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jeudi 7 décembre 2023

[ Terres brûlées ] Nécrosynthèse

Être une station d'épuration dans le monde pestilentiel d'aujourd'hui. Embourbé dans la glaise purulente du siècle, tout au fond des eaux usées, parmi les particules d'antibiotiques, de métaux lourds et de micro-plastiques. Attendre dans les eaux croupies, parmi les odeurs injurieuses, brasser le sang souillé la sanie flavescente, infusion de toxines à vous brésiller l'âme: ô poison psychotrope...

Être stercoraire jusqu'à vous rendre nauséeux, que s'accroche à votre peau l'odeur méphitique des coprolites infâmes que vomissent les âmes stationnaires et qui marinent dans le temps perdu, le temps déçu, qui n'ouvre sur nul avenir.

Je prends plus que ma part de la souillure environnante et pareil au jasmin, je filtre un philtre excrémentiel pour en exsuder le dosage subtil qui donne à mes écrits ces senteurs si florales. La poésie n'est rien d'autre que ça, fouiller dans les décombres, se nourrir de la mort et de la pourriture, produire les chants fertiles où poussent coquelicots et muguets, où croît l'épi tout blond des blés -- et se décline en maints bouquets l'œuvre alme d'un projet.

Projet pancaliste s'il en est, la vie n'a d'autre but que produire des formes qui, toutes, rendent un hommage singulier à l'ordre du cosmos.

Être propre, toujours sourire, afficher au-dehors des façades polies, optimisme béat qui ravie les idiots, s'habiller de velours et de froufrous prisés, exhaler le parfum de chimies hygiénistes, paraître, paraître, toujours paraître n'avoir rien en soi d'inavouable ou de sombre, aucune opacité pour voiler le teint clair de face immaculée. Bien porter tout en devanture, sans arrière-boutique déguisée, sans porte dérobée... Techniciens de nos propres surfaces, il faut être étincelant et beau sous le jour scyalitique qui s'effraie de la nuit.

Poète porte en toi la ténèbre honnie, avale un crépuscule à chaque aube qui luit, mâche, digère, intègre les obscurités liquides qui s'écoulent dans nos caniveaux, râcle les égoûts, cloaque des nations, sois celui qu'on fuit, celui qu'on trop médit, celui qui détone par trop dans les salons fleuris de tons artificiels. Absorbe la critique et tous ses adjectifs saturés de crainte qui se plantent en ton cœur et veulent te coudre peau neuve. Laisse faire le monde, laisse le viol avoir lieu, sacrifie ce moi mondain qui n'est rien, rien d'autre qu'un pantin agité par les moires, semblable à tous les autres dans la fourmilière excitée de survivre.

Par une porte dérobée, sous le mur en trompe-l'œil fais tourner l'atelier de tes broderies scripturaires. Que chaque organe tisse la mélopée tragique et que s'opère alors la nécrosynthèse fabuleuse par laquelle sourdent du venin en toi les fleurs intemporelles.

Encore un peu plus de souffrance, le monde aura besoin de toi pour se remémorer l'antique savoir aujourd'hui malmené: l'humain n'est rien d'autre qu'humus enraciné dans le tourment.

jeudi 9 novembre 2023

Aphorisme algésiques

Le point de contact entre la souffrance et la mort est-il le même pour tous?

Existe-t-il des hommes suffisamment noirs pour que nulle souffrance ne puisse s'échapper de leur enceinte?

Le manque est la raison du monde.

À travers l'homme lucide étincellent les ombres.

jeudi 6 octobre 2022

Pssschhhhtt

 En fait, mon livre est le plus grand, le plus long volume d'air abîmé qu'une haleine humaine ait un jour exhalée. Un seul interminable souffle, unique phrase de ce poème en fait destin.

Dans les infinitésimales nuances composant le bouquet fatal tentent violemment de s'incarner les sinuosités visqueuses d'une souffrance borgne. Cette souffrance que le mot même ne suffit point à unifier. L'abîme est sans substance, pure relativité d'un néant qui se cherche à travers tout ce qu'il ne saurait être.

Et ce jet de vapeur qui projette autour de lui en un mauvais sifflet ces gouttes vénéneuses, qasar acosmique, substance antithétique qui se cherche un ensemble à qui appartenir -- l'ensemble de tous les ensembles est-il contenu en lui-même?

pschhhhttt! Le bruit que font les âmes qu'on rend à l'entropie.

mercredi 11 mai 2022

Hormèse

 La conscience m'augmente à mesure qu'elle me déchire et perce, au cœur du centre de mon étendue vacante, un point vital de mon être: celui qui pourrait faire de moi cette totalité close, pleine et entière. Au lieu de ça je m'écoule en humeur noire au-dedans de mon néant intime, comme si ma souffrance même rechignait à m'appartenir, et débondait en mille nuances sur l'épiderme du réel.

Cette maladie je l'ai attrapé assez tôt. La maladie de la conscience m'a été transmise par la douleur, la douleur de l'adolescence et du déracinement, la douleur de la perte et celle de l'amour impossible -- c'est à dire, au fond, de la réunion de soi avec cette altérité qui nous racole comme un vide irrésistible par lequel s'anéantir.

Dès lors que je fus malade, je n'ai cessé de m'élever à des degrés de souffrance toujours plus éminents. Sur les neiges éternelles de mon futile tourment, je plane solitaire et ivre de puissance. Je suis propriétaire d'une chose...au moins...et c'est elle et elle seule.

Ce cancer qui me ronge, toujours plus dévastateur, toujours plus virtuose en son art, est la blessure qui inlassablement lacère mon âme en son destin. De cette peau béante et qui supure, je dois ramasser les lambeaux, recoudre les fissures, les abîmes qui cherchent à me défaire, et...toujours alors...je reviens de plus bel, plus immense et plus fort; aussi vaste que mille univers.

C'est ce combat face à l'altérité absolue, cette entreprise de prédation ontique qui nous définit, échaffaude le seul bonheur qui soit, augmente nos puissances et fait de l'existence cette croissance métastatique qui menace, à terme, d'engloutir jusqu'à la moindre des ressources disponibles.

Impossible coïncidence de soi avec soi, déséquilibre qui fait la marche des destins, qui fait lever le temps comme une houle inarrêtable, asymétrie profonde de l'Être dans sa chute. Nous avons soif parce que c'est cela que la vie d'homme. Nous désirons et par là même engloutissons l'éxtranéité profonde dont on ne sait si elle nous enceint où si c'est là le jet sombre et terrible de notre propre source enfouie.

Nous allons parce que la symétrie est impossible. Et ce qui nous renforce est ce qui nous détruit.

lundi 21 mars 2022

Gratte, gratte, gratte

 Pendant longtemps j'ai cru que la destruction procurait ce petit sel à la vie qui manquait. J'étais, peut-être, convaincu que la dissolution de soi pouvait laisser un répit, qu'une unité lénifiante relierait encore les fragments, épars, d'une tension du soi. Et j'ai gratté, sur la surface de mon égo. Arrachant ça et là, quelques morceaux ineptes et qui devaient s'évanouir sous les coups du présent. Je voulais exister, aussi brut que l'énergie primordiale, informe et indéterminé, dans toute la plénitude de ces possibles phantasmés...

J'ai cherché, cherche, et chercherai encore, dans le désentrelacement de la conscience, une parcelle de vie qui me donnerait d'être... Sans souffrance.

Me suis-je trompé? Peut-on quérir le bonheur au sein de l'anéantissement?

Aucune de mes interrogations n'est véirtablement sincère. Je n'attends d'autre réponse que l'éternelle abolition de toute curiosité.

jeudi 16 décembre 2021

Endurer

 J'ai atteint, à un lieu de ma vie, le point d'entropie maximale. Je suis allé toucher la mort, à la lisière de l'existence; tutoyer le Néant au bout de la liberté vaine.

Et je suis revenu. Avec la même tristesse au fond de mes entrailles. Vivant, mais calciné de l'intérieur, comme une lune poussiéreuse et grise. Et j'éclaire d'ombres tout ce que je manifeste: Géhenne soliptique qui me tient lieu de monde. Ô combien il me faut -- sais-tu? -- retenir là mes feux pour ne point te brûler...

Je porte en moi le tourment des lucides, la conscience acérée de ce lien rompu, délaissement d'un quelque chose qui installe à jamais "le silence déraisonnable du monde".

Et peut-être qu'en chaque relation, que j'entretiens avec une portion de l'Être, s'interpose un silence suffisamment profond pour entailler la foi.

Il n'y a pas de foi, je ne sais croire en rien... Il n'y a pas de valeur qui ne soit ramenée à mon inconsistance, pas une transcendance qui ne puisse passer avec succès l'examen du doute.

Défendre des valeurs? Pour quoi faire...? Se rassurer? Justifier le peu de plaisir qu'un accord tacite avec le Réel sait parfois procurer? Et pourquoi ce lien serait-t-il bon pour autrui?

Laisser le monde vous écraser, les autres décorer l'indétermination aux couleurs de leurs peurs... S'ils en ont tant besoin c'est probablement qu'ils ont plus peur encore que nous. Nous qui savons aimer la souffrance dans cette étreinte enflammée qui consume en douceur la substance de nos cœurs.

Nous pouvons supporter le doute pour les autres; et endurer leurs certitudes -- exclusives.

Nous savons faire tout ça: suffoquer lentement, pour que d'autres que nous respirent à plein-poumons.

jeudi 23 septembre 2021

L'étrange projet

C'est un sable dense que je creuse, trop dense pour mes bras. Mes jambes, sous le poids, flageolent et puis défaillent. Ce n'est que bien péniblement que je parviens à me tenir dressé, à chaque pelletée qui me propulse vers de nouveaux degrés de la souffrance. Mes muscles se contractent, je les sens qui me brûlent, et tout mon épiderme épileptique semble battu par un souffle de vie qui cherche à s'évanouir ailleurs.

Je creuse, consciencieusement, seconde après seconde, récolte dans la lame la substance des jours, que je rejette derrière mois, sur le monticule grandissant  des scories de cet indéfini projet de vivre. La vérité est dans l'abîme, je creuse à m'en rompre le dos, déchirer les tendons, jusqu'à n'en être qu'une larme immense d'inepte obstination. Chacune de ces douleurs constitue un écho que le réel consent à renvoyer à nos curieux appels. Et nos cris reviennent avec la même intensité, avec plus d'épaisseur et démultipliés.

samedi 11 septembre 2021

Aphorisme de la vertu

 Je suis une éponge à souffrance, partout je la ronge et l'absorbe, puis la dégorge en nuancier d'effroi.

jeudi 9 septembre 2021

Ce qu'est le ciel

 Je me suis égaré dans les mots, sans savoir qu'y trouver. Je suis inconstant, jamais je ne fais que passer, j'entre avec tant d'intentions, puis aussitôt m'en vais. Je me demande à quel point je mérite le peu de mon succès...À quel point je suis inférieur à ce que les gens croient, combien ces fondations sont des sables mouvants où, quotidiennement, je m'enfonce et me noie.

Je ne sais donner à la vie les vives couleurs qu'elle mérite. Ma propre vie serait bien mieux usée par une âme nouvelle. Une âme qui en aimerait le goût, la saveur, dans son essentielle substance. À moi, je dois avouer, elle demeure indigeste. Il n'y a qu'indéfinis épices pour me la rendre heureuse, le sel m'est essentielle et la vie m'est cruelle.

Une souffrance qui se repose, en une conscience lucide, voilà tout le bien à attendre, voilà ce qu'est le ciel.

lundi 6 septembre 2021

Gods

Oh nous avons tout le temps du monde. Toute la consciente lucidité aussi brûlante que des étoiles folles. Que ferons-nous alors? Quelle qualité de l'être froisserons-nous dans la contemplation atone de l'instant? Et pour quel horizon? Quel idéal ardent de distance infrangible nous faudra-t-il convoiter enfin?

Nous avons tout le temps du monde.

Pieds suspendus sur la pointe de lune, avec les reflets mordorés de la mer en-dessous. Ligne de l'âme enfoncée sous les eaux: océan de la vie qui porte mes espoirs et ouvre ma prison sur l'indéterminé des nuits.

Nous avons tout le temps du monde.

Et se connaître est insensé. Nous avons tout le temps du monde, il ne faut pas surtout, surtout pas se presser.

Il y a, tu sais, dans l'écheveau des limbes, des notes amères et cruelles qui parent le silence de profondeurs d'abîme -- et ces limbes sont miennes. Et comme mon reflet, alors, obombre ma cellule et resserre les murs de ma durée-demeure. L'enfer est un fragment de soi. C'est pourquoi je m'enfuis dans tes dessous de soie.

Nous avons tout le temps du monde.

Pour mourir doucement. À l'ombre de feuilles éméchées.

Nous avons tout le temps, tout le temps, tout le temps!

Et des tonnes de souffrance pour ponctuer nos joies, l'existence est aphone sans la dissonance, il faut souffrir beaucoup pour s'extasier parfois.

Nous avons tout le temps, de cueillir le beau jour, ne presse pas tes doigts autour de cette gorge. Patiente et fouille un pot-pourri de tes durées, ouvre les yeux avale, liquide, l'immense ennui de vivre, l'absence d'absolu, le ciel est sans issue...

Nous avons tout le temps.

Mais il ne faudrait pas. Il faudrait bien courir, aller à sa recherche, pour écrire des livres sur celui loin perdu.

Nous avons tout le temps...

Impossible de vivre...


Source musicale:

 





vendredi 16 juillet 2021

Pessoa: souffrance et solitude

 "Je n'ai personne à qui me confier. Ma famille ne comprend rien. Je ne peux pas déranger mes amis avec ces choses-là. Je n'ai, en réalité, aucun ami intime, et même ceux que je peux appeler ainsi, au sens où généralement on emploie le mot, ne sont pas intimes dans le sens où, moi, j'entends l'intimité. Je suis timide, et je répugne à faire connaître mes angoisses. Un ami intime est un de mes idéaux, un de mes rêves quotidiens, bien que je sois sûr que jamais je n'aurai un vrai ami intime. Aucun tempérament ne s'adapte au mien. Il n'y a pas un seul caractère au monde qui se soit montré proche de ce que je suppose doit être un ami intime. Finissons-en. Des maîtresses ou des fiancées, je n'en ai point; et c'est là un autre de mes idéaux, bien qu'après avoir cherché dans le for intime de cet idéal, je ne trouve que vacuité et rien d'autre. Impossible tel que je le rêve! Pauvre de moi! Pauvre Alastor! Ô Shelley, comme je te comprends! Pourrai-je me confier à ma mère? Comme je souhaiterais l'avoir auprès de moi! Pourtant je ne peux pas me confier à elle. Mais sa présence aurait allégé mes souffrances. Je me sens abandonné comme un naufragé au milieu de la mer. Et que suis-je d'autre, après tout, sinon un naufragé? Je ne peux donc compter que sur moi-même. Comment pourrais-je avoir confiance en ces quelques lignes? Aucune. Quand je les relis, mon esprit souffre en comprenant combien elles sont prétentieuses, combien elles jouent à se présenter comme pour un journal littéraire! J'ai même fait du style avec certaines d'entre elles. La vérité, cependant, c'est que je souffre. Un homme peut aussi bien souffrir dans un costume de soie qu'au fond d'un sac ou sous une couverture rapiécée. Rien d'autre."

 

Fernando Pessoa, note non datée. Traduction Pierre Léglise-Costa.

mercredi 12 mai 2021

Dix sept Décembre quatre-vingt cinq

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq

Un coup d'épée dans l'eau?

Et si la Terre avait tremblée?

Et si quelque part en une grammaire constellée du ciel, s'alignait le récit d'un nouvel âge?

Pourtant, ce ne fût pas même l'actualisation d'un vain néant. Il n'y eut pas même un peu de merde pour m'oindre du saint sacrement d'exister. Je suis passé par une porte dérobée, ouverte au pied de biche. Il a fallu venir me chercher, dans mon cocon de rien; d'existence biologique; végétale; automatique; robot de la survie sans nulle vision sur rien, sans autre objet que soi; comme un en-soi de sensations; et puis... BASTA!

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Une seconde de plus que la seconde d'avant. Pas même un événement. Pas une conscience. Un germe? Tout juste... Peut-être, mais qui peut dire quand celle-ci s'éveille doucement?

Un animal sur Terre; une bouche à nourrir; une bouche à mourir aussi. Des cris, parmi tant d'autres cris dans une nurseries (cauchemar). Berceaux de blancs vêtus, alignés bien en rang. Rangée de piles pour le futur, pour le système économie. Pisse, couches, merde, placenta qu'on nettoie, odeur d'entrailles évincée par chimie.

Combien d'années ensuite? À vivre d'animalité? Sans souvenir. Pas un putain de souvenir de ce départ raté... Tant de larmes et pas un souvenir? D'autres se souviennent pour toi. D'autres ont souffert de ça, des nuits blanches, de l'incompréhension, de ces signes qui n'en sont peut-être pas, parce qu'on ignore la sémantique des choses qui n'en ont pas encore.

Puis, quelques souvenirs; étonnants. Comme une séquence vacillante produite à partir d'instantanés en nombre insuffisant. Souvenirs, êtes-vous le premier récit de l'âme? Sa première syntaxe?

Puis, toujours plus de souvenirs. Des souvenirs décorrélés, sans histoire, indépendants, et comme des mondes en totalité. Il en faudra encore beaucoup pour que le troisième œil s'ouvre. Il faudra la souffrance, il faudra le rejet, il faudra bien du temps à se réfléchir sur le monde en ombre en mouvement. Pour enfin se saisir de soi. Objet parmi d'autres objets. Jouet dans les mains d'un destin. Incompréhensible. Les destins sont tous incompréhensibles jusqu'à ce que la chute en dévoile le sens. Le sens est toujours pour les autres. Il faut rester absurde à soi-même, c'est une constante universelle.

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Un peu d'agitation, le déroulement d'une chaîne causale qui, comme toutes les chaînes, fera languir la liberté au bout de ses limites.

dimanche 7 février 2021

Aphorisme éidétique

 Souffrance est mon essence, combattre ma vérité, mourir est mon destin.

mercredi 6 janvier 2021

A-T-C-G

 Il n'y a plus assez de souffrance dans ma vie.

Plus assez de ce matériau malléable pour composer ces complaintes mineures qui me peignent un profil ici.

Peut-être reviendra-t-elle un jour. Probablement...

En attendant, si écrire est un besoin, il devra trouver une autre fondation, une autre source.

Peut-être que la poésie ne sera plus le genre d'édifice qui s'y érigera alors.

Ces états de conscience qui n'ont ni l'éclat coruscant de la béatitude, ni la profondeur sombre du tourment, se prêteraient bien à l'équanimité du roman. Il ne faut pas trop d'intensité pour un roman, il faut distiller le sentiment au compte-goutte, sur la durée, mesurer son effort.

La poésie n'est pas un effort. Elle est jaculatoire et gicle sur la feuille par une pression trop forte à contenir. La poésie naît d'un besoin vital impérieux, sans calcul, sans mesure.

Or je vis bienheureux, suffisamment comblé pour ne pas entendre le cri de mon corps, des cellules de mon âme. J'avance suffisamment repu, dans une paix relative et mon énergie a d'autres couleurs que l'éternelle entropie. Elle s'emploie autrement, produit d'autres mondes dont elle maintient les murs.

Me manque-t-il quelque chose? Suis-je moins qu'avant? Ne puis-je être plus?

Je ne sais aujourd'hui si ce n'était pas la souffrance qui produisait l'ombre de mon identité, constituait la cause sublime dont j'étais l'effet contingent...

Que suis-je désormais, si je suis autre qu'elle, sans plus aucune coïncidence avec une quelconque détermination..?

Un corps, une forme, ne sont qu'une manière d'être, une manifestation. Un simple motif du seul tissu ontique. Pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre? Peut-être car tout doit exister, et que le monde est l'indéfinie création où s'instancie l'infinité protéique de l'être.

jeudi 4 juin 2020

La monnaie mélancolie

Je me suis réveillé ce matin avec, je ne sais pourquoi, l'envie d'expliquer certaines dynamiques à l’œuvre dans mon approche de la poésie. Je sais qu'il ne faut pas vouloir tout expliquer et laisser au lecteur la liberté nécessaire à sa propre signifiance dans l'exégèse des textes, mais, tout de même, j'aimerais parler de quelques points importants et partager ainsi un peu l'étrange état d'être poète aujourd'hui.

Il m'est apparu hier que je fonctionnais beaucoup par homophonie. J'aime à placer des jeux de mots, que ce soit dans mes phrases ou dans mes titres (qui n'en sont bien souvent qu'une citation). Cela arrive de manière intentionnelle et parfois de manière fortuite, ou du moins inconsciente.

Ainsi hier, j'ai réalisé que l'ombre des pensées pouvait aussi être compris comme l'ombre dépensée. C'est une homophonie fortuite mais qui prend tout son sens dans ma démarche. J'ai toujours utilisé la souffrance comme une monnaie, c'est à dire une valeur pour autre chose, un signe. J'utilise cette souffrance pour faire des poèmes. Il y a là un véritable échange commercial entre cette énergie vécue et le produit de sa mise en forme esthétique qui débouche sur la poésie. L'ombre est ainsi véritablement dépensée... Je ne la conserve que très peu en moi-même et pour ainsi dire jamais.

Pourquoi cette monnaie plutôt qu'une autre? La raison en est quelque peu paradoxale puisque c'est celle qui a selon moi le plus de valeur, au regard du siècle où je suis sis, bien qu'elle ne souffre aucune rareté dans ma psyché. La souffrance ou mélancolie (j'utiliserai ici les deux indifféremment bien que les deux concepts méritent distinction) est pour moi un sentiment non spontané mais qui est issu d'un état psychique de lucidité. Être lucide c'est parvenir à voir à travers les concrétions, à travers les croyances qui cherchent à combler le vide originel. Ce processus de clarification, pour être achevé, doit s'opérer à la fois sur la vie mondaine et comme qui dirait extérieure, mais aussi et surtout sur ce royaume intime. C'est donc un regard qui doit en permanence se retourner sur lui-même, il faut rendre sa propre peau translucide, il faut prendre conscience des lunettes à travers lesquelles nous constituons le monde au sein duquel nous nous figurons être.

Cette extrême lucidité qui rend à la porosité ce qui semblait plein, qui défait les jugements, est le point de départ à deux sentiments distincts: celui de béatitude contemplative et déresponsabilisée, et celui de mélancolie. Je parle de béatitude déresponsabilisée car un tel état de l'esprit permet de suivre jusqu'aux racines le processus de fabrication des croyances. Ce faisant, il est évident, et le travail des sceptiques à ce sujet est aujourd'hui irréfutable pour quiconque est prêt à se défaire de ses a priori pour aborder la question, que nos jugements prennent racine dans l'arbitraire du choix. Non un choix non motivé, absolu ou acausal, mais qui s'inscrit au contraire dans le cours naturel des choses. Or il n'est pas permis d'affirmer posséder un libre arbitre (c'est à dire une puissance qui fait qu'il aurait été possible de choisir ceci plutôt que cela) du simple fait que "nous sommes ignorants des causes" qui nous déterminent. Les croyances donc sont la conséquence d'un acte de choix qui voit le sujet projeter au-devant de lui un monde, c'est à dire un objet d'objets. La responsabilité est un sentiment vécu et pour cela certes indéniable, mais il faut se garder d'en rester là et de ne pas interroger le fondement de ce vécu. Dès lors qu'on s'applique à le faire, il est assez évident que nous avons autant de données qui viennent remettre en question sa réelle validité. Pour cette raison la lucidité mène à douter du sentiment, non en tant qu'il est un pur vécu, mais en tant qu'on s'en fait une explication conceptuelle sous la forme d'un jugement théorétique. C'est ce jugement qui devient croyance et non le sentiment en lui-même. Il y a donc déresponsabilisation, et même déréalisation presque totale de tous les concepts, tous les jugements que l'on prédique au sujet. Je parle de béatitude car il y a un profond vertige lié à ce processus de libération, d'indétermination qui rend à l'humain, au sujet transcendantal, son statut de conditions de possibilité de toute les déterminations, son statut d'anté-détermination.

La mélancolie vient quant à elle prendre la place de ce sentiment lorsque n'a pas lieu une déresponsabilisation contemplative mais une dévalorisation. Autrement dit lorsque le sujet transcendantal contemple non pas la manière dont il échappe en vérité aux déterminations définitives et définissantes, mais lorsqu'il contemple le monde constitué se défaire de sa naturalité pour y voir au contraire un équilibre précaire de relativité. S'apercevoir qu'il n'existe pas de critère extérieur et absolu de jugement mais qu'au contraire, tous les objets qui constituent le mobilier du monde sont en fait des états changeants d'une collaboration entre un sujet transcendantal et un réel duquel on ne peut rien dire, non car il serait absolument autre, mais parce qu'il nous excède bien que nous en partagions nécessairement la nature. Il y a donc mélancolie car il y a grande solitude à se savoir l'artisan et le législateur du monde, à ne pas pouvoir se reposer sur la fermeté de croyances et de choses stables et assurées, totalement indépendantes de nous-même. Si nous trouvons repos en une telle croyance, c'est parce que nous y abdiquons précisément la liberté par le choix, l'indétermination par la foi. En somme, croire en une réalité indépendante et conforme à nos croyances, arraisonnable, c'est être en mesure d'obéir. Obéir à des valeurs qui s'imposent à nous et que l'on peut ainsi rendre transcendantes, et qui sont dès lors aptes à nous subsumer. Il y a dans ce processus quelque chose d'infiniment reposant, une sorte d'annihilation de la liberté d'indétermination qui, elle, est très inconfortable, notamment lorsqu'on la vit au sein de sociétés constituées sur le récit opposé: celui d'un monde absolu et non plus relatif.

On pourra objecter qu'entre cette déresponsabilisation liée à l'indétermination et la dévalorisation dont je parle, il n'y a, en fait, aucune différence. C'est probablement vrai... Ce que je décris comme deux processus distincts a de grandes chances d'être en fait un seul et même cheminement, observé cela dit selon deux perspectives distinctes. L'une est celle de la libération, l'autre de la dévalorisation. C'est à dire, l'une où l'on a l'impression de gagner quelque chose dans la perte de déterminations qui nous enfermaient, et l'autre où l'on ressent au contraire la perte d'une assise fondamentale dans ce gain de vacuité.

Mais même encore, cette dichotomie n'est pas satisfaisante et je m'aventure à l'hypothèse suivante: dans l'état de lucidité, se mêlent les deux sentiments (libération déresponsable et mélancolie) comme deux notes dans un accord. Ce sont en fait les deux faces d'une même pièce car il y a bel et bien perte (des déterminations illusoires auquelles on croit soumettre le sujet transcendantal qui en est pourtant l'origine même) et gain (d'une liberté retrouvée, comme possibilité d'être indéfinie). L'un ne peut aller sans l'autre. Il arrive simplement qu'une note se fasse entendre plus que l'autre et devienne ainsi la fondamentale de l'accord. C'est dans ces moments là, lorsque l'âme joue la mélancolie, que je saisis mon stylo et capture en déterminations poétiques l'énergie de résonance de ce sujet transcendantal.

mercredi 20 mai 2020

La souffrance musicale

Joue donc pour moi guitare de l'esprit.

Joue-moi le temps constitué de notes.

Cette nuit, j'ai senti la mort comme un gouffre abyssal. Il n'était pas pour moi, c'était celui des autres. C'est leur terreur qui m'a désarçonnée.

Ne sentez plus la mort ainsi semblables. Pourquoi n'y jetez vous un œil qu'à l'extraordinaire occasion d'un mouvement lucide qui sitôt pétrifie..? Plongez tout au cœur de l'abîme et voyez finitude comme saveur de chaque instant.

Faites cela chaque jour, comme une ablution nécessaire de l'esprit amnésique.

Cette nuit j'ai failli m'enfermer dans le vertige de vos émois. Cette souffrance là n'est pas tolérable, elle ferait succomber n'importe quel sage issu de nos cultures.

Je ferai tout pour que vos peurs en moi s'éteignent. Je serai l'océan où la brûlure s'apaise.

Laissez-moi souffrir pour vous de tourment musical.

Parents, je ne permettrai plus cette souffrance. Lavez-vous donc en moi, j'ai la souffrance vaste et peut mourir infiniment...



Source musicale: combien de textes ont surgi de ce néant ces derniers mois... J'aurais dû les mentionner...


mercredi 11 mars 2020

La souffrance et son ombre

La souffrance a toujours été présente  dans ma vie, elle me suit comme une ombre; ou peut-être que c'est moi l'ombre de cette souffrance...

lundi 11 novembre 2019

Ce présent n'est pas à toi



Étouffe-toi souffrance aux lèvres goût de sang, tous tes baisers glacés finissent par me mordre d'un amour brûlant.

Étouffe-toi dans les braises incandescentes de ta vive inquiétude.

Pars! Éteins-toi dans l'ultime crépuscule, avec ta chevelure de feu et tes manières échevelées.

Laisse le vent passer sur moi, dans un bruissement de feuilles analphabète. Je veux voir s'agrandir mon ombre sur le sol éclairé, sentir mes muscles travailler, goûter chaque seconde en l'ayant mérité.

Étouffe-toi mélancolie de toc pendue comme breloque à mon cou éreinté.

Étouffez-vous poèmes, ombres esseulées, fragments de mélodie perdue, cœur d'ambre sous la tempête au sillon désolé.

Pars! Je veux marier l'instant, divorcer de tes chants qui font croître les fleurs amères de regrets éternels.

Un geste après l'autre et dans le rythme le plaisir perdu que je cueille ébahi de mes mains courageuses.

Je n'ai plus aucun doute, j'avance vers l'idée.

Laisse-moi femme exclusive, laisse ma coque de noix voguer pour une croisière d'un soir, une poignée de jours.

Demain, demain dès l'aube tu pourras revenir instiller ton venin dans toutes mes cellules, faire couler  bile noire dans les avenues azurées de ma vitalité.

Demain, demain dès l'aube viens faire pleuvoir ta nuit sur mon soleil atone.

Là, doucement, calme-toi maintenant... Ce présent n'est pas à toi.

dimanche 7 juillet 2019

La vie brute

Version française de "Raw life".



La vie brute
Le rythme libre et joyeux des sauvages
Le chant des gènes en deçà des géhennes
Et l'éternelle errance des gens sans race

La vie brute
Une vie meilleure?
Ou juste un chemin différent
Un art ancien de tuer le temps?

N'attends pas trop des choses
Chaque être naît pour périr
Le bonheur est art de bien mourir

Vie brute
Lent ou rapide
Un sillon frais dans la souffrance

lundi 28 janvier 2019

Mordor



Je vais te montrer quelque chose
Viens visiter l'âme honnie
Sombre et sans reflet
Je suis la terre accidentée aux reliefs déchirés
Je suis la nuit si froide qu'elle glace les aurores d'argent

Au sein de la souffrance, si tu oses avancer
Je donnerai aux palpitations de ton cœur
Le rythme de lucidité
Couleur de la mélancolie
Tu verras la beauté
Des mondes anéantis

Es-tu capable d'aller loin, si loin
Que la froideur n'est que chaleur
Et que se lient les opposés?


Je t'emmènerai
Si tu veux
Dans les antiques palais de la décrépitude
Là où les pas résonnent et font tinter la solitude


Je te prendrai la main
Et te ferai toucher les sabliers du temps
Où chaque grain renversé figure une chose
À toi jadis et confisquée

Je t'enfermerai dans l'isolement de mes pensées
Dans les vertiges abyssaux
Dans les fonds renversés
Où jaillit cette source
Qui donne à la vie de ce monde
Des formes si précieuses

Voudras-tu venir avec moi
Et puis surtout rester
Lorsque l'obscur te bordera
Et obstruera tes yeux
Lorsque l'amour te manquera
Et trahira tes voeux

Si tu demeures alors encore un peu
Juste un peu plus que d'autres
Tu trouveras dans mon pays de mort
Des joies sans bruit d'éternité
Des fragments de bonheur
Dans le temps aboli

Mais tu devras te réciter
Ce mantra qui est mien
Et guide mon destin:

Du tourment des lucides
Emerge la beauté