vendredi 26 septembre 2014

Membres fantômes

Vous aurez remarqué que je ne parle presque jamais de choses et que je donne très peu de déterminations pratiques concernant ma personne ou l'environnement dans lequel j'évolue. c'est probablement parce que je ne suis qu'une relation à des choses inconnues, je ne suis qu'une distance entre deux absolus évanescents, cette distance s'exprime sous la forme de pensées qui sont des sentiments qui sont des gestes.

Est-il besoin de voir le musicien ainsi que l'instrument et le lieu où il se tient pour apprécier la musique?

Ce qui me semble plus intéressant, c'est de savoir où vous vous tenez lorsque vous me lisez, et de voir si ma présence médiatisée par les mots (faisons semblant au moins pour cette fois) parvient à vous arracher de tout cet environnement développé autour de vous, pour vous ramener là où il est impliqué et concentré dans le présent de votre conscience.

Votre présent est un présent pour moi, le moyen de rappeler au monde le bruissement vulgaire de mes ailes atrophiées, cette conséquence effective de mes membres fantômes.

La manière de l'époque

Je suis une autre manière d'être au monde. Voilà plus de vingt-huit ans que je ne me tiens pas informé des actualités, que je vis dans un monde dont l'écho des agitations me parvient avec un mois de retard quand il ne reste pas tout simplement inentendu. Voilà plus de dix ans que je ne vote pas, que je vis dans une société dont j'ignore en grande partie les lois et dont le principe même m'est une ineptie.

je vis dans les vastes étendues de la métaphysique, mon quotidien n'est pas le combat politique, pas la promiscuité ou la poursuite d'un progrès, il est le vécu des concepts, le sentiment bien concret de l'abstrait, la compagnie effective des idées.

Je suis un monstre, une erreur de la société dont elle est pourtant la cause. Et voilà que je me mets à parler, c'est à dire à avoir l'outrecuidance, peut-être la bêtise, d'exister dans votre jeu, de proposer un rôle incongru comme modalité d'existence légitime. C'est parce que je suis un enfant de mon époque que je suis légitime, et c'est à l'époque de traiter mon cas. Qu'on m'élimine, qu'on m'encense ou qu'on me tolère, du moment que je n'aie plus à vivre caché.

Tonalités du Moi

J'ai été tant et tant d'individus, de personnalités, de manières figées dans la concrétion d'une caricature. j'ai été chacun d'entre vous: du jeune naïf persuadé de prêcher la bonne parole au nihiliste sceptique quant à son propre nihilisme; j'ai été cet ami qui me parle en vibrant de ses rêves narcissiques et de son sacrifice futur pour l'humanité, tout comme j'ai été aussi celui qui n'a plus d'ego et ne peut supporter aucun reflet de lui-même.

j'en suis passé par toutes les stases de l'espèce humaine, à tel point que plus rien ne m'étonne, quasiment plus personne n'est cet étranger, cet Autre dont l'altérité nouvelle m'intrigue, me rassure puis m'enchante par sa capacité à préserver le monde de l'érosion que je suis. L'autre se fait trop rare... Je ne vois partout que des figures de mon passé et de mon avenir possible; les autres sont une déclinaison infinie de mes formes apostasiées, ils ne font que resserrer un peu plus l'étau d'un monde qui m'étouffe.

Ce qui m'écoeure le plus dans l'idée d'un monde fini c'est la conséquence abjecte de ma propre finitude. Un monde fini représente pour moi l'obligation d'y occuper une place déterminée, c'est cette obligation de choisir qui s'apparente à une fin pire que la mort. je ne suis pas de ce monde actuel, je suis de ces possibles qui prennent forme dans la tête de certains lorsqu'ils regardent les étoiles et s'imaginent des mondes à n'en plus finir, des réalités diaprées aux couleurs si nombreuses qu'elles sont un océan d'éternité où se perdre. Mon écriture même est une tentative de faire de l'actuel exprimé le symbole d'un possible inexprimable.

lundi 22 septembre 2014

Coeur brûlé

Vaisseau spatio-temporel à la carlingue usée, mille fois j'ai pris feu et me suis éteint dans les interstices galactiques, dans les océans entropiques où la volonté se calme pour un temps. C'est un cœur en fusion que le mien et qui parfois m'embrase et fait de moi cette comète furieuse qui laisse traîner sur son passage les débris de son être, le brésillement d'un échaffaudage branlant qui porte la promesse d'un édifice que l'on ne saurait voir.

Cette volonté qui bat comme un cœur, si fort, et qui s'affole pour me laisser exsangue, essouflé, sans oxygène à recycler, sans rien d'autre que la substance d'un "moi" épuisé et vacant. C'est dans les rares extinctions de sa velléité que je respire parfois, traversant le bonheur comme un paysage éternel qui pourtant possède une superficie délimitée. Je hume le bonheur comme si la seconde d'après n'existait pas mais la seconde d'après finit toujours par me rattraper.

Par ce brasier qui s'en va filant dans les étoiles, certains fragments de la vie se voient parfois attirés, intrigués par cet espèce d'empressement à la brutalité monotone qui voit ce navire du temps se fuir jusqu'aux limites de celui-ci. Rien de bon ne peut sortir d'un tel rapprochement, le vaisseau brûle de l'intérieur et brûle ce qui, à l'extérieur, se penche un peu trop vers l'abîme en folie. Combien d'Icare se sont vus chuter lourdement vers leur astre originaire?

La course est douloureuse, elle est souffrance et négation, jusqu'à ces acmés qui sont bien pires que la mort, où tout semble s'arrêter, tout semble vouloir imploser sous une force centripète insoutenable qui plonge sa pulsation mortelle vers l'infiniment petit, là où le minuscule particulaire devient un vaste illimité.

Mais il y a ces rares parenthèses où le navire suspend son cours et se laisse porter par l'inertie d'une contemplation apaisée. C'est un monde que ces instants. Défilé de photons, étoiles en fusion dont le coeur double se déchire, silence des supernovae dont le son assourdissant parviendra des milliers d'années plus tard, tournis statique des espaces infinis, ballet silencieux aux danseurs diaprés. Et le bonheur de se savoir une part du mystère, une partie du Tout qui nous saisit soudain: un point nodal d'exécution de lois cosmiques, sans la moindre responsabilité face au désastre qu'il est, infiniment libre par la nécessité.

vendredi 19 septembre 2014

Le multiple et le substrat

Pourquoi persister à comprendre le monde par le biais d'une substance permanente et immuable (l'Être) qui serait sous-jacente aux phénomènes? Et si le monde n'était qu'impermanence et multiplicité? C'est ce que semble indiquer la diversité des points de vue, la diversité des consciences qui toutes vivent en elles un sentiment et des qualités absolues. Pourtant il reste difficile de concevoir une multiplicité changeante, un être impermanent sans que demeure un fondement unique et stable qui soit la condition d'existence du changement.

Prenons l'exemple d'un chat: différents observateurs, en différents lieux, pointent leur regard vers l'animal. Chacun percevra un être différent, une relation à l'observé dont le vécu est absolument singulier, et ce quand bien même deux observateurs échangeraient leur position pour se tenir à l'endroit exact où se tenait l'autre. La relation ne peut être la même à partir du moment où un des termes de celle-ci est modifiée, j'irais même plus loin en affirmant que la relation ne peut être la même à partir du moment où un seul élément du système observateur-observé est altéré. Prenons l'exemple d'une baisse de la luminosité (toujours dans le cas de notre chat) entre un instant T et un instant T+1, il semblera alors à tous que le chat est différent à l'instant T+1 de ce qu'il était à T.

Alors peut-on seulement concevoir que ce chat ne soit qu'un indéterminé qui s'offre à des déterminations diverses et indéfinies en fonction de la relation dans laquelle il s'inscrit avec un observateur? Et si l'on admet cette hypothèse, qu'est-ce qu'un indéterminé, qu'est donc un être indéterminé? Des milles manières d'observer ce chat (vision thermique, rayons X, vision humaine, etc.) lesquelles nous disent ce qu'il est réellement, et que dire de tous les attributs (au sens spinozien) que nous ignorons et que nos structures organiques ne nous permettent pas d'imaginer et encore moins de concevoir?

Il semble exister un certain juste milieu entre la détermination absolue et donc intrinsèque de chaque terme d'une relation et la détermination réciproque de ces termes par le système relationnel. Ce n'est pas parce que je n'observe pas le chat que je dois affirmer qu'il n'existe pas tel que je l'ai observé quelques minutes auparavant, et inversement je ne peux pas dire à quoi il ressemble sans m'imaginer prendre position et déterminer un référentiel par lequel il pourra prendre les détermination qui me le révèleront. Je ne peux imaginer le chat en soi et je ne peux non plus en faire une pure abstraction indéterminée puisque son être est, pour moi, la synthèse de toutes les déterminations possibles, de tous les attributs par lesquels il prend forme et s'offre à ma perception comme un objet du monde. Ainsi, son être en soi est pour moi (et le paradoxe est inévitable) la possibilité d'une certaine forme spatiale, d'une certaine température, d'une certaine affectivité, d'un certain mouvement, etc.

jeudi 18 septembre 2014

Langage inconnu

Je suis parfois sans voix; sans voix face au vide qui m'entoure de toute part, qui est aussi à l'intérieur de ce que je nomme "moi". Parler me devient insupportable, écouter les autres étaler leur vacuité devant eux et en éprouver une sorte d'étrange fierté crée en moi un malaise. Je suis ailleurs, irrémédiablement ailleurs, ailleurs que dans ces moments où rien n'est partagé.

J'aspire de plus en plus à une vie simple, libre de rêves, libre de volonté, libre d'attente et d'espoir, une vie où chaque instant est une acmé, où chaque moment est un merveilleux temps pour mourir. Je souhaite simplement pouvoir continuer à mouvoir mon corps, à me baigner dans l'océan, à pouvoir me perdre dans le silence de la nature et m'étourdir par sa beauté muette; mais j'ai eu le malheur de devenir philosophe. Le philosophe est celui qui poursuit de grands rêves, s'étonne lui-même et certainement s'admire tellement qu'il lui arrive souvent de se prendre pour une lumière de vérité dont il faut inonder le monde.

Je n'écoute plus les philosophes, ni ceux qui les dénigrent; je n'écoute plus les jugements des autres, je ne parle plus avec eux, qu'auraient-ils à me dire, si ce n'est cracher à ma figure les jugements qui les rongent de l'intérieur. Je n'ai rien à dire à personne et personne n'a rien à me dire de bien intéressant. Tout au plus apprécié-je la présence de qui veut s'interroger avec moi et partager ses questions les plus intimes, les plus lancinantes. Je n'aime plus que le doute, celui qui me fait voir l'humilité en autrui et le vrai visage de la condition humaine qui est une apnée interminable dans les eaux de l'ignorance.

IL n'y a plus qu'à ce journal et à mes quelques amis que je parle encore de moi, ce moi qui remplit sa vacuité d'une complexité inextricable. Combien de choses me faudrait-il exhumer pour faire comprendre à autrui une seule de mes expériences, une seule de mes interrogations, une seule de mes pensées. Il est bien plus facile pour l'autre de se faire une idée rapidement empaquetée dans son unité bien close puis de saisir en son esprit cette image commode. Les gens sont des galeries d'images et d'opinions. Je sais que dans bien des têtes demeure un portrait de moi, et je sais aussi une chose importante: face à chacun de ces portraits je me reconnaîtrais et malgré tout je resterais convaincu d'être à mille lieues de cette image. J'ai bien conscience de ce que je peux renvoyer à autrui et de ce qu'il saisit en son filet, je reconnais bien ce que j'y ai laissé traîner mais je reste irrémédiablement étonné que l'on puisse se satisfaire d'une image vulgaire, d'un simple symbole, pour toute compréhension de l'absolu que peut être l'Autre.

Ainsi j'offre perpétuellement quelque chose aux autres et je les laisse dresser un portrait robot qui leur permettra de me situer dans les différentes sociétés qu'ils côtoient, j'accepte, je n'ai pas la patience, ni la volonté, de les mener à ce chantier interminable que je suis, à ce chaos en ébullition qui me donne parfois un sentiment de solitude atroce et délicieux, celui de mon existence auquel ne répond nulle image, nulle idée et nulle objet par lequel je puisse le ramasser et le tenir devant moi. Je n'emmène personne dans mon dédale, pas même vous, à quoi bon.

Oh j'entends d'ici les critiques me lancer à la figure des propos qui contiennent certainement une part de vérité: que je me complais dans la plainte, que je m'érige en martyr. Ce n'est pas mon impression personnelle, je ne réclame aucun accord, aucune reconnaissance, je ne fais qu'exprimer mon sentiment sans valeur, sans valeur car aucun sentiment n'a de valeur, un sentiment se vit mais ne s'échange contre rien. Il m'arrive de penser être une forme de vie différente de l'humanité, échouée sur cette planète par un hasard incompris. Je crois que cette pensée qui me traverse parfois est la fondement de mon désir de vivre un jour une rencontre avec des extra-terrestres, avec d'autres structures transcendantales. J'ai cette folle idée que les rencontrer me permettrait de me sentir moins seul, et peut-être de comprendre mieux ce que je suis. Voyez-vous les autres sont une façon de lire le monde et j'en suis une autre. Non pas une façon opposée et qui en serait comme la traduction a contrario, mais bien plutôt un langage différent, un code forain et dont la sémantique appartiendrait à d'autres couches de l'existence.

On est vraiment seul, seul de manière absolue, du début jusqu'à la fin. Comme quelqu'un l'a dit, c'est une tragédie, mais une tragédie aux reflets de béatitude et de libération totale. Ma vie est cet oscillation entre ces deux faces de l'existence consciente.

mardi 16 septembre 2014

Redéfinir la connaissance

Peut-être un jour deviendrais-je totalement fou, et cette antique croyance en la connaissance n'y sera pas pour rien.

Connaître une chose, c'est d'abord n'être pas cette chose (on ne connait de soi que l'autre, l'observable), et c'est en observer les innombrables effets directs ou indirects (les effets sur notre corps sont plus directs que ceux observés sur un objet servant de sonde par exemple) sur nous.

La connaissance est donc chose bornée dans la relation d'un connaissant à un connu. Cependant elle est aussi illimitée en ce sens qu'elle est la possibilité de changer indéfiniment de point de vue sur la chose. Toutefois ce changement de référent n'est que virtuel puisque tout homme ne connaît que son vécu propre, quand bien même il intégrerait à celui-ci le récit du vécu d'un autre homme ou objet. Quand je parle de récit d'un objet, j'entends par exemple la traque d'une particule encore non observée à l'aide de ses effets supposées sur d'autres particules observables. Ainsi, lorsque nous augmentons nos points de vue, nous ne faisons en fait que mettre des lunettes devant nos yeux, pour chaque point de vue, une paire de lunette différente.

Ainsi connaître est une utopie, la résolution impossible d'un paradoxe: la nécessité d'une relation bornée et duale, couplée à la volonté de posséder simultanément tous les termes de cette relation à un objet. Non seulement il est impossible à un être de posséder réellement un autre point de vue que le sien (d'être un autre point de vue), mais dans cette quête a priori impossible, vient s'ajouter l'impossibilité de réunir en une synthèse parfaite tous les points de vue. Pire, dans l'éventualité d'un univers infini (infiniment grand comme infiniment petit), l'accumulation d'un grand nombre de points de vue par rapport à un plus petit ne peut nullement représenter un progrès de la connaissance car rapporté à l'infini, aucune quantité ne peut être plus ou moins grande qu'une autre. On peut illustrer ce fait ainsi: nul n'est plus proche de l'horizon qu'un autre. Il n'y a qu'en plaçant une fin supposée, une limite implicite, que nous pouvons croire en un progrès; or cette fin implicite, c'est nous même: la structure a priori de notre être. Même lorsque nous envisageons l'infini, nous le faisons du point de vue de l'unité de notre conscience, feignant ainsi de pouvoir comprendre en une idée finie ce que peut être un infini sans borne.

lundi 15 septembre 2014

L'aventure indéfinie

J'ai commencé à écrire quelque chose, puis je l'ai effacé, voyant qu'il me faudrait des heures d'écriture pour ne serait-ce qu'exposer le fondement de mon intention d'écrire. C'est déjà un progrès puisque bien souvent, je ne prends même pas la peine d'effacer puisque je ne prends pas celle d'écrire. Je devrais écrire toute ce qui me passe par la tête. Mais alors je crains que plus aucune de mes pensées ne soient intactes. Je n'aurais de cesse de penser par l'écriture et je ne me retrouverais plus dans cette aisance du solipsiste qui habite sa tête et n'entre en relation avec nulle technique, qui demeure démiurge dans son petit royaume intérieur de toute puissance. Je crois que cela me manquerait. Il est préférable, je pense, de conserver un certain équilibre entre les pensées qui traversent mon esprit et demeureront mes trésors intimes et celles que je prends la peine d'extirper, de façonner afin de les rendre apte à prendre forme dans la réalité. Ou du moins je devrais dire que je leur donne la forme matérielle que j'imagine être la plus à même de les représenter, de les susciter, puisque nulle idée ne réside au sein de l'espace et du temps (tout du moins pour ce que l'expérience semble m'indiquer).

Dans quelle mesure ce comportement est une erreur, une erreur dans le sens où il pourrait servir un résultat contraire à mon intention initiale, à savoir partager ce qui s'agite en mon implexe? Peut-être devrais-je demeurer elliptique, confus, abscons, je sais qu'il existe tout un paradigme artistique qui ne voit la profondeur que dans l'obscurité et la confusion. Et moi je nage de toutes mes forces dans le sens contraire, tentant de rendre ce que je crois être de la profondeur (et qui me semble de plus en plus n'être qu'ignorance) le plus clairement possible. Translucide, transparent je me veux. Mais toujours je me heurte à mon ignorance, aux fondements arbitraires de ma rationalité, à l'inconditionné de mes conditions, et je suis contraint de rendre les armes, préférant épargner au lecteur le triste spectacle de ma débâcle.

Le monde est irrationnel, je veux dire la réalité. L'Autre, le réel est forcément irrationnel puisqu'il est le fondement de ma rationalité. On se fatigue à chercher les causes, à arpenter sans fin les catégories de la raison qui nous mènent en bateau et nous font naviguer dans la tempête de notre propre conscience. Le réel, lui, échappe à tout arraisonnement, il demeure là, quelque part ou plutôt nulle part, jamais, hors des causes, hors de la logique, hors de la raison: le réel est le fondement arbitraire et absurde de notre petit système clos de survie d'être humain.

La raison n'explique pas le monde, la science qui en est la plus belle illustration se heurte sans cesse à ses fondements, à ses axiomes qui plongent des racines bien profondes dans le sol de l'arbitraire et de l'injustifiable. Pour que la raison existe, il faut ce sol, et la raison cherche à travers la science à expliquer le sol avec son langage de plante verte, ne voyant en lui qu'une autre sorte de plante verte, avec ses limites, son haut, son bas, ses feuilles et ses branches. Pourtant le sol n'a probablement rien de tout ça, étranger qu'il est à ces propriétés.

Voilà, Kant nous avait prévenu, l'homme est une île, il ne peut que se visiter lui-même mais nullement s'aventurer sur l'océan qui l'entoure et le rend possible, cet océan où il n'a aucun repère, cet océan qu'il ne voit même pas.

Vous n'imaginez pas à quel point toutes ces considérations rendent ma présence sur les bancs d'une université laborieuse et déplaisante. Je ne cherche plus moi, je n'ai rien à trouver. Je ne vais pas m'amuser à réduire la réalité à ma manière singulière de l'appréhender, de la percevoir. Que sont nos outils, nos formules mathématiques ou atomiques si ce n'est des manières de percevoir elles aussi. H2O? Des observations? Indirectes et donc objectives? Diantre non, indirectes peut-être, par le biais des outils, ainsi les atomes interagissent sur un objet sur lequel nous percevons des changements que nous interprétons. Encore affaire de perception. Sortons du mythe des qualités premières. J'en suis bien sorti moi, je crois. Pourtant je dois continuer de faire acte de présence, on me demande même d'aller enseigner un jour des choses qui me semblent absolument vides à d'autres gens. Enseigner, vous rendez-vous compte? Enseigner? Mais enseigner quoi? Enseigner les délires d'autres avant moi? Mon Dieu, mais que sommes-nous en train de faire...

Je renie la connaissance. Pourtant, il m'a bien fallu un certain degré de connaissance, notamment scientifique, pour parvenir à ce résultat. Or si j'applique réellement mon reniement, je devrais renier le reniement lui-même puisqu'il se fonde sur une prétendue connaissance... Restons sceptique, restons modeste: ni ne renions, ni n'affirmons. Je ne sais ce qu'est cette connaissance dont parlent les hommes, je ne sais si c'est une chimère. Il me manque pour commencer une définition claire. Je crois que pour moi, la connaissance est une disposition d'esprit et de corps, une manière d'aborder l'altérité du réel.  La connaissance c'est la croyance que le réel obéit à des lois et la science est la tentative d'élargir le champ d'application de ces lois à l'univers entier ainsi qu'à l'éternité. Pourtant la science reste bornée dans un contexte spatio-temporel particulier, mais qui certes s'étend. On pourrait s'imaginer un homme qui fonde une connaissance à partir de ses expériences tout au long de sa vie. Il croit découvrir alors un certain nombre de règles puis, après sa mort, toutes ces règles deviennent invalides, elles n'étaient que le fruit d'une vision partielle valable dans un moment de l'univers, dans un contexte donné. La science pallie ce problème grâce à la mémoire accumulée des expériences humaines, grâce à la transmission culturelle. Mais son contexte n'en demeure pas moins totalement limité. Toute science se heurte à des résultats imprédictibles, ou bien à des questions auxquelles elle ne peut répondre.

On peut énoncer autant de lois valables qu'on veut, elles pourront probablement être valables pendant très longtemps, jusqu'à des temps immémoriaux, mais nous n'aurons jamais le moyen de savoir avec certitude si ces lois sont des lois du réel ou bien si elles ne sont que des lois de notre expérience de celui-ci (merci Kant). Kant va même plus loin en affirmant que ces lois sont les conditions de constitution de notre monde, les conditions de son existence, de son apparition. Le monde, c'est les lois de causalité, etc. Mais ce qu'est le réel, intrinsèquement, nous ne pouvons le savoir. D'ailleurs je pense que la question est biaisée puisque rien ne semble exister intrinsèquement, du moins je ne peux (et personne à ma connaissance) témoigner de l'existence autonome, absolue d'une chose, je n'entre que dans des relations à des choses. Tout est relation.

J'ai poursuivi toute ma vie la connaissance du réel en soi. J'ai traqué une chimère.

Je crois que le projet scientifique me semble aujourd'hui bien plus intéressant que celui de la philosophie, à moins que la philosophie ne se cantonne à l'éthique. La science essaie simplement de construire un humain décuplé grâce à la synthèse de multiples points de vues (reproductibilité des expériences, falsifiabilité, etc.), un humain qui pourrait contenir en lui un peu plus que la droite qui le relie à un objet déterminé, un humain dont la curiosité lui a permis d'acquérir d'autres référentiels, des données s'étendant sur plusieurs vies, des expériences s'étalant jusqu'à d'autres galaxies (je pense aux télescopes par exemple). La science se trompe simplement sur l'intitulé des résultats qu'elle produit. Ce ne sont pas des connaissances absolument objectives, il n'y a que l'objet qui puisse détenir le point de vue de l'objet, la science nous livre la synthèse d'une somme énorme de relations à un objet, elle nous le fait vivre par le prisme d'une multitude de points de vue à partir desquels elle peut produire une connaissance empirique plus vaste et moins limitée que celle d'un seul homme.

La science finalement n'est que l'aventure cognitive de l'homme, elle n'ira jamais jusqu'à la chose en soi, mais elle avance, elle s'élance et se dépasse toujours. En cela, le projet scientifique est pareil au mien, pareil au sillon que je trace dans le temps: intrépide, curieux, critique et en perpétuel reconstruction.

Lorsque je dis que la science n'est que l'aventure de l'homme, il faut me prendre au sérieux et bien mesurer ce qu'implique cette phrase. Je veux dire par là que la science est une bulle dans le réel et qu'elle ne pourra jamais faire qu'expliquer le monde par les principes et les règles qu'elle s'est fixée a priori, et elle sera ainsi nécessairement vouée à se heurter aux limites de ces principes: la raison sur son fondement irrationnel, la causalité sur son fondement non causal, etc. Par exemple la science ne pourra jamais expliquer le fait qu'il y ait un monde car elle ne peut remonter à une cause première. Mais lorsqu'on dit cela, on ne fait que dire que l'homme est incapable de remonter au fondement de la causalité, il est enfermé dans sa compréhension causal de la réalité, il ne peut en sortir. Et le monde, dans son extrême gentillesse se plie à ses caprices...

Il y a un monde. La question du pourquoi a-t-elle un sens? Elle doit avoir un sens si l'on s'imagine que la totalité du réel doit s'expliquer à travers les principes qui nous permettent de l'appréhender, c'est à dire qu'elle doit avoir un sens pour un individu anthropocentré.

Je ne vois qu'une chose en ce qui me concerne, dans la science, comme dans l'homme: un long et mystérieux chemin, une aventure à construire et à vivre et qui ne mène à rien d'autre qu'à elle-même.

samedi 13 septembre 2014

Première manche

Je suis redevenu en enfant, dans le bon sens du terme. Je m'ennuie de nouveau. Je peux m'ennuyer car je ne poursuis nul but particulier, je ne place aucun horizon sur ma vie. Fini d'évaluer chaque action par le prisme d'une direction particulière, d'une évolution déterminée. Je suis au monde sans aucun motif, ma vie n'a pas de sens et je n'en cherche plus. Tout ce que je réclame est de ne pas trop m'ennuyer, vivre des moments dans lesquels je me divertis, dans lesquels je prends du plaisir. De stoïcien je suis devenu sceptique et j'ai teinté mon scepticisme d'épicurisme. Absence de douleur physique (aponie), absence de douleur psychique (ataraxie), présence bien réelle du plaisir.

Je sais aujourd'hui, que l'écriture n'est pas le moyen d'exprimer ce qui dors, profondément impliqué en moi. C'est impossible. Il faudrait que je puisse projeter une copie réelle, de chair et d'os de moi-même dans l'espace-temps. Et même alors, une position spatiale différente ainsi qu'une occurrence tout simplement autre que la mienne, ferait différer l'être ainsi conçu de ce que je suis. L'écriture n'exprime pas ce que je veux exprimer; elle n'exprime pas ce que c'est qu'être moi au moment où je le suis. (Mais qu'est-ce donc?).

Je n'écris pas comme je pense mais ma pensée s'adapte au langage, et le langage est informé par ma pensée. Une relation s'instaure et aucun des termes de cette relation n'est plus pareil à ce qu'il était hors de cette relation. La preuve: j'écris avec un certain style soutenu alors même que ma pensée est tout à fait familière, utilise des abréviations, des contractions. Ma pensée est pleine d'ellipses qui pourtant, au sein de ma conscience, n'en sont pas, et que l'écriture serait bien en peine de rendre à leur plénitude.

Que dis-je, je n'ai même plus besoin de penser, en tout cas pas en mots, je pense avec les mots certes, mais leur absence, les vides à certains endroits, indiquent des discours infinis, marquent des profondeurs insondables qui nécessiteraient des livres entiers pour être explorées et dévoilés au jour. Lorsque j'écris, j'écris; ne s'exprime précisément que le moi qui écrit et non un quelconque moi profond qui est d'ailleurs toujours un moi dans une relation et un contexte particulier, et par conséquent jamais un moi réellement plus profond qu'un autre. Il n'y a profondeur que parce que je choisis (inconsciemment peut-être) de marquer telle relation comme dévoilant mon être profond, mais mon être est précisément d'être en relation, il est sans plénitude, il n'a pas d'en-soi.

Je suis Adrien étudiant, Adrien faisant l'amour, Adrien étant en couple avec telle personne, Adrien marchant, Adrien surfant, Adrien lisant, Adrien parlant à un ami, etc. Adrien n'existe pas, Adrien qui subsisterait indépendamment de toute chose, par et pour lui-même. Il n'y a pas d'Adrien-tout-court, voyez, même Adrien-tout-court n'est pas Adrien. Adrien est un nom impersonnel que des milliers d'autres personnes portent comme une identité. Nous sommes parfois si langagiers que nous faisons comme si nous étions nous-mêmes des mots.

L'écriture ne sera jamais qu'un plaisir de ma vie, je ne demande pas aux autres de le partager, les autres peuvent détester la langue, ils ne font que détester ce qu'ils sont lorsqu'ils entrent en relation avec les mots. Je laisse les autres s'aimer et se détester autant qu'ils veulent, cela ne me regarde pas, je m'aime et me déteste moi aussi, à loisir et dans autant de situations que je décide. J'aime le Adrien qui écrit, j'aime le Adrien des mots, celui qui rédige un journal que personne ne lira, celui qui expérimente avec le jouet puissant de la langue. Peut-être devrais-je varier mes jeux parfois. Un projet de science-fiction me trotte dans la tête. Fi du projet! Écrivons science-fiction, sans objectif déterminé, juste pour voir si un livre se construit. J'entends d'ici les auteurs atterrés: "mais on n'écrit pas un roman ainsi, en alignant des phrases, ça c'est bon pour les prix littéraires!". Je m'en fous, je les emmerde. Eux et leur façon de s'aimer avec les mots. J'ai ma façon à moi et elle est pour le moment différente, je ne leur demande pas d'aimer mes jeux. J'écrirai un livre (c'est à dire que je prends la liberté, pour ne pas contrevenir à mes bonnes résolutions, de créer un livre d'une page et dont la fin serait le début) de science-fiction, qui n'aura aucun squelette préconçu, qui ne tiendra que sur l'alignement de phrases jaillies de mon plaisir instantané. Il n'y aura pas de rebondissement anticipé, pas de démon à combattre, pas de destination finale. Je ferai un livre sans complaisance pour autrui, qui ne ressemble à rien d'autre qu'à moi et au plaisir que je prends à écrire.

J'ai passé tellement de temps à rentrer dans le style des autres, à jouer leurs jeux avec leurs règles; mais c'est probablement aussi parce que je cherchais leur reconnaissance, et parce que je n'avais pas l'imagination nécessaire, ou la confiance. Désormais je m'en fous. J'emmerde toutes les règles et les plaisirs des autres. Je prends mon pied à ma manière sans me préoccuper de l'approbation de quiconque.

Oh que j'écris bien, que j'aime me lire et me voir exister verbalement. Quel style! Quel panache!

Il existe peut-être sur cette planète, une poignée de gens qui partagent ce style d'écriture, et ce plaisir à rédiger un journal introspectif où la forme est regardée comme un fond, où elle se confond avec lui, lui est consubstantielle. S'il n'en existe pas, je ne blâme personne, et encore moins moi d'avoir ce singulier génie auto-proclamé. Cela voudrait dire que j'ai créé une nouvelle sorte de plaisir, un nouveau jeu. Je sais que d'autres écrivent des journaux, mais nul ne le fais comme moi. Et je continuerai de produire ces textes que personne ne veut lire, ces textes qui sont parfois pour moi des moments de bonheur éclatés dans le filet des mots, je continuerai à les écrire, à jouer mon jeu tout seul, à en être le seul pratiquant, le seul accroc, le seul spectateur.

Cela aura été dur, mais j'ai gagné la première manche.

vendredi 12 septembre 2014

L'empreinte de nos pas

J'ai moi aussi mes maigres consolations, en voilà une qui s'en vient à l'instant: j'ai bien acquis quelques puissances en cette vie. J'ai la puissance de faire jaillir des sentiments des mots, si ce n'est pour les autres au moins pour moi. J'ai acquis la puissance d'ordonner à des circuits électroniques, de parler aux ordinateurs et faire de moi un demi-dieu virtuel. Maigre consolation s'il en est...

Est-ce là une puissance que cette activité que j'exerce comme un dernier recours, et qui consiste à peindre sur les murs de ma prison soliptique ces suites d'arabesques censées être la projection du processus néantisant que je suis. Il n'y a bien dans la vie que deux ou trois activités que je n'ai point totalement abandonnées, l'écriture figurant en bonne place. Vomir son âme sur un univers qui est déjà son âme, voilà qui semble bien ironique. Mais est-ce bien juste, s'agit-il vraiment de cela? Je dois bien admettre un être, une chose en soi qui m'est étrangère et qui échappe à mon pouvoir de constituer un monde, mais je ne connais de cette chose que ce que j'y projette, je ne peux me servir du monde que comme un écran pour mon ignorance. Mon impuissance à connaître est ma souffrance, je suis incapable de mourir. Alors je me déverse à l'intérieur de mon propre gouffre, remplissant ma vacuité d'une vacuité identique mais simplement incrustée dans d'autres formes.

Quelle triste spectacle que celui d'un homme enfermé dans sa tête, et qui ne peut plus regarder le monde sans être suspicieux quant à l'originalité de celui-ci, quant au fait que rien, partout, n'est vraiment autre chose qu'un reflet de son abîme.

Mais comment un vide peut-il se refléter?

S'il se reflète, c'est bien que ce qui est reflété n'est pas vide, et donc n'est pas lui. Hélas les choses ne sont pas aussi simples, toutes les logiques ne sont point binaires et même quand elles le sont, la multiplicité des axiomes et des points de vue rend toute chose relative, toute conclusion incertaine et bornée dans l'étroitesse de son temps et de son espace. Le temps est un vide qui se reflète sans pourtant jamais se montrer. D'ailleurs tous les reflets sont du temps. La pierre que vous observez est une modalité spatiale du temps, et cette formule même devrait vous heurter par son caractère tautologique.

Celui qui lira ces phrases, quand bien même il ne s'agirait que de moi, ne fera qu'observer la salissure d'un esprit qui se vomit à l'intérieur de sa propre enceinte, qui se crache à la figure à travers l'horizon. Car voyez-vous j'ai beau marcher vers le lointain, toujours plus loin, je m'achemine inexorablement vers moi-même, ce moi-même rempli paradoxalement de cette absence de moi-même. Ainsi moi cherche moi partout tout en ne se trouvant nulle part, puisqu'il ignore qu'il est toutes choses, tout ce vide qui fait apparaître les choses. Ainsi l'être advient par le néant que je suis, voilà pour l'instant sartrien.

Mais j'aimerais revenir à l'écriture, à ce qui me pousse à continuer frénétiquement d'écrire. Je crois que si j'écris depuis tout ce temps, c'est pour que le fil de mes phrases trace un sillon rectiligne à travers l'espace cyclique de ma temporalité. Je me vois entamer des choses, poursuivre des puissances, puis abandonner ce qui n'a pas de fin, recommencer autre chose et m'arrêter toujours. Je m'arrête parce que je n'atteins jamais la puissance que je poursuis et qui est un absolu qui comme tout absolu est le symbole de ma mort. Pourtant j'ai appris bien des choses en cours de route, je peux faire des choses qui m'étaient impossibles auparavant, mais lorsque j'observe le résultat d'un de ces longs apprentissages, je n'y vois aucune magie, je ne ressens nul émerveillement, juste l'extrême lassitude et fatigue face à l'effort requis, face à la connaissance de chaque petit moment, chaque petit accomplissement terne qui mène à ce fameux résultat. Seuls sont éblouis ceux qui ignorent le chemin et ne savent pas qu'il m'a suffit de mettre un pied devant l'autre et de marcher plus ou moins longtemps pour parvenir où j'en suis, qui ne savent pas qu'eux-mêmes pourraient faire le chemin et que ce qui avait alors pour eux de la valeur n'aurait plus que l'amère saveur des rêves d'enfants que l'on a perdu.

Vouloir la puissance c'est vouloir produire quelque chose dont on est soi-même étonné, c'est vouloir mettre au monde ce que l'on porte en nous déjà fait, sans intermédiaire, sans construction, et sans attente. La recherche de la puissance est bel et bien une quête narcissique de soi vers soi en passant par l'altérité du réel. Et nous, pauvres humains au destin si tragique, sommes voués à l'effort, au chemin de la technique fait de patience et de gestes minuscules mis bout à bout: une fois au bout, le miracle a depuis longtemps disparu, on reste face à la fatigue et à la conscience de toute l'énergie dépensée petit à petit pour déblayer la route. Conscient aussi de l'investissement régulier nécessaire à l'entretien de cette route, que le temps s'acharne à recouvrir peu à peu.

La puissance, elle aussi est un horizon inatteignable. Le mythe de la puissance prend sa racine en note ignorance, dans le fait que nous ne comprenions pas le chemin banal qui mène un homme à la capacité qu'il a acquise, ou bien dans le fait que nous n'ayons pas envie de prendre ce chemin, nous imaginant alors un voyage fantastique, fait de bonds de géant, d'envolées furieuses quand il ne s'agit en fait que de marcher avec difficulté.

Ainsi j'arpente le cycle de la puissance, je me retrouve à regarder avec dédain ce qui, il y a dix ans, me remplissait d'admiration. Ma vie semble ne pas avancer, toujours dans cet entre-deux, entre ciel et terre, entre puissance et impuissance, entre bonheur et malheur. Il n'y a véritablement rien de transcendant. Je m'ennuie. Je ne sais comment occuper mon temps, nulle occupation ne sort du lot. Que faire de ma vie? Rechercher la reconnaissance, comme tant d'autres qui ont trouvé le moyen de faire vivre la puissance en la puisant dans l'ignorance des autres qui leur offrent leur reconnaissance. La reconnaissance des autres, le fait qu'ils affirment notre puissance, est encore un moyen d'entretenir le mythe: l'illusion que l'on a perdu en route est retrouvée ailleurs, dans le regard émerveillé ou terrifié de l'Autre. Mais un jour, si l'on est honnête avec soi, on sait aussi le chemin qu'emprunte l'autre, on sait combien cette puissance qu'il nous prête est factice, on sait que l'on se ment. Alors la reconnaissance et l'admiration ne sont que ce qu'elles sont: l'ignorance ou le refus d'autrui concernant le chemin à parcourir.

Je ne sais que faire de mon temps si ce n'est continuer à rêver comme un gosse. Échapper encore un peu à ces retours à la case départ si épuisants. On entreprend puis les objectifs n'étaient pas tels qu'on les imaginait alors on n'a pas avancé d'un pouce. On entreprend autre chose, mais c'est toujours la même merde insipide et ennuyeuse que la volonté de puissance. Vie cyclique ne contenant que des acmés médiocres, des Everest n'excédant pas le niveau de la mer. Pourtant les rêves se font la malle eux, ils ont même depuis longtemps dépassés les cimes les plus hautes, ils ont percés les nuages, on traversés la stratosphère et se sont perdus dans les immensités intersidérales. Qui va nous reconnaître, nous admirer? Des extra-terrestres peut-être, à l'intelligence mille fois supérieure à la nôtre? Si cela arrivait cela nous placerait alors directement à la case super-puissance, sans même qu'on ait l'once d'une idée du chemin parcouru pour y parvenir. Il faut se méfier des rêves car tout peut arriver et il n'y a rien de pire qu'un rêve qui advient, on appelle cela un cauchemar.

Tu voulais être un pirate informatique? Te voilà qui connaît certaines failles et sait les exploiter. Il te faut des heures voire des jours pour programmer les exploits nécessaires, et les gens te pressent de questions: "Ah ouais, tu pourrais faire ça, et ceci, et cela? Et ça tu sais faire?". Il n'y a bien qu'eux que cela émerveille, vous, vous ne faîtes que contempler le travail nécessaire, le travail sans merveille ni magie...

Alors écrire au milieu de toutes ces remises à zéro c'est un peu laisser un sillon rectiligne parmi les boucles infinies, les ressacs du néant. Je peux me pencher sur la somme de mes textes et voir un chemin singulier, un chemin qui s'en va toujours vers l'inconnu, un chemin qui me surprend et me surprendra, j'espère, toujours, parce que j'apprends à ne plus lui envisager de destination finale. Ecrire est une des rares activités sur lesquelles j'ai brisé tous mes rêves, à propos de laquelle j'ai su accepter le banal équilibre entre puissance et impuissance. Je ne convoite rien dans l'écriture, je n'ai nul projets, ou plutôt je m'attache à les désapprendre, petit à petit. Alors, c'est comme si un poids m'était ôté, je marche et chaque pas est un univers, chaque espace parcouru est un petit mystère: je ne sais ni vers où je m'en vais, ni quelle est la force qui me meut.

Je n'écris plus par volonté de puissance, mais par curiosité, comme on se laisse aller à flâner, faisant fi des autres affairés, du diktat des objectifs et des projets. Ecrire est une manière de passer le temps, les plus belles choses en ressortent lorsqu'on n'en attend rien.

Regardez les plus grandes oeuvres, celles qui sont le fruit d'une volonté acharnée, des rêves les plus démesurées: certes elles nous fascinent, mais elles ne sont rien d'autre que la matérialisation d'une ignorance apprêtée, chaque grande oeuvre nous fascine par sa distance avec notre propre position, elle nous fascine d'autant plus qu'elle se situe en un pays lointain dont nous ignorons tout. Ou alors, ce qui nous fascine dans l'oeuvre d'autrui c'est l'acharnement qui aura été nécessaire à son accomplissement, c'est la connaissance du chemin à parcourir, la notion des sacrifices et des peines, de la patience et de l'effort minutieux qu'il aura fallu à l'autre pour atteindre ce lieu. Autrement dit nous admirons la folie de celui qui souffre et entretient sa propre souffrance à travers la volonté de puissance, nous lui prêtons la force et l'aveuglement nécessaire pour continuer par notre admiration. Je crois qu'au fond nous adorons jouer aux enfants tout autant que nous aimons que les autres le fassent.

Peut-être tout simplement que l'émerveillement d'autrui est une invitation pour nous à reconnaître notre propre chemin, à en apprécier le tracé. Je ne sais pourquoi j'ai tant de ressentiment envers l'art au sens le plus général. Peut-être que ce que je déteste tant c'est ma propre façon de l'avoir vécu. Non, je sais que je déteste aussi la façon dont les hommes en font briller certains plus que d'autres, accordent un surplus de valeur à untel au prix d'une dévalorisation de tels ou tels autres.

Peut-être que toute activité humaine est une cartographie de nous-même dont les autres peuvent s'emparer pour explorer des zones de leur être où ils ne s'étaient pas encore aventurés?

De toute façon j'écris, en taisant les rêves de gloires et les projets absurdes, j'écris comme un gamin s'amuse avec des figurines, sans objectif extérieur, sans besoin de reconnaissance, sans but autre que celui d'être à travers l'action exécutée. Il sera toujours temps de jeter un regard rétrospectif et d'apprécier alors les errements de notre loisir, l'empreinte de nos pas dans les sables du temps.

mardi 9 septembre 2014

La mort des mots, la vie du sens

Aujourd'hui je continue d'écrire tout en sachant qu'il n'existe encore aucune forme pour contenir l'informité de l'expérience que je cherche à partager. Pas un mot, ni même une expression, ne suffit à le faire; il me faut alors entamer la rédaction hasardeuse de longs énoncés inachevés que j'espère suffisamment dotés du caractère inchoatif propre à produire en vous un peu de ma mélodie intime. D'ailleurs, cette intimité que j'ai dénudée jusqu'à plus rien, jusqu'à l'épaisseur nulle de l'instant qui réalise en lui tous les infinis, je la porte au devant de moi, sur les mots et la crête émoussée de mes phrases.

Puissé-je outrepasser non les limites du langage, mais celle de mon imagination et de mon art à l'exercer, car il me semble qu'avec lui on peut tout faire, sous réserve du concours indispensable d'autrui. Les mots ne sont que des entités de réalité objective que l'on jette en rythme sur la fenêtre de l'Autre: à lui de choisir dans quel langage interpréter ce morse, à lui de jouer la musique, à lui de vivre le vécu que les mots impliquent malgré eux.

D'ailleurs les mots ne parlent pas, ce sont les hommes qui le font. Je m'adresse ainsi à une réalité sourde et analphabète, dans l'espoir qu'elle puisse un jour susciter en mon prochain l'illusion de parole et surtout l'illusion de la vie.

Ma manière à moi d'écrire est cette vaine tentative d'enfermer du temps dans les replis de l'espace que sont les lettres, autrement dit d'accepter d'envoyer la dépouille verbale d'un fragment de vécu pour que la vie qui sourde en vous la fasse renaître de ses cendres, le temps, trop bref peut-être, d'une danse avec moi.

vendredi 5 septembre 2014

Message aux autres dieux

Je suis l'enfant du changement, l'enfant de mon siècle. Ma conjoncture est l'évolution rapide, la multiplicité et l'impermanence. Comme si la société moderne s'était enfin calquée sur le rythme de la nature, sur ses procédés sans pitié pour le passé. Je suis le fils de l'époque, ne croyant plus aux vieux moules desquels nos ancêtres sont sortis, aux modèles qui ont défini pour eux la vie heureuse. Je suis l'homme sans famille, qui a eu plusieurs femmes, peut aimer au pluriel, peut pratiquer toutes sortes d'activités, je suis l'homme qui s'éclate dans la diversité, je suis celui qui a le choix, celui qui peut tout apprendre, celui qui a l'information à portée de main, du moins jusqu'à un médiocre niveau. Et pour cela je suis à son image, une multiplicité médiocre car la qualité se cache encore dans des recoins inaccessibles, aristocratiques. Je peux jouer au football, au tennis, au tennis de table, au basket, au hand, je peux faire du skate, du surf, du street workout, de la boxe, du badmington, du volley-ball, de la nage, quoi d'autre encore? Et chacune de ces activités m'apporte une émotion singulière, incomparable, unique. Je suis l'éternel enfant perdu en un monde où tout est à découvrir, tous les jeux à portée de main, je suis l'enfant qui ne se concentre plus sur une chose mais qui explore sans cesse la nouveauté. Il y a une quantité de techniques que je maîtrise plus ou moins bien et tant d'autres à intégrer. Chacune décuple mes capacités, ouvre le champ de mes expériences: certaines me rendent plus souple, d'autres extrêmement rapide, d'aucunes me procurent un don de quasi ubiquité.

Et les gens sont partout, à portée de clic, pour voyager, pour dormir, pour faire l'amour, pour emprunter leur maison, pour échanger, pour parler, pour vendre et acheter. Il y a la mort partout, et la vie aussi, la vie qui file à une vitesse, la vie qui s'écoule hors de nous et qui donne soif de vivre encore plus, toujours plus d'expériences, d'aller toujours plus loin tandis que le monde s'écroule et meurt autour de nous. Il y a des grand-parents qui meurent, des amis, des inconnus, des professeurs, des connaissances, des embryons, des animaux qu'on a aimé. Tout ce qu'on aime finit par se dissoudre alors on aime de plus en plus de choses, on aime jusqu'aux liens qui unissent les choses entre elles et font qu'on peut sauter de l'une à l'autre. Il y a des rêves qui un jour retournent d'où ils sont venus, alors on en emmagasine d'autres, on rêve de mille choses, on rêve même de rêver mille rêves à la seconde.

Tout se perd, alors on ne garde rien, comme ça on garde tout, tous les possibles, toutes les ouvertures dans le présent, on avance avec ce corps et ce coeur, interfaces vers l'inconnu, on avance dans l'altérité toujours plus loin. On fait des orgies avec le monde, on le laisse nous toucher, on s'y baigne comme dans un océan, on ne construit plus rien, les courants sont trop forts, les vagues bien trop hautes, tout finirait par s'écrouler, par disparaître sous les eaux. L'identité sexuelle n'est plus rien, on peut changer, par conséquent on a le choix alors on choisit. Nous choisissons sans cesse, à tel point que certains ne savent plus choisir, ils se gavent de possibles comme des enfants obèses qui grossissent par la simple contemplation gloutonne de vitrines surchargées de pâtisseries. On avance malgré nous, le monde nous porte si vite sur ses ailes de géant, il nous pousse tellement fort que l'on reste le même enfant même à deux doigts de la mort, échoués là un peu trop rapidement.

Il pousse des livres, des dizaines à la minute, que dis-je à la seconde, et des autobiographies en veux-tu en voilà, tellement de vies à lire, on est gavé des actions d'autrui, trop de héros, trop de choix qui ne sont pas les nôtres et auxquels on assiste. Des vies pour se divertir de la vie qui s'en va, des vies réelles comme des vies fictives. Lorsqu'on a le temps, on fait la somme de toutes ces vies, de tous les sens qu'elles ont pu revêtir mais les unités du calcul ne cessent de changer, les nombres ne cessent plus de grandir, on est noyé dans les vies, leurs possibles, leurs plénitudes et leurs néants, ça dégueule de la vie par tous les pores. Des vies des vies des vies toujours, encore, c'est la nausée, toutes ces vies qui ont un début, puis une fin, une fin si abrupte qu'elle semble balayer tout l'entre-deux, tout ce milieu qui n'aura été qu'un mouvement du néant pour se rejoindre après l'erreur qu'est la vie. On y pense quand on peut et on se dit que chaque vie se vaut, celle d'une bonne soeur pas plus que celle du meurtrier: le meurtrier aura peut-être tué un pédophile, la bonne soeur peut-être empêchée de nouveaux génies de la médecine de naître et de guérir d'incurables maladies. Bandit, banquier, président, prophète, philosophe, maçon... Célibataire ou en couple, fumeur ou non fumeur, sportif ou non, fêtard ou ascète... Quel choix meilleur que l'autre, pourquoi s'éreinter à endosser un rôle, à faire semblant de jouer la vie jusqu'au bout quand il n'y a rien à gagner. Au final, à la fin du jeu, tout ça n'aura pas compté, pour l'Histoire tout au plus, pour ceux qui auront la malchance d'en faire partie (ceux qu'on pourra tenir responsables...) mais qu'on oubliera à la prochaine ère glaciaire quand toute l'humanité aura disparue, ou encore dans la prochaine guerre inter-galactique si l'on va jusque là.

Ne cherchez pas, choisissez selon la contingence du présent, de toute façon il n'y a pas de hasard, seulement un nombre indéfini de causes dont on ne peut pas même se faire l'ombre du commencement d'une idée, et toutes ces causes qui concourrent à l'instant présent: le coup de vent que vous avez senti, la comète qui passait dans note orbite, la supernovae qui explose quelques centaines d'années-lumière plus loin, l'homme qui a fait un faux pas en sortant du bistrot. Boum enchaînement d'effets pour des causes qui semblent absurdes et contingentes mais dont l'origine remonte à la nuit des temps. Le monde c'est une sorte de cascade qui n'a de cesse de chuter inexorablement, c'est une loi qui s'exécute de manière récursive. Alors choisissez, pour ce que cela changera, vous qui croyez avoir le choix, un libre-arbitre comme y disent, réfléchissez un peu à cela. Qu'allez-vous faire la seconde d'après? Allez-vous continuer de lire? Et cette lecture est-elle le fruit de votre pleine et autonome volonté? N'est-elle pas l'effet d'un certain conditionnement au langage, qui fait qu'on cherche toujours la chute, le sens d'un énoncé, qui fait qu'au fond on cherche une mort à toutes choses parce qu'on ne peut comprendre que ce qui est pareil à nous. N'est-ce pas la curiosité qui vous pousse, et pourquoi cette curiosité? Peut-être vous a-t-on dit: "va lire ce texte absolument, tu verras c'est magnifique, et la fin est sensationnelle!" et vous voilà à la poursuite de cette fin. Savez-vous pour quelle raison vous recherchez le sensationnel? Pourquoi lisez-vous des livres? Qu'est-ce que cela vous apporte et pourquoi cela même est quelque chose que vous désirez? Êtes-vous vraiment certain que vous êtes la cause autonome et absolue de tout ce cirque, l'êtes-vous vraiment? Et si vous êtes la cause de vous-même, comment avez-vous pu vous mettre au monde, par votre propre volonté? N'avez-vous pas des parents qui vous ont jeté là sans votre consentement, consentement qui d'ailleurs n'existait pas encore? Vous me direz que dès l'apparition de votre conscience, vous êtes devenu autonome, mais pouvez-vous me dire au juste ce que vous êtes réellement: un corps, un esprit? Qu'est votre esprit: impulsions électriques de votre cerveau? Mais qu'est le monde qui apparaît en vous, que vous vous représentez? Qu'est le vert que vous voyez, comment naît-il d'une impulsion électrique, où se fait la transformation et par quel miracle?

Continuez de choisir tout de même, de toute façon vous n'avez peut-être pas le choix, songez-y, ruminez cette idée jusqu'à devenir fou ou bien jusqu'à être en paix. Continuez de vivre et apprenez à voyager sans guide, sans plan ni boussole, les plans et les boussoles ne sont que des humains devenus fou et qui pensent être toutes choses en ce monde. Avancez, reculez, bougez simplement, si tant est que ces notions ont encore un sens alors même que toutes requièrent un référent, référent qui lui-même aurait besoin d'un autre référent et ce à l'infini. Evoluez dans cet espace, perdez-vous dans le vide comme en un voyage au coeur d'une fractale. La seule verité est cet instant présent qui vous fait vous sentir vivant, qui vous procure cette singulière vibration sentimentale qu'est le battement de l'instant sur lequel vous glissez, il n'y a pas de mots pour ça, vous ne pouvez pas l'échanger, tout juste le vivre. Aussitôt vécu aussitôt reparti. Votre vie c'est ça, c'est vous, c'est ce maintenant qui est inqualifiable, ce maintenant qui est tout et dont l'écho résonnera encore toute votre vie durant. Votre vie c'est votre monde, votre petite féérie soliptique de laquelle vous ne sortirez jamais, vous n'aurez jamais connu qu'elle car avant vous n'existiez pas en tant que conscience, en tant qu'illusion d'être un individu, après la mort vous n'existerez plus non plus sous cette forme de délire. Vous êtes plongé pour l'éternité dans ce vous qui demeure au bout de chaque regard, accroché sur chaque horizon, dans chaque odeur et chaque goût ressenti: pensez à cela, ce que vous sentez n'est que vous, les sensations ne sont pas des choses dont les gens s'emparent et qu'ils peuvent s'échanger. Comment savoir si le vert de la feuille que vous observez est bien la même singulière sensation qu'expérimente au même moment votre voisin? Comment le savez vous? Vous utilisez des mots pour partager cette expérience, mais le mot doit être interprété, c'est à dire vécu, et alors que reste-t-il derrière le mot? Vous pouvez pointer du doigt la même chose que votre voisin autant que vous voudrez, jamais vous n’atterrirez dans sa tête, jamais vous ne serez lui, jamais vous ne saurez. Toute votre vie durant il n'y aura que vous, vous vous vous, rien que vous. Toutes vos tentatives de communication et de partage sont des échecs programmés, de vaines gesticulations. Oh vous provoquerez des sentiments et des instants de vécu chez autrui, c'est certain, mais jamais vous ne saurez si ce que vous lui exprimez est bien ce qui s'imprime en lui, jamais vous ne connaîtrez la vie de cet Autre à qui vous tendez pourtant la main désespérément, pour ne pas mourir tout seul, mourir d'angoisse dans votre peau et dans l'immatérielle (?) prison de votre conscience.

Alors faîtes des choix, continuez de vivre des vies, de changer sans cesse, de chercher partout ce qui n'est nulle part. Car il n'y a nul Dieu, nulle réponse, nulle valeur, nul étalon, nulle loi, nul guide, il n'y a rien en dehors de vous que le "silence déraisonnable" de la réalité qui est tout ce que vous n'êtes pas à l'instant présent. Vous ne saurez jamais car il n'y a probablement rien à savoir, le concept même étant une vaste escroquerie, pareille à ces funestes histoires que content les religions. Il n'y a rien à savoir comprenez-vous cela? Il n'y a rien au-dessus de vous, pas de matière, par de particules élémentaires, pas de réalité qui soit une chose en soi, un absolu inaltérable et défini à partir duquel vous pourriez trouver un sol solide sur lequel évoluer, sur lequel planter votre arbre de la connaissance, et sur lequel construire votre maison et vos écoles et toutes vos institutions. Il n'y a pas une once de réalité qui soit vraiment extérieure à vous et qui résiste aux fluctuations de votre temps propre, de votre position, de votre moment cinétique. Tout collabore avec vous, le monde se met d'accord avec votre être bien avant que vous puissiez même en avoir conscience, il se présente toujours sous son meilleur jour, pour vous, exclusivement, le monde n'apparaît tel qu'il est que pour vous-même, privilégié absolu, élu des dieux, unique. Pour chacun un monde différent et chaque monde est un absolu indépassable. Songez à cela, chacun de vos semblables est un univers absolu et absolument forain et inaccessible. L'autre est impensable, inconcevable, à peine y pensez-vous qu'il n'est que le reflet de votre effort pour le saisir.

Continuez de vivre, faîtes ce que bon vous semble, laissez-vous porter, épousez la courbe du présent que vous êtes. Car enfin vous cherchez Dieu et n'avez de cesse de trouver à sa place le néant que vous êtes: il faudra un jour en tirer la conclusion qui s'impose. Le monde est votre création personnelle. Même ce message n'est qu'un prétexte, une matière à votre créativité interprétative, vous en ferez ce que vous avez toujours voulu en faire, vous n'y découvrirez que vous-même. En effet nous sentons l'Autre, nous sentons bien qu'il existe par-delà nous même, dans cet ailleurs inconcevable parce qu'il nous force à envisager ce qu'est la mort, le rien, par le prisme de la vie, et de la totalité que nous sommes. Nous sentons bien cet Autre, nous nous heurtons à lui, mais ne pouvons rien dire à son égard, rien en représenter sous peine de le faire mentir et d'y imposer encore et toujours un portrait de nous-même. L'Autre est bel est bien cet infranchissable, cet absolu qui nous demeure interdit, et qu'on se le dise de dieu à dieu: nous n'aimons pas l'interdit...

jeudi 4 septembre 2014

Abîme

Il y a tant d'espèces de fleurs sur cette Terre, et chacune est un abîme.
Tant d'animaux, tant de courbes, tant de grains de sables, et chacun est un abîme où se perdre.
Je suis une personne simple, sans trop d'imagination, sans trop de folie ni d'originalité.
Ma vue est simple et perçante, elle est possédée par cette volonté d'aller toujours au-delà, sans limite.
Si j'observe vos yeux c'est votre âme que je cherche, le lourd volcan de vos pensées.
Si j'aperçois, derrière votre regard, vos pensées, je cherche leur origine possible.
Ce que je ne peux voir je l'imagine tellement fort que je l'ai sous les yeux.
Les objets de mon expérience ne sont pas limités à la matière objective, ils sont projetés par mes pensées devant moi, je les vis comme des réalités dont je dispose alors à ma guise.
Partout, des abîmes, des abîmes à percer et qui s'écoulent en d'autres abîmes sans fond.

Je suis quelqu'un de simple qui aime la profondeur complexe et infinie de la simplicité.
J'aime plonger là où les unités deviennent multiplicités composées, là où le sol est un ciel, où les instants sont des durées.
Tel un ver je creuse chaque chose pour en découvrir l'abîme originel et fondamental.
Mon regard est au service des profondeurs.
L'abîme n'est pas une chose que je pourrais saisir en une image.
L'abîme c'est bien moi, c'est ce processus en acte de ma vue qui plonge dans les entrailles du vide, C'est le vide que je suis et qui s'érige partout, se fait jaillir en chaque rien.

Mélodies et fragments de notes brisées, qu'ai-je d'autre encore en ma tête?
Mélodies en lesquelles je pourrais vivre et mourir.
Abîme dans des abîmes, abîmes qui sont la vie et la mort, l'instant et puis l'éternité.
Abîmes du sens et de mes mots qui sont efflorescences.
Abîme, écume de mouvement.
Abîme où je résonne encore.

mercredi 3 septembre 2014

Sans auteur

Chaque instant est un carrefour où mon coeur fou se perd
Et ma tête en tous sens sous le rythme accélère
J'ai voulu voir tous les chemins
J'ai voulu voir toujours plus loin,
Il n'y a plus rien m'entendez-vous
Il n'y a plus rien partout...
Se saisir de soi est un objectif noble
Je me sers des mots comme de filets
Mais je n'attrape que des reflets
Car se saisir de soi est impossible.

Partout, nulle part, le moi c'est ce tout qui n'est rien
Ou pas assez, trop peu tangible
Et à dire vrai sans vérité,
Jamais ici, jamais là-bas
Cependant jamais loin.
Je cesse là de chercher
Demeurant ailleurs à jamais
Je suis dans les silences de mes mots
Dans l'impensé de mes pensées.

Je suis une arrière-boutique sans porte ni fenêtre
Et qui croit qu'elle existe
Sans que personne ne l'ai vu.

Être - vérité = Rien = Tout

La vérité spéculative étant enterrée, le jugement se dissout et il ne reste alors plus que les faits et les sentiments; mais ceux-ci sont aussi une forme de jugement synthétique (en tant que synthèse d'états).

Il ne reste donc plus qu'une chose: mouvement; mais le mouvement aussi est un jugement se basant sur un référentiel.

IL ne reste donc plus que la simple présence, c'est à dire Rien, ce Rien qui contient toutes choses.

Praxis cinétique

Il n'y a plus rien. Plus d'objets de désir qui vaillent la peine d'être courtisés, plus de théories qui vaillent la peine d'être bâties, plus de lieu qui vaille la peine d'être un chez-soi. Que seraient toutes ces choses pour l'éternel voyageur? Autant de palais et d'objets singuliers placés sur sa route, dont chacun est un moment d'une musique qui se joue sans jamais s'arrêter. Que vaut de plus qu'une autre n'importe quelle pensée singulière, aussi brillante soit-elle, lorsqu'on se place à la fois en-deçà et au-delà de de toutes pensées, précisément là où elle n'est que le mouvement et l'acte de penser.

Il n'y a plus rien à croire, nulle part où s'arrêter pour qui s'installe dans le mouvement. Le présent, ici, n'a pas d'histoire et nul avenir, bien qu'il en soit la condition d'existence. Je suis aujourd'hui, et peut-être l'ai-je toujours été, ce voyageur prenant racine dans le déracinement de l'impermanence. Je suis aujourd'hui ce qui devient et ne se laisse circonscrire en aucune définition.

D'un parc

Planté au milieu de la superficie d'un petit parc urbain, sur la surface d'une planète sphérique, j'écoute à mesure que je les prononce les pensées qui s'écoulent en moi. Peut-être suis-je un type bizarre d'être humain, allez savoir; je pourrais rester des heures, peut-êtres des années dans cette lente méditation qui voit le temps s'enfuir au rythme de mes phrases. Je m'exécute en un dialogue silencieux avec moi-même, et cela me satisfait, c'est l'oeuvre de ma vie, éphémère et absurde comme le présent, et pourtant, comme lui toujours là. Quand d'autres travaillent, construisent, accumulent, projettent, je reste seul avec mon temps propre, en équilibre sur sa crête.

Peut-être nous autres, navigateurs de l'immobile impermanent, sommes-nous une impasse de l'espèce, une sorte de bourgeon pétrifié au sein duquel nulle évolution n'est programmée. Je ne le saurai jamais. D'ailleurs en quoi les bâtisseurs de tous poils représenteraient-ils un succès plus fécond sur l'élan de la vie? À une certaine échelle, tous les grands projets, même les plus immenses, finissent par n'être plus qu'un instant, bientôt englouti par l'éternité. Ils auront certes marqué leur époque, mais celle-ci anéantie, il ne restera plus rien, comme si aucune de ces agitations n'avaient eues lieu. Le monde n'a pas d'autre mémoire que ce présent amnésique qui repeint tout en neuf sur son passage. La causalité même s'apparente probablement à une sorte d'illusion humaine que de prosaïques raisons de survie ont érigées en modèle universel. À la base de toute explication demeure un arbitraire fondamental inexplicable: toute raison s'érige sur l'irrationnel et tout conditionné sur un phantasmatique inconditionné. Chaque humain en porte en lui les stigmates dans ce curieux mariage d'ordre et de chaos où ce que nous appelons liberté prend racine dans la plus profonde nécessité naturelle.