dimanche 29 janvier 2017

Saisie de l'ombre

Montre-moi l'être exceptionnel que tu es dans ces moment passés avec toi-même. Montre-toi à moi comme l'arbre que tu es aux racines anciennes et plus profondes que tous les centres de chaque Terre. Montre-moi ces branches sinueuses qui s'avancent prudentes et impétueuses vers la lumière des cieux et les lueurs de l'éther. Je veux voir comment chutent tes feuilles au gré du temps qui passe, et jusqu'où s'étend ton ombre sur cet inconnaissable monde que nous pensons sentir.

Je t'attends de mon noyau d'inexistence, dans le non-espace sec de ma source humide, et mes élans caressent ta frondaison dont les lueurs se laissent transporter par l'air; vers cet ici qui n'est ni là ni nulle part; de là où je suis le témoin inexistant de toute existence, y compris de la mienne qui n'est qu'un objet sur lequel je prends des points de vue.

Je pars à ta rencontre noyau de singularité, je m'en vais vers toi de toute mon immobilité, par la force incommensurable et virtuelle d'une volonté réelle, sans que le monde extérieur la reconnaisse pour autant.

Montre-toi reflet fuyant auquel je voudrais me marier; car en te retrouvant, peut-être pourrais-je enfin, éteindre ma lumière et ne plus voir l'abîme qui me sépare de moi.

samedi 28 janvier 2017

La connaissance, le relativisme et le sceptique (3)

Faut-il pour autant cesser toute recherche de la vérité? Est-ce bien là ce à quoi nous enjoint le scepticisme? C'est une possibilité, c'est d'ailleurs la première forme de scepticisme des Anciens, celle de Pyrrhon et celle de Timon. L'adiaphorie par l'indifférence à toute recherche théorique. Cette école s'apparente plus à un renoncement (et ne voyez dans cette expression nul jugement de valeur) et si elle est une conséquence loisible du scepticisme elle n'est en rien un chemin nécessaire ni évident.

La voie sceptique mène à l'effondrement du concept de vérité épistémologique (ou plutôt de ses fondements), du moins dans son acception fantasmée et trop longtemps admise. Toutefois, elle laisse subsister un concept de vraisemblance qui s'avère indispensable pour contrecarrer l'effet sclérosant du doute. S'il est loisible de produire un tel concept à partir du scepticisme, c'est précisément parce que le scepticisme jette le doute sur chaque doctrine, y compris sur celle qui consiste à dire qu'il n'existe pas de vérité épistémologique (doctrine qui ne s'apparente pas, rappelons-le, au scepticisme puisqu'elle le contredit comme toute doctrine affirmée). Toutefois, il faut noter que ce même critère de vraisemblance mène le penseur à regarder, avec les éléments dont il dispose, la connaissance en tant que découverte de la chose en soi comme impossible par nature, bien qu'il ne puisse qu'incliner pour cette hypothèse, sans l'étayer d'aucune certitude apodictique.

Attention, remarquons ici que la pensée sceptique n'élimine la vérité apodictique que dans les domaines de la physique et de la métaphysique. Au sein d'une science, telle que les mathématiques par exemple, il est tout à fait loisible, voire nécessaire, que des vérités apodictiques existent.

Si le raisonnement initial nous a mené à douter de la possibilité d'une connaissance de la chose en soi et à contempler notre manque de moyen voire notre incapacité fondamentale à approcher d'une vérité quelconque en ce domaine (autrement dit notre incapacité structurelle, apparemment naturelle et a priori, à se doter de critères non relatifs), on est en droit de se demander d'où peut bien tirer sa légitimité un concept de vraisemblance. Vous objecterez à juste titre que: si les termes de la relation (sujet-objet) existent en nombre infini, l'on n'est pas plus avancé en en réunissant un que mille. À cela, deux réponses sont possibles: d'une part, nous ne savons pas si les termes de la relation à un objet donné existent en nombre infini, la science pour le moment ne tranche pas sur le sujet de l'infinité de l'univers bien qu'une déduction logique semble nous faire incliner pour ce cas de figure. Deuxièmement, quand bien même les termes existeraient bien en nombre infini, c'est précisément l'entrelacement des fils que forment chaque relation entre un sujet et un objet qui permet d'enrichir son point de vue et de sortir du dogmatisme totalitaire que pourrait représenter la connaissance d'un seul point de vue (ou l'attrait de sa prédominance pour certains). Autrement dit, à défaut de ne pas pouvoir devenir le point de vue de tous les points de vue, c'est à dire de ne pas pouvoir détenir La vérité, on peut tendre vers lui dans un voyage dont le but réside dans le mouvement lui-même, mouvement qui consiste à sortir d'une erreur pour entrer dans une autre, mais plus riche.

Une objection légitime est celle qui consiste à dire que par rapport à l'infini, un point de vue ou mille ne changent rien, mais l'homme fonctionne rarement dans un horizon indéfini, il part plus volontiers d'une base. Dans notre cas, la base est le niveau zéro, celui d'un seul point de vue, et par rapport à lui, tout point de vue nouveau s'accumule et produit une richesse épistémique bien réelle ("si tu ne sais pas où tu vas, regardes d'où tu viens").

En cela, le scepticisme encourage au mouvement, à la découverte de points de vue toujours nouveaux qui permettront de résister à la tentation du sédentarisme intellectuel et du pourrissement dogmatique. La pensée sceptique est créatrice de relations parce qu'elle s'en nourrit littéralement. L'esprit, et plus particulièrement la raison, est comme un corps, il a besoin de s'alimenter d'une nourriture variée, c'est précisément ce que sont les doctrines, propositions et divers concepts que l'humain peut élaborer. Ainsi, comme dans un écosystème, on préfèrera la richesse des éléments qui le compose plutôt que la pauvreté (ainsi se dissolvent les pouvoirs totalitaires). Pour progresser, l'esprit sceptique a besoin de se confronter sans cesse à de nouvelles thèses, il est donc grandement favorable à la continuation de la recherche. À vrai dire le scepticisme est une méthode de recherche de la vérité absolument enrichissante pour la science, elle agit comme une sorte de sélection naturelle et élimine tout ce qui ne semble pas cohérent.

Ceci implique que le scepticisme n'est pas une négation absolue (ce qu'il n'a jamais été), mais qu'il tend plutôt à dégager des vraisemblances, des probabilités. Il conserve ce qui semble résister, pour le moment, à sa méthode d'arraisonnement, et se sert de ces jalons temporaires pour avancer, tout en restant conscient de leur statut d'hypothèses fragiles - on remarque là que c'est exactement ce que fait la science qui est par essence sceptique bien que d'aucuns trop souvent l'oublient. Prenons une analogie: chaque relation sujet-objet constitue un fil, certains fils ne s'accordent pas ensemble et s'annulent quand d'autres s'entremêlent et se consolident mutuellement. Plus une corde est composée d'un nombre important de fils entrelacés, plus elle sera difficile à annuler (isosthénie) voire à rompre.

Par ailleurs, il semble bien que le scepticisme soit l'application pure et simple de la logique, qu'il n'est donc pas une doctrine mais une pure méthode, comme l'est la logique ou la dialectique (qui est la forme logique du raisonnement philosophique). Pour cela, le scepticisme n'hésite pas à se mettre en doute et s'il se sert d'axiomes pour une démonstration, les rend au final à leur statut d'hypothèses dubitatives. Par conséquent il est impossible de se réclamer du scepticisme pour parvenir à une doctrine positive quelconque, c'est d'ailleurs bien souvent ce qui lui a été reproché. Reproche-t-on pourtant à la dialectique d'être aporétique (ce qu'elle est)? Il ne faut pas confondre la méthode avec la doctrine car deux doctrines opposées peuvent avoir été bâties à partir d'une même méthode sans produire par là d'anomalie particulière.

Une méthode doit s'appliquer sur des éléments, sans quoi elle ne produit rien, ne mène à rien, voire n'existe pas puisqu'elle ne produit aucun effet. Pour cela, le scepticisme part des assertions du sens commun, ou de doctrines déjà établies pour les mettre à l'épreuve dans leur cohérence interne, en utilisant leur axiomatique et en examinant la validité des liaisons de propositions entre elles, ou bien en les mettant en perspective avec des données qu'elles n'avaient pas prises en compte. Mais l'isosthénie qui peut mener à une forme de doute absolu, est difficile à atteindre, et bien plus souvent, la méthode sceptique parvient à éradiquer les doctrines incohérentes (soit de manière interne, c'est à dire dans l'ordre qui en régit les parties, soit de manière externe, c'est à dire dans l'ordre qui permet de l'agencer avec les autres éléments d'un épistémè - c'est encore une fois le holisme de la science), et à consolider certaines pour lesquelles les infirmations sont plus faibles que les affirmations (cordes plus solides).

Vous me direz, si l'on applique purement et simplement la dialectique qui nous a mené à douter d'une connaissance physique apodictique, cela n'est pas possible, ou alors cela sous-entend que nous ignorons (délibérément ou non) les éléments nous permettant d'opposer à ses propositions une contradiction de force égale. Ce peut être le cas de fait, mais en droit ce n'est pas le cas pour les raisons qui vont être exposées.

La logique (dont on s'est servi jusqu'à présent) semble consubstantielle à l'homme, il est probable qu'elle se manifeste dès la perception sensible (thèse développée ici). L'homme est une forme transcendantale (ou un sujet mais l'emploi de ce terme peut prêter à confusion, celui-ci étant trop surdéterminé par l'histoire de la philosophie) au sens kantien (tout sujet est une forme transcendantale), c'est à dire que ses caractéristiques intrinsèques (ses formes) déterminent la complexion de la relation qu'il entretient au réel, autrement dit elles constituent à partir de leur nature l'objet censé représenter le réel, la chose en soi. Cette base psycho-sensible de l'homme ne peut être reniée puisqu'elle est la condition de possibilité du raisonnement, et donc du doute. La détruire c'est détruire le discours. C'est effectivement un des chemins possibles qu'ouvre le scepticisme, mais au milieu de tant d'autres en nombre indéfini. Emprunter cette route n'est donc pas une conséquence nécessaire, mais un choix (qui dès lors s'opère à partir du critère de vraisemblance).

Cette base psycho-sensible est donc la seule vérité absolue (pour nous) que nous possédions., c'est à dire le seul critère non relatif (la sensation est la seule vérité absolue à laquelle nous ayons accès). En effet la sensation est antélogique, elle s'impose à nous et il faut un travail rétrospectif pour parvenir à douter de son statut, c'est à dire pour en faire un objet (et donc potentiellement une inadéquation avec la chose).  En ce sens, elle est une évidence, elle est une forme d'axiome nécessaire, c'est à dire qu'il ne nous revient pas de poser puisqu'il s'impose à nous comme condition même de notre expérience, comme fondement de notre être.  Mais même la sensation peut déchoir de son statut de vérité dès lors qu'elle devient objectivée et par conséquent sort de son caractère immédiat pour devenir médiatisée au sien d'une relation. Nous parvenons à faire cela en liant les vécus immédiats et absolus (les sensations) entre eux par la mémoire et les concepts.

La perception, elle, est déjà l'ordonnancement des sensations à partir de règles et structures que sont les concepts. Ici, je m'appuie sur les remarquables de travaux de Kant pour la vraisemblance qui semble les caractériser.

Enfin, plus loin dans l'abstraction nous avons le langage qui vient s'introduire dans la perception en s'y surimposant. Au point même qu'il arrive (et des expériences le prouvent) chez un sujet qu'un mot placé sur un objet prédomine sur l'objet lui-même au point de s'y substituer. Pour l'homme, bien souvent la carte devient le territoire. L'homme s'est constitué comme un être de signe, et il ne comprend que son propre langage.

On peut se passer du langage mais pas des étages inférieurs qui constituent le fondement de l'expérience (sans perception des distances, sans connaissance de la causalité, etc., l'homme ne pourrait survivre). L'expérience nous a montré, et nous montre, que le langage n'est pas indispensable à l'expérience humaine. L'expérience, ou plutôt ses conditions de possibilité, semblent donc ressortir comme étant le fondement imposé, nécessaire de l'existence humaine; ce qui revient en somme à une tautologie: si l'expérience humaine est constituée de sensations agencées en perceptions qu'ordonnent les concepts, il est logique (tautologique) de dire que les sensations, perceptions et concepts sont indispensables à l'expérience humaine, puisqu'ils en sont les constituants...

Il est donc naturel qu'on se serve de l'expérience comme critère, si ce n'est fondamental du moins prioritaire, pour la science. En effet, rien ne sert de remettre en doute la validité épistémologique de l'expérience humaine comme étant potentiellement inapte à décrire le réel puisque ce doute même est permis par cette expérience. Il peut cependant être intéressant et stimulant, d'imaginer une métamorphose ontique afin de penser le problème du réel à travers d'autres formes transcendantales possibles. Cela dit, cette opération imaginaire étant peu concevable en pratique, il est plus cohérent d'endosser les limites de la subjectivité tout en enrichissant celle-ci par un déplacement perpétuel, et par conséquent un retissage incessant des relations sujet-objet. À la manière pointilliste, l'objet qui se dessine alors, s'il conserve les caractéristiques imposées par nos formes transcendantales, ne cesse du moins de s'étoffer et d'offrir une richesse accrue. L'esprit possède lui aussi son appétit, ses mets sont les savoirs (qui sont des points de vues) et le processus d'alimentation se nomme apprentissage, le plaisir que ce dernier procure à l'esprit est, à mon sens, bien supérieur au simple plaisir physiologique procuré par l'alimentation.

Une des forces de l'expérience, c'est qu'elle constitue en soi une donnée supplémentaire, c'est à un dire un point de vue supplémentaire. En ce sens, elle peut redoubler une théorie, c'est à dire se marier à elle et s'y entremêler pour former une corde plus solide. Si l'on peut douter du bien fondé de la vraisemblance (dans le cadre d'une pensée sceptique), on le fait de manière purement théorique, en opposant à l'enrichissement du sujet (prôné par la vraisemblance) la masse indéfinie des formes transcendantales possibles qui, par leur simple mention remettent en question la pertinence et la légitimité d'un type de sujet unique à rendre compte du réel. Les objets constitués par un sujet sont des anamorphoses, qui plus est des anamorphoses du sujet lui-même, affecté (sensations) par le réel. Dans ce cas là, à quoi bon se fier à elles?

Nous voyons deux raisons à cela. Comme on l'a vu un peu plus haut, il y a deux manières de valider ou réfuter la cohérence d'une théorie: interne et externe. La validation externe se fait par la vérification de la cohérence (cohésion) qui existe entre une théorie et les autres théories d'un épistémè admis d'une part, et entre la théorie et l'expérience d'autre part. Nous avons plus d'éléments à agencer avec l'expérience humaine qu'avec celle d'autres formes de vie (puisque d'elles nous n'avons pas d'expérience), le poids dialectique des dernières est donc logiquement moindre. Examinons l'exemple du concept d'énergie en physique: nous avons constitué cet objet à l'aide de multiples théories intégrées à un corpus de théories qui forme l'épistémè d'une époque donnée, ainsi qu'à l'aide d'expériences qui permettent de corroborer les anticipations des théories. Il est aisé, et légitime, de remettre en question la pertinence de l'objet ainsi conçu grâce à l'argument des formes transcendantales foraines qui, ne partageant aucune de nos formes, produiraient à partir du même réel un objet totalement différent et inconcevable pour nous. Néanmoins nous avons une donnée supplémentaire qui vient renforcer la vraisemblance de notre propre objet "énergie" puisque nous pouvons contrôler nos théories par l'expérience, et ce faisant assurer une cohérence externe plus large à notre objet qu'à l'objet "autre" que nous sommes en droit d'imaginer, et pour lequel nous ne pouvons nous prévaloir d'aucune expérience. Pour cette raison, puisque des théories corroborent l'expérience humaine, alors que d'autres semblent l'excéder (pour le moment), elles acquièrent forcément plus de poids de par cette intégration au sein d'un épistémè. Leur cohérence externe est plus forte, nous les suivons donc faute de mieux. C'est bien d'ailleurs ce que propose Kant dans son esthétique transcendantale, une véritable expérience sensible pour corroborer ses propos. On notera toutefois la fragilité de l'expérience qui est toujours interprétable à souhait. Il y a une indéfinité de théories et plus généralement d'épistémè au sein desquels une même expérience peut s'intégrer de manière cohérente. C'est donc une donnée à manipuler prudemment et avec scepticisme.

La deuxième raison de se fier au critère de vraisemblance est plus pragmatique: nous vivons dans un monde de phénomènes et nous ne savons pas devenir véritablement autre (c'est à dire devenir d'autres formes transcendantales). Il est donc légitime de s'interroger sur ce monde où nous évoluons, et à travers la poursuite d'un enrichissement des points de vue, de poursuivre l'exploration passionnante des manières dont le réel nous affecte pour produire cette hallucination collective qu'est le monde. La multiplication des relations a des effets notables, on le voit notamment à travers les révolutions de la science appliquée, et l'expérience de ces relations nouvelles que nous tissons avec le réel, si elle ne nous dit pas tout, nous apprend forcément quelque chose de lui, et beaucoup de nous-même (comme si nous regardions tous nos profils dans un miroir, altérions la luminosité, placions des filtres, etc.).

Si je semble conserver l'ontologie relativiste sujet-objet, je rappelle que c'est ma manière d'appliquer le critère de vraisemblance qui m'amène à conserver cette théorie pour base de mes réflexions. D'une part, c'est ce que semble confirmer le rapport, forcément différent, qu'entretiennent les animaux avec le réel (par exemple en comparant l'objet monde d'une chauve-souris et celui d'un humain), et d'autre part je m'inscris pleinement dans la filiation d'un Kant (dont je conseille vivement la lecture de la CRP).

jeudi 19 janvier 2017

La connaissance, le relativisme et le sceptique (2)

Supprimons la logique et voyons ce qu'il reste du raisonnement antérieur: rien. Le concept de réel lui-même se dissout alors, la relation subjet-objet se délite elle aussi, et la possibilité même de maintenir la synthèse cohérente d'un monde s'effondre sur elle-même, dénuée dès lors de fondement.

Par quoi faudrait-il donc remplacer la logique, la loi qui seule ordonne un monde, fait tenir sur son socle un cosmos si cher à l'homme à qui l'acosmisme est parfois une véritable torture? On pourrait la remplacer par l'expérience et donc par le savoir-faire, mais là aussi nous utilisons une loi, une forme de l'entendement qui viendrait unifier la somme d'expériences abstraitement semblables sous une même unité. La causalité s'invite, le concept de général et de particulier et ainsi de suite. Impossible à l'homme, semble-t-il, de ne pas partir de formes, de schèmes, pour constituer un monde. Ceci peut très bien s'expliquer notamment par le fait qu'au stade physiologique, l'homme est d'emblée dotée de formes: le corps, les sens, autant de conditions de possibilités de l'expérience.

Mais il ne faut pas oublier que c'est l'usage même de la raison, de la logique discursive qui nous a permis d'arriver à douter de sa légitimité à produire une connaissance, et par extension de douter du concept même de connaissance. Si la connaissance est par essence décalage (le même qu'entre le sujet et l'objet, le même qu'entre le signe et l'objet représenté, le même qu'entre l'objet et la chose en soi), elle est donc par nature incomplète, relative. Or il est assez évident, notamment lorsqu'on aborde des raisonnements scientifiques tels que ceux de la mathématique, qu'une vérité incomplète est la même chose qu'une erreur: elle n'est pas une vérité du tout. Tronquez une partie d'un théorème, vous n'aurez que des résultats faux. Ainsi, la connaissance relative est une méprise dans l'élaboration même de son concept. Ou plutôt, est-ce nous qui avons voulu tirer d'un tel concept ce qu'il ne promettait en rien.

Résorber l'abîme, c'est faire coïncider le sujet à l'objet, c'est faire se confondre le signe à l'objet, l'objet à la chose. En d'autre termes il faut cesser d'avoir un sujet qui co-naît avec l'objet, il faut un sujet-objet. La connaissance absolu devient alors l'être même. Connaître la matière noire, c'est être matière noire. Ceci a pour conséquence paradoxale, mais logique, d'abroger la connaissance. Être une chose c'est précisément ne pas la connaître, on ne peut être une chose tout en étant à côté d'elle, en face d'elle (à part peut-être lorsqu'on aborde le mystérieux problème de la conscience, et encore, peut-être qu'il nous apparaît paradoxale parce qu'il est mal posé...).

À partir de là, que reste-t-il à l'homme qui a érigé la raison en parangon de la vertu, qui l'utilise pour placer au-devant de lui des horizons à conquérir, pour guider son comportement à travers l'éthique, pour arraisonner un monde a priori forain et qui l'inquiète? Lorsque la logique scie la branche sur laquelle elle est assise, il faut pour ne pas chuter trouver un substitut.

Une des possibilités est de n'appliquer son effort qu'à l'éthique, sans plus s'occuper de la connaissance théorique. Cependant, l'éthique ainsi conçue, est le fruit d'un raisonnement logique, or si l'on en arrive à se méfier de la logique, il n'y aucune raison de l'utiliser comme outil pour produire des règles éthiques. Car ce que recherche l'homme à travers la logique, c'est un outil qui semble lui révéler les lois de l'univers, parce qu'ainsi doté d'un tel outil, il peut exhumer de l'expérience brute et de la singularité irréductible, les lois, l'universel qui lui permettra de construire les vérités auxquelles se soumettre. Sans cela, que faire, pourquoi suivre tel principe plutôt qu'un autre, pourquoi tel acte en préférence à tel autre, comment pondérer les choix si nul critère, nulle valeur ne leurs sont attachés en soi et pour soi?

En fait, suivre le déroulement du fil logique conduit à rejeter la légitimité de la logique en tant qu'outil de révélation de lois qui ne seraient pas arbitraires par rapport au réel, c'est à dire de règles qui pourraient avoir une validité non relative et non subjective. Précisément, ce à quoi parvient le sceptique, c'est au constat de sa propre puissance créatrice. C'est lui qui produit à partir d'une logique, dont on ne peut dire qu'elle soit une règle régissant le réel, ses propres critères, ses propres valeurs et ses propres vérités. C'est un moment de vertige qui accompagne cette prise de conscience, puisque le penseur qui croyait alors faire reposer ses pas sur un sol extérieurement réel, qui s'imposerait à lui, se rend désormais compte qu'il jette avec le sable des croyances, des poignées de lui-même au-devant, qui constitueront la terre qui portera ses pas.

Passé ce moment d'angoisse et d'hébétude (mais peut-on réellement passer ce moment?), il peut toutefois retirer une grande extase dans le fait de se savoir créateur, dans le fait d'être lui-même son propre dieu: à la fois jugé et juge, châtié et bourreau, découvreur et inventeur. Il ne reste plus qu'à créer "sceptique", créer des mondes en pagaille, créer des valeurs et voir, à travers tes tentatives, dans quel genre de monde ton coeur s'apaise, où s'emballent tes aspirations, comment se taisent tes angoisses.

Mais il ne faut pas oublier qu'encore une fois, c'est en suivant la logique que tu arrives à ce constat. Or cette maîtresse est infidèle, et si tu la suis encore, bientôt elle viendra, comme une marée montante, détruire tes châteaux de sable pour faire reparaître plus tard un sable vierge de tout sillon. En tous sens tu peux faire aller tes pas sur son sable tendre, rien ne te guidera plus désormais. La validité des axiomes que tu as posés pour parvenir à ces conclusions ne peut être vérifiée, d'autres mèneraient ailleurs, et même quelques éléments omis dans ton raisonnement, ou une tournure différente, sont des chemins loisibles. Peut-être, tout juste, peux-tu t'attacher à respecter la liberté d'autres vivants, errants sur les mêmes terres, se sachant perdus ou l'ignorant. D'ailleurs, qui te dis que ce que tu recherchais à la base, à savoir une vérité extrinsèque, des valeurs objectives, n'existent pas vraiment? Qui te dis que tu n'es pas le seul à voir du vide où est le plein?

mercredi 18 janvier 2017

Kripke - Propriétés essentielles

Ce texte ne s'adresse qu'aux lecteurs de Kripke, notamment des deux ouvrages suivants: Naming and necessity et Reference and existence. Il sera difficilement compréhensible, peut-être, pour les autres. Etant un travail ancien (réalisé pour un oral universitaire), la forme est insipide et le contenu peu intéressant. Je mets toutefois ce texte en ligne pour la raison qu'il me sert de référence dans un texte sur la connaissance. Jamais je n'aurais pris la peine d'écrire cela s'il ne m'était pas arrivé la mésaventure de tomber sur le dogmatisme incohérent d'un auteur se disant logicien, et qui visiblement ne maîtrise pas les bases de la logique. Il y aurait tant à réfuter dans les ouvrages en question que je me suis vu contraint de restreindre mon argumentation à quelques points que voilà.

À ceux qui sont tombés sur ce texte par l'article La connaissance, le relativisme et le sceptique, la partie qui vous intéresse est la dernière sur les désignateurs rigides, cependant la lecture intégrale du texte peut être bénéfique à la compréhension du passage en question...



I/ Propriétés essentielles et réalisme ontologique

A/ Les noms de substance comme désignateurs rigides


Les noms de substance (or, fer, etc.), certains noms de phénomènes (chaleur, foudre, etc.) ou bien encore les noms d'espèce (chat, tigre, etc.) doivent être rapprochés des noms propres selon Kripke. En effet, ils ne sont pas des abréviations de descriptions définies censées fournir les propriétés permettant d'identifier l'espèce, la substance ou le phénomène. Il existe une version forte de cette thèse associée à Frege et Russel selon laquelle les noms abrègent des descriptions définies et une version faible selon laquelle son référent est fixé via des descriptions définies.

Pour Kripke, les noms propres sont des désignateurs rigides, c'est à dire qu'ils fixent la référence d'une chose de manière rigide et nécessaire (dans tous les mondes possibles) par un lien métaphysique et non pas une description dont le référent peut varier. Il en va de même pour les noms d'espèce et de substance : ils sont fixés rigidement, habituellement lors d'un baptême initial via un échantillon de particuliers censés identifier l'espèce (ou la substance). Par exemple l'espèce des tigres a été conçu par identification d'animaux semblant présenter les mêmes qualités, de telle manière qu'ils étaient candidats pour fonder une nouvelle espèce.

Ainsi la référence du nom « tigre » n'est pas fixée par des descriptions (telles que animal quadrupède de couleur jaune fauve, etc.) mais par un échantillon originaire de particuliers supposés former l'espèce. La référence du nom est donc l'ensemble formé par chaque instance de l’espèce ou du matériau dans l’échantillon originaire. Kripke dira :  « Un nom d’espèce naturelle dans le discours a quelque fonction pareille au nom propre – c’est à dire qu’il réfère aux choses de même substance ou espèces ou quoi que ce soit, en tant que « l’espèce d’animal donnée par cet échantillon originaire ». » (R&E, p. 45).

Par conséquent la description faisant figurer d'éventuelles propriétés essentielles permettant d'identifier l'espèce peut être formulée a posteriori par des découvertes scientifiques ultérieures. Ces propriétés essentielles une fois révélées, deviennent le représentant de l'échantillon originaire et permettent de valider l'insertion de nouveaux individus au sein de l'espèce identifiée, autrement dit elles permettent d'enrichir l'échantillon initial par de nouveaux membres.

B/ Le présupposé du réalisme ontologique ?


La thèse des propriétés essentielles que développe Kripke engage un lourd présupposé philosophique, à savoir celle d’un réalisme ontologique bien que l’auteur ne l’exprime ni ne le développe explicitement. On trouve une illustration claire de ce réalisme dans la troisième conférence de Naming and necessity lorsque l’auteur identifie objectivement la lumière avec les photons, indépendamment de toute dimension épistémologique. Ainsi, pour Kripke, la lumière ayant été découverte, et analysée en terme de photons, nous ne pourrions pas dire que la lumière n’existe pas si les humains perdaient soudainement la vue (NN p. 129 LNP p. 118) : « Imaginez une situation dans laquelle les êtres humains seraient aveugles ou que leur yeux ne fonctionnent pas. Ils ne seraient pas affectés par la lumière. Aurait-ce été une situation dans laquelle la lumière n’existait pas ? Il me semble que non. » En effet, la lumière existerait toujours, bien que nous ne puissions plus être affectés par elle et la découverte du photon est le dévoilement de la nature objective de la lumière : que l’on puisse être affecté par les photons ou non, ils n’en continueraient pas moins d’exister.

Pour appuyer un peu plus son argument, Kripke prend l’exemple de personnes chez qui la lumière provoquerait une sensation de chaleur, et qui associeraient par conséquent la lumière à une sensation totalement différente de la nôtre. Il ne s’ensuivrait pas que la lumière deviendrait de la chaleur, la lumière demeurerait ce qu’elle était, la terme faisant toujours référence à la même substance, à savoir les photons, indépendamment de la manière dont elle peut nous affecter (qui est contingente).

C/ Propriétés essentielles


Du réalisme à la thèse des propriétés essentielles, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit et c’est la science qui permet une telle prouesse. Toujours dans le cas de la lumière, la nature objective du phénomène a pu être dévoilée : sa propriété essentielle et métaphysique est d’être constitué de photons. Bien qu’étant une découverte a posteriori, la propriété qui est ainsi révélée n’en est pas moins nécessaire : elle dévoile les propriétés essentielles du phénomène en question, propriétés qui l’identifient dans tous les mondes possibles.

On note donc un certain réalisme de Kripke qui se traduit sous la forme de deux assertions :
  • il existe un monde indépendant de notre faculté à le percevoir ou à en être affecté (donc indépendant de nos facultés épistémiques).
  • Ce monde est connaissable dans ses propriétés essentielles, c’est à dire métaphysiques, pour reprendre un terme utilisé par l’auteur et qui semble signifier [ intrinsèque à la chose, indépendant de nos facultés cognitives ].


II/ Apories du réalisme


A/ Réalisme ou idéalisme



Témoigner de l’existence d’une chose, par exemple de la lumière, nécessite en premier lieu de pouvoir en être affecté. Dans l’exemple de Kripke pourtant (LDN p. 118), il est présupposé qu’une humanité n’ayant pas la possibilité, depuis ses origines et de toute éternité pour ainsi dire, d’être affectée par la lumière, serait un fait qui n’invaliderait pas l’existence de la lumière. Une telle assertion n’est pourtant possible qu’après avoir découvert l’existence de la lumière, c’est à dire depuis notre monde où l’homme a pu prendre connaissance du phénomène par sa capacité à en être affecté. Il semble que rien ne nous permette de dire que ce dont nous ne pouvons être affecté existe malgré tout.

Certes la manière dont une chose nous affecte est contingente, cependant il est nécessaire d’être affecté par une chose afin d’en connaître l’existence, du moins initialement. Si personne n’avait été affecté par la lumière, il aurait été impossible d’affirmer qu’une telle chose existe. On peut d’ailleurs ici se référer à l’expérience de la physique quantique qui montre à quel point il est hasardeux de s’aventurer à vouloir connaître la nature des choses indépendamment de l’observation et des capacités épistémiques dont nous sommes pourvus. Ce débat a opposé Bohr à Einstein (article EPR). Aujourd’hui, on ne peut trancher la question dans un sens ou dans l’autre (par exemple la dualité onde-corpuscule est le signe de l’inadéquation de nos modèle descriptifs lorsqu’il s’agit de concevoir des objets à l’échelle de la particule ; Levy-Leblond et Balibar proposent donc de remplacer les termes d’onde et de particule par celui de quanton, évitant par là la confusion induite par les représentations antinomiques d’une onde et d’une particule. On peut aussi prendre l’exemple du principe d’indétermination qui nous empêche de connaître l’état d’une particule hors du moment de son observation, celle-ci étant alors dans une superposition d'états). Il semble bien que le monde nous soit connaissable seulement par le biais des configurations que nous mettons à sa disposition à l’aide des instruments de mesure. C’est d’ailleurs un problème bien connu de la physique quantique qui fait de l’observateur une partie intégrante du système ou dispositif d’observation, déterminant à sa manière l’état de l’observé.


B/ Le problème des propriétés essentielles


L'objectivité absolue ou essence

La tentative de la science d’accéder à une essentialité des objets qu’elle analyse n’est nullement couronnée de succès et le résultat ne constitue pas une réussite indiscutable. Tout au contraire, tout au long de l’histoire de la science, des modèles n’ont eu de cesse d’être détruit pour laisser la place à de nouveaux : de la physique classique à la physique quantique, de la classification des éléments par la masse des particules au nombre de protons, de la matière connue comme étant pourvue d’une masse à la découverte du boson de Higgs qui fait de la masse une propriété extrinsèque à la matière, l’histoire de la science est une succession de modèles, souvent incompatibles les uns avec les autres (théorie des cordes ou gravitation quantique à boucle ?) qui témoignent de la nature conventionnelle de la science et d'un certain holisme épistémologique (Duhem). Ce holisme fait déchoir le statut essentiel des propriétés décrites par la science, celles-ci sont des modèles qui s'intègrent avec cohérence dans un paradigme scientifique déterminé et non un attribut absolu de la chose en soi. Ainsi le paradigme métaphysique auquel la science semble donner accès, selon Kripke, reste une idée, un idéal que la science cherche à atteindre sans toutefois y parvenir.

Les instruments ne sont pas une description essentielle de la réalité qu’ils sondent bien qu’ils permettent d’étendre le spectre de nos capacités perceptives. En effet, l’homme ne peut voir les rayons infrarouge mais s’est pourtant doté d’outils permettant de retranscrire dans un spectre visible les effets du rayonnement infrarouge. Ainsi l’homme étend sa capacité sensible à l’aide des outils mais ne peut accéder qu’à des reconstitutions au sein de ses capacités sensitives intrinsèques limitées. Le point de vue scientifique s'apparente à la poursuite d'un point de vue de tous les points de vue, la science se veut une méta-référence mais ce projet est précisément indéfini en son essence et ne semble se concevoir qu'en voie de réalisation et jamais vraiment achevé.

Prenons un exemple contredisant la thèse de la structure atomique des éléments comme propriété essentielle de ceux-ci. Imaginons que l’on descende plus bas que les quarks (dans la connaissance des constituants élémentaires de la matière) et que l’on découvre, par exemple, les énergions. On s’aperçoit que chaque particule (dont les protons) est composée d’énergions et que le nombre d’énergions qui forment une particule altère fortement les propriétés de cette dernière dans différentes conditions (telles que des températures très basses, ou des vitesses élevées, etc.). Ainsi on s’aperçoit que les protons sont en fait de deux espèces : un composé de 28 énergions dans chaque proton ou bien un composé de 29 énergions, les deux configurations ayant des propriétés suffisamment différentes pour qu’elles distinguent chacune un élément particulier. Dans un tel cas de figure, on pourrait alors dresser un nouvau tableau périodique indexé non plus sur le nombre de protons dans un noyau atomique, mais sur le nombre d’énergions dans le noyau. Ce qui était donc connu pour être un élément bien particulier, par exemple l’or s’avère être en fait deux éléments bien distincts, le nombre de protons n’étant plus qu’une description obsolète.

Il faut rappeler que nul n'a pu observer d'atomes et encore moins des protons (le microscope à effet tunnel détecte l’effet électronique et reconstitue la particule supposée à partir de cet effet, mais une théorie concurrente pourrait parfaitement décrire la cause de cet effet à l’aide d’un autre modèle), ainsi une théorie des propriétés essentielles des éléments se basant sur la nombre de protons dans un noyau atomique se base sur une reconstitution, une modélisation à partir d'effets mesurés. Kripke n’hésite pas d'ailleurs à envisager l’hypothèse selon laquelle le modèle atomique s’avérerait faux (LNP p. 112) mais maintient tout de même le caractère nécessaire des propriétés essentielles jusqu’à ce que la théorie qui en permet la stipulation soit falsifiée. Il semble donc bien que la théorie des propriétés essentielles repose sur une cohérence purement descriptive : tant qu’une théorie n’est pas falsifiée, elle permet d’énoncer ce qui est nécessaire ou non, elle est le cadre de référence à partir duquel les énoncés sont analysés.

Dimension métaphysique et nécessité

En plusieurs endroits, Kripke illustre par des exemples ses concepts de nécessité et de métaphysique qui sous-tendent la thèse des propriétés essentielles : « Etant donné que les chats sont en fait des animaux(...) » (LNP p. 114-115), « (...)à partir du moment où nous savons que c'est un objet composé de molécules – que c'est la nature intime de la substance dont il est fait(...) » (LNP p. 115), « Nous avons découvert un phénomène qui, dans tous les mondes possibles, est le mouvement moléculaire, parce que telle est sa nature. » (LNP p. 121). Chacun de ces termes marque le caractère métaphysique et nécessaire, l'homme est parvenu dans ces cas à découvrir l'essence, la nature intrinsèque des objets étudiés (indépendante de ces facultés cognitives), mais quel est le critère de ce caractère métaphysique ? Si la nécessité est bien un caractère que l'homme découvre dans les choses et qui n'est pas le sceau d'une connaissance a priori (cf Kant), alors, et nous reprenons Hume, qu'est-ce qui permet à l'homme d'être certain du caractère nécessaire de sa découverte ? A-t-il pu tester cette nécessité dans tous les cas possibles et imaginables ? Ce problème qui a conduit Kant à identifier la nécessité avec l'a priori est déplacé par Kripke : une chose est supposée ou admise comme nécessaire jusqu'à falsification de ce caractère de nécessité. On peut reprendre l'exemple du modèle atomique pour mieux cerner ce procédé de Kripke (LNP p. 112) : si le modèle atomique était certain alors il aurait été nécessaire de toute éternité que l'or ait le numéro atomique 79. Mais si le modèle atomique s'avère être faux, alors ce qui était nécessaire s'avère être contingent, ce qui est contradictoire. Le seul moyen d'assurer la nécessité est de la fixer éternellement par l'aprioricité, ce que Kant avait bien perçu en réponse à Hume. Ce qui est nécessaire est nécessairement a priori sous peine de :
  • s'avérer contingent un jour ou l'autre
  • ne pouvoir être affirmé nécessaire.
Ainsi on replace la nécessité dans la description, et donc du côté de l'épistémique, plutôt que dans la chose en elle-même (dimension métaphysique).


C/ Un concept peut-il faire l'objet d'une désignation rigide ?


On pourrait très bien garder le nom or pour fixer un des deux éléments récemment distingués, mais alors, précisément on brise la rigidité de la désignation. On pourrait même imaginer qu’après des milliers d’années de recherches scientifiques, cette opération se soit répétée un nombre suffisant de fois pour que le mot « or » ne désigne plus qu’un cas particulier de l’échantillon originaire. Ainsi la référence du nom ne semble pas fixée rigidement sur la chose mais bel et bien sur une description puisque « la chose » ou « la substance » ne désigne précisément rien d’autre que la description d’un phénomène, description qui seule permet de l’isoler et de le distinguer en tant qu’objet de référence. En effet, dire « cette chose là » revient à isoler quel objet ? Si l'on montre l'objet qui instancie présentement le concept d'homme et qu'on ne le précise pas, montre-t-on un membre, la surface de l'homme ou bien comprend-on aussi ses organes ? Quid de ses pensées, faut-il les comprendre dans le concept de « cette chose là » ?

En outre, le concept d’espèce est soumis à une définition possiblement fluctuante bien que l’acception la plus communément admise est celle d’Ernst Mayr et se base sur la capacité à se reproduire, par conséquent sur la possible transmission du génotype entre différents individus via la reproduction. Mais le concept d’espèce a une histoire et n’est pas univoque ce qui vient encore fragiliser la théorie linguistique de la fixation de la référence des noms d’espèces par désignation rigide à partir d’un échantillon originaire. Il semble que ce qui permet de fixer la référence d’un nom d’espèce est bel et bien un échantillon d’individus, que l’on a voulu utiliser comme canon pour la définition de l’espèce, couplé à une description, seule à même de fixer la référence de manière « nécessaire » et « rigide ». Cette description comprend d’une part ce que le concept d’espèce décrit, et d’autre part, la caractéristique singularisante propre à l’espèce qui correspond à un niveau de description fixé par le concept même d’espèce. Par exemple si une espèce est définie par une séquence ADN commune à tous ses membres, la caractéristique singularisante qui sera utilisée par la description de l’espèce étudiée sera précisément une description du génotype. À l’inverse, si le concept d’espèce était fondé sur le phénotype, c’est à ce niveau que les propriétés singularisantes d’une espèce seraient recherchées. Ainsi, tout est description : de la sélection d’un groupe d’individus animaux (qui nécessite un concept de l’animal permettant d’isoler des individus appartenant à ce genre) à leur classement dans une espèce définie à l’aide de propriétés jugées essentielles. Il semble donc bien que la définition du concept d’espèce ne soit pas si triviale que Kripke veut bien le laisser entendre (cf p. 125).




Pour montrer à quel point la définition du concept n'est pas triviale, il suffit de souligner l'impossibilité de trouver des universels dans la nature. Or le passage d'un échantillon de particuliers à l'universel de l'espèce est précisément une abstraction descriptive permise notamment par le langage. Lors du baptême initial, l'échantillon ne contient que des particuliers irréductibles entre eux, seul la subsomption sous un concept propre à synthétiser des descriptions suffisamment générales permet de passer de ces particuliers à l'idée d'une espèce à laquelle ils appartiennent. Ce procédé n'est possible qu'à l'aide d'une abstraction et c'est précisément cette abstraction (ce concept) qui fixera la référence du nom et pas les particuliers réunis dans l'échantillon originaire. Réfuter cela et affirmer que le référent est bien l'échantillon initial d'individus revient à agréer au fait que l'espèce est définie dès la nomination de l'échantillon, en dehors de tous critères tels que les propriétés essentielles, ce que Kripke critique en réfutant la pertinence de la description en faveur de la découverte de propriétés essentielles. Si le critère devient discriminant, alors la référence du nom est nécessairement fixée par ce critère et non directement et rigidement par le nom, auquel cas l'espèce n'est définie que par l'échantillon de base et ne peut s'enrichir d'individus nouveaux et encore moins rejeter des individus de l'échantillon originaire (car selon quel critère serait-il légitime de le faire ?).

La connaissance, le relativisme et le sceptique

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Une des anecdotes qui constitue le socle sur lequel s'est bâtie ma personnalité est sans aucun doute celle de la professeure de physique lorsque j'étais au collège. Je l'ai déjà relatée ici, en d'autres textes, mais je le refais volontiers puisqu'elle sert de fil rouge, de point de départ prolixe à la rumination d'une vie, à tout un destin qui s'écrit encore aujourd'hui à travers le sillon que je trace.

Nous étions donc en cours de physique, cours qui portait sur les circuits électriques, et l'enseignante ne cessait d'employer les expressions de charge positive et charge négative. Etant plutôt lent par nature, je trouvais étrange de manipuler ces notions sans vraiment savoir sur quoi elles portaient. Je demandais donc qu'est-ce qui était négatif et positif exactement. On me répondit qu'il s'agissait de la charge électrique, or je voulus aussitôt savoir ce qu'était exactement l’électricité, quelle était sa nature? Ce à quoi la professeure me répondit qu'il s'agissait d'une forme d'énergie. Toujours mu par la même logique, je demandais alors ce qu'était l'énergie. Là, l'enseignante excédée me répondit sans ménagement que ce n'était pas la question, et que je n'avais qu'à suivre le cours.

Suivre le cours de sa pensée... Sa pensée qui n'épousait pas la forme de la mienne, sa pensée qui probablement ne s'était jamais demandé ce qu'était l'énergie. Mais je préjuge, et je ne peux rien déduire de la pensée de cette dame à partir de cet incident, je ne peux que constater que mon opiniâtreté, ce désir qui m'animait d'aller "au fond des choses", n'était récompensé que par de l'agacement: l'école me voulait soumis et non curieux, ou plutôt soumettre ma curiosité à sa forme. Je n'aimais déjà pas l'école, mais j'ai décidé à partir de cet instant que je n'avais rien à y apprendre, que tout cela constituait bavardages futiles à partir de notions incomprises, voire ininterrogées. J'ai passé le reste de mes études à apprendre par coeur ce qu'il fallait apprendre, à le régurgiter docilement et avec brio, puis à l'oublier aussitôt. L'école n'a laissé que peu de traces en moi depuis ce jour.

Mais que voulais-je savoir au juste en posant cette ultime question à l'enseignante? Elle aurait pu me répondre que l'énergie se divisait en plusieurs manifestations: cinétique, électrique, thermique, etc. Mais cela ne m'aurait pas satisfait pour autant, ce que je voulais savoir, moi, c'était la nature de l'énergie, le quid. Pour répondre à cette question, il aurait été nécessaire de pouvoir, notamment, déterminer la ou les causes de l'énergie et d'en énumérer les composants. Mais on voit bien alors comment la question peut mener à une régression à l'infini, que connaissent bien les enfants qui interrogent les parents qui finissent bien souvent par réagir comme l'enseignante de ma petite histoire - bien qu'un aveu d'ignorance aurait été plus séant et certainement moins destructeur. Qu'attendais-je donc au juste comme type de réponse, si connaître une chose c'est en saisir sa nature: qu'est-ce que nous appelons la nature d'une chose?


Natures de la connaissance


L'approche scientifique la moins dogmatique consisterait à adopter un positionnement empiriste: connaître une chose c'est en saisir les diverses manifestations. Ainsi l'énergie est électricité, chaleur, mouvement, etc. On ne peut rien dire de plus.

Mais cela ne serait pas suffisant à fonder une science véritable, et il faut rajouter à cela une compréhension causale après avoir énuméré et décrits les effets. En ce qui concerne l'énergie, le problème devient épineux puisque nous ne connaissons pas de cause à l'énergie: l'énergie est, se conserve, ne se crée ni ne se perd. À vrai dire, tout ce que nous connaissons, ou plus précisément expérimentons, est énergie. Pourquoi l'énergie existe, c'est une question métaphysique, aujourd'hui, à laquelle nulle ne peut répondre (pour le moment). Même dans un cas où les causes peuvent être déterminées, il s'agit toujours d'un modèle abstrait d'explication causale car les causes d'un phénomènes ont elles-mêmes des causes et ainsi de suite jusqu'à une régression à l'infini. Pourquoi donc s'arrêter à un niveau plutôt qu'à un autre si ce n'est par un choix arbitraire (on retrouve un peu la logique de l'argument sorite).

Pire, ce que nous croyons isoler comme causes d'un phénomène n'est que le fruit de la clôture d'un système (produit pour les causes de l'expérimentation) qui pourtant demeure ouvert. Lorsque le scientifique isole une partie de l'univers pour réaliser des expériences, il le fait pour des raisons pratiques: parce qu'au sein de ce système clos, il croit pouvoir dénombrer les éléments pertinents, formant par là une abstraction qui n'est déjà plus en phase avec le réel examiné ("la carte n'est pas le territoire"). Ce faisant, il limite la validité de son explication causale, puisqu'il ne fait que des inférences et des suppositions, il taille dans les phénomènes et travaille à partir d'une carte qu'il surimpose sur le monde qu'il souhaite arraisonner.

Mais là encore ce ne serait pas suffisant pour une connaissance du quid et il faut donc être capable de donner les éléments constitutifs de la chose: de quoi est faite l'énergie? Cette question peut trouver une réponse lorsqu'elle porte sur d'autres objets, par exemple la matière. Mais même dans ce cas, la réponse n'est qu'une abstraction qui donne un état de l'art (aujourd'hui les quarks), c'est à dire qu'elle ne fournit qu'une représentation de ce que nos moyens techniques nous permettent à un moment donné de modéliser avec vraisemblance pour une intégration cohérente aux théories scientifiques admises. Pire, la question n'a potentiellement pas de réponse ultime s'il s'avère que toute chose est décomposable à l'infini en éléments qui la compose (les atomes, malgré leur nom, ne sont pas les éléments premiers et indécomposables de la matière)...

Ne m'intéressant ici qu'à l'épistémologie, et donc à la connaissance théorique, je passerai les autres types de connaissance, tels que le savoir-faire, la connaissance factuelle ou mémorielle, etc.


Les apories de la connaissance



Dans le premier cas où l'on s'attache à un point de vue positiviste qui consisterait à décrire les différentes manifestations d'un concept, on se heurte rapidement au problème du point de vue. En effet, décrire un objet sous-entend d'avoir une perception de cet objet, c'est à dire une relation sujet-objet. La relation qu'entretient un sujet à un objet se nomme subjectivité, elle est un point de vue nécessairement limité sur l'objet en question. Rapidement l'homme s'est méfié des limitations de ses sens, et a perçu le problème du point de vue. Il s'est alors lancé dans l'aventure scientifique qui a pour velléité de transcender un point de vue donné pour en synthétiser de toujours plus nombreux, en tendant vers l'horizon intangible du point de vue de tous les points de vue.

D'une part, cet horizon est un idéal inatteignable par nature, si l'on considère que l'univers est infini (or rien ne nous le prouve mais nous n'avons pour l'instant aucune expérience de limites intrinsèques ni de l'infiniment grand, ni de l'infiniment petit. Dans ce domaine, seuls nos moyens techniques nous limitent pour le moment); mais d'autre part, quand bien même on pourrait synthétiser tous les points de vue en une seule perception, en une subjectivité désubjectivée, il s'avèrerait impossible de le faire de manière simultanée. Ce nouveau point de vue, ne serait qu'une reconstitution a posteriori de divers points de vue, reconstitution observée toujours par un individu-sujet, soumis à la limite de son point de vue. Autrement dit, nous aboutirions à un point de vue de points de vues, et le mythe de l'objectif se perdrait alors dans la nécessité de réunir l'ensemble des points de vues de points de vues, et ceci dans une régression à l'infini.

La réalité humaine est profondément relativiste de par ce fondement transcendantal qu'est le rapport sujet-objet. Ainsi, l'absolu d'une connaissance objective pure ne peut être atteint dans une ontologie relativiste, mais il est, à l'image des Idéaux de la raison pure chez Kant, un principe, un horizon vers lequel semble tendre naturellement l'esprit humain. Il s'avère, qui plus est, très productif.


La limite des formes transcendantales


Un autre problème qui vient s'ajouter au relativisme quantitatif que nous venons de décrire est celui du relativisme qualitatif ou transcendantal. En effet, le sujet percevant est affecté par les objets de sa perception par l'intermédiaire des sens. On sait que toutes les formes de vies n'ont pas les mêmes sens, et par là même n'ont pas un accès identique aux objets. La contribution kantienne sur le sujet est à mon sens essentielle encore aujourd'hui, et je m'en servirai donc comme base de réflexion. Ainsi, non seulement notre perception du monde est sensiblement médiatisée par nos sens, sens qui n'épuisent pas l'étendue des interfaces sensibles possibles dans le règne du vivant, mais aussi par nos formes de l'entendement. Kant nous montre assez bien d'ailleurs en quoi la causalité, qui est un principe de notre appréhension du monde, n'est qu'une forme, parmi d'autres possibles, de constitution d'une nature (d'un monde). Nous sommes incapables de concevoir autrement qu'abstraitement, par les mots, ce que serait une existence non causale. Il s'agit là d'une limite puisque la causalité semble être une condition même de possibilité pour l'homme de la connaissance comme de l'expérience consciente. Or qui nous dit qu'il n'existe pas dans la nature des êtres dotés de formes de l'entendement différentes, ou simplement privés de la forme causale. Si nous percevions le même objet alors, quelle perception serait la plus vraie? Nous sommes contraints face à ce genre d'interrogations, de suspendre notre assentiment quant à la nature de la chose en soi, du réel, et d'accepter les formes limitées à partir desquelles nous constituons notre monde. S'il est déjà malaisé d'imaginer le monde perçu par une chauve-souris, qu'en est-il de formes de vie encore plus éloignées, comme le peuvent être les végétaux, ou même d'éventuels extra-terrestres?

Nous avons donc appris grâce à Kant, que l'être qui perçoit un monde, ne fait pas que capturer dans ses filets des choses telles qu'elles sont, mais qu'il constitue à travers ses formes transcendantales un monde qui est la rencontre entre un sujet et le réel; les formes sensibles et intelligibles du sujet filtrant le divers du réel pour produire des images ou objets qui s'assemblent en un monde normé et médiatisé par les caractéristiques (formes transcendantales) du sujet.

J'ajoute aussi que c'est étonnamment une chose que semble confirmer la physique quantique notamment à travers la dualité onde-corpuscule qui montre que la lumière, par exemple, n'est ni une onde ni un corpuscule, mais que le réel semble se conformer aux situations qu'on lui impose pour produire des phénomènes dont nous prédéterminons les conditions de possibilité par notre constitution transcendantale.


Les mots et les choses


Un autre problème majeur que l'on peut mettre en évidence, c'est l'objet réel sur lequel porte la connaissance. La connaissance porte sur des objets, or les objets ne sont pas la chose: l'objet est littéralement "jeté là" par le sujet qui le constitue à partir de ses formes transcendantales. Mais ce problème a été discuté au paragraphe précédent, ce qu'il est important de noter ici, c'est que les objets réels de la connaissance, ne sont pas les phénomènes, et les choses objectives (au sens kantien), mais précisément les représentations sémiotiques de ces phénomènes. Il n'existe aucune connaissance sans sémantique et sans sémiotique. Connaître suppose de pouvoir élaborer des concepts à l'aide de signes, représentant des objets, et d'une grammaire ou sémantique permettant de lier les choses entres elles. Un objet est identifié arbitrairement à un signe, puis il est composé d'autres objets à partir de règles, c'est à dire d'une logique qui agit comme le font les lois fondamentales de la physiques unifiant l'expérience des objets dans un monde. Mais dans la connaissance, même en physique, nous ne manipulons jamais que des concepts, c'est à dire des représentations linguistiques d'objets (qui sont déjà eux-mêmes des représentations sensibles du réel), or ces concepts n'ont aucun lien logique avec les objets, ils sont des abstractions qui renvoient à des abstractions et ce dans une régression à l'infini. C'est par exemple le cas lorsqu'on tente de définir la matière: on ne fait qu'énoncer des concepts comme les atomes qui la composent, concepts qui sont des abstractions souvent vouées à être amendées par la suite, au fil des découvertes dirimantes d'une science en perpétuelle transformation. Il faut bien rappeler ici deux points: nul atome n'a jamais été observé, toute image de ce dernier n'étant qu'une représentation, une reconstitution sous la forme d'image, des effets d'un phénomène qui probablement ne correspond à aucune image que l'on peut en faire (c'est d'ailleurs ce qu'il se passe avec la dualité onde-corpuscule). Je conseille vivement au lecteur de s'intéresser pour cela au fonctionnement du microscope à effet tunnel.

Ainsi, lorsque vous manipulez un concept, si vous voulez en avoir la définition, vous êtes redirigé vers d'autres concepts, idem pour la définition de ces derniers, et ce à l'infini. Pour sortir de la régression, il vous faut sauter du nom à la chose, selon une désignation rigide, mais là encore cela pose de nombreux problèmes discutés ici.

La question des axiomes


Qu'est-ce qu'un concept? Une synthèse d'objets élémentaires assemblés par des lois. Ces lois sont des liens logiques qui permettent de former des propositions qui maintiennent la cohérence de l'objet conceptuel. Toute la science est fondée sur les concepts, or en science ce qui permet d'attester de la validité d'un concept et de propositions, c'est la démonstration. Le problème de toute démonstration est qu'elle repose nécessairement sur des axiomes: véritable fondement indémontrable et pourtant essentiel. Ainsi, nous constatons un point important des représentations humaines: une chose est toujours consubstantielle à son contraire, mieux, l'un se fonde sur l'autre et réciproquement. Par conséquent, il est toujours nécessaire de postuler, de croire et d'accepter la validité a priori d'axiomes initiaux afin de produire des propositions démonstratives.

Si l'on veut démontrer les axiomes en question au sein d'une théorie, il faut le faire à partir d'une nouvelle axiomatique qui permettra de le faire, mais alors afin de vérifier la légitimité des nouveaux axiomes, il faut produire une nouvelle axiomatique, et ainsi de suite dans une régression à l'infini. Ainsi, nous le voyons, l'axiome est hors du raisonnement, il en est la condition de possibilité.


Toutefois, aborder la question d'une connaissance théorique du réel à partir de la logique, bien qu'étant une méthode historique, est-il bien légitime? Si nos formes transcendantales semblent bien présupposer une structure d'organisation que l'on peut trouver dans la logique, qui nous dit qu'elle demeure pertinente pour aborder la question du réel? En outre, si l'on peut douter de cela, alors pourquoi ne pas douter non plus de la pertinence d'une ontologie relativiste et de la chose en soi?

 

Introduction: qu'est-ce que savoir?

vendredi 6 janvier 2017

Broken Star

T'étais dans le ciel, tu filais belle, on se souvient de toi, depuis la nuit des temps qui n'a duré qu'un temps. T'aimais bien ça hein, les yeux d'humains rivés sur toi, regard noyé dans tes lueurs, quand tout n'est que ténèbres et que l'humain n'a que tes rires pour essuyer ses peurs.

T'aimais bien ça laisser trainer, dans les espaces vacants tes longs cheveux qui flottaient là sans vent. Et tout le monde suivait ta danse, certains devins se vantaient même de prédire le lieu et l'instant où tu serais demain. D'aucuns donnèrent des noms au moments où tu leur étais le plus proche, et ceux plus incertains où tu étais trop loin.

On te donnait des noms qu'on écrivait dans les bouquins, on tirait ton portrait, ta face illuminée sur  les pages de magasines, imprimée dans la tête de quelques rêveurs coincés là. Toutes ces vies étriquées que tu faisais bander, qui parvenaient un peu, par ton éclat, à voir plus loin que leur prison, à être par-delà.

Bright star, Big star, coruscante comme les diamants. Source de mille feux où se grillaient des âmes sans firmaments, sans rêves pour elles-mêmes.

On voulait tout savoir de toi, quels autres astres légendaires dardaient leurs rayons vers ton coeur, qui t'attirait durant tes moments d'oisiveté, quel reflet renvoyaient tes yeux lorsque tu les fermais sur toi.

Certains construisaient des tombeaux qui, selon une savante géométrie, devaient les renvoyer vers toi, eux qui sont tes fils après tout, eux qui t'observent sur tous leurs écrans.

Puis un jour, tu t'es fissuré. D'un coup d'un seul tu as explosé. "A broken star" qu'ils t'appelaient désormais. Tu as fait bien du dégât alors, emmenant avec toi tant d'êtres piégées dans tes filets captieux. Tu étais si belle de loin, et si inoffensive. Mais toute cette confiance, tu l'as rapidement soufflée. À ta place, plus rien désormais, rien que des débris, comme des pages de livres arrachées. Des miettes d'un destin fané, autant de nourriture que des miroirs ramasseront pour se faire une contenance, pour montrer à tous les regards la mort des espérances.

Tes restes bien vite aspirés broken star. Tu serviras de nourriture à des gens affamés d'être nourris de vide.

Tu es passée dans le ciel broken star, comme une étoile filante, brûlant de tous tes feux pour éblouir les yeux, au fond tu n'étais pas méchante.

Mais attend, laisse leur quelques années - qu'est-ce que des années pour toi - avant qu'ils ne te chantent. Laisse les aujourd'hui cracher ce qu'ils ont avalés. Un jour, dans le fond de leurs yeux, tu seras douce humidité qui viendra perler la surface de gouttes acidulées. Tu leurs rappelleras les rêves qu'ils n'ont pas su avoir pour eux, tu leur rappelleras combien chaque chose ici passe.

Tu leur rappelleras de vivre broken star, avant qu'ils ne l'oublient bien vite. Il faut leur pardonner, c'est que le ciel, ici, n'est pas avare de ton espèce: broken star.

jeudi 5 janvier 2017

Au fil de l'eau

Je me lève et sent sur mon visage la présence du monde au-dehors, du soleil hivernal qui brouille les nuages de sa clarté gris-blanc, des oiseaux qui se croisent dans les cieux, des arbres muets mais qui semblent pourtant exprimer quelque message secret.

Je dérive au gré d'une eau paisible, serpente sur le cours de l'eau qui file en lacets paisibles au sein de paysages  harmonieux. Les berges sont inondées et une herbe émeraude affleure à  la surface, tout semble abreuvé d'une alme humidité qui couve telle une mère, la vie qui s'agite.

Hier je me noyais presque dans les baïnes d'un océan furieux, emporté malgré moi par un courant vigoureux qui se riait de ma dérisoire volonté, de mes intentions - qui de toute façon n'étaient pas claires. M'emportant dans les vagues, je subissais le chahut des éléments, ne sachant plus où trouver la surface, l'eau étant à ce point troublée d'écume, et donc saturée d'air, que mon corps avait perdu toute flottaison. Je suffoquais sous l'eau, et un réflexe m'intimait l'ordre d'inspirer, d'inspirer urgemment pour prolonger l'illusion de vivre. Au dernier moment, en me débattant sans force, je parvins à percer la surface de l'eau, mais immédiatement une autre vague, plus grosse que la précédente, s'abattait sur moi, me brinquebalant en tous sens, et me laissant épuisé. Même dans ces moments, je n'ai jamais abandonné. Je remontais inexorablement à la surface, pour me retrouver ailleurs.

Sur le dos d'un fleuve immense, je traversais à une vitesse étourdissante de curieux déserts qui ne semblaient pas pouvoir exister. La force de cette masse d'eau en mouvement me terrifiait, mais je savais qu'y résister était impossible; le fil de l'eau m'emportait toujours plus loin, loin de mon origine oubliée, loin des criques où je m'étais reposé, loin des graines que j'avais semées. Je me mis alors sur le dos, comme un morceau de bois l'aurait fait, et me laissait aller dans le cours des choses, les yeux ouverts sur un ciel ensoleillé dont la clarté chauffait agréablement mon visage.

Puis tout se tut: le tumulte du fleuve se fondit en un silence paisible. Mais ce n'était pas un silence, mais plutôt l'orchestre qui passait d'un presto insistant, à un adagio lénifiant, crevé par les bruits d'une nature paisible: cancannement joyeux, remous délicats d'une eau reposée, froissement des herbes et des branches qu'une brise intermittente et timide caressait sobrement. J'étais là, toujours en planche, en plein milieu d'un lac bordé de prairies et de forêts de sapins, enceint de collines rondes et généreuses sur les flancs desquels paissaient quelques moutons épars.

Soudain tout devint sombre, grondement mineur et souterrain, je filais de nouveau, au sein d'un filet d'eau cette fois. Je frôlais les parois minérales de boyaux étroits que je devinais seulement: l'ouïe était le sens de ma vue. Lorsque l'impétueux ruisseau me déposa dans une étendue plus vaste au repos, je dérivais mollement le corps immergé dans l'eau, au sein de voûtes gigantesques où résonnait le glougloutement de l'eau vive se déversant dans un lac. Plus loin, lorsque je fus suffisamment éloigné de la cascade, je pouvais entendre l'écho apaisant de gouttes allant se jeter dans le vaste réservoir où j'évoluais calmement. Si la Terre était un instrument, je serais alors dans sa caisse de résonance.

Profitant de l'accalmie, je me demande alors, un peu inquiet, à quel moment devrais-je jaillir du sol où je suis enfoui, pour connaître de nouveau la violence et le fracas; au sein de quelles vertigineuses chutes ma vie s'écoulera-t-elle, anxieuse et sans pouvoir, en attendant que quelque chose ou bien rien, ne mettent fin au manège d'un destin qui s'écrit.

Au fil de l'eau, à la dérive, s'écoulent mes secondes. Je sélectionne les plus noires et je m'attache alors à leur accoler une traînée de mots, comme une queue de comète, toujours en retard sur la tête, mais qui témoigne au yeux des cieux du passage de quelque chose. À ces heures sombres, je donne quelques nuances et reliefs, je décore ma vie comme un enfant solitaire qui s’ennuie.

Aphorismes

La pensée philosophique ne produit aucune solution, seulement des dissolutions.

Conduis tes expériences, elles te donneront ta vérité.

La vérité n'est pas une assertion logique, mais un choix.

mardi 3 janvier 2017

Le tintement du plaisir

Un jour, quelque part, tu trouveras un coffre, une malle, un contenant quelconque.
À l'intérieur, tu plongeras tes yeux, paieras un peu de temps et y verseras ton attention.
Tu y rencontreras des serrures, en nombre indéterminé aujourd'hui, mais fixé au jour dit.
Tu devras essayer d'innombrables clés, tu les façonneras à la forme de ton intention mariée à ton inconscient.
Souvent, tu feras couler un fluide dense et compact, et noir comme une nuit liquide des confins.
Tu y tremperas ton âme ou ce que tu crois être toi, et tu peindras sur les murs de ton monde une histoire qui te dépeins.
Tu traceras la carte du territoire où tu existes, sans le savoir alors, mais, tu te souviendras de ces mots.
Des poèmes en pagaille pour y tremper l'esprit.

Mon âme sera noire, d'aucuns diront qu'elle comporte une trop grande part de ténèbres.
Mais tu sauras qu'elle ne contient pas mais est les ténèbres.
Comme toutes les âmes.
Et la lumière qui va nécessairement avec.

Au final, tu ne trouveras rien dans cette malle.
Rien d'autre que d'indéfinis supports pour ta déroute solitaire et courageuse.
Rien d'autre que des myriades de naufrages où périr et des extases où s'épanouir.

Tu vivras que vivre est une manière de mourir, et la mort un mouvement de la vie.
Tu sentiras que le naufrage et l'ascension ne sont que la forme de ton intention, tous deux interchangeables, à volonté.

Mais il te sera à jamais(?) impossible de connaître la raison de ta volonté.
Il te faudra bâtir sur un néant d'ignorance la connaissance de toi-même.
Il te faudra écrire ton propre mythe.
Tes actes en seront les chants fertiles.

Mais tu dois d'abord sonder la question suivante, jusqu'à sa totale dissolution:

Que veux-tu vraiment? Quel accord tinte à tes oreilles comme le plus grand plaisir?