lundi 31 octobre 2022

Peinture de nous

Dans l'ondoiement crépusculaire de ces vallées chlorophylliennes s'affiche l'horizon radieux d'un destin suspendu, entre deux nuits -- parmi tant d'infinis possibles -- qu'on aurait figé là, derrière les vitres d'un salon moderne, à travers les vitraux du salon-cathédrale où nous portons l'un sur l'autre ce regard accordé de deux âmes amoureuses -- et tout cet agencement de réalité semble figer en son dessin tous les soleils de tous les mondes heureux.

Je vois, à la proue de cette nef de vie, par le hublot de nos lueurs, le monde inexorablement tanguer, tandis que pour la première fois, la peur et le dégoût de tout cela me quitte, l'espace d'un instant qui, je l'espère, subsumera ma vie.

Ils ne comprennent pas, de leurs passions tristes, cette existence christique qui noue nos deux regards et semble un tant soit peu apaiser, une part de la souffrance du monde vacillant.

Ils ne comprennent pas...

Et nous ne comprenons pas, non plus, ce qu'ils comprennent au fond, depuis les fondations de leurs entrailles et de leurs cœurs, enfermés que nous sommes dans un style -- tous... autant que nous sommes.

À la proue de cette église, témoin silencieux de notre religion, sur la bastingage du jour qui décline, comme une marée lumineuse dans l'océan de nuit avec ses moutons d'espace-temps, sa houle gravitationnelle, portés par cette spire galactique nous existons parmi tant d'autres âmes: excessivement rapprochés et néanmoins infiniment seuls.

Nous ne faisons signe vers rien. Nous sommes de ce Tout, défectibles et sublimes.

Problèmes kantiens: matière (qualité) et forme (quantité)

On note, chez Kant, une distinction entre les formes a priori de la sensibilité (espace et temps), mobilisées par l'intuition pure, et la matière a posteriori de la sensation (qualité vécue), mobilisée par l'intuition empirique. Mais la seconde est bel et bien rendue possible par les premières, autrement dit c'est à partir du moule spatiotemporel que les qualités sensibles peuvent s'offrir.

Si l'esprit ne peut percevoir qu'à partir de ses formes a priori (l'espace et le temps dans le cas qui nous occupe), alors cela signifie que les qualités sensibles (couleur, son, texture, etc.) doivent pouvoir être entièrement exprimables par elles. Or un monde entièrement fait des formes a priori de la sensibilité est un monde géométrique (ou plus largement mathématique), dépourvu précisément de qualité. La qualité sensible est un donné, passif, qui nous vient de l'extérieur, mais Kant n'explique pas comment une telle qualité (une telle catégorie ontique) peut seulement être perçue dès lors qu'elle excède ou transcende les seules formes de l'espace et du temps.

Je vais tenter de m'expliquer plus clairement: il est impossible (d'après Kant lui-même) à partir du seul monde des figures et relations spatiales, de produire la qualité sensible (par exemple la couleur). Pour que cette expérience ontique advienne il faut qu'un élément purement extérieur (hétérogène) soit intégré par le système transcendantal de la sensibilité. Or si ce divers sensible est fondamentalement autre et irréductible à l'espace-temps géométrique, fait de quantités (et de leurs relations), alors il n'est pas expérimentable par l'homme. Pour qu'il le soit, il faut postuler une forme a priori de cette qualité qui soit de la même nature ontique. On ne comprendrait pas, autrement, comment l'espace-temps pourrait servir de fondement relationnel à quelque chose de radicalement différent, comment pourrait s'organiser une interaction entre ces deux catégories.

Sortir de l'aporie suppose de postuler que toute qualité est réductible à une configuration mathématique (spatiotemporelle) particulière, et qu'il n'est donc nullement besoin d'un apport extérieur pour produire le phénomène de qualités perçues. Si c'est bien la position d'un Hobbes, ce n'est absolument pas celle d'un Kant... Ce dernier ne nous explique absolument pas comment l'homme pourrait percevoir la qualité à partir des simples formes de l'espace et du temps, quand le premier ne nous explique pas comment la propriété émergente d'une qualité peut naître de rapports purements quantitatifs.

Jamais espace et temps ne sauraient encadrer des objets dont la nature n'est pas purement spatiotemporelle, or c'est précisément ce que suppose l'existence de la qualité en cela qu'elle contient un élément irrémédiablement hétérogène à l'espace et au temps, que les formes a priori de la sensibilité ne savent générer par elles-mêmes -- et qui leur est donc fondamentalement, et radicalement, étranger.

En fait, il apparaît que la séparation nette que fait Kant entre contenu (matière) et forme n'est pas tenable et suppose le même genre de bricolage ad-hoc auquel il recourt pour parvenir à insérer dans la causalité phénoménale (naturelle) une liberté nouménale.

Entendons-nous bien: la théorie proposée par Kant est époustouflante d'ingéniosité et permet de comprendre l'efficacité des mathématiques dans l'appréhension des phénomènes naturels. Cela dit, elle ne permet absolument pas d'expliquer l'union de la qualité et de la quantité, de la matière et de la forme: elle maintient une dualité stricte, une théorie de l'homme déchiré.

Mais ce n'est pas seulement là que le bât blesse: la théorie des formes transcendantales de la sensibilité suppose que tout peut se réduire à ce fondement spatiotemporel, ce que nie précisément Kant en refusant à la qualité la possibilité d'être générée a priori par les formes pures de la sensibilité. La qualité doit donc se mouler mystérieusement dans le cadre des formes de la sensibilité, absolument étrangère et pourtant au contact de celles-ci... inexplicablement.

samedi 8 octobre 2022

Phlégéthon

 Maintenant je vais m'écouler, tout au-dedans d'un autre... de lui: l'Avenir de mon échec totalitaire. De monde en expansion, je deviendrai trou noir, implosion au bout du refroidissement général. Une fois n'est pas coutume tout n'aura été que brouillon... Brouillon de moi-même, brouillon de conscience, brouillon d'humain, moment d'existence -- et tout cela n'aura mené à rien.

Ou peut-être que non, la preuve ces pas me mènent à toi... Tu continueras le néant qui nous déchire tous; tu continueras mon fils à souffrir pour les autres, à recueillir en toi le brasier lucide... Ou peut-être que non: peut-être seras-tu épargné, par un curieux atavisme qui verra échapper de toi le fardeau de ton père. Et tu vivras heureux, de ce bonheur dont jouissent les animaux; de tout ce qui a été bien conçu: équilibré, sans faiblesse abyssale ni puissance extatique.

Puissé-je ne rien brûler dans mon trépas, supernovae incandescente, dévoreuse d'espace-temps. Il faudra me garder au loin, comme on regarde les étoiles. Il faudra vivre à mes côtés de toute la distance des cieux.

Je prie qu'on ne se touche... Car alors, si nos deux âmes enfin s'abouchent, je saurais ce qui couve en ton chantier de flammes, je connaitrais les méandre de tes veines, Phlégéthon infernal... Je saurais dans ma chair l'absolue solitude qui te sert de royaume... Sans porte de secours.

jeudi 6 octobre 2022

Pssschhhhtt

 En fait, mon livre est le plus grand, le plus long volume d'air abîmé qu'une haleine humaine ait un jour exhalée. Un seul interminable souffle, unique phrase de ce poème en fait destin.

Dans les infinitésimales nuances composant le bouquet fatal tentent violemment de s'incarner les sinuosités visqueuses d'une souffrance borgne. Cette souffrance que le mot même ne suffit point à unifier. L'abîme est sans substance, pure relativité d'un néant qui se cherche à travers tout ce qu'il ne saurait être.

Et ce jet de vapeur qui projette autour de lui en un mauvais sifflet ces gouttes vénéneuses, qasar acosmique, substance antithétique qui se cherche un ensemble à qui appartenir -- l'ensemble de tous les ensembles est-il contenu en lui-même?

pschhhhttt! Le bruit que font les âmes qu'on rend à l'entropie.