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lundi 15 juin 2020

Poésie et nouvelles structures harmoniques

Faut-il user des règles de la poésie classique pour écrire ses poèmes?

La question s'est posée en lisant le poème d'un ami dont la structure rythmique, à l'écrit, ne respectait pas forcément les codes classiques, me laissant ainsi seul face à la responsabilité de faire swinger le texte. Tout l'enjeu était bien là: je devais m'en remettre à mes compétences d'interprète pour trouver la clé de sol de son texte et parvenir à le faire chanter sans indications habituelles.

Et peut-être que c'est là que gît la réponse à la question de départ. Les règles canoniques de la poésie classique, voire de la poésie tout court, sont là pour servir de guide implicite à la lecture de la partition que forme un poème. Ainsi, tout un chacun au fait de ces quelques règles, est capable d'aborder un texte avec le bon prisme d'interprétation musicale.

Néanmoins, cela fonctionne parce que l'ensemble de la communauté littéraire (lecteurs, écrivains ou les deux) partage ces codes implicites. En dehors de ces règles intériorisées par chacun souvent depuis le plus jeune âge, nous serions bien incapable de faire sonner la plupart des textes, ignorant par exemple les règles de diérèses, de 'e' muets ou non etc.

Il me semble intéressant de composer ses poèmes hors du cadre traditionnel afin de placer le lecteur face à sa véritable responsabilité: c'est lui-même qui est le texte lu. Il s'agit bien toujours du lecteur qui parle, c'est sa voix, ou celle qu'il désire emprunter en son for intérieur, qui résonne. C'est bien lui qui interprète, met l'emphase sur certains mots, accélère ou ralentit, choisit la durée des silences, pleure ou rit... Même lorsqu'il écoute le texte lu par un autre, celui-ci n'est compréhensible que parce qu'il se le relit lui-même intérieurement (au moment même où il l'entend), il est fort à parier qu'autrement il ne retiendrait rien de ce qui lui est lu. Prenez l'exemple d'un film que vous appréciez particulièrement et qui vous absorbe, il vous arrive parfois, sans même que cela soit conscient, de répéter les dialogues entendus, en un écho presque instantané des propos des acteurs. Les enfants aiment à imiter jusqu'aux bruitages.

Il en va donc de la responsabilité du lecteur de trouver la structure harmonique d'un texte qu'il lit. Il en est l'interprète, c'est lui qui soufflera dans l'instrument et qui devra trouver, dans l'enchevêtrement de signes auxquels il fait face, la tonalité juste et plaisante à ses oreilles.

samedi 10 mars 2018

Trois couplets quatre refrains

Moins qu'un chien dans une cave emplie du bruit de mille cafards affairés. Moins qu'un chien attaché à son arbre au bord de la route. Moins, bien moins que cela. Pourquoi?

On me dit liberté je dis nécessité.
On dit nécessité, je hurle liberté.
J'hulule sur ma branche de nuit des musiques captées par hasard dans cette radio de ma tête, autonome, qui vit très bien sans mon consentement, ne répond point à mes appels. Dessiné là, en contre-lune, sur ma branche-nuit, je me déhanche doucement au rythme des transitions du destin. Toujours trouver une continuité entre deux moments bien distincts. Il faut rendre la somme de ses instants à l'unité du sens. Il y a bien des genres musicaux pour cela.

Chaque gens, une note singulière. D'aucunes sur lesquelles on ne souhaite pas s'attarder, mais qui colorent tout de même de belle manière un accord familier, un arpège apprécié.

C'est pour cela moins qu'un chien. Pour la musique qui est là, capturée sur je ne sais quelles fréquences publiques, stellaires, galactiques, sidérales, oniriques.

On me chante stabilité: la vie c'est trois couplet quatre refrains, et moi je surfe hors de la piste, improvise comme un soliste. Ma vie n'a pas de sens, elle est pauvreté, précarité, indécence, hors des clous, extravagante, sans structure et instable, branlante comme la cime des grands arbres sous le ciel. Ma vie de moins que chien, parmi les cafards fous, ma vie sans lendemain, ma vie d'infortune et de hasard, toujours sur le fil, entre un abîme et l'autre. Toutes les vies sont ainsi faites, entre un abîme et l'autre... La seule différence est que je m'y complais, que je garde les yeux bien ouvert et contemple le vide. Suspendu là, dans l'existence, j'aime être moins qu'un chien. Je crèverai la bouche ouverte, sans retraite parce que je n'ai jamais bien travaillé, je ne garde plus mes bulletins de salaire, je ne fais pas les comptes - qu'y aurait-il à compter -, ne planifie pas, je suis la mélodie comme un sillon sinueux qui m'emmène au-dehors, au-dedans, m'écarte et me ramène. J'ai le goût des transitions dans un monde rectiligne. Voilà pourquoi moins qu'un chien.

Tant pis, tant mieux, mes dernières mesures seront une musique et le dernier accord, ou la dernière note, tirera son sens de tout ce qui précède. Ne comprenez-vous pas? Je cherche la note bleue, l'enchaînement d'instants qui produisent un frisson qui rend caduque toute possession.

Je ne possède rien, je ne souhaite pas posséder, mais je rêve que l'instant me prenne, devenir la proie consentante d'une harmonie d'écoulement.

Nous sommes tous des passants. Et tout passe.

jeudi 8 mars 2018

Les rats quittent le navire

Les rats sont partout. Débordent des poubelles, des malles, des réfrigérateurs, des sous-bois, de la terre. Ils forment le tapis du sol, pas un espace qui ne soit couvert et, pourtant, lorsque j'avance et pose le pas, jamais je n'en écrase. Se faufilant habilement autour de ma chaussure, ils épousent les formes de mon existence, dessinent en négatif, la silhouette de mes pieds sur fond de muridés. Jamais je n'en ai écrasé un seul encore. Ce n'est pas faute d'essayer, de vouloir nettoyer le paysage surfacique de la présence de ces gras bestiaux, boudins poilus gesticulant et couinant en tous sens. Ils sont si dodus que je rêve d'en attraper un dans mes mains, pour le presser tant et et plus, tel une boule anti-stress.

Puis, d'un coup, d'un seul, les rats sont partis. Plus de rats. Seulement des mélodies se réverbérant sur la surface des murs blancs. Des notes bien mures digérées par l'oreille, des rythmes athlétiques et d'autres qui prennent bien leur temps.

Silence. Mais le silence n'existe pas. Il y a toujours un bruit, même dans le silence. Un bourdonnement de soi-même. En l'occurrence le souffle du ventilateur de cet ordinateur de malheur. Si le cerveau laissait accéder à la conscience tous les stimuli sensoriels auxquels nous sommes  soumis, alors les rats dodus seraient infinis, prendraient le contrôle de tout, des bruits, des odeurs, des images. Le silence est empli de rats qui pullulent et crient en sourdine. Le silence est un bruit composé de sons qu'on ne distingue pas. Peut-être qu'un de ces sons est lui aussi composé de sons?

Quand la musique n'est plus là, les sons me sont désagréables, angoissants. C'est le son de la vie qui s'étiole. Le son de l'inactivité est celui que j'ai de plus intime, mais je le hais désormais, comme une mue encombrante qu'on vous jetterait dessus pour que vous l'enfiliez de nouveau. Mais elle ne sert à rien! Elle ne sent rien! Elle ne convoie aucun signe, c'est une anesthésie de tout, une asphyxie plutôt parce qu'au dedans, le volcan réveillé étouffe et gémit de ne pouvoir érupter. Beaucoup, beaucoup d'énergie sommeille en mes sous-sols. Combien d'années, combien de nano-secondes suis-je resté là, telle une plante ou une batterie, à me charger du monde advenant, des sons, des voix, des visions et odeurs... Combien, combien, COMBIEN?! Combien d'énergie gisant là, comme un pétrole en ma forêt aujourd'hui éructant des geysers de durées? Toute cette poudre musicale qui inonde le ciel, répond à l'attente interminable, féconde le sol à nouveau, bruisse harmoniquement lorsque je déambule sous la frondaisons, dans le crissement des sons agencés qui s'élèvent dans l'air comme une poussière en un rai de lumière. Ce sont autant de fragments d'attentes et de préparation, des perles de puissance parfaitement achevées. Ce sont mes rats de l'intérieur qui rongent ma carcasse et refusent CATÉGORIQUEMENT que je demeure là sans rien faire, sans accoucher de mes enfants. Que sont-ils ces enfants, si ce n'est des fragments de durée concentrée à l'extrême, denses comme un métal lourd. Tous ces moments détachés de mon histoire, ces agencements géométriques de temporalité: une manière à moi de partitionner mon flux et de choisir alors ce qui doit être dit, ce qui doit être tu.

Les rats sont partout, ils doivent sentir la fin du monde. La forêt s'inonde d'un déluge en musique, le ventre de la terre crache sur le ciel des mesures enlacées; le coeur du monde se rebelle, les rats quittent le navire, les oiseaux hurlent et migrent vers d'autres atmosphères. Tandis que moi, calmement, je lève les yeux au ciel et accueille sur mes rétines les notes qui tambourinent et dégoulinent sur mes joues. Toutes ces couleurs viennent de moi, des orbes chromatiques qui me font un cercueil coloré, une diaprure de sons: symphonie apocalyptique en mineur sept. La fin du monde ancien: que me chaut? Je resterai sur le navire qui sombre, des flots nouveaux s'élèvera la si grande arche qui m'amènera par delà mes racines, vers le nouveau voyage et le présent tout neuf. Je serai un marin, je serai un poisson, il n'y aura plus de rats, il y aura du plancton, et puis des rémoras. Il y aura des baleines et puis des cachalots, et puis des huîtres perlières par millier qui cracheront un jour en l'air leurs orbes opalines. Ce sera à nouveau la fin d'un monde, les perles couvriront les flots, formeront le sol qui portera les pas d'un présent rénové.

jeudi 1 mars 2018

L'art en chantier

Je suis un musicien. Tout s'est expliqué le jour où j'entendis pour la première fois le jeu d'une harmonie. La conscience, unie, enclose sur elle-même, s'ouvrît alors aux vents stellaires propulsant quelque chose de ma personne où je n'étais jamais allé, dans quelques contre-allées sidérales où tournent quelques bras de galaxies et trois comètes vagabondes.

Dépourvu d'instrument, ne sachant pas chanter, il fallait bien pourtant que toute cette musique composée par mes tripes - le souffle des poumons, le battement du coeur, le flux sombre et sanguin de ma mélancolie - se trouve un lit pour s'écouler. Hors de la source, surtout jaillir hors de la source. Toujours. Même les trous noirs sont des sources vers des ailleurs insondables. Alors j'ai fondu calmement mon âme dans les mots. J'ai emprunté pour moi la prosodie sémique de phonèmes enlacés. J'ai joué sans arrêt, ici, là, ou dans le non-espace de mes pensées, la mélodie monochrome que permettait les mots. Il faut creuser le rythme, injecter son fluide au sein de la surface et puis tirer ses plans, les séparer un peu pour produire un monde en reliefs et dimensions, un lieu où respirer. Si vous ne chantez pas, il faut tricher alors, inventer son solfège penser des gammes et rendre la hauteur en silences et longueurs.

Ce voyage est sans fin, le chemin se poursuit par-delà horizons et imagination. Mais ce n'est pas le mien. Pas seulement lui. Moi je m'avance en tous lieux, j'avance un pas sur chaque voie, pour devenir ubique. Ainsi mes sens déploient le réseau complexement entrelacé de ma vision, et le monde que je me représente s'assemble doucement, et s'ouvre sur des formes à n-dimensions. Plus j'arpente de chemins, moins la progression est palpable. Pourtant, un jour, par la surprise d'un rai lumineux, je tombe sur l'amas gracieux de ce système immense qui se trame peu à peu et se dessine là. Cela prendra du temps, mais le monde ainsi créé réalise enfin l'unification phantasmée de sensibilités diverses, de visions a priori contradictoires mais transverses. Tout, finalement, se déverse en la musicalité inédite de ce présent que je joue, avec des couleurs et des lignes, avec des sons et des fréquences, avec les lois de mondes qui avant cela ne communiquaient pas.

Les plus ambitieux chantiers progressent imperceptiblement, et leur développement est à lui seul un monument à vivre. La musicalité d'un destin se joue en divers mouvements: adagio, allegro, presto, andante, et c'est dans les silences que s'ourdit patiemment la mesure à venir.

samedi 26 août 2017

La Mélody enfuie

Pour une amie déportée par l'éducation nationale.

Elle est partie Mélody
Comme la musique enfuie
Du temps de jadis

Elle est partie ma si jolie
Dans le giron géant
De celle qu'on nomme Paris

Je me demande encore ici
À quoi ressemblera la vie
Loin de la belle amie

Elle est partie Mélody
A laissé derrière elle
Tant de souvenirs enfouis

Elle reviendra peut-être
Lorsque le temps aura passé
Que nos jeunesses auront fânées

Elle est partie Mélody
Comme se brise l'harmonie
D'un songe surranné

Elle est partie pour nous
Mais venue pour ceux-là
Volage comme sont les joies

Elle est partie Mélody
Avec ses deux lacs incrustés
Dans le blanc de ses yeux

Elle est partie Mélody
Redonner le sourire
À une morte qui soupire