mercredi 26 septembre 2018

Lettre à mon jeune moi

Ici c'est Sabra et Chatila tous les jours. Des mensonges et des plaies alors tu sais, t'efforces pas trop de pousser. J'aimerais te dire que tous tes rêves sont exaucés, au moins les plus importants... Mais la vérité c'est que chez moi on tue les rêves à la racine et laisse les âmes en chantier. Nos vies sont un brouillon pour une poignée d'élus qui tracent leur vérité sur le calque du profit.

Toi tu faisais coalition avec d'autres pour renverser un plus fort dans la cour mais ici les puissants s'unissent tous pour faire régner leur loi. Personne ne se réunit plus, personne ne fait comme dans les dessins animés où les plus faibles parviennent à défaire un ennemi qui concentre en lui un pouvoir démentiel... Tout le monde a peur et le monde n'est jamais sauvé. Il y a des lois qui le condamnent.

Je ne vois pas bien quoi te dire. Tu pourrais aussi bien arrêter de respirer que tu ne raterais plus rien. Mais la survie est un instinct puissant que tu ne peux encore contrôler. Vient un âge où cela est possible... Je crois aussi qu'il y a des cas bien plus désespérés et des petits coeurs de ton âge qui cessent délibérément de battre la musique.

Ta maladie bonhomme s'appelle liberté, et c'est la pire que l'on puisse contracter... Crois-moi si l'on pouvait la détecter avant la naissance, par diagnostic prénatal, tu n'aurais jamais connu l'inconvénient d'être né ici. Si je devais donner un nom à ce paradigme, ce serait la matrice, en référence à un film qui, voulant grossir le trait, faire oeuvre de fiction, décrit en fait par une analogie pertinente la condition humaine.

Ne deviens pas un homme. Enfin, si... Mais d'une certaine manière... Laisse une douce Aurore se charger de cela. Pour le reste, abstiens toi. Fuis... Aussi loin que tu peux en toi-même, quitte à te perdre en route et ne plus trouver la sortie. Après tout, sort-on jamais de soi-même?

Et puis de toute manière adulte n'est qu'un mot mensonger, un concept utopique. La vérité c'est que de l'enfance à la mort, tu restes dépendant, sous respiration artificielle de pots d'échappements, assigné à l'école obligatoire, celle où tu n'apprends rien, où il n'y a rien à comprendre. Tu seras le détenu jusqu'à la dernière pensée... Je prie pour qu'un jour elles te trahissent, qu'elles se fassent dociles, qu'elles perdent leur acuité et cet esprit critique que suit la liberté comme un sillage.

Ne sois pas singulier, ou seulement dans les discours. Démarque-toi par tes vêtements, choisis une marque à laquelle t'identifier, un style. Trouve une communauté pour détester les autres et te sentir exister. Ne crée pas, rentre dans une des cases qui t'attendent, une cellule bien apprêtée peut faire un foyer acceptable pour un condamné. Travaille, contre de l'argent, regarde les informations, fonds-toi dans l'ère du temps. S'il te plaît ne lis plus de livres. Cesse de t'instruire. Ne sois pas trop curieux, ne cherche pas la vérité, et encore moins ce que le mot veut dire... Aime la main qui te bats, parce que c'est elle qui te nourrit.

Je ne sais plus trop quoi dire, j'aimerais qu'ensemble nous infléchissions le tragique destin qui me conditionne et fait de chaque instant le refrain entêtant d'une douleur devenue peau. Si j'en avais le courage, ou plutôt l'absence de honte, je t'intimerais dès aujourd'hui de ne jamais devenir celui que tu es. Puissent ces paroles n'avoir jamais été prononcées, dans ce monde et ces innombrables reflets.

dimanche 16 septembre 2018

La fin

Ce texte est une "commande" livrée avec du retard... Pour Jérémy.

La fin est le début d'autre chose, c'est ce qu'on dit toujours pour consoler les âmes moroses. Mais je ne cherche pas à consoler car la fin emporte toujours un fragment de nous-même, que ne ramène point l'écho hanté de nos anciens je t'aime. Je connais tes angoisses, et le rythme effréné du tambour de ton coeur lorsque tu crois être l'élu du privilège de ses regards. Un peu d'attention peut peindre de lumière des pièces oubliées qu'on destinaient au noir...

Mais à trop espérer on finit par suspendre les eaux du destin, à rester prisonnier d'une éternelle nuit que n'attend nul matin. La meilleure main à saisir est avant tout la sienne, et montrer à l'aurore qu'on sait encore tenir les rênes. L'attelage de nos vies est souvent capricieux, mais derrière les mirages attendent des gens délicieux. Et, qui sait, peut-être un nouvel ange droit venu des cieux.

La fin est déjà passée, et nous sommes encore là, figés dans une lutte de chaque membre qui voudraient retourner au temps des pieux mensonges, des royaumes inventés. Car le passé, vois-tu, n'a jamais existé, et tout ce qu'on retient n'est qu'images tressées en un spécieux bouquet. Pourtant... Il est des fleurs vénéneuses que l'on a pris grand soin de ne point ramasser. Et ces vénielles ratures sur le velin du temps, rendent la peinture sublime, le tableau rutilant.  Chaque nuance nous rappelle alors ces grands et mystérieux arc-en-ciel qui lient, cruellement fugaces, le lit de la souffrance aux contrées de l'enfance.

Pourtant, ici, maintenant, après cette fin désastreuse que l'on croit la dernière, l'ultime intolérable, se tient le doux écoulement de la seconde en cours, baignée de sentiments bruissant comme velours. Et mille regards-fantômes qu'on garde en souvenir, n'égaleront jamais l'étreinte rayonnante d'un chaleureux sourire.

jeudi 13 septembre 2018

Poème énumératif: La seconde d'après

Les rats dans les égoûts
Les ouvriers à l'usine
Les rombières près des piscines
Les milliardaires sur des yachts
Les putes sur les trottoirs
Et parfois dans les yachts
Les enfants dans les écoles
Les maris dans les maîtresses
Les employés dans les bureaux
Les sous dans les ordinateurs
Les alcooliques dans la pisse
Les camées dans les rêves
Les bourgeois en vacances
Leurs enfants dans la coke
Le savoir dans les livres
Et quelques caboches encore libres
La sagesse pas sur Terre
L'arrogance universitaire
La galère en cité U
Les cafards y pullulent
Le bonheur en pilules
L'oubli dans les verres
Le mensonge dans les télés
L'ignorance dans les spectateurs
La corruption dans les gouvernements
La mélancolie dans les poèmes
La poésie dans la bohème
Les coeurs brisés dans les poitrines
La souffrance au creux de l'âme
La tristesse au bord des yeux
La beauté dans les tiens
Le changement dans la révolte
Le renouveau dans ses cent créations
Mon tourment dans ces vers
Ma paix dans leur libération
L'intranquillité dans la seconde d'après
Et toutes celles à venir.

dimanche 9 septembre 2018

Bientôt...

Il n'y a plus rien pour me guérir de ce destin manufacturé, ni les poèmes, ni la musique, ni quelque drogue inconnue ne suffiront à me guérir de mes semblables. Telle une terre souillée par les engrais chimiques, une terre qui s'éteint, j'exhale un désespoir nocif dans ma cellule à crédit. Du moins ne fais-je de mal à personne d'autre qu'à moi-même...

Les jours s'enchaînent telle une suite infinie d'humiliations quotidiennes, la vie de l'employé s'étale monochrome et bien rangée, comme des rails se perdant au loin d'un futur indifférencié. Il faut partir me dis-je, partir et ne jamais revenir au pays où les humains ont naturalisé la servitude, et se réjouissent même qu'on leur dise où aller et que faire du lever au coucher d'un soleil bénévole. Qu'est-ce que je partage encore avec ces gens? Avec leurs pensées? Leurs convictions, leurs croyances qui se sont phénoménalisées sous la forme d'un monde injuste où chaque vie n'a de valeur que par l'énergie qu'elle applique à se vendre au projet toxique de la civilisation.

Que me retient donc de prendre ma guitare et d'aller par les rues en jouant, espérant récolter quelques pièces, afin d'acheter à des chaînes de grande distribution une nourriture délétère et quelques litres de Styx vendus en canettes... Je pourrais déclamer mes poèmes et peut-être quelqu'un entendra, peut-être que se phénoménalisera aussi cette intériorité que je traîne comme une planète extravagante et exotique au sein du territoire où je suis détenu...

Peut-être me faut-il descendre encore plus bas dans les sous-sols du désespoir pour renoncer véritablement à faire miens ces dogmes qui me font souffrir et dont la logique si vulgaire me retourne de l'intérieur dans une sourde révolte qui s’émiette en quelques mélodies et songes musicaux. Descendre encore plus bas, à la limite extrême, où se développent les maladies modernes, les cancers et autres dégénérescences. Le monde s'est immunisé contre l'injustice, les gens ne la ressentent plus. Je pourrais avaler des pilules et vire heureux parmi eux, probablement, mais je préfère sentir la douleur qui se fait jour après jour de plus en plus vive, je préfère entendre et sentir me faire vibrer les entrailles le hurlement de mes cellules, la complainte en mineur de mon âme assaillie.

Bientôt je partirai d'ici, et je n'aurai pas honte! Je vivrai bohémien, me priverai de tout, comment cela pourrait-il être pire que de se voir ôter toute dignité, comme un chien en cage à qui on apporte tout de même de quoi manger; parfois un vieil os à ronger, afin qu'il supporte d'endurer ce destin, avec suffisamment d'espoir en poche pour garder la curiosité de prolonger son souffle jusqu'à l'aube prochaine.

samedi 8 septembre 2018

La fin des mensonges...?


Arrivera un jour où mon stylo fera silence. Probablement l'empoignerais-je encore, suspendant la pointe juste au dessus du papier - entre deux néants de possibles - mais nulle pensée ne viendra l'agiter. Figée, la voix de l'âme; pétrifiée par la conscience que tout propos, tout jugement est mensonge.

Un jour viendra la fin, la fin de mes histoires, de ces poèmes qui, prétendant dire une vérité à mon sujet, mentent dogmatiquement, c'est à dire de la pire des manières: d'une ignorance qui ne se connaît elle-même. Si j'écris cela aujourd'hui c'est que quelque part je crois encore à mes petits mensonges, je ferme l'oeil afin de vivre un peu et taire pour quelques minutes essentielles le tourment d'exister ici et maintenant.

Peut-être gagnerais-je à faire carrière de mes mensonges, à mentir pour de vrai, en connaissance de cause. N'est-ce pas cela vivre? Parvenir à se rendre aveugle les yeux grands ouverts?