mercredi 30 décembre 2009

Tango stellaire

Autour de nous, il y a:

Des quasars projetant leurs feux dans deux directions opposés de l'espace.
Des trous noirs dans lequels se perdent la lumière et notre imagination.
Des comètes qui traversent le firmament comme des nomades dans le désert.
Des planètes qui font la révolution autour d'elle-même et s'inclinent toutes face au soleil.
Des photons qui filent à la vitesse de leur lumière et qui inondent nos corps de chair.
Des étoiles jumelles qui dansent une valse presque éternelle et qui bourgeonnent d'un amour fusionnel.
Des supernovae, qui des milliards de fois pourraient souffler l'humanité dans un dernier baiser d'atomes brisés.
Des zones de vides mais qu'on imagine remplies d'autre chose.
Des mystères aussi, que l'on appelle la matière noire: théories de l'esprit qui laissent leur trace sur le réel.
Des galaxies comme de gigantesques partitions célestes où les notes sont les étoiles.
Des systèmes solaires comme on dit, où certainement la vie attend qu'on veuille bien lui montrer qu'on est gentils.
Des forces immenses que nous appelons lois de l'univers et qui nous posent bien des soucis.
Des astres froids qu'on dit naines rouges parce qu'ils sont comme le feu qui se repose de trop d'été.
Des lunes aussi qui font rêver bien des pensées, et qui remontent la mélancolie comme une marée.
Des atomes qui sont partout et qui sont nous, ils tourbillonnent dans le néant et cristallisent l'énergie en matière.
Des distances astronomiques que l'on mesure en années lumières et nous découvrent un univers bien solitaire.
Des constellations: broderie humaine sur tapis de nuit stellaire.
Des vibrations qui forment un langage interstellaire: un mélange de Wagner et d'Apollinaire qui murmure à la matière.

Et nous on vit comme des badauds, c'est tout on vit... Seulement faudrait pas qu'on oublie qu'on est qu'un point dans l'infini.

mardi 29 décembre 2009

Le train de l'amour

Quand le coeur s'en va, loin de la raison, pour ne plus revenir.
Quand le coeur rougit loin des saisons, de tous ces souvenirs.

On a tous vu son visage en rêve.
Et on l'attends, là sur la grève.

Ça ne sert à rien l'espoir, si c'est pour le laisser
Se faire mâcher par les crocs de l'oubli et du passé.

On est bien beau tiens, là devant nos années,
En spectateur bien aguerri
On frissonne au moindre bruit.

On se fait notre film, on vend notre coeur.
Et pourtant l'amour passe toujours à l'heure.

Il trottine capricant sous les fenêtres de notre ennui.
Pendant ce temps là, les secondes filent avec la nuit.

C'est tellement facile de passer à côté de tout.
On reste assis, on regarde les autres aller au bout.

Un train ça se prend, il faut monter.
Pourtant on reste souvent sur le quai.
Les hommes c'est fait pour aimer, par pour compter...

Super Novae

Il y a des anges dans ma tête qui secrètement tissent ma chair sur le firmament des étoiles. Pour que mon âme s'envole au son de leur sylphide musique, leurs bras de velours hissent cette grand voile.

Les aèdes de mon coeur aiguisent leurs appoggiatures pour préparer la paix qui va pleuvoir. Vois les odalisques qui touillent l'ambroisie dans le chaudron des mélodies, afin de former ces gouttes de vie lustrales qui nettoient jusqu'au paradis.

Ce soir les lions dorment dans la bruyère des déserts. On couvre les abysses de longs tapis venus d'orient pour que dans la bouche des lovelaces jamais plus ne tombent les enfants.

Point de Géhenne sur ces terres en vies, ni point de haine quand vient l'humain, ce frère aux yeux qui font risette. Ils dorment dans mes tripes émollientes les enfants du rythme, et je les berce d'un lent tempo où s'accrochent les sons, ces astres du ciel azur.

On a cousu dans les habits du miel les djellaba d'un amour vermeil qui sommeillait au creux des dunes. Ils n'auront pas froid quand dans l'air s'élèvera la voix qu'ils devront suivre comme une voie.

Lorsque les mages des souterrains entonnent enfin les litanies d'antan, de celles qui réveillent les morts heureux et le souvenir de nos parents.

Lorsque les mages des fonds marins balancent le rythme au creux des reins de tous les morts qui les adorent. Alors leurs os deviennent d'or et Vénus s'empare de leur corps.

Essuie les gouttes du pêché qui perlent à tes lèvres, et pardonne à toi-même la faiblesse de ton monde. Joint les mains si tu veux bien, nous nous dissoudrons ensemble dans ce vin, que tu as vu et qu'ils ont bu, déjà, demain.

Entends-tu cet orchestre qui de nos pieds fait des esclaves enchaînés à la liberté? Elle s'est liée d'amour à notre espèce jusqu'au crépuscule des temps, certains la disent folle à lier mais la folie est son quartier.

Trouve là en toi si ce n'est déjà fait! Moi je pars, vers le noir, ce silence qui entoure le son pour mieux le faire éclater. Je vais peindre mon âme d'une ombre vive à faire rougir les muses du ciel. Puis je plongerais dans un trou noir, voir si Dieu se montre de l'autre côté de l'univers, là où les hommes ne peuvent aller.

lundi 28 décembre 2009

Larmes d'une déesse

La beauté c'est les larmes de ta joie,
La beauté c'est les armes de ta voix
Que tu déposes à mes pieds, juste pour moi.

L'ennui c'est que sans charme, sans émoi,
N'est que le drame de soie des rois.
Va! Tu peux toujours réveiller la beauté,

Elle dormira à poings fermés,
et tu n'auras que dame vulgarité.
Je t'avais dit, rappelle-toi, il faut souffrir!

Il faut souffrir pour aimer,
Il faut saigner pour s'imprimer
Sur le parchemin de ces sentiments amers

Au bout duquel sommeille l'amour
La mère de la muse harmonie,
Pour qui les hommes perdent la vie.

La beauté c'est les larmes,
Ta beauté c'est les armes,
De cette voix qui dors en moi

Et qui pour toi se réveillera
Et ainsi tout emportera.
Ta beauté c'est mes larmes, mes larmes c'est ton royaume

Où germe ton innocence
Sur le tapis de mon martyr.
Les yeux qui piquent, la voix qui glisse,

Sur ton chemin complice j'esquisse
les courbes d'un mot nommé beauté
Car rien n'est trop beau pour une fée.

Tu vis au loin dans ces étoiles,
Tapie dans l'ombre comme une toile,
Et tu m'emmène boire ton feu

Pour qu'à ta beauté, enfin,

Je dise adieu...

dimanche 27 décembre 2009

Le prisonnier

Avant qu'on m'enlève du monde, avant qu'on le nettoie de moi, j'habitais un petit appartement dans un quartier mal famé de Paris. J'avais d l'habitude d'être libre et de ne pas me battre pour continuer à vivre. Le quotidien n'était pas que sourires et c'est d'ailleurs pour ça que l'avenir m'a jeté là. J'ai fait une bêtise, un crime comme ils disent, c'est tout pareil, j'ai dérapé et suis sorti de la route.

Je me souviens, ce jour de Mai, ils sont venus les gardes de la paix. Ils m'ont mis les menottes aux menottes, on faisait la pair c'est clair. On m'a traîné dans un corbillard roulant, je baissais la tête, on m'effaçait. À un moment donné, le véhicule s'est immobilisé, puis la portière a coulissé, on m'a fait glisser sur des pieds morts, sur le pavé bien régulier, et on m'a ouvert les portes de l'oubli.

Du moment que j'ai franchi le seuil, tout a changé, tout a eu un prix dans mon esprit qui depuis lors jamais plus ne s'est tut.

Et aujourd'hui, alors que je me souviens sur mon lit sale, ces mêmes gardiens de la paix sont en route pour me ramener dans leur monde enchanté où les accidents sont interdits. Ça y est; je les entend... Ces pas qui m'ont tant fait cauchemardé, aurais-je pu m'imaginer qu'aujourd'hui je les désirerais tant? Les murs de cet enfer résonnent des rêves de paradis, résonnent des pas des gens maudits. Les voilà qui arrivent devant ma cellule, l'organisme veut m'expulser, il m'a bien digéré alors c'est mérité. Les clés cette fois-ci ouvrent la loquèle et la porte coulisse une dernière fois. Les hommes en bleus me montrent du respect, il faut partir, il faut revenir, je ne sais plus bien mais il y a ma tête et mes pensées qui eux ne m'ont jamais quitté.

Je me lève doucement et l'on me mène à ce même seuil avec mon baluchon d'affaires dans la main gauche. On me souhaite bon courage et moi j'avance un peu, sans me retourner, puis je m'immobilise un peu grogui. Je redessine au crayon les contours de cet homme qu'ils ont gommé, je m'imprime dur comme fer, mes premiers traits sur le papier quadrillé de la société. Je n'ai pas le droit de dépasser alors cette fois-ci je m'appliquerais. Au moins j'essaierai; jusqu'à ce que libéré, la plume de mon âme laissant perler mes pensées comme une rosée sur ce monde sans matin vienne transpercer la feuille de leur virtualité et qu'on m'oublie une fois pour toutes.

mardi 15 décembre 2009

Etre ou ne pas être...

Est-ce qu'il y a vraiment une position raisonnable? Par "position", j'entends croyance, position spirituelle et/ou scientifique, ou plus simplement: conception du monde.

Est-ce que l'option rationaliste est-elle si raisonnable que ça? Peut-on être raisonnable d'ailleurs? La position rationaliste consisterait à se reposer sur ses sens, et particulièrement la vue puisque c'est le sens de la science. En effet quoi de plus rationaliste que la science? elle en est certainement l'incarnation même.

Mais concevoir le monde selon les connaissances scientifiques, c'est accepter une conception tronquée, une conception incomplète ou en cours de construction. La science n'explique pas tout, je dirais même qu'elle a une fâcheuse tendance à décrire, mesurer, plus qu'à comprendre, expliquer. Par ailleurs, il suffit de lire les publications scientifiques en astrophysique, où des conceptions de l'univers toutes plus originales les unes que les autres s'affrontent, pour se rendre compte de la fragilité d'une telle conception. Où commence le domaine de la croyance et où commence celui de la connaissance? la connaissance semble se situer à l'intersection de la vérité et de la croyance. Ainsi qu'est-ce qui nous permet de dire que la conception chamanique du monde, par exemple, constitue une croyance plutôt qu'une connaissance? Faut-il se baser sur l'expérience? Sur la vraisemblance? D'une part l'expérience démontre que ces théories fonctionnent au sein de leurs cultures "nourricières", et d'autre part rien ne nous permet d'affirmer que notre conception du monde est plus ou moins vraisemblable, probable, que la leur.

Il semble donc opportun de considérer toute connaissance comme une croyance justifiée (ce peut être le cas par plusieurs méthodes de justification).

Ainsi, pour savoir si l'on est raisonnable dans sa conception du monde, il faut admettre qu'il existe une vérité d'une part, et de l'autre côté: tout le reste... Comment se construit une connaissance? Il me semble qu'elle peut provenir de deux sources. D'abord, celle d'un choix conscient: on choisit de croire en tel théorie et de l'ériger en vérité puis on s'évertue à justifier, à faire coller la théorie avec les autres déjà en places et avec la réalité. D'autre part, elle peut être le fait du pure empirisme et s'ériger en tant que connaissance par nécessité: l'expérience d'un fait (réalisable par n'importe quel individu) de manière répétée crée donc la connaissance.

Cependant, à ce stade de la réflexion il faut noter un point important: toute connaissance que nous pouvons ériger en tant que telle se base exclusivement sur la description de notre univers et de ces mécanismes. En aucun cas, la connaissance ne peut être appuyée par l'expérience lorsqu'il s'agit de comprendre les causes, l'essence même d'une entité, la "chose en soi". Ce domaine relève donc exclusivement de la croyance (justifiée ou pas). J'appellerais ce domaine: connaissance profonde

Alors, si la connaissance profonde n'est qu'un choix (c'est le cas de toute croyance), cela signifierait qu'elle n'existe pas, qu'elle n'est que pure création ex-nihilo.

Par ailleurs, pouvoir affirmer que quelque chose existe, c'est déjà connaître, et donc opérer un choix: avons-nous les connaissances profondes nous permettant de définir l'existence et par là même, de déterminer ce qui existe ou non? Par conséquent, ce qui existe et ce qui n'existe pas sont les mêmes choses pour nous simples humains. On fait sortir l'existence de la non existence par un choix conscient, un choix nourrit par toute l'épistème de notre culture.

Dés lors, si quelqu'un se pose la question de savoir si un 'objet' (ou entité au sens large) existe ou n'existe pas, la vérité se situerait donc quelque part entre les deux: ce serait ni une existence, ni une non existence. On pourrait donc parler de probabilité (et la physique quantique sur ce point vient illustrer à merveille le principe). Tout ne serait donc que probabilité à tout instant.

Dans ce cas là, le sujet conscient qui opère un choix et affirme l'existence ou la non existence, c'est à dire crée la connaissance, ce sujet a-t-il par son acte volontaire une influence sur la "chose en soi"? Peut-il déterminer la valeur de l'objet un peu comme le principe de physique quantique: "l'obervateur agit sur l'observé". Ce qui impliquerait une vérité faite de probabilité (c'est à dire un mélange de vérité et de non vérité, de factuel et de contre-factuel) dans laquelle la conscience viendrait arrêter une des nombreuses combinaisons possible pour bâtir ce que nous appelons "réalité", la nôtre tout du moins.

Mais au final, après tous ces jolis mots, cette belle rhétorique, que reste-t-il? Faut-il être rationaliste? Comment faire la part des choses entre nos instincts, nos sensations, nos certitudes, nos pressentiments... Faut-il opérer ce choix? N'est-ce pas se priver de toutes les autres valeurs de réalité possible? Est-il même possible, à l'aide d'un langage qui repose sur un choix arbitraire (cf Saussure) de pouvoir saisir la vérité, de pouvoir créer autre chose que du pur arbitraire?

Je n'ai pas la réponse à ces questions mais mon instinct me dit de rester ouvert, à l'écoute et même si ce n'est pas très rassurant, je n'hésite jamais à reconstruire entièrement ma conception du monde, à chaque instant!

mercredi 9 décembre 2009

Nuages

Tu sens cette pluie lustrale qui caresse nos joues?
Dis-lui que mes crimes sacmenteurs coulent avec elle,
Et que ces nuages délateurs qui jamais ne ruissellent
Sont sur le champ du ciel autant de pioupious devenus fous.

Que ceux qui filent aux cieux, vieux et indolents
ne recueillent jamais plus les vapeurs de ce temps
Et que ceux d'en bas sachent qu'ils sont obreptices
Ces mendiants laniaires qui point ne s'assombrissent.

lundi 7 décembre 2009

Langage

Parfois je ne sais plus si je dois m'exprimer en prose, comme si je m'adressais à quelqu'un d'autre ou à moi-même; ou bien si je dois parler en vers, avec la poésie de l'âme déposée dans les mots. Et puis, il y a la musique aussi, quand je prend ma guitare pour improviser, c'est comme un enfant qui voudrait parler, qui voudrait hurler, qui voudrait pleurer avec un langage qu'il ne perçoit qu'en partie, avec un langage qui le domine.

Toute cette frustration de ne pouvoir m'exprimer aussi librement que ma pensée l'exige, vient se concentrer sur ma réflexion et la fait s'interroger sur la nature de cet homme; cet homme qui s'exprime avec tout ce que le monde lui fournit d'intermédiaire.

Si je devais définir l'homme, je dirais: être vivant à l'étonnante capacité de produire un langage à l'aide de tous types de supports imaginables. Finalement, l'homme c'est le sens. Nous n'aurions pas de langue que nous communiquerions à l'aide de poignée de porte, nous imaginerions bien un code pour se comprendre. Quelque part, l'homme met de lui un peu dans tout, puis il se trouve aussi un peu partout. Foucault dit que le langage existe en dehors de l'homme qui, lui, ne fait que "scintiller dans l'éclat de son être" le mot. Si c'est bien l'homme qui a inventé le langage, alors c'est peut-être en cela que l'humanité a réalisé son plus grand souhait: l'immortalité. Le langage une fois crée a acquis son existence propre, et ce à tel point qu'il en domine même son créateur. Vous savez, ça me fait un peu penser à ces langages informatiques qui se réécrivent eux-mêmes. Lorsque Kernighan et Ritchie ont inventé le langage C par exemple (à l'aide d'un langage appelé 'assembleur'), ils l'ont ensuite réécrit avec lui-même...

En fait, Foucault avait certainement raison: lorsqu'on retrouvera l'unité du langage, la figure de l'homme se sera alors complètement dissoute en lui. L'homme n'a pu exister qu'à travers les lacunes du langage. Et puisque tout est potentiellement langage, tout est donc potentiellement humain.

Je me perd parfois, à trop vouloir écrire, je laisse les mots me dominer et ma pensée se faire guider vers cet absurde verbiage. C'est plus sûr de penser en silence, dans le silence de l'âme. Quoique même ce royaume a été colonisé par le langage et reconstruit par lui.

J'ai l'impression de refaire le chemin en sens inverse, plus je réfléchis, et plus les choses se brouillent, plus la simplicité vient effacer le bruit. Lorsque je veux retrouver l'origine de ma pensée, le langage m'en détourne, et je lance des cris dans ma tête, des cris qui n'ont plus rien d'humain.

Je ne sais plus comment m'exprimer, il faudrait fondre tous ces moyens d'expressions dans un langage ultime qui se détruirait lui-même dans une sorte de big bang perpétuel.

Si je pouvais cesser d'être humain, je pourrais enfin, peut-être, comprendre la pensée.

mercredi 2 décembre 2009

Moutons et société

"Sommes-nous des moutons?"

C'était la question posée au dernier atelier de philosophie que j'ai co-animé (avec le professeur de philosophie du lycée où je travaille).

Voici maintenant ce que j'ai à dire sur ce sujet, en réaction à cet atelier et les propos qui y ont été tenus par les élèves.

Il me semble que d'une certaine manière, nous nous comportons en moutons sur beaucoup d'aspects de la vie quotidienne, voire même de la vie spirituelle. Prenons l'exemple de la mode, de nos styles de vie, de nos opinions politiques. Dans une grande majorité, il est indéniable que l'homme répond à un instinct grégaire assez fort, mais la question à se poser est la suivante: "qu'est-ce qui pousse l'homme au conformisme, au suivisme?"

Plusieurs raisons ont été avancées par les élèves, mais le socle commun à toutes leurs réponses est le suivant: les hommes se sentent en sécurité dans la multitude, faire comme tout le monde possède indubitablement un côté rassurant. On peut là aussi faire le parallèle au monde animal pour expliquer ce sentiment de sécurité induit par le suivisme.

Lorsque les moutons se réunissent en troupeau, c'est en grande partie pour optimiser la survie de l'espèce. Le mouton est un animal très vulnérable aux prédateurs (tels que les loups) et un individu isolé aurait tôt fait de se faire dévorer. Le meilleur moyen de survivre lorsqu'on est un mouton c'est d'être bien au chaud au milieu du troupeau de ses semblables.

Maintenant, si on dénonce souvent le comportement de "moutons de panurge", c'est certainement à tort puisque là encore, c'est la survie qui explique une telle attitude de soumission aveugle. En effet, lorsqu'un mouton sort du troupeau ou développe une réaction de peur et s'enfuit, il est tout à fait normal que les autres suivent car l'immobilité constitue un danger, et il y a de grandes chances que le comportement du mouton qui s'affole soit motivé par un danger bien réel que les autres n'ont pas encore perçu. Il apparaît donc normal et même préférable pour la survie de l'espèce, de s'organiser en troupeau à l'instinct grégaire développé.

Cependant l'homme est bien plus complexe qu'un troupeau de mouton, même pris dans l'ensemble qu'il forme à travers la société. D'abord les hommes ne forment pas qu'un groupe et bien souvent se réunissent en "clans", en communautés: communautés religieuses, communautés vestimentaires, communautés idéologiques... À travers ces regroupements, il est évident que l'homme cherche à se construire une identité, et le communautarisme permet à l'individu de substituer l'identité du groupe à la sienne propre. La communauté est ainsi vectrice de valeurs, d'opinions, et d'une apparence aussi qui se manifeste à travers des signes extérieurs multiples (foulard, gourmette, marques...). La communauté donne du poids, de l'épaisseur aux choix, aux traits constitutifs de l'individu, comme si elle assermentait ce qu'il est. Mais la communauté forme un bloc monolithique et n'est pas un ensemble souple qui viendrait s'adapter, épouser l'individu, bien au contraire elle a plutôt tendance à le façonner à son image, à faire de tous ses membres des copies conformes qui agiront effectivement comme des moutons, au nom d'une identité figée qui ne se remet pas en question.

Hors, si l'on se pose la question de savoir dans quel cas une telle forme de conditionnement est utile à l'homme dans son auto-définition, dans l'élaboration de son identité, il apparaît que la période de l'enfance correspond à la situation où ce conditionnement est nécessaire. La formation de l'individu dans la société doit forcément en passer par l'éducation et donc par une certaine forme de soumission à des valeurs, des règles de conduite qui lui sont dictées de l'extérieur. L'enfant, jusqu'à un certain âge a besoin qu'on lui apprenne à devenir homme et ne serait qu'un animal sans cet apprentissage. C'est donc une phase primordiale qui va donner les outils à l'enfant de se construire plus tard en tant qu'homme, et en tant qu'homme libre, en un choix totalement libre et affranchi de ce conditionnement. Pour cela, il faut que ce conditionnement, à partir d'un certain âge, cesse ou diminue, et parallèlement, s'explique lui-même, se révèle à l'homme en devenir qui une fois conscient de celui-ci pourra s'en affranchir et exercer son libre arbitre.

Nous sommes donc des moutons durant toute note enfance, et ce pour le meilleur. Mais nous ne devons pas rester des enfants toute notre vie, et l'homme correctement éduqué (et je parle ici d'éducation au sens large, non pas en tant que simple accumulation de connaissance) doit s'affranchir du "troupeau" et trouver sa propre identité au sein de celui-ci, sans en dépendre. Cela ne passe par par le reniement de la société, bien que cela soit une possibilité pour quelques individus et pour un temps, mais demande un certain courage et une certaine maturité. Il faut être capable de justifier son originalité, il faut être capable de ne pas trouver l'épanouissement dans la reconnaissance des autres ni dans leur jugement, mais dans son propre conformisme à notre éthique, à nos valeurs humaines. En fait, être un homme dans la société requiert d'être autonome mais pas renfermé. Il semble important de rester ouvert aux autres et de les aimer.

Lorsque la solitude (dans tous les sens du terme) ne fait plus peur, l'homme devient alors un membre dont l'identité n'est pas héritée du groupe, mais qui constitue celui-ci. Il est alors possible de vivre au sein de la société et ne plus être un mouton, voici le passage de l'enfance à l'âge adulte effectué.

Nous sommes malheureusement dans une société peuplée en majorité par des enfants qui ne veulent ou ne peuvent pas grandir. À l'éducation maintenant de savoir relever le défi qui lui est lancé.