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lundi 11 mars 2024

Aphorisme du zéro et de l'infini

"Moi, qui n'ai jamais rien fait dans ce monde,

Moi, qui n'ai jamais su vouloir ni savoir,

Moi, qui ai toujours été l'absence de ma volonté"

Alvaro de Campos

vendredi 16 février 2024

Aphorismes de la génialité

"Le génie est inadaptation. Et donc névrose."

Alvaro de Campos

 

"Le génie est l'équilibre du déséquilibre."

Fernando Pessoa ( Alvaro de Campos ? )

mardi 12 décembre 2023

Aphorisme de l'action

"Si vous êtes un geste, restez donc avec les autres, qui m'attendent, dans ce rendez-vous raté qu'est la vie."

Alvaro de Campos

samedi 4 juin 2022

Aphorisme patriotique

"Ma patrie, c'est où je ne suis pas"

Alvaro De Campos

lundi 19 juillet 2021

Aphorisme de la célébrité

 "La célébrité est irréparable. Tout comme le temps, elle nous empêche de faire machine arrière."

Fernando Pessoa, Chronique de la vie qui passe.

vendredi 16 juillet 2021

Pessoa: littérature et servilité du rêve

 "J'ai laissé derrière moi l'habitude de lire. Je ne lis plus rien sauf un journal par-ci par-là, littérature légère, et, à l'occasion, des livres techniques en rapport avec ce que j'étudie à ce moment-là et quand ma seule réflexion ne suffit pas. Le genre défini par la littérature, je l'ai quasiment abandonné. Je pourrais le lire pour apprendre ou par goût. Mais je n'ai rien à apprendre, et le plaisir que l'on retire des livres est du genre à pouvoir être remplacé avec profit par ce que m'offre directement le contact avec la nature et l'observation de la vie. Je me trouve maintenant en pleine possession des lois fondamentales de l'art littéraire. Shakespeare ne peut plus m'apprendre à être subtil, ni Milton à être complet. Mon intellect a atteint une flexibilité et une projection telles qu'il me permet d'assumer n'importe quelle émotion que je souhaite ou de pénétrer aisément n'importe quel état d'esprit. Quant à ce pour quoi l'on lutte toujours, dans l'effort et l'angoisse, l'être complet, il n'y a aucun livre qui puisse servir. Cela ne signifie pas que j'ai secoué la tyrannie de l'art littéraire. Je l'accepte, mais simplement assujettie à moi-même. Il y a un livre qui m'accompagne toujours -- Les aventures de Pickwick. J'ai lu, à plusieurs reprises, les livres de M. W.W. Jacobs. Le déclin du roman policier a fermé, à tout jamais, une de mes portes d'accès à la littérature moderne. J'ai cessé de m'intéresser aux gens qui ne sont qu'intelligents -- Wells, Chesterton, Shaw. Les idées de ces gens-là sont celles qui viennent à l'esprit de beaucoup d'autres qui ne sont pas écrivains; la construction de leurs œuvres est de valeur entièrement négative. Il fut un temps où je ne lisais que pour l'utilité de la lecture, mais maintenant je comprends qu'il y a très peu de livres utiles, même ceux qui traitent de sujets techniques qui peuvent m'intéresser [...]. Tous mes livres sont là pour consultation. Je ne lis Shakespeare qu'en rapport avec le "Problème de Shakespeare"; le reste, je le sais déjà. J'ai découvert que la lecture est une forme servile du rêve. Si je dois rêver, pourquoi ne pas rêver mes propres rêves?"

 

Fernando Pessoa, notes personnelles, non datées. Traduction Léglise-Costa.

Pessoa: souffrance et solitude

 "Je n'ai personne à qui me confier. Ma famille ne comprend rien. Je ne peux pas déranger mes amis avec ces choses-là. Je n'ai, en réalité, aucun ami intime, et même ceux que je peux appeler ainsi, au sens où généralement on emploie le mot, ne sont pas intimes dans le sens où, moi, j'entends l'intimité. Je suis timide, et je répugne à faire connaître mes angoisses. Un ami intime est un de mes idéaux, un de mes rêves quotidiens, bien que je sois sûr que jamais je n'aurai un vrai ami intime. Aucun tempérament ne s'adapte au mien. Il n'y a pas un seul caractère au monde qui se soit montré proche de ce que je suppose doit être un ami intime. Finissons-en. Des maîtresses ou des fiancées, je n'en ai point; et c'est là un autre de mes idéaux, bien qu'après avoir cherché dans le for intime de cet idéal, je ne trouve que vacuité et rien d'autre. Impossible tel que je le rêve! Pauvre de moi! Pauvre Alastor! Ô Shelley, comme je te comprends! Pourrai-je me confier à ma mère? Comme je souhaiterais l'avoir auprès de moi! Pourtant je ne peux pas me confier à elle. Mais sa présence aurait allégé mes souffrances. Je me sens abandonné comme un naufragé au milieu de la mer. Et que suis-je d'autre, après tout, sinon un naufragé? Je ne peux donc compter que sur moi-même. Comment pourrais-je avoir confiance en ces quelques lignes? Aucune. Quand je les relis, mon esprit souffre en comprenant combien elles sont prétentieuses, combien elles jouent à se présenter comme pour un journal littéraire! J'ai même fait du style avec certaines d'entre elles. La vérité, cependant, c'est que je souffre. Un homme peut aussi bien souffrir dans un costume de soie qu'au fond d'un sac ou sous une couverture rapiécée. Rien d'autre."

 

Fernando Pessoa, note non datée. Traduction Pierre Léglise-Costa.

Pessoa: le vide et l'infini

 "Les disciples de Nietzsche sont innombrables dans le monde entier, il y en a même qui ont lu l'œuvre du maître. La plupart n'acceptent de Nietzsche que ce qui est déjà en eux, ce qui, d'ailleurs, arrive avec tous les disciples de tous les philosophes. La minorité [erreur de traduction? Faut-il comprendre majorité?] n'a pas compris Nietzsche, c'est celle-là qui suit fidèlement sa doctrine. La seule grande affirmation de Nietzsche est que la joie est plus profonde que la douleur, que la joie requiert une profonde, profonde éternité. Comme toutes les pensées culminantes et fécondes des grands maîtres, cela ne signifie rien du tout. C'est la raison pour laquelle elle agit si profondément dans les esprits: on ne peut mettre absolument tout que dans le vide total."

Fernando Pessoa, morceau de lettre incomplète, sans destinataire ni date.

lundi 22 mars 2021

Métaphysique pessoenne: la sensation et les choses

"être une chose c'est ne rien signifier du tout.

Être chose c'est ne pas être susceptible d'interprétation."


"Je regarde, et les choses existent.

Je pense et j'existe moi seul."

Ces quatre vers extraits des poèmes non assemblés d'Alberto Caeiro sont encore à eux seuls un petit traité de métaphysique. Le poète sensationniste discrédite d'emblée la signification pour la bouter hors du domaine des choses. Signifier c'est interpréter or une chose n'est pas "susceptible d'interprétation".

Les choses dont parle l'auteur ce sont les sensations. Ces sensations sont absolues bien que subjectives. Elles font exister ou plutôt sont la preuve immédiate et intuitive que le monde senti existe comme chose extérieure réelle. Regarder une chose, la sentir de n'importe quelle manière c'est témoigner de son existence. Non pas celle de l'objet, qui est une reconstitution perceptive et suppose l'action des facultés cognitives, mais celle de la chose sentie. S'il s'agit d'une fleur, on ne dira pas que la fleur existe mais pour être plus précis que cette chose que je vois sous la forme d'une ligne verticale de couleur verte (la tige) surmontée d'une couronne colorée (l'ensemble des pétales)  est réelle. Si je sens cette fleur, je dirai alors que le parfum singulier qui semble émaner de cet endroit de l'espace est réel. Fleur, tige, couleur, toutes les étiquettes de la langue correspondent à des conventions factices qui font signe vers des concepts problématiques qui synthétisent un ensemble de sensations disparates, senties à différents moments et indépendantes, dans l'unité artificielle d'un objet. Ce n'est jamais l'objet qui existe mais les sensations pures sont elles absolument vraies, ce sont elles le réel extérieur. "Tout comme les paroles échouent quand elles veulent exprimer la moindre pensée, ainsi les pensées échouent quand elles veulent exprimer la moindre réalité."

La sensation n'est pas une interprétation. Caeiro est tout sauf kantien, et a fortiori tout sauf idéaliste. Il n'y a pas des formes transcendantales de la sensibilité qui sont la condition d'apparition du monde extérieur, ce qui ferait alors des sensations des mensonges par rapport à une entité primordiale qui existerait véritablement, indépendamment de nos facultés à la saisir, et donc hors de nos catégories. Le réel est sensible et il coïncide totalement avec la manière dont il est senti. Pour cela il devient problématique d'affirmer l'existence d'un monde objectif, puisque chaque sensation est unique il n'y a pas à s'interroger sur la persistance d'objets sous-jacents aux sensations et qui demeureraient identiques entre deux moments ou entre deux points de vue différents. C'est ce que l'auteur nomme "réel".

Le fait que les choses sont sans interprétation les désigne comme se donnant immédiatement, elles ne requièrent aucun travail actif de l'esprit (concept hautement artificiel pour l'hétéronyme) qui viendrait autrement nécessairement y mettre du sien et dénaturer la chose même.

Dès lors que la pensée intervient, cesse alors d'exister le monde comme vérité extérieure. Les choses ne sont plus. Par la pensée, la seule chose qui se donne à saisir c'est le "moi seul". La pensée n'est pas faite pour ouvrir sur l'extérieur, elle n'est pas un organe de l'intuition extérieure. Elle n'a pour objet qu'elle-même et ne peut qu'invariablement produire un monde soliptique où ne sont saisies que des reflets du moi qui surcharge d'idéalité tout objet, s'affranchit de la matière pour produire elle-même le monde qu'elle croit alors sentir comme une chose extérieure. La pensée est toujours un processus réflexif par lequel les choses perçues ne sont que des prétextes à refléter différents profil du moi (lui-même concept artificiel). Penser, c'est projeter autour de soi le néant de soi-même, interpréter c'est remplacer l'éclat immédiat de l'être senti par le récit médiateur d'objets factices qui constituent médiatement un monde, et parce qu'il est le produit d'une médiation, ne correspond plus qu'à des concrétions cognitives, à des idées qui se mélangent à la matière sentie et brouillent les réalités singulières se donnant de manière absolue dans la sensation. Rien, dans le réel, n'est quantité, rien n'est identité, toute chose sentie n'existe que dans l'instant de la sensation et toute sensation ultérieure sera essentiellement autre: le réel est une singularité absolue qui se donne immédiatement par proximité sensible. Le monde au-delà de nos sensations est une idée, une chimère, il n'est qu'un agrégat imaginaire à nos sensations réelles.

vendredi 19 mars 2021

Métaphysique pessoenne: sujet et prédicat

 Pessoa, dans un poème des fragments non assemblés, décrit le bonheur et la paix qu'il prête à un berger de la montagne avec son troupeau, en les observant, et il s'interroge alors sur le statut de cette paix:

"Toi tu n'en jouis pas, parce que tu ignores que tu en jouis.

Moi je n'en jouis pas, parce que je sais que j'en jouis."

En deux vers est résumée l'immense précision chirurgicale de Pessoa dans sa manière de ramasser de grandes théories métaphysiques. Ce qui saute aux yeux par ces deux vers c'est, d'une part la richesse d'analyse qui peut en découler, d'autre part la stricte détermination des interprétations possibles: le poète a scellé, par ces deux vers, la lecture et la compréhension comme s'il avait écrit là des dizaines de pages.

Le berger ne jouit pas de la paix: pourtant, Pessoa attribue bien le prédicat de paix au sujet berger dans les débuts de son poème. Mais celui qui prédique n'est pas le berger lui-même qui, lui, ignore qu'il en jouit. Ainsi on comprend que toute qualification d'un sujet par un état, toute détermination d'une substance par une qualité ne peut se faire que par la scission d'un sujet et d'un objet. Par cette scission pourtant, le sujet est détaché de la qualification et seul l'acte de prédication peut relier les deux entités.

Est-ce que le berger ressent cette paix que l'auteur lui attribue? Il est impossible, ou plutôt interdit, de répondre à cette question à sa place puisque ce dernier ne se la pose pas, il ne se prend par pour objet en scindant sa personne en deux entités: le sujet-objet (phénomène) qui est observé par un sujet transcendantal (condition du phénomène). Le berger est irrémédiablement hors de ces catégories logiques. Tel un pour-soi, il est plein de lui-même, sans distance à lui-même, et pour cela il demeure unique, total (c'est à dire sans analyse possible en éléments constitutifs), absolument singulier.

Mais alors, est-ce à dire que cette paix ne peut être goûtée que par celui qui opère, par l'acte de prédication, la liaison d'un sujet et d'une qualité? Ce serait précisément l'acte de distanciation (sujet-objet) par l'analyse épistémologique qui permettrait au sujet de ressentir l'état prédiqué à la substance. C'est d'ailleurs cet acte de prédication qui fait advenir cette qualité particulière nommée ici "paix". Il la détermine et la définit, par différenciation de lui-même et d'autres états possibles, il dessine un contours dans la pseudo indétermination spatio-temporelle.

Mais celui qui opère cette action ne peut non plus ressentir cette paix car, pour la ressentir, il faudrait pouvoir coïncider avec elle et non l'observer à distance, quitte à se la rattacher à soi par la suite. Dès lors que cette paix devient objet, dès lors qu'on la définit comme objet cohérent et individuel, elle est à distance du sujet, séparée de lui par un abîme ontologique. Savoir que l'on jouit c'est précisément ne pas jouir. De la même manière que jouir sans le savoir, c'est tout simplement ne pas jouir.

Hors de la dissection épistémologique opérée par la conscience, rien n'est dicible, tout est événement ineffable dont seuls les sens peuvent témoigner de manière immédiate par la sensation vécue. Même la perception, en tant qu'ensemble de sensations organisées et ordonnées, ne peut prétendre à nous donner accès à cette immédiateté des choses où seul existe une image vécue, unique et pleine, non divisible en parties. Ce n'est que rétrospectivement, par analyse consciente, que les sensations se transforment en perceptions et que la perception se détache d'elle-même pour produire le concept d'un sujet transcendantal.

Ce dernier ne ressent rien, il ne vit jamais rien puisqu'il est précisément cette indétermination sur le fond de laquelle surgissent qualités et les choses.

Les choses existent-elles, hors de la scène du sujet transcendantal et sa fiction épistémologique? Nous verrons par la suite quelle réponse apporte le poète portugais à cette question naïve.

jeudi 22 novembre 2018

L'individu de la mansarde

Je n'ose plus écrire.

Cela fait tellement longtemps que j'en caresse l'idée qu'il n'est presque plus nécessaire de le faire; voire qu'il m'apparaît comme une trahison de seulement l'envisager. Comme si l'idée s'était irrémédiablement séparée de l'acte, qu'elle était devenue une chose extérieurement réelle - comme sont les gestes qui composent l'acte d'écrire - et qu'il m'était désormais impensable d'embrasser ces deux réalités contradictoires.

Je suis peut-être définitivement l'homme du possible. Je n'ai fait que trahir l'action, seconde après seconde, comme j'ai pu étouffer dans l'oeuf chacun de mes élans pour qu'ils ne puissent grandir. Et tous ces destins avortés qui me poignardent depuis l'au-deçà ne sont qu'esquisses d'intentions à peine formulées sur le palimpseste de ma vie. Ma vie qui ne veut plus rien dire.

Je n'ai jamais rien fait d'autre que trahir. Trahir, trahir, trahir, sans égard pour ce qui est et ne peut s'abreuver que des seules pensées. Avoir à être me fatigue d'avance, je suis né fatigué d'être vivant. Et peut-être effrayé aussi... Effrayé par la simple considération de l'incalculable somme de deuils passés et à venir qu'implique la liberté, fut-elle dérisoirement mince - et peut-être apocryphe.

J'étais effaré lorsque tu m'as jeté au visage, après une énième dispute - comme qui n'a plus rien à perdre -, la spontanéité pure et désarmante d'un amour qu'aucun doute ne vient obscurcir, qu'aucune délibération n'entrave, qu'aucun calcul n'ajourne. Je me suis aussitôt réfugié dans mes idées, emmuré dans le monde familier et sans attente de mes ruminations récursives. Je n'ai pas répondu au monde qui attendait pour être, je n'ai pas pris la main aux gestes qu'il aurait fallu réaliser pour qu'il fleurisse enfin, le voeu de notre amour.

À cet instant je me dis qu'aucune montagne n'aurait jamais été gravi si chaque sommet avait été derechef analysé et traduit en une quantité définie d'énergie cinétique à fournir pour y parvenir, si même l'ivresse des sommets avait été anticipée en une longue énumération d'étapes insignifiantes et préparatoires, et qu'enfin, tout bonheur possible était disséqué en ses composants ultimes, fragmenté en sa chaîne causale. Et c'est pourtant cela que je fais avec toute chose... Mais je n'ai gravi nul sommet, moi.

Chez moi l'amour demeure lettre morte. Je n'y condescend pour ainsi dire jamais, j'oppose un refus de principe qui me rendit incapable de plonger dans le monde ineffable de ton amour en acte. Je t'ai trahi, comme toute chose que j'ai aimée, car il semble que ce ne soit jamais les choses que j'aime mais seulement l'idée qu'elles représentent... Pour les gens comme moi, s'il en est, l'amour est un concept, et il n'y a rien que l'existence réelle et en acte puisse lui adjoindre.

Et si j'ai pu te trahir alors il n'est pas étonnant que je trahisse autant l'écriture, en y allant de mes poèmes soliptiques. Mais même poétiser en dedans demande trop d'effort, les phrases sont des embryons inutiles et je retrousse alors la poésie à son noyau: la grammaire de mes sentiments sublimes. Que j'aime à les définir ainsi - sublimes - car alors il me semble être le plus grand poète de tous les temps, et que chacun de mes sentiments est un monde où s'enclore dans l'extase d'un vertige abismal.

Je n'ai jamais autant pensé à écrire qu'en ces jours où je n'écris pas. Je crois que je n'ai jamais été autant écrivain qu'en ces moments, mes romans se condensant dans le vécu passager d'un regard intérieur. Un regard qui sait tout parce qu'il s'en vient de la chaîne autoréférencée du savoir pour ne plus chercher enfin à connaître. Ces regards, ou fenêtres, diantre ces mondes que je vis dans l'ultime savoir sceptique - celui de l'ignorance - sont mes plus belles oeuvres. À chaque crépuscule je dois alors expier le fait qu'elles ne s'expliqueront jamais dans la réalisation d'une suite de gestes mondains, que je me crois, en droit, capable de réaliser, mais que, de fait, je demeure inapte à exécuter. Et j'attendrais néanmoins un geste de votre part?!

Non. Le néant doit être ignoré, car il ne saurait en être autrement. Mais nul ne vit le néant en acte, seulement sa possibilité, ce qui n'est déjà pas rien, puisque c'est presque tout...

Je me rêve donc écrivain, mieux: je m'affirme et m'auto-proclame comme tel au fond de ma mansarde. J'ai moi aussi fini dans une mansarde, et suis peut-être enfin devenu à perpétuité moi aussi l'individu de la mansarde. Ô combien de rêves abritè-je en ma nullité... Je suis l'amas de chair qui se cogne contre le toit incliné de la mansarde, paradoxalement trop petite pour mes gestes insignifiants, et infiniment trop grande pour mon âme minuscule.

Je trahis comme je respire, ai tellement trahi, dans cette juxtaposition d'anéantissements que forme mon destin, que je trahis jusqu'à la trahison même, dans la décision - en est-elle une? - de me lever du lit où je gisais tantôt, pour m'asseoir à la table qui supporte à présent le poids minime de mon bras qui écrit, ainsi que l'impondérable masse des inepties qui se logent dans la non-mansarde d'un esprit sans sommeil.