lieu inaccessible et secret. La vérité quant à elle n'est qu'un choix, celui d'obéir en l'occurrence à la pluie, et au message que je lui prête. Et qui s'impose pourtant comme une réalité extime.

Tout est tellement mélangé dans cette existence... Le laid dans le beau, la création dans la destruction, le positif dans le négatif. Les gens s'emplissent les poumons de l'air des morts, de la fumée qui s'échappe des crématoriums, du dioxyde de carbone qu'expirent les enfants dans le halètement de leurs jeux. Et toute la vie se nourrit de la mort, comme cette dernière se nourrit de la vie. Tout fusionne, coexiste, se confond, consubstantialité des contraires qui se dissolvent dans l'étoffe unie du Réel.

Réel... Voilà bien le pouvoir des mots, qui de la forme définie, nous parlent de l'indéfini, réalisent la prouesse d'enclore en eux l'univers au complet tout en n'étant cependant qu'une partie de ce dernier. C'est qu'à la lecture du mot: Réel, chacun fait advenir sa totalité personnelle, son grand Holos, son univers. Et peut-être le mot ne se tient-il nulle part, comme s'il ne préexistait pas à la représentation qu'il ne peut donc pas susciter, puisqu'il en est une émanation...

À quoi se résume l'essence des objets? Il me semble que tout n'est qu'image que l'esprit fait tenir dans un flux de conscience qui peut varier, métamorphosant ainsi les objets et avec eux l'univers (image ultime qui voudrait les renfermer toutes, mais l'entreprise est sans espoir). Amas de cellules, chairs, muscles, atomes, quarks liés par des forces qui ne sont qu'images de ce qu'on ne saurait saisir. Que sommes-nous?

Au final ne restera que l'histoire que chacun se raconte. Comme dans un roman, d'aucuns suivent avidement le même fil narratif, celui-là même qui pousse leur volonté à habiter la seconde à venir. Tandis que d'autres parcourent la même scène à travers d'infinis points de vue, sautant d'un narrateur à l'autre, tressant ainsi les mondes dans le cours d'un destin.

C'est peut-être pour tout cela que la métaphysique est le domaine privilégié de la mélancolie, parce qu'on y est libre de croire en tout - et même que les choses auraient pu être autrement - sans plus avoir à prétendre qu'il y ait un quelconque savoir.

jeudi 5 avril 2018

S'effacer



Ne me demande pas.
Et puis, si tu demandes ce sera pareil.
Le même vide.
Agaçant d'abord,
Puis glaçant enfin.
Comme beaucoup,
Tu n'aimes pas les miroirs.
Parce qu'ils renvoient ta face
En reflet dans le silence.
Trop bruyant.
Le silence est parfois bien bruyant.
Je n'ai pas de réponses à tes questions.
Je ne connais pas d'humains avec des réponses.
Je connais des croyants lucides,
Et des croyants aveugles.
Parmi ceux-là des inoffensifs
Puis d'aucuns si nocifs....
À quelle catégorie j'appartiens?
Encore une question
À celui qui ne sait rien.
À quelle catégorie j'appartiens pour toi?
D'accord, et maintenant pour eux?
Et pour les autres?
On est rarement un con sphérique.
C'est tout ce que je voulais dire.
Il y a toujours un angle où l'on est autre.
Sais-tu à quelle catégorie tu appartiens?
Je veux dire, pour toi-même.
De toi à toi pour ainsi dire.
Ne tremble pas comme ça.
Je suis un peu direct.
Mais un jour,
Chez toi,
En relative sécurité,
Prends le temps de sonder la question.
Tu me diras que si c'est pour finir comme moi,
Plutôt passer son tour.
C'est ton droit.
Mais lorsqu'on croit que ce sont toujours les autres les ennemis,
Il me semble intéressant de s'assurer un jour que ce n'est pas soi-même.
Je n'ai pas de leçons à donner.
À personne.
Ce n'était pas une leçon.
C'était tout juste une proposition.
Qu'est-ce que je vais faire?
Maintenant?
Je vais m'en aller par les rues,
Et puis rentrer chez moi.
Si je serai là au cas où tu aurais besoin?
Je ne sais pas si je serai toujours là,
Mais tant que j'y serai tu peux compter sur moi.
Tu ne pleures plus désormais.
Je constate c'est tout.
Depuis longtemps je ne t'ai pas vu pleurer.
Du moins pas par ma faute....

Bientôt,
Tu n'auras plus ni colère,
Ni angoisse.
Je serai quelque part
Mais tu n'en auras cure.

Bientôt,
Dès aujourd'hui,
Je m'efface.
Comme face à l'aurore
Un vieux lambeau de nuit.