Je suis câblé pour la souffrance: l'équilibre du tourment est mon moyen de ne pas mourir -- dans un néant d'ataraxie. Boire est un destin. Le poison dépresseur coule en mes veines comme une essence de beauté. Tout, je dois tout transformer; des plaies sanieuses de l'existence ourdir un lot de Galatées. Qu'une prose mellifère coule des étoiles sur les brûlures du monde en flamme: c'est à mon cœur d'éponger la laideur pour devenir l'étoile pulsatile du Nord -- au creux d'autres poitrines.
"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose" Léo Ferré
samedi 4 octobre 2025
samedi 24 mai 2025
[ INSTITUTION ] Babel
Il est bien nécessaire, parfois, de vérifier qu'existe encore en nous cette volonté d'expression et la capacité de s'y livrer concrètement. À force de procrastination, il est si simple d'habiter l'abstraction comme un monde possible qui, à demeurer seulement possible, plonge cette partie si chère de nous dans une déréalisation pire que la mort elle-même.
En attribuant à un élan de sa personne une valeur transcendante et essentielle, on en vient facilement à repousser tout moment de s'y fondre pour la raison qu'entrer dans le sacré ne saurait se faire sans préparation préalable, sans cette forme de sainteté qu'est l'inspiration par laquelle on croit sortir de la médiocrité pour toucher la grandeur d'une extranéité. Alors on hésite, on attend le moment opportun qu'on ne sait plus créer parce que le but fixé nous paraît de plus en plus lointain, intangible, aussi reculé que l'est une divinité qu'il ne faut pas trahir.
Ne plus écrire, parce qu'on recherche dans l'écriture plus que ce que l'on est, plus que tout ce qui est immédiatement donné dans le prosaïsme d'une vie dévorée par la quotidienneté et le consommatoire. Or il faut un extrême détachement pour parvenir à sortir de la roue et s'élever vers la Beauté qui nous maintient vertical.
J'essaie, de temps à autre, de vérifier par des incantations pathétiques si la Beauté est encore là, tout en méditant de lui rendre hommage, un jour, par une cathédrale du Verbe dont la forme phantasmée s'ourdit jour en jour en ma psyché dévastée. C'est du désert brûlant que s'élève en mirage ma Babel idéale, ma rédemption, mon hommage.
Un jour, peut-être, je ramasserai tous les fragments épars de mes brouillons de courage pour forger cette armure chargée de s'ajuster aux articulations innombrables de cette Vérité que je contemple, et moi aussi j'ourdirai du tourment la forme du divin.
vendredi 23 mai 2025
Aphorismes de l'aveugle espoir
"Tout ce qui était n'est plus. Tout ce qui sera n'est pas encore". Depuis presque trois siècles la rose peine à éclore, en l'occident interminable, d'une lustrale aurore... Combien de générations peuvent ainsi servir de simple fumier à la cruelle Histoire?
Si Atlantide il y a au détour d'un futur, Il faudra bien qu'advienne l'abîme -- l'équilibre n'est pas une propriété de la vie.
La tragédie est la forme de tous les destins, sans aucune exception.
Le fond de toute beauté est l'anéantissement nécessaire.
Rien n'existe en soi, tout est contraste et relation: ainsi tout bonheur est ressac.
samedi 10 août 2024
Harmonie cellulaire
Pour que tu m'inspires un peu de nouveau
Je donnerais un poumon, le rein, ma peau
Tant les nuits désormais sont atone à t'attendre
On dira -- dira-t-on? -- que je suis écorché
Vif, erratique à côté
Enclavé dans des songes en cendre
Et c'est pourquoi, peut-être, mon esprit est fumée
Dont la braise lointaine est cet absent foyer
Tandis qu'in(can)de(s)cent je saigne
Ai-je encore une veine
Où navigue du sang
Ou ne suis-je qu'effluve
En un lacet de vent?
Dans la lave des astres furieux
Je baigne mon cœur injurieux
Sans que rien, jamais, ne m'effleure
Pas un secret, même en miettes,
Ne pleut plus sur ma tête
Esseulée sous le linteau des nuits
Monde enfant de Solitude
Brode sur l'âme ennivrée d'habitudes
Le motif adulé de ce libre murmure
Celui-là même par lequel
J'ai connu cet abîme qu'appelle
En moi ce désir de beauté
La vérité du monde est sèche
Quand en vain l'on recherche
En son propre néant
L'harmonie cellulaire
Chante pour moi de nouveau
Je donnerai ma raison, mes yeux et ma peau
Tant en moi s'amplifie le désir de me rendre
jeudi 7 décembre 2023
[ Terres brûlées ] Nécrosynthèse
Être une station d'épuration dans le monde pestilentiel d'aujourd'hui. Embourbé dans la glaise purulente du siècle, tout au fond des eaux usées, parmi les particules d'antibiotiques, de métaux lourds et de micro-plastiques. Attendre dans les eaux croupies, parmi les odeurs injurieuses, brasser le sang souillé la sanie flavescente, infusion de toxines à vous brésiller l'âme: ô poison psychotrope...
Être stercoraire jusqu'à vous rendre nauséeux, que s'accroche à votre peau l'odeur méphitique des coprolites infâmes que vomissent les âmes stationnaires et qui marinent dans le temps perdu, le temps déçu, qui n'ouvre sur nul avenir.
Je prends plus que ma part de la souillure environnante et pareil au jasmin, je filtre un philtre excrémentiel pour en exsuder le dosage subtil qui donne à mes écrits ces senteurs si florales. La poésie n'est rien d'autre que ça, fouiller dans les décombres, se nourrir de la mort et de la pourriture, produire les chants fertiles où poussent coquelicots et muguets, où croît l'épi tout blond des blés -- et se décline en maints bouquets l'œuvre alme d'un projet.
Projet pancaliste s'il en est, la vie n'a d'autre but que produire des formes qui, toutes, rendent un hommage singulier à l'ordre du cosmos.
Être propre, toujours sourire, afficher au-dehors des façades polies, optimisme béat qui ravie les idiots, s'habiller de velours et de froufrous prisés, exhaler le parfum de chimies hygiénistes, paraître, paraître, toujours paraître n'avoir rien en soi d'inavouable ou de sombre, aucune opacité pour voiler le teint clair de face immaculée. Bien porter tout en devanture, sans arrière-boutique déguisée, sans porte dérobée... Techniciens de nos propres surfaces, il faut être étincelant et beau sous le jour scyalitique qui s'effraie de la nuit.
Poète porte en toi la ténèbre honnie, avale un crépuscule à chaque aube qui luit, mâche, digère, intègre les obscurités liquides qui s'écoulent dans nos caniveaux, râcle les égoûts, cloaque des nations, sois celui qu'on fuit, celui qu'on trop médit, celui qui détone par trop dans les salons fleuris de tons artificiels. Absorbe la critique et tous ses adjectifs saturés de crainte qui se plantent en ton cœur et veulent te coudre peau neuve. Laisse faire le monde, laisse le viol avoir lieu, sacrifie ce moi mondain qui n'est rien, rien d'autre qu'un pantin agité par les moires, semblable à tous les autres dans la fourmilière excitée de survivre.
Par une porte dérobée, sous le mur en trompe-l'œil fais tourner l'atelier de tes broderies scripturaires. Que chaque organe tisse la mélopée tragique et que s'opère alors la nécrosynthèse fabuleuse par laquelle sourdent du venin en toi les fleurs intemporelles.
Encore un peu plus de souffrance, le monde aura besoin de toi pour se remémorer l'antique savoir aujourd'hui malmené: l'humain n'est rien d'autre qu'humus enraciné dans le tourment.
vendredi 18 février 2022
Tes lourds bagages
Je souhaite, dans l'arrière-fond de mes pensées, qu'un jour enfin l'ondée, passe sur ton front aussi; qu'elle puisse pénétrer au fond de tes racines, lustrale comme un néant senti, décapant de l'égo ce suint qui laisse, aussitôt qu'on te touche, les moins poisseuses jusqu'au lendemain...
Car je te vois ami, dans la beauté qui néanmoins te suis, enveloppe d'ombre familière ce scintillement dont tu veux qu'il aveugle autrui -- d'admiration. Celui-là même que tu ne sais pas voir.
Peut-être n'est-il pas trop tard, de ranger ces regards que tu jettes sur chaque être que tu souhaites immoler sur cet autel de ton désir -- pour ce que tu es terrorisé qu'un jour il se tarisse...
J'ai bon espoir que tu parviennes à décrocher de ton profil ce réseau de vanité qui t'enserre en sa toile, et qui m'empêche, parfois, de poser doucement ma main sur ton épaule.
Regarde un peu l'abîme, il se pourrait qu'y brûlent d'anciennes manières, qui pèsent désormais sur l'instant qui appelle.
lundi 19 avril 2021
Sur le trône immobile
Parfois, il ne suffit pas de quelques sentiments pour faire un beau poème. Des joies rugissantes qui frayent un lit pour le passé; mais ce n'est là qu'ombre de la vérité, à vrai dire l'ombre d'une ombre.
Il ne suffit pas de quelques sentiments, surtout pas de celui, trompeur, de plénitude suprême, celui qui nous persuade que pareils à la corne d'abondance s'écoulent de notre outre d'indéfinis poèmes et des beautés en source. Le sentiment du sublime n'a rien à voir avec la chose. Il est le vide qui se comble de rien.
À un pas de la vie, et de ce monde si stable de perceptions ordonnées, gît un long précipice. Personne ne s'y rencontre. D'aucuns y trônent fixes, tous immobiles dans l'unie chute libre.
Si toute la beauté n'était qu'un pieux mensonge? S'il n'y avait rien en ces velléités? Rien d'autre qu'une volonté sans bride et qui s'éclate en infinis reflets -- le mobilier d'un monde posé sur le vide... Un monde qui se fait croire qu'il est quelque chose non parce qu'il s'élèverait d'une idée bien réelle, mais car il se déploie depuis le simple sentiment d'une telle idée.
Un point qui se regarde de près oh si près qu'il remplit toute la surface: qu'il est la seule substance qui soit, depuis le centre aux horizons distants, du cœur de la folie à la folie du cœur.
jeudi 15 avril 2021
Derrière le verre sans tain
Je n'ai que mes poèmes pour me tenir compagnie; et pour me tenir lieu d'achèvement. Autrement je ne possède rien: ma vie est une note de bas de page où chaque lettre ouvre sur une galaxie poétique; mais personne n'ouvre ces lettres. Personne, à juste titre, ne le fera.
J'ai de trop hautes aspirations pour exister tel que je suis et m'injecter dans la matière des formes. Comment supporterais-je la vue de mes reflets ignobles dans d'indéfinies œuvres spéculaires. On ne peut renier une œuvre, il faut accepter que c'était là, à l'époque, tout ce que l'on savait faire de mieux.
Je ne fais rien. Je me contente d'être sublimement affecté par les actions des autres. Je coule interminablement dans l'océan versicolore de la beauté environnante. J'y étouffe la flamme de mes velléités; étrangle mon égo. Produire de la beauté ce n'est pas la même chose que de l'éprouver. J'éprouve en mon purgatoire privé le parfait équilibre des abîmes les plus noirs et de cimes acméiques. Je vis dans ce parfait vertige de chutes ascensionnelles.
Personne ne saura ni ne goûtera l'absolue singularité de mes délices. Ni non plus celle, terrible, de mes angoisses. Il n'y a pas de signes pour cela, je n'ai pas les moyens d'en dessiner les routes, d'ouvrir une fenêtre sur mon désunivers. Je reste prisonnier, à perpétuité, derrière le verre sans tain de l'odieux solipsisme.
dimanche 28 avril 2019
La maladie
Il y avait le malheur. Relatif certes, mais le malheur quand même et fût-il éphémère. On brûle en un éclair les instants engloutis, on souffre pour longtemps du rythme déconstruit.
Il y avait le malheur et puis la chair meurtrie. Il y avait ta guitare et ta voix engourdie. Il y avait enfin ces notes comme les pétales d'un chant de roses. Le malheur, pour un temps, perdait la comparaison, palissait comme un corps desséché.
Tu te souviens le malheur allongé devant ta porte, en sac d'habits mouillés et débris de fierté?
Tu étais le charmeur qui ramassait les fragments et faisait se lever le pantin de douleur.
Il y avait le sol, jamais assez bas, toujours trop haut, trop en vue. Il y avait la lumière pour chasser les abîmes et faire se sentir seul celui à l'intérieur.
Il y avait la honte mêlée à la détresse, comme une mauvaise marée que ton calme et ta paix doucement épongeaient.
La honte s'écoulait de moi, et tous les sentiments que tu prenais sans le vouloir, sans effort et sans geste.
Il y avait donc le malheur et ce moment du temps et puis ce lieu du monde à tes côtés. Le malheur était à la porte, à la lisière du coeur pour une durée indéterminée malgré tout définie.
La porte s'est rouverte, je suis sorti dehors où il m'a retrouvé.
Le malheur c'était moi, j'aurais voulu ne plus tant exister; ou suffisamment pas assez pour ressentir ma terrible nature, cette horrible rature.
J'aurais aimé laisser la place à tous les gens comme toi, quitter le corps du monde comme une maladie par la beauté chassée.
lundi 28 janvier 2019
Mordor
Je vais te montrer quelque chose
Viens visiter l'âme honnie
Sombre et sans reflet
Je suis la terre accidentée aux reliefs déchirés
Je suis la nuit si froide qu'elle glace les aurores d'argent
Au sein de la souffrance, si tu oses avancer
Je donnerai aux palpitations de ton cœur
Le rythme de lucidité
Couleur de la mélancolie
Tu verras la beauté
Des mondes anéantis
Es-tu capable d'aller loin, si loin
Que la froideur n'est que chaleur
Et que se lient les opposés?
Je t'emmènerai
Si tu veux
Dans les antiques palais de la décrépitude
Là où les pas résonnent et font tinter la solitude
Je te prendrai la main
Et te ferai toucher les sabliers du temps
Où chaque grain renversé figure une chose
À toi jadis et confisquée
Je t'enfermerai dans l'isolement de mes pensées
Dans les vertiges abyssaux
Dans les fonds renversés
Où jaillit cette source
Qui donne à la vie de ce monde
Des formes si précieuses
Voudras-tu venir avec moi
Et puis surtout rester
Lorsque l'obscur te bordera
Et obstruera tes yeux
Lorsque l'amour te manquera
Et trahira tes voeux
Si tu demeures alors encore un peu
Juste un peu plus que d'autres
Tu trouveras dans mon pays de mort
Des joies sans bruit d'éternité
Des fragments de bonheur
Dans le temps aboli
Mais tu devras te réciter
Ce mantra qui est mien
Et guide mon destin:
Du tourment des lucides
Emerge la beauté