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dimanche 8 septembre 2024

Portes de sortie

Toujours à travers un voile de brume se découvre le possible qui fait que l'âme se décide à accompagner la vie qui bruisse en -- et malgré -- nous. Les matins ennuités de la semaine offrent la perspective d'une salvation saturnale, la tâche laborieuse appelle son achèvement dans la libération d'un corps qui fuit le lieu de travail comme un lieu de torture. La vie même semble se résoudre enfin dans la déchéance qui prélude au néant. L'homme est un être qui vit d'espoir et toutes ces portes de sortie dans l'effroyable mécanique de l'existence sont parfois la seule source de joie et le seul sens qu'on puisse trouver à tout cela.

samedi 7 septembre 2024

Scotographie

La recherche de l'absolu est tout autant poison que moteur: c'est elle qui nous fait prendre la plume, elle aussi qui la fait reposer. Ce désir d'abolition ancré au cœur de l'être le plus totalement fini et inabsolu, est peut-être la fondement de cette déchirure qui fabrique le sillon sanglant des destins et dresse le portrait d'une âme toujours à côté d'elle-même.

Vouloir rejoindre l'infini et l'éternité à travers la durée d'une œuvre est peut-être la plus pathétique -- et aussi la plus sublime -- ambition des hommes. N'oublions pas que la plus sombre des tragédies contient en son cœur le noyau le plus lumineux qui soit. Ainsi l'existence humaine est cette ombre projetée à tout va, celle d'un escarpement fait de cassures qui semblent toutes briser la trajectoire qui propulse les hommes de la terre aux étoiles. De la naissance à la mort un compte fini de battements de cœur et l'unité d'un souffle malgré maints visages.

dimanche 1 septembre 2024

L'oxymore

Il faut se forcer à maintenir une structure quotidienne, voire hebdomadaire, capable de mailler l'informe vide qui nous sert de milieu naturel. Il faut le faire avec acharnement et sans jamais attendre de savoir si cela mène quelque part; car alors le délitement de nos choix, la disjonction de nos désirs, la fragmentation de notre mémoire finit par faire de chaque instant cet absolu sans origine et sans destination -- il n'y a plus un chemin à même de mener l'instant à un quelconque passé ni à quelque avenir... Hors du suicide ou de la destruction de soi, il ne reste qu'à poursuivre les mêmes rituels qui nous servent de jalons et de haltes dans la course vers nulle part qu'est l'existence humaine. Nous devons construire avec, sous les yeux, la dévastation permanente d'une entropie principielle; nous devons aimer avec, dans le cœur, le sentiment de la désunion; se tenir droit avec, dans chaque membre, l'effondrement gravitationnel. C'est toute cette antithèse aux lois de la physique qui constitue au fond notre seule nature d'âme pulsatile. D'un côté la promesse des confins, de l'autre l'angoisse de la poussière. Et voilà qu'entre cela se déroule un destin, dont, d'ailleurs, la nature de destin dépend de cet abrupt couperet que constitue la mort.

Oxymorique est l'existence humaine, voilà pourquoi la haine est si proche de l'amour.

dimanche 25 août 2024

Sur l'autel

On peut croire, lorsqu'on est jeune en âme, que la vie est importante et si précieuse qu'elle n'aurait pas de prix. Et pourtant, il suffit d'ouvrir un peu plus les yeux pour s'apercevoir que la mort ne changerait pas grand-chose, pour nous elle serait imperceptible, nous n'en aurions pour ainsi dire pas conscience, nous cesserions tout d'un coup et ce basculement accompli ne saurait être documenté par la conscience abolie qui n'aura connu que l'éternité de sa durée. Pour les autres le deuil est éphémère, fugace, il n'y a guère d'humains qui ne soient empiriquement oubliés -- je veux dire dont l'absence n'implique plus de souffrance de manière effective et concrète, ne déraille plus le train des obligations et des considérations quotidiennes -- totalement au bout d'une année ou deux.

Sortez uriner dehors, dans l'herbe encore humide de rosée sous les traits obliques du soleil matutinal et imaginez que la mort vous foudroie tout-de-go, maintenant dites-moi honnêtement: quelle différence cela ferait-il?

On croit que le bonheur est le "Bien Suprême" mais ce ne sont là que fadaises d'enfants égoïstes ou du moins individualistes. L'humanité recroquevillée sur elle-même cherche à se gaver toujours plus de fruits, de stupre, d'années, d'existence, afin de se contempler dans le miroir de sa vanité.

Peut-être qu'il faut sacrifier sa vie, comme le firent nos ancêtres, à un projet de transcendance qui, seul, pourrait donner de la valeur et du sens à cette aberrante errance humaine. Ce serait alors l'altérité, la négation de nous-même qui donnerait à l'homme sa fin et sa dignité: exister non plus pour produire de l'humanité mais de l'Autre, faire de soi le matériau d'un projet arbitraire et grandiose...

Mais quel projet?

samedi 24 août 2024

Le Job

Le job consiste en une et une seule chose, si tu l'acceptes: faire éclater la forme en la surchargeant de l'intérieur, la laisser devenir peau afin que ton cœur pulsatile et ivre la tende juste assez pour qu'elle ne se déchire point mais garde à jamais les stigmates de ton indéfinie puissance.

Mais pourtant le but serait qu'elle se déchire non? Qu'elle laisse enfin couler l'âme infinie hors de sa conque?

Bien sûr, c'est ce que tu désireras de toutes tes tripes mais cela tu ne pourras jamais l'atteindre et c'est bien là l'aspect tragique de la chose. Pour cette raison je te pose une dernière fois la question âme: veux-tu toujours être humain?

Vivre dans un échec? Exister par la frustration? Arpenter l'innacomplissement? Devenir le point de rupture d'une nature duale? Qui voudrait cela?

Des milliards avant toi ont désiré ce sort, parmi eux quelques-uns sont parvenus à surcharger d'infini les finis phénomènes, mais je vais t'avouer quelque chose: ils ne l'ont jamais su: ils n'ont connu d'illimitée que la souffrance.

Documents tragiques

Oh ce ne sont pas des ruisseaux que je décris en ce journal mais les méandres térébrants d'une psyché en quête d'absolu dans les bornes constrictrices de la finitude. Il n'y a véritablement aucune autre explication à tous ces signes vers une transcendance phantasmée si ce n'est la conviction pleinement vécue par certains que l'existence humaine constitue une errance; que la véritable origine se situe dans l'informe et l'indéfini d'une réalité méontique. L'œuvre est une sonde envoyée dans l'infini et qui cherche à travers le brouillard des phénomènes sublunaires une porte de sortie vers l'Ailleurs. Une tentative de percer le voile de l'étant.

Et nous échouons, encore et encore, en cela l'œuvre d'un homme n'est jamais que la documentation d'un échec, d'une tragédie.

samedi 17 août 2024

[ L'alchimiste ] Minéralisation de l'âme

Tout, sans cesse en l'épopée humaine, s'acharne à faire obstacle au rythme qui pourrait rendre vivable le fléau de la conscience. Structurer minitieusement son quotidien, bâtir une routine capable de mailler l'écheveau fou des jours afin qu'il soit capable de supporter le poids de la déréliction, pour voir après cela, tout saccagé par le passage imprévisible d'un ouragan, d'une âme animée de bonnes intentions, bref de ce gouvernement despotique des foudres...

Se fabriquer un quotidien géométrique afin de ne plus exister que dans la permanence du vide, celle-là même d'où jaillissent les mondes et les improbables formes du chaos sublime. Il ne reste que cela à faire, mais pour y parvenir, tant de sacrifices nécessaires... Se débarasser de ces yeux qui vous guettent, de ces cœurs qui vous hêlent, des jugements qui vous enferrent, de cet amour qui pétrifie, se délier de tout ne faire partie de rien... Mais dès lors qu'un regard vous délinée c'est fini, vous faites partie d'un monde qui vous gouverne de ses principes, votre destin lui-même est cette forme du chaos jaillie de ses lois éternelles.

Exister géométriquement, comme une loi inviolable, voilà qui pourrait rendre l'existence endurable, mais peux-t-on encore appeler cela existence? De créature produite par des principes devenir condition de possibilité de ces créatures que l'on nomme œuvres?

À l'impossible nul n'est tenu mais néanmoins cette société aveugle exige à chaque instant le sacrifice de mon rêve et résout l'équation que je suis avec la lenteur sadique qu'impose la sinuosité de toute tragédie.

Haïr la vie sans oser la quitter, n'est-ce pas suffisant pour faire déchoir une âme en amas de poussière, en  petit tas d'humus?

lundi 12 août 2024

La vérité du coq

Rien ne saurait assurer la valeur d'une entreprise artistique. Tout cela pourrait bien être aussi vain qu'un emploi dans la publicité ou la mercatique: aucun critère transcendant, aucune certitude pour celui qui existe. D'ailleurs ce terme même d'exister est fort intéressant par sa nature fallacieuse car au final on se tient sur quoi? si ce n'est sur la propre croyance qu'il y a bien quelque chose sur quoi l'on se tient pour être... Toutes les galaxies littéraires, des plus sublimes aux plus ignobles, sont fondées sur cette illusion primordiale qui est la condition même de l'existence. Il faut croire à la valeur de ses propres valeurs, il faut transmuer le vide en concrétion substantielle et s'y hisser tel un coq annonçant, sans douter d'un iota, que le soleil de la vie se lève -- et tout cela est avant tout fait pour soi-même, ne nous y trompons pas, dans l'unique but de se persuader que: vite! il faut tenter de vivre!

mercredi 8 mai 2024

Le Trou

Est-il vraiment nécessaire de se faire comprendre d'autrui? Comme s'il fallait sans cesse justifier son existence et tout ce petit mobilier insipide qui -- le croit-on -- constitue ce qu'on est? Est-il si intolérable de laisser le monde -- une partie du moins -- vous vomir et mépriser? Le Surhomme n'est pas de ceux qui réclament l'amour d'autrui: je suis tout sauf un Surhomme.

Alors, cahin-caha, je tente d'expliquer à l'autre qui fait face ce qu'il en coûte d'être moi. Mais les mots vous font tantôt paraître hyperbolique, tantôt euphémique. Que d'emphase et de broderies ne faut-il pas déployer pour rendre un tant soit peu palpable à autrui ce grand trou noir qui vous habite; dévore votre présent d'énergie, absorbe la vitalité en cathéter invisible jusqu'à laisser ce petit tas d'ombre salie qui coule entre les murs de son destin ce bien triste sillage.

Rien ne saura donner la mesure de la souffrance qui est mienne -- aussi risible soit-elle... De quoi me plains-je enfin..! À celui qui sent, de toutes les manières, le nuancier du vide par tous les pores de son âme, celui-là sait la profondeur du tourment qui charrie les fragments perdus de soi au travers des jours. Et je l'aime comme un frère algique écartelé par les étoiles -- lui aussi. En ce qui me concerne, je ne les regarde même plus, clos sur le centre actif de ma déréliction je me fige en posture de garde, protégeant de mes membres frêles et improductifs les organes vitaux qui me maintiennent, végétativement, en survie. Je peux me prévaloir de la santé de mes intestins qui déversent leur torrent quotidien d'excréments qui n'ont pas même pour eux d'être le souvenir de plaisirs réels, mais plutôt le fantôme affairé de mes angoisses à reboucher le trou.

Le trou: tout est affaire de trou. De l'enceinte jusqu'à la tombe: un trou pour se chuter.

dimanche 29 octobre 2023

Songes vespéraux

Il ne s'agit pas de scruter la page du cahier, comme s'il se fut agi là du champ indéfini de sa vie, pour voir jaillir de son indétermination les formes d'un destin...

Le crépitement de la pluie, le souffle des ventilations, les ombres projetées, forment la mécanique absconse d'un monde en apparence étranger et qui, seul, semble accaparer la substance de l'être. Le soi, alors, n'est plus qu'une imprécise idée, bien plus friable encore que quelques croyances d'enfant qui semblent bien ineptes tant elles étaient infondées.

Existe-t-on vraiment? A-t-on jamais existé?

jeudi 12 octobre 2023

Kairos

 Au-dehors, tout un monde innocent existe. Les feuilles en plumeaux de l'albizia qui se contractent autour de l'eau qui perle sur chaque arête. L'herbe rase où scintille un tapis de rosée matinale, sable aqueux d'univers infinis que la lumière traverse... Les chênes imperturbables montent la garde autour de la clairière, forment un rempart contre la brûlure des cieux, contre le froid, contre la pluie diluvienne. Des guildes végétales se réveillent doucement, traitent l'information lumineuse pour produire le vivant qui s'élève, inexorable, sans égard pour l'entropie qui n'est qu'un vain concept.

Tandis que tout cela est au bord de mon être, à la lisière du néant, je m'interroge sur ma place en ce lieu. Que tout cela vive me réjouit mais ne m'apporte nulle joie. La joie est un sentiment qui relie le sujet à lui-même, or rien ne me relie désormais à la vie de mes entrailles. Aucun motif personnel ne me pousse à traiter l'information des astres afin de construire un château de chair fragile qui porte en lui la mort. Vivre? Pour quoi faire? Quel secret l'univers peut-il m'apprendre sur moi-même, quelle rôle à jouer dans le concert de ce qui naît?

Le monde existe et je ne vois aucune raison d'en faire partie; tout me pousse au-dehors, par-delà, vers d'intouchables horizons où s'abolissent les concepts -- tout me pousse par-delà ma nature, par-delà l'existence insulaire de la conscience absolue, par-delà la responsabilité d'être la cause de soi-même, de ces pensées d'ombres et d'amertume.

Avec le temps l'émerveillement devient si rare, si fugace. Tout s'égalise dans une médiocrité décevante et sans espoir possible. Les hommes ne sont ni mauvais ni bons: ils sont ce qu'ils sont, une diaprure contradictoire qui rend le concept même de moralité caduque.

La contemplation de quelques vérités -- pas de ces vérités positives auxquelles croient encore les fanatiques, de celles que l'on pourrait tenir dans sa main et posséder exclusivement pour se démarquer d'autrui; je parle de vérités négatives -- m'a fait goûter à des possibles qui semblent ne pouvoir se réaliser qu'en une profonde conversion, de l'ordre de celles qui requierent l'abandon sans regret d'antiques formes transcendantales. Une conversion aussi radicale que la mort.

Toute joie se paie en ce monde isosthénique: impossible de falsifier les comptes pour obtenir un résultat positif. L'indifférence est l'horizon de toute existence.

D'aucuns ont pavé la voie, serait-il temps de les suivre?

dimanche 17 septembre 2023

Agonie au néant

 Le sens d'une vie tient à peu de choses: il réside parfois dans l'ineptie la plus totale et insoupçonnable pour un éventuel observateur extérieur; il gît, en ce qui me concerne, dans ce journal et ses polymorphies.

Pourtant, je n'écris plus. Écrire cela, c'est avouer que ma vie se disloque dans la souffrance physique, psychique, sociale et métaphysique. Me lever me coûte de plus en plus, va jusqu'à arracher des larmes de mes yeux qui souhaiteraient demeurer clos... éternellement clos.

S'il reste des plaisirs dans cette vie bien rangée et socialement épanouie, il n'y existe nulle joie. Le plaisir de créer se tarit peu à peu dans les obligations infinies, dans l'orchestration tonitruante du temps, dans l'hémorragie de toute liberté au sein des innombrables moules sociaux. Le travail n'a pas de sens, la parentalité non plus, d'autres feraient tout cela bien mieux que moi, à n'en pas douter.

Ce journal demeurera inconnu du monde, tout comme l'âme en chantier qui lui sert de fondement. Ce chantier, d'ailleurs, est désormais naufrage, celui d'une âme-en-crépuscule... Impossible de savoir la valeur qu'il aura dans l'histoire des hommes. Et si ma sensibilité aiguisée, qui me porte vers la littérature classique et rend mon goût sûr de son acuité, m'assure parfois que quelques joyaux littéraires se cachent en ces ruines et échaffaudages -- tels des promesses de civilisations futures --, il m'est impossible d'en avoir le cœur net. La vérité commence à deux, elle est un consensus, et l'on ne peut avoir raison contre les autres, si tous l'ignorent...

De toute façon ma vie ne me permet plus d'écrire. La maladie ronge mon corps, rouille la coque de ce bateau de Thésée presque méconnaissable. La douleur de vivre parmi les hommes enfin déchire mon âme, brûle mes sentiments, calcine mes pensées.

Une vie... cela pourrait être autre chose, n'aurais-je eu de cesse de me dire tout au long de cet étrange parcours. Tout m'est tellement étranger et inésthétique, que la seule curiosité qui me reste est pour outre-monde, pour le repos éternel et l'abolition de mon principe. Je ne crois pas qu'il existe un autre lieu pour les âmes humaines, pas d'autres existences, pas d'espoir.

J'aurais eu, tout de même, une âme intéressante, rationnellement puissante, avec une force de déduction et d'abstraction qui parfois m'étonne moi-même... Mais cette qualité aura contribué à m'éloigner sûrement de mes semblables, encore et toujours plus. Incompris, moqué, encore et toujours plus... Jusqu'en ma profession... ce qui révèle ô combien ce monde est sans âme aujourd'hui.

J'aurais pu faire quelque chose de beau, dans une autre société, lors d'une autre époque, dans d'autres civilisations. Mon endurance et mon obsession pour la vérité aurait pu alimenter tant de découvertes. Mon amour pour la beauté, et ma compassion pour tout ce qui souffre, auait pu sublimer tant de laideur, créer tant d'oasis fécondes pour d'autres âmes assoifées...

Tant pis, tout cela ne fut pas. Peut-être aurais-je le privilège absurde de relater encore un peu la dissolution de mon être, dans de rares sursauts d'énergie vitale; continuant de faire ce que j'ai presque toujours fait: m'adresser au néant.

vendredi 11 août 2023

Pour aller où?

 Qu'aurons-nous à nous dire, lorsque tu sortiras de tes babils; du décalage insurmontable de nos deux temporalités? Car nos deux présents ne coïncideront, pour ainsi dire, jamais, il ne peut y avoir de réelle égalité entre la profondeur de mon présent -- toujours se creusant -- et la surface du tien. À moins qu'en un présent ne se tiennent pas nécessairement tout le passé, et qu'il en aille avec le temps comme avec ces régions de l'espace inexorablement trop lointaines pour interagir de nouveau avec notre lieu...

De toute façon qu'aurais-tu à penser d'une âme inadaptée à l'existence? une âme qui croit savoir quelque secret sur la vacuité de la vie que l'écrasante majorité ne veut pas voir dans cette irrépressible obstination de vivre néanmoins?

Je n'ai probablement pas l'étoffe d'un tuteur, et resterai à jamais trop étranger à la joie d'être pour t'insuffler le goût de croître et de vivre en ce décor. J'ai cherché, longtemps, l'envers de tout cela... et me suis lassé de ne rien trouver. Ou plutôt de trouver quelque chose que j'aurais préféré ne pas avoir à voir.

Je ferai de mon mieux pour que tu restes à cette échelle de la nature où se meuvent les êtres, et que point tu ne t'élances en ces pérégrinations ontologiques par lesquelles l'âme ivre d'ailleurs se fourvoie pour toujours en un changement irrécusable de paradigme, à la recherche de ce référent absolu qui fait l'étoffe de toutes les œuvres, de tous les chants et de tous les sublimes.

Quitter la finitude... mais pour diable aller où?

lundi 21 mars 2022

Gratte, gratte, gratte

 Pendant longtemps j'ai cru que la destruction procurait ce petit sel à la vie qui manquait. J'étais, peut-être, convaincu que la dissolution de soi pouvait laisser un répit, qu'une unité lénifiante relierait encore les fragments, épars, d'une tension du soi. Et j'ai gratté, sur la surface de mon égo. Arrachant ça et là, quelques morceaux ineptes et qui devaient s'évanouir sous les coups du présent. Je voulais exister, aussi brut que l'énergie primordiale, informe et indéterminé, dans toute la plénitude de ces possibles phantasmés...

J'ai cherché, cherche, et chercherai encore, dans le désentrelacement de la conscience, une parcelle de vie qui me donnerait d'être... Sans souffrance.

Me suis-je trompé? Peut-on quérir le bonheur au sein de l'anéantissement?

Aucune de mes interrogations n'est véirtablement sincère. Je n'attends d'autre réponse que l'éternelle abolition de toute curiosité.

mardi 15 mars 2022

Cube de vie

 Il nous faut poursuivre, malgré le souffle qui manque et les halètements qui vident la poitrine de cet élan vital si nécessaire à continuer. Il faut, malgré cette noirceur du ciel qui nous menace, s'avancer patiemment sous cette frondaison houleuse, à travers laquelle nulle acuité ne perce un horizon possible. Dans le moutonnement de l'instant, s'étire, pleine et entière, la forme complète de nos vies modernes.

C'est que tout le passé, et l'avenir aussi, tient entre les quatre murs de ces studios en série qui font les geôles de toute existence. Tout converge et se resserre et celui qui s'avance par-dessus le muret des jours, passant une tête curieuse, emplie d'espoir pour l'avenir, ne peut que peindre aux couleurs du passé, en trompe-l'œil, le mur embétonné de l'ère du temps -- imperméable frontière.

Mais enfin Adeline; il faut vite vivre, quand même le souffle nous manque.

jeudi 16 décembre 2021

Endurer

 J'ai atteint, à un lieu de ma vie, le point d'entropie maximale. Je suis allé toucher la mort, à la lisière de l'existence; tutoyer le Néant au bout de la liberté vaine.

Et je suis revenu. Avec la même tristesse au fond de mes entrailles. Vivant, mais calciné de l'intérieur, comme une lune poussiéreuse et grise. Et j'éclaire d'ombres tout ce que je manifeste: Géhenne soliptique qui me tient lieu de monde. Ô combien il me faut -- sais-tu? -- retenir là mes feux pour ne point te brûler...

Je porte en moi le tourment des lucides, la conscience acérée de ce lien rompu, délaissement d'un quelque chose qui installe à jamais "le silence déraisonnable du monde".

Et peut-être qu'en chaque relation, que j'entretiens avec une portion de l'Être, s'interpose un silence suffisamment profond pour entailler la foi.

Il n'y a pas de foi, je ne sais croire en rien... Il n'y a pas de valeur qui ne soit ramenée à mon inconsistance, pas une transcendance qui ne puisse passer avec succès l'examen du doute.

Défendre des valeurs? Pour quoi faire...? Se rassurer? Justifier le peu de plaisir qu'un accord tacite avec le Réel sait parfois procurer? Et pourquoi ce lien serait-t-il bon pour autrui?

Laisser le monde vous écraser, les autres décorer l'indétermination aux couleurs de leurs peurs... S'ils en ont tant besoin c'est probablement qu'ils ont plus peur encore que nous. Nous qui savons aimer la souffrance dans cette étreinte enflammée qui consume en douceur la substance de nos cœurs.

Nous pouvons supporter le doute pour les autres; et endurer leurs certitudes -- exclusives.

Nous savons faire tout ça: suffoquer lentement, pour que d'autres que nous respirent à plein-poumons.

lundi 6 septembre 2021

Gods

Oh nous avons tout le temps du monde. Toute la consciente lucidité aussi brûlante que des étoiles folles. Que ferons-nous alors? Quelle qualité de l'être froisserons-nous dans la contemplation atone de l'instant? Et pour quel horizon? Quel idéal ardent de distance infrangible nous faudra-t-il convoiter enfin?

Nous avons tout le temps du monde.

Pieds suspendus sur la pointe de lune, avec les reflets mordorés de la mer en-dessous. Ligne de l'âme enfoncée sous les eaux: océan de la vie qui porte mes espoirs et ouvre ma prison sur l'indéterminé des nuits.

Nous avons tout le temps du monde.

Et se connaître est insensé. Nous avons tout le temps du monde, il ne faut pas surtout, surtout pas se presser.

Il y a, tu sais, dans l'écheveau des limbes, des notes amères et cruelles qui parent le silence de profondeurs d'abîme -- et ces limbes sont miennes. Et comme mon reflet, alors, obombre ma cellule et resserre les murs de ma durée-demeure. L'enfer est un fragment de soi. C'est pourquoi je m'enfuis dans tes dessous de soie.

Nous avons tout le temps du monde.

Pour mourir doucement. À l'ombre de feuilles éméchées.

Nous avons tout le temps, tout le temps, tout le temps!

Et des tonnes de souffrance pour ponctuer nos joies, l'existence est aphone sans la dissonance, il faut souffrir beaucoup pour s'extasier parfois.

Nous avons tout le temps, de cueillir le beau jour, ne presse pas tes doigts autour de cette gorge. Patiente et fouille un pot-pourri de tes durées, ouvre les yeux avale, liquide, l'immense ennui de vivre, l'absence d'absolu, le ciel est sans issue...

Nous avons tout le temps.

Mais il ne faudrait pas. Il faudrait bien courir, aller à sa recherche, pour écrire des livres sur celui loin perdu.

Nous avons tout le temps...

Impossible de vivre...


Source musicale:

 





lundi 2 août 2021

Champ aperceptif

 Dans le vide qui m'enserre, et m'éloigne infiniment des autres, j'observe autour du nœud aperceptif les innombrables chemins qui développent la puissance du néant.

Tout, littéralement tout est là, offert aux caprices d'une volonté vacillante, indocile, superbe dans sa solide fragilité. Je pourrais tout écraser. Je pourrais tout détruire, annihiler jusqu'au vide pour qu'il ne reste rien. Ce rien qui est bien moins que rien, ce rien dont il n'est pas possible de parler, ce rien qui efface jusqu'à la moindre de ses traces.

Néanmoins, dans le vide, infiniment loin de tous, je regarde au devant les chemins qui ont la forme des costumes de comédiens, la texture de la peau, l'émotion vive des instants vécus, des drames et des comédies. Tragédies du destin. Volute d'humanité, barbelés d'énergie, d'efforts, constellation de choix qui forment les graphes aux théorèmes incertains.

Probable. Cette vie particulière, dont la délinéation rythmique s'offre à mon regard auditif, n'est qu'une énième probabilité de ma personne. Un texte que je pourrais lire. Un rôle, un masque, un corps, une chair.

Mais l'âme est absolue, rien ne la relie au reste. Substrat permanent de tous possibles, incolore, ourlé d'informe indétermination.

L'âme est tout, médiation immédiate, durée sans nulle instants, instant sans nulle durée.

Tout, littéralement tout est là; et à rebours de mon regard, je retrouve la source, alme, origine des mondes.

Exister n'est pas un souhait que j'aurais formulé. Je veux être œil ouvert sur le réseau des choses. Je veux rester regard porté sur le moindre fugace et singulier regard qui pourrait être moi sans la distance qui m'en sépare.

Je suis espace et temps, et non la concrétion d'une chose à l'intérieur.

mercredi 26 mai 2021

Le repos est éternel

Depuis quelques années maintenant je n'ai plus la volonté de mourir. C'est pourtant cette même volonté qui est à l'œuvre dans une large partie des sagesses de toutes origines, de toutes les promesses d'ataraxie que les spiritualités savent fournir. Ce sage, si envié, si admiré, qui traverse la vie imperturbable, maître de ses émotions, sans désir ni volonté, ce sage qui fût un jour mon idéal, est la forme la plus pathétique de terreur face à la vie.

Aujourd'hui, je veux la passion débordante, je veux le vacillement sentimentale qui fait danser la conscience jusqu'à l'épuisement parfois. Je veux le déséquilibre et l'impermanence dans toute la plénitude de son expression vitale.

Toutes ces philosophies de la mort ne m'impressionnent plus aujourd'hui, elles représentent à mes yeux la plus grande lâcheté. Jamais je ne mépriserai cela dit cette lâcheté, pour la raison que je la comprends. La brûlure de l'existence est vive et de la même manière que l'on peut se dissoudre dans la volupté, on peut être démembré par la souffrance.

Mais n'oubliez pas amis, gurus de tous poils, sages pétrifiés, que le repos est éternel.

lundi 10 mai 2021

Aphorisme du poète en chantier

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'ineffable.

 

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'abîme.


Composer un poème est presque équivalent à composer de la musique: l'acte de production s'y confond quasiment avec celui de réception. L'intervalle entre la création et l'interprétation est très court. Dans le roman, ce n'est pas le cas et il faut toute la complexité de la structure narrative (et sa temporalité) pour que l'efflorescence sémantique s'y déploie. En cela, la poésie est une technique de l'être (et particulièrement de l'être langagier): elle ne produit pas l'acquisition d'un savoir-faire par lequel des artefacts reconduisent laborieusement à l'expérience; elle est une praxis, un savoir-être, par lequel l'étant s'affûte et se transforme en une modalité esthétique de l'existence.


Le poème est accessoire, il n'est que le barreau d'une échelle qu'il faut jeter après usage. L'effet de la poésie est de mener à habiter, presque immédiatement, l'espace-temps de manière esthétique: elle ourdit le regard.


Le poème n'est pas le but de la poésie.