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samedi 7 septembre 2013

La vie du voyageur

Sans cesse tout s'agite, rien ne trouve le repos bien longtemps en l'homme. Et d'aucuns passent leur temps à se demander pourquoi, à tenter de comprendre ce qui se révèle être aujourd'hui une évidence pour moi: nous cherchons tous la mort. Nous, vivants à l'étant agité, cherchant le repos éternel de nos sentiments, nous cherchons la paix qui s'apparente au silence, à l'immobile portrait figé des choses éternelles. Certains parlent de Dieu, comme d'un être absolument parfait, d'une perfection pleine, en acte, à laquelle on ne peut rien ajouter, une totalité absolue; partout je n'entends que cette adoration des vivants pour la mort, elle est leur horizon qu'ils aspirent à toucher. Sortis d'une mort enfouie dans le passé et qu'on ne peut revivre, il nous faut aller vers la fin du voyage, vers ce naufrage dans lequel plus rien ne tangue, cette sérénité minérale, cet équilibre qui s'oppose tant à ce qu'est l'existence. Car enfin l'homme est un déséquilibre, ce déséquilibre est son essence même, la vie est une négation de l'entropie, de la paix, du repos, de l' homogénéité. La vie est chaos, chocs et luttes, elle est une tension perpétuelle, un déchirement qu'il nous faut traverser. Ô combien se trompent ceux qui croient aspirer à la vie éternelle car la vie n'a rien à voir avec l'éternité, et leur voeu n'est autre que d'apaiser les remous dans lesquels ils se noient, dans cette peur qui est déchirement, dans l'angoisse de l'anticipation, dans la hâte que l'on ressent face à tout vide, encore plus lorsqu'il s'agit du nôtre. Les humains veulent se traverser eux-mêmes, franchir une bonne fois pour toute cet espace qui les disperse, qui les étire et les force à se mouvoir dans le temps, à toujours devoir se regrouper pour maintenir une unité si distendue. La vie est un plongeon dans l'espace-temps et le nageur n'a de cesse de rejoindre l'autre bord.

Une fois que l'on accepte cela, la simple conscience que le sens de nos vies est la mort n'est d'aucun réconfort, car alors comment expliquer ce manque d'engouement pour le suicide, ou bien ce goût pour les morts lentes, quasi imperceptibles que nos sociétés savent si bien prodiguer? Tout simplement car la vie est une tension vers la mort mais jamais elle ne s'y confond pleinement,  la vie est ce déchirement, ce chemin reliant un seul et même point à l'autre bout de lui-même, elle est une boucle qui sort tout droit du néant pour y retourner. Toi vivant tu dois contempler chaque jour cette vérité, cheminer sur ta route, naviguer sur ton Styx tout en sachant que l'amour du déséquilibre, de l'existence, est aussi fort en toi que ce désir de mort qui t'attires vers le repos. Et tu connais dorénavant qu'il n'y a pas d'objet à tes désirs et que ce à quoi tu aspires n'est pas une chose mais une durée entre les choses éteintes, un espace à parcourir sans fin. La source de tes désirs est un déchirement perpétuel que tu entretiens car il en va de ton essence et de ta vie, bien que tes illusions et ta souffrance te poussent à te hâter vers une sortie qui n'est autre que ta négation propre. Tel est le destin de l'homme, contraint de se plier à la fatigue, de s'offrir à l'inassouvissement, à la soif inextinguible d'un breuvage qui n'est autre que la soif elle-même, cette même soif qui le ronge et appelle à être éteinte. La vie est le passage de la souffrance qui vient déchirer le néant, elle s'apparente à une force toujours en acte, à une interminable fatigue.

Rassurez-vous pourtant, on peut aimer la souffrance; on peut l'aimer bien plus que tout, et alors tout s'illumine pour un temps. La vie est cet espace et ce temps que nous remplissons de nos doutes, de nos sentiments, et finalement de notre volonté. Ce vide sera assurément ce que nous voulons qu'il soit. Apprendre à bien vouloir est la première leçon essentielle pour bien vivre. Bien souvent c'est à se regarder vouloir que la frustration s'adoucit, puis il ne reste alors qu'une curiosité bienveillante pour soi-même, l'homme et enfin le monde. Celui qui a connu cette curiosité sait alors, bien qu'il ne puisse s'en faire le maître, ô combien enfer et paradis ne sont jamais que deux perspectives d'une seule et même chose, et que cette chose est l'existence même.

samedi 22 juin 2013

D'autres appellent ça l'amour

On dit parfois que celui qui n'abandonne jamais fait preuve de persévérance, qu'il est courageux, patient et décidé. On dit aussi qu'il est insistant, téméraire et inconsidéré. Alors quand on ne sait pas quoi faire, on vous dit parfois qu'il faut écouter son coeur, ne pas hésiter ni se poser trop de questions. On vous dit aussi qu'il faut savoir être raisonnable, prudent et peser le pour et le contre. Vous finissez pas vous engager dans une de ces voies mais bientôt, pris de remord, vous faites volte-face et optez pour l'autre option. Mais là encore, au bout d'un certain temps vous ne savez plus trop et quelque chose en vous semble vous avertir que vous niez une part essentielle de votre "personnalité". Vous êtes alors perdu et désirez emprunter tous les chemins à la fois, ne rien laisser au hasard et vous faites comme tout le monde dans ce cas là: vous tournez en rond, hésitez, revenez sur vos pas, puis, finalement, tétanisé par la peur vous demeurez sur place, indécis et parcouru d'une agitation contenue qui renonce à se frayer un chemin dans la réalité physique.

Pourtant, là, au bout, tout près et si loin à la fois, réside ce que vous convoitez, votre souhait le plus cher, votre rêve le plus fou. Mais à peine croyez-vous faire un pas dans sa direction, tendre une main, le voyez-vous s'enfuir alors et vous tourner le dos. Malgré cela il vous appelle et semble vous attendre, espérer un mouvement de votre part, le "bon" choix qui vous réunirait. Mais votre maladresse et votre angoisse sont une armure trop lourde à porter, elle entrave vos mouvements, étouffe la volonté. La situation est si dérisoire, vous êtes là, tout embourbé, le rêve est ici, à portée de voeu, et reste à vous toiser.

Alors quelque chose comme la vie semble s'écouler de votre âme, lentement se sépare de vous, ravinant peu à peu ce qui fut jadis votre identité. Vous quittez votre peau mais il n'y a rien en dessous, rien d'autre que le souhait auquel vous aspirez et qui s'empare tellement de vous que peu à peu il vous remplace. Vous êtes bien surpris: si l'on peut formuler un souhait comment en devenir un soi-même, sans se détruire ni s'annuler? Le vent vous traverse de toutes parts, il vous emporte et se fait vous, vous devenez aussi inconsistant que lui.

Cette histoire est bien triste car vous l'aimez votre rêve, à tel point que vous en oubliez l'objet qui pourtant persiste malgré vous. Ne pouvez-vous l'aimer pour lui-même, dans votre coin, accompagné de votre éternelle solitude? Non vous n'y croyez plus, votre choix est fait et vous avez changé par lui, une part de vous non négligeable a épousée son objet. Vous êtes à sa merci, vous lui avez confié votre bonheur, et ce faisant pensiez ne plus jamais le quitter, cependant le bonheur fait son chemin ailleurs, porté par d'autres élans. Vous courez après lui mais dès que vous tentez de le saisir, il se mue en tristesse ou en colère, se loge dans votre poitrine le temps de quelques battements de coeur avant de repartir plus loin et redevenir bonheur. Peut-on, vous demandez-vous alors, garder le bonheur loin de soi?

Mais les questions comme celle-ci sont dépourvues de réponses, elles sont ancrées dans le silence de la vie, ne sont domptées que par le temps, et encore, seulement pour un temps. Cela ne vous empêche pas d'espérer, dans votre purgatoire, que le bonheur perdu, un jour, las de voyager sans vous, revienne se poser sur vos lèvres, vos yeux et vos soupirs. Et vous comptez le temps, vous vieillissez doucement à l'ombre de cet espoir qui emplit l'horizon. Vous ne renoncez jamais n'est-ce pas? Vous traversez les nuits et traquez l'aurore, en vous disant chaque matin que celle-ci est la bonne.

Certains appellent ça bêtise, d'autres appellent ça l'amour.

lundi 20 mai 2013

Sans qualité

C'est peut-être lorsque l'on s'aperçoit que tout est possible que l'on devient réellement un homme sans qualité, un homme du renoncement, se contentant de toucher de l'âme les formes que l'on n'incrustera jamais dans la matière du réel. C'est peut-être aussi savoir l'effort que coûte chaque accouchement,  chaque entreprise, pour s'apercevoir que rien n'est aussi beau que dans l'esprit. Il faut se sentir un destin, une volonté d'être déterminé pour entreprendre et faire en sorte que ce qui hurle à l'intérieur puisse enfin sortir et se séparer de nous, de l'existence qui dure en nous. Placer tout son génie dans le présent est une chose douloureuse mais je ne connais pas de meilleur façon d'être avec les autres, porté par le temps qui se souvient de tout. Je suis dans le présent qui dévore tout, se séparant sans cesse de ce qu'il fut pour en faire autre chose, et ce présent est sans bagages. Au fond j'écris probablement pour faire comme tout le monde: pour conjurer le sentiment que le passé n'est rien dès lors qu'il n'est pas déroulé comme un fil derrière soi.

mardi 26 mars 2013

Vous parler

Comment aimerais-je vous parler; vous faire partager ces filaments de pensée qui me traînent d'un présent à un autre? J'aimerais trouver ma voix, faire de votre lecture un dialogue apaisant où vous puissiez faire des haltes, m'interroger, me mettre en doute, notiez sur un cahier des objections et toutes ces éruptions que mes propos agitent sur votre surface. J'aimerais vous faire aimer nos discussions...

Je suis un mendiant. Je tends la main vers l'inconnu, le non avenu, le possible et éventuel. Il n'y a qu'avec le silence que je sois un peu rude, lui que je contraint d'écouter ma plainte silencieuse, gravée sur sa mémoire minérale.

dimanche 24 mars 2013

Souvenir d'un amour

Il y a des lieux que l'on a tellement imprégné de sa personne qu'ils forment avec notre être une intrication indémêlable. Je porte en moi les souvenirs de ces grands eucalyptus et de ces palmiers éclairés par le soleil. J'ai trouvé une photographie et tout s'est rejoué en moi, la mémoire a retrouvé une vie dans le présent de mon imagination. Il y a, je pense, différentes personnalités à chaque lieu. Les lieux vivent, respirent, interagissent avec vous, sont une part de la vie sociale. Les rues de Rabat que j'ai arpentées sont présentes en moi, elle ont leur place dans chacune de mes pensées, dans chacun de mes gestes. Cette photographie à fait rejaillir le présent de la mémoire: je suis dix ans en arrière, ressentant la ville et le système que l'on forme elle et moi. On dit qu'il ne faut point retourner sur les lieux de son enfance et moi je sais que le passé m'appelle pour me dire quelque chose. Peu importe que ce soit pour me dire adieu, j'irai à sa rencontre et j'entendrai son message. J'ai regardé cette photographie et la ville m'a apaisé, comme lorsqu'on savoure la photo d'un ami dont la vie nous a séparé. Seul quelque chose de réellement fort peut vous toucher à ce point à travers la durée et le temps, poser la main sur votre épaule et vous dire en silence le bonheur qu'il y avait à vivre ensemble.

-"Qui aime-t-on réellement dans un tel cas? L'insaisissable ville? Les gens qui la composent? Ou bien n'est-ce pas le fantôme de soi-même, l'éventualité d'une vie dont le bonheur s'est à jamais éteint?"

Danaïdes

Je suis malheureux, c'est un moment comme un autre.

Je vous parle et cela me fait du bien, je me remets à vibrer et à me sentir être au monde. Est-ce parce que votre propre détresse, par comparaison, me fait apprécier mon état? Pourquoi ma logorrhée se répand-elle lorsque je suis avec vous, donneuse de leçon, soi-disant porteuse de sagesse, pourquoi tous ces mots me font-ils vivre?

J'ai une hypothèse. Je crois que ce ne sont que des mensonges qui m'animent. Je vous parle et je vous mens. Calmez-vous, je ne suis pas totalement responsable; c'est que j'ignorais jusqu'alors que c'était le cas, je me mentais à moi-même. En fait, toutes mes phrases ne sont que des fantômes de mon passé que je vous jette à la figure. Je ne vous parle qu'avec des souvenirs, des souvenirs si forts, qu'ils vous paraissent incarnés; d'autant plus qu'en les disant, me remonte le souffle de ces moments enfuis; leur puissance d'alors agis encore sur moi. Nos conversations sont un prétexte à déambuler dans mon passé. Je revis les intensités qui ne sont plus, les moments qui brillent avec éclat dans l'océan mémoriel, je m'éclaire et me réchauffe à l'énergie de mes souvenirs.

Et puis, tel un feu de paille trop vite éteint, je repars chez moi, seul, et me vide des derniers échos du passé qui hantent encore, évanescents, mon présent. Je me retrouve face à ma propre vacuité, et c'est alors qu'en marchant sur un trottoir, au bord d'une route d'où les voitures soufflent dans mes poumons leur promesse de mort, je suis conscient alors; conscient que je suis perdu. J'ai la mélancolie trop lourde, je ne sais plus habiter l'instant, lui donner un tant soit peu de saveur. J'ai beau appliquer les recettes d'antan, pourtant pas si vieilles, mais rien ne marche, la réalité reste plate, lacunaire, intangible, il ne reste plus rien.

Alors je m'excuse de proférer des mensonges, et la bienséance voudrait qu'en votre présence je me taise, me contentant d'écouter la vie qui sourde de votre être. Je crois qu'au fond je suis résolument malade. Je suis un contenant que la vie abandonne. Je suis un chaînon de l'espèce qui n'est pas satisfait dans sa détermination, qui recherche autre chose, tous les possibles si possible. J'ai certainement besoin de vous à tel point que vous ne l'imaginez pas. Vous êtes mon oxygène, ma vie, mon élément. Vous m'êtes indispensables, moi, le tonneau des Danaïdes.

vendredi 22 février 2013

Curiosité

Un homme, peut-être vous, peut-être moi, placé face au choix de sacrifier sa vie pour quelque chose d'autre:

  -"Oh puis merde! On verra bien..."

Cette oeuvre

Cette oeuvre est comme la vie elle-même, comme l'univers: elle n'a pas de fin et son commencement vous est inconnu.

mardi 12 février 2013

Notre réalité

C'est une conspiration, l'univers se joue de moi! Chacune de mes pensées, chacun de mes voyages, exposés par les autres, enfilés sur leur collier, et l'on me fait apprendre qui je suis... Suis-je voué à poursuivre mes errances solitaires pour revenir parmi les hommes et voir chacun sa maison peinte aux couleurs de mes réflexions. Je m'éloigne et construit dans ma tête un "réel plus réel" mais les hommes, la somme de leur chemins, m'offrent la même oeuvre, à peu de choses près. Je marche dans les pas de tous ceux qui sont passés avant moi, tant de sillons tracés que je ne saurais trouver le mien.

Mais est-ce grave au fond? Pourquoi s'agacer contre cette sympathie universelle dont je ressens les effets? Pourquoi ce désir si prégnant d'être le premier à fouler le nouveau monde, pourquoi cette aspiration à la distinction? Peut-être avons-nous tous une partie du réel en nous et chacun détient une part de ce que l'autre détient lui aussi. Nos souvenirs et nos expériences se recoupent. Mais d'aucuns parlent plus forts que les autres et l'Histoire les retient. Nous ne devrions retenir les hommes que pour leurs 'découvertes', pour cette partie de la communauté qu'ils se décident à rendre un jour.

"Peut-être que ce qui compte, c'est cette réalité que nous écrivons peu à peu, tel un cadavre exquis; notre réalité humaine" dit-il pour se consoler...

dimanche 10 février 2013

Au fil de la raison

J'ai vu ton vrai visage, homme du savoir, tu portes des fourrures et des masques pour te cacher mais ta pureté n'a pas de cage. Depuis la forme de ton crâne jusqu'à tes tremblements, tout indique la lutte en toi, mais sans cesse et toujours, c'est l'innocence au creux de toi qui perce enfin au grand jour. Tu as les yeux perçants, tu es si attentif. Je te vois observer tes semblables, examinant le moindre effet de tes propos sur leurs visages, ton physique te fait ours maladroit mais ton esprit est plein d'égards et de douceur.

Les mots sont ta demeure, et lorsque tu sors au grand jour, tu t'enveloppes à l'intérieur et offre ce rempart à nos regards inquisiteurs. Je connais les mots, tout comme toi, ce sont eux qui me portent lorsque mon être se referme. Il m'a suffit d'ouvrir le filet de ta voix pour accéder à toi; je t'ai vu, tu étais là, petit et aérien, dans ton grand corps balourd.

Mais vint un jour ou ce fût à mon tour, de m'exposer à tous les regards, aux jalousies et aux espoirs. Seulement j'ai quelque expérience de ces épreuves, je sais scruter la peur et l'abriter en moi. Je ne sais alors ce que j'ai fait, si j'ai réussi à être moi, ne serait-ce qu'en partie. Ta corde j'ai fait vibrer, d'une manière ou d'une autre, dans ma voix tu t'es bercé. Lorsque j'eût terminé de créer un pont de lettres entre tous nos esprits, tu as planté tes yeux dans le fond des miens. Fini la rigolade, tu avais enlevé le masque, et je ne sais par quel miracle tu avais su ôter le mien. Qu'as-tu donc vu en moi, j'ai bien du mal à le savoir... Dans cette face brutale et cet air ahuri, dans ces propos maladroits et ce trop-plein de prévenance.

Nous nous sommes regardés et pour la première fois, je me suis senti reconnu, démasqué. Quel reflet de ma personne as-tu ainsi capturé? Serait-ce moi, homme de la douleur, qui ai enfin trouvé le moyen d'exister face aux autres? Peut-être ne comprendrais-je jamais clairement ce qui a pu toucher vos âmes à cet instant. Peut-être devrais-je me contenter de vos remerciements. Il semblerait en tout cas, que j'ai pu, par un moyen que j'ignore, t'apaiser un peu, te faire baisser les armes. C'est que, vois-tu, tu n'as rien à craindre de moi, je te respecte, et ma pensée n'est pas un mur d'ego, mais une main tendue à qui veut l'emprunter.

De cette expérience inoubliable, je garde en moi le doute: aurais-je trouvé le chemin pour vous mener dans mon espace? Aurais-je trouvé quelqu'un qui veut bien regarder?

Mais la raison est toujours là, elle est mon étoile du matin. Vos jugements sont des fers, je les accueille puis les fait ressortir. Je dois continuer ma route, toujours plus loin, éclairé par mes deux gardiennes: la raison et ma mémoire. Mais je garde ce souvenir en moi et, peut-être, un jour, je t'emmènerai avec moi, au fil de la raison.

jeudi 31 janvier 2013

Quelque chose demeure

Elle ne pouvait se retourner contre le cours, contre son temps, il lui fallait sans cesse avancer en avant. Bien des endroits elle a traversé durant son voyage, combien de paysages splendides lui ouvrant leurs bras, lui offrant un asile sûr dans une quelconque crique; combien de destins croisés, laissés sur le chemin, au bord, dans un premier temps, puis derrière, de plus en plus loin. Rien, vraiment, ne l'arrête, à peine le monde se place-t-il sur son chemin, qu'elle en épouse les contours et glisse sur ses bords, d'une caresse humide. Malheur à ceux qui voudraient se faire plus vaste qu'elle et la garder pour eux car alors, elle concentrera sur elle toute sa rage de vivre et son indépendance pour franchir l'obstacle, inéluctablement. Parfois reposée et avenante, elle accueille sur elle les corps qui voudraient se rafraîchir en son sein, elle se donne alors avec une apparente docilité. D'autrefois, c'est l'âme pleine de tourment et le coeur mouvementé qu'elle s'élance à travers les orages; dans ces moments rien ne l'émeut, elle est torrent d'indifférence et fait pleurer les hommes dont elle a brisé le coeur.

Puis la voilà qui disparaît, plus personne n'a de trace d'elle, on entend partout dire qu'elle n'aurait même jamais existé, pas ici en tout cas, pas dans ce monde, pas dans cette vie. Pourtant, il faut bien qu'elle continue sa route, quelque part, à l'abri des regards, de l'autre côté du monde peut-être, là où l'ombre s'agite et la lumière est interdite. Résider parmi les vivants est un travail harassant, les hommes sont sales et ils souillent tout ce qui attise en eux la convoitise. L'isolement que procure une caverne et le murmure des sédiments sont une compagnie lustrale pour une demoiselle qui ne s'abreuve qu'à la pureté. Ici le temps donne tout son sens à travers l'oeuvre qu'il polit lentement.

Mais bientôt il faut partir, une part d'elle se souvient des champs hérissés de cultures, des sifflements du vent dans les frondaisons et des rencontres impromptues. Il faut réintégrer l'envers du décor, répondre à l'appel des grands espaces sauvages et avancer encore vers ce mystérieux destin. Une réponse un jour sera donnée, qui marquera la fin pour elle de ce curieux périple. Ce destin qui si souvent l'a accompagné, dans sa course parallèle, attend depuis toujours, à son poste, perpendiculaire à sa ligne de vie, le lieu de leur rencontre. La voilà qui voit l'horizon s'élargir, le ciel dégagé offrir sa courbe aux confins de la Terre. Son rythme décroit à mesure qu'elle gonfle ses poumons plus facilement, se gorge de profondes inspirations face à l'immensité qui l'accueille. Elle est au bout du voyage, elle s'en va, se fond dans l'étendue de ce bleu infini qui la prend lentement mais sûrement, en fait sa concubine. Mais le cruel océan ne consent à offrir à ses conquêtes une vie plus vaste qu'au prix de la leur...

Le fleuve, alors, n'est plus, mais l'eau demeure.

mercredi 30 janvier 2013

Avec vous

Avertissement: ce texte doit être pris comme une littérature médiocre dénuée de toute velléité autobiographique. Merci.

Nous gesticulons et je gesticule.

Je n'existe pas réellement, ou de moins en moins ailleurs que dans ces lignes. Elles sont mon espace d'incarnation, de liberté, elles sont ce lieu et ce temps où l'on se dit et où peut-être on s'invente. J'aurais aimé pouvoir dire: voilà une trace de mon passage, un reflet particulier de moi-même, la marque de mes pas dans le désert de l'existence. Seulement, je ne peux m'empêcher de constater, me relisant, que moi-même ne possède plus la clé qui mène des ces textes à qui je fus. Tout juste puis-je encore me souvenir du contexte de leur naissance, mais il ne parle plus, sa présence est passée. Chaque texte prend son sens dans ce contexte spatio-temporel, si on l'en détache, il n'est plus ce qu'il était, il devient autre chose, se vend au plus offrant: l'instant présent, celui qui vient.

Mais qu'à cela ne tienne, il s'agira toujours d'une expression de moi-même, peu importe si le code n'est plus maîtrisé, si le sens est perdu, le mouvement enfui, reste toujours la trajectoire muette. C'est votre conscience qui recueillera en elle les quelques mots perçus, c'est elle qui fera vivre une image de moi, celle que vous imaginerez. Je ne peux que m'en réjouir, et tant pis si vous peignez en vous une image qui me trahirait, que pourrais-je bien dire moi qui l'ai permis? Les absents ont toujours tort et je n'oserais affirmer que je me suis mis dans mes mots...

C'est un morceau du monde, une pointe d'iceberg par laquelle vous reconstituerez une identité, un univers où se balader, une personne à qui parler peut-être. Il restera une trace tout de même, un mystère de plus dans l'univers. Ce témoignage, cette concrétion de mon être, voyez-la comme un caillou rencontré sur le chemin de votre vie: vous y faites attention ou pas, vous le ramassez ou pas, le mettez dans votre poche ou pas, le touchez ou pas, le conservez ou pas, y attachez des sentiments ou pas, lui donnez la signification que vous voulez, vous êtes libre d'en disposer. Un caillou suffit-il pour reconstruire la Terre? À peine suscite-t-il une telle image... Pourtant, j'ai décidé d'égarer ce fragment de moi-même sur ma trajectoire, de l'abandonner au temps pour ainsi dire.

Il restera au moins ça et j'en suis fier. Je traverserai le temps quelque part avant que l'on m'efface, avant que l'on efface même de toute mémoire le moindre souvenir de qui j'étais. Plus personne ne pourra témoigner de mon égocentrisme et s'écrier vertement: "Non mais quel mégalo!", personne... Dans un délai relativement court, il n'y aura plus rien de moi. En attendant, et pour ne pas créer une discontinuité dans ce qu'aura été ma vie, j'agis quand même, j'esquisse le geste absurde, une fois de plus, d'exprimer, de déposer quelque chose de moi-même dans ce monde.

Il y aura bien eu quelques croyances derrière cette vie: celle d'être, dans l'ensemble, juste et bon, mais peut-être est-ce là un peu trop et devrais-je me contenter de la pensée de n'avoir pas été vraiment mauvais pour le monde et pour les autres. Bien sûr, j'aurais pu avoir la décence de ne pas interagir avec eux, ne pas leur offrir le spectacle de mes gesticulations, ne pas l'ajouter à la somme de toutes les gesticulations de l'humanité. Parfois, ai-je eu la politesse de leur indiquer la vraie nature de mes actes, de ne pas en prendre compte et de laisser glisser. Parfois je n'ai pas eu cet égard et probablement alors, sur quelques âmes innocentes, ai-je pu semer le doute, accroître un peu plus l'incohérence globale, mais peut-être que c'est s'accorder bien trop d'importance au fond. Il faut m'excuser, l'homme a tendance à ne comprendre que trop tard, puis à vite oublier...

Mais tant pis, tout cela est fait, "alea jacta est". Il ne me reste plus désormais qu'à caresser l'idée folle que j'ai pu un jour, quelque part, pour quelqu'un, faire scintiller dans la nuit agitée de nos destins une lueur d'espoir, de paix, d'amour peut-être. L'idée que j'ai pu représenter pour un autre, un morceau d'univers suffisamment familier pour qu'on se trouve aise de sa compagnie, pour qu'on le foule avec plaisir et qu'on se l'approprie comme une partie de soi. L'idée de pouvoir être pour quelqu'un pareil à ces objets que l'on garde sur soi pour se rassurer, l'idée qu'enfin, une parcelle, une poussière de cet univers démesuré puisse nous appartenir un peu, puisse cesser d'être un mystère, cesser d'être ce qu'elle est en somme: un agrégat de silence, une interrogation. Dites-moi: ai-je pu, déjà, représenter cela pour vous? Une parcelle de monde suffisamment bienveillante et solide pour y reposer votre existence, ne fut-ce que pour un temps, une fraction d'éternité? Un morceau d'on-ne-sait-quoi qui aurait su résister un tant soit peu à l'altération de toutes choses, pour s'adapter à vous, à votre corps et à la délinéation de votre âme?

Fut un temps, et probablement d'autres temps viendront répondre à celui-là, où j'étais assez fort pour me trouver partout chez moi. Chacun et chaque chose était cela pour moi, un visage ou un lieu familier et bienveillant bien que totalement nouveau. Et le bonheur se résumait à cela, à se trouver une parenté avec toutes choses, une certaine unité bien que ce mot soit tellement gras aujourd'hui qu'il en est devenu indigeste, dégoulinant de la misère que les naufragés de ce monde y ont déposée, eux qui y ont instillé la croyance et s'en sont fait une bouée.

Je dois avouer tout de même que j'entretiens le 'secret' espoir que l'espace infini de ces mondes virtuels permette à mon oeuvre de durer avec les hommes, qu'elle ait le privilège d'accompagner l'Histoire jusqu'à sa fin éventuelle. Ainsi je désire mon droit de Cité, mon droit d'univers. J'attache de plus en plus de prix aujourd'hui à la matière. J'aimerais être comme elle et que mes textes ne soient rien de plus que cette matière, qu'ils cessent enfin d'hurler pour se contenter d'être là. Celui qui posera les yeux dessus pourra, s'il le veut, incarner les mot, leur prêter l'existence dont ils sont dépourvus en tant qu'éternité figée. S'ensuivra ce qui s'ensuivra, le fait que cela soit possible suffit à me rendre heureux, à me faire sourire, à donner sens à ma vie. Ma direction serait celle-là alors: devenir un grain d'univers que l'on pourrait regarder ou non. N'être plus, enfin, ce que j'ai peut-être toujours souhaité depuis les premiers temps où m'a pensé s'est avancée avec quelque assurance, que de cet enfant à genoux, elle s'est dressé sur ses bases pour devenir la pensée de ce corps devenu adulte lui aussi, n'être plus disais-je, qu'un Être pur et simple. Que le monde, l'Être, me donne la possibilité d'être là; avec vous.

mardi 29 janvier 2013

Evènement

Il est l'heure parfois de faire les choses, elles vont arriver, quoi qu'on fasse. Tout juste pouvons-nous repousser un peu l'échéance, comme on repousse un plaisir imminent parce que l'attente en constitue une part non négligeable. Ils sont bons ces moments qui s'avancent avec nécessité sur nos vies. Ce qui advient c'est le but, l'action, le lieu où l'on va. Et on va quelque part, qu'on le décide ou non; quelque part vient à nous aussi, c'est selon. De toute façon il reste toujours le mouvement.

Je m'en vais maintenant, vers l'évènement, vers ce qui vient à moi.

Pensez à cela un instant: peut-être constituez-vous mon prochain évènement, peut-être marchons-nous l'un vers l'autre sans même le savoir.

Mantra

Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde.

Il y a un monde

Je suis un choix; ma vie est un choix.

Une succession de choix, déterminés ou non, peut-être le saurons-nous un jour. En tout cas voilà, cet enchaînement d'horizons différents, de directions parfois contradictoires et qui toutes s'unifieront au soir de mon destin, lorsque la nuit tombera pour refermer la boucle sur le bouquet de ma vie, mon unité.

À l'homme tout est possible...

Il peut devenir ce qu'il veut, ce qu'il décide, par un libre décret ou non, peu importe au final car dans sa conscience étriquée, il y a aura l'acte du choix. Tu seras avocat mon fils, médecin, apiculteur, c'est la foire aux destins et il y en a pour tous les goûts. Veux-tu apprendre la musique? Alors choisis l'horizon du musicien et ses promesses d'harmonie. Veux-tu apprendre à entendre le corps? Alors choisis la médecine et parle avec les corps. Je tourne la tête en tous sens, et partout je vois le possible, ce qui est en puissance, attendant l'acte. L'économie avait besoin de cadres, d'ingénieurs? J'ai reçu l'éducation pour cela, exprimez vos attentes et je les comblerai de ma vie. Me voilà condamné à être, c'est à dire à n'être pas rien.

Tout est possible et l'homme n'a que faire de la liberté. Plutôt devrais-je dire qu'une liberté absolue n'en est déjà plus une. Il faut des contraintes, il faut un cadre. Alors je me tourne vers le passé, il est mon conseiller particulier bien qu'il s'adresse à qui veut l'entendre. Je me tourne donc vers lui pour l'interroger: comme à son habitude il ne dit rien, il se contente de tourner vers moi une région du temps et un espace donné, avec la docilité du chien fidèle. Il me faut lire en lui, déceler moi-même les signes muets qu'il propose. Alors, je trouve une piste, un espoir, une possibilité:

"Il y a un monde."

Et cette affirmation dépouillée du superflu me rappelle alors que: ce n'est pas grave, ce n'est d'ailleurs probablement pas grand chose; fais-en ce que tu veux, ni plus ni moins.

lundi 28 janvier 2013

Marche

Si tu te sens oppressé, étranger à toi-même, trop affairé pour écouter ton propre corps, tes propres pensées,  alors, marche! Marche de ce balancement régulier dont le seul objectif est de se perpétuer lui-même avec aisance et naturel. Envoie une jambe après l'autre et laisse l'automatisme libérer ton âme en la portant avec douceur. Laisse donc ton corps absorber pour toi tous les chocs de la matière, laisse le amortir ton poids dans ce mouvement gracile et sois libre, sois conscient de toi-même.

Dans cette mécanique du corps bien huilée, tu te retrouves enfin, voici ton îlot de temps à ne penser à rien d'autre qu'à l'instant présent, au passé ou à ce qu'il te plaît de concevoir. Sens les contraintes s'abolir sous la pression de tes pas, ton corps se meut d'un point à un autre et il n'y a rien que tu puisses faire pour éviter ce trajet, ce temps là t'appartiens, fais-en l'usage qu'il te plaira.

Marche et réunis-toi.

Marche et réjouis-toi.

dimanche 27 janvier 2013

Des cordes

Peut-être aimons-nous autant la musique parce que nous sommes des cordes? Parce que toute matière connue possède la forme d'une corde, pareille à celle de nos guitares. Et chacune des ces milliards de milliards de milliards de cordes qui nous constituent vibrent de leur propre ondulation, à leur propre fréquence. La musique dans tout ça serait comme un nouveau cosmos qui viendrait bouleverser les règles usuelles, qui viendrait jouer de nos corps avec la force de toute sa "génialité sensuelle". La musique joue de nous autant que nous jouons d'elle, c'est un amour parfait, réciproque.

"Sans musique, la vie serait une erreur" disait cet humain trop humain et s'il faut trouver une fin, un télos à tout ce que nous vivons, alors que ce soit la musique et rien d'autre. Qu'est-ce que l'harmonie sinon la durée pure qui berce nos existences? On peut absolument tout métaphoriser grâce à l'image de la musique, elle est le signifié même de chaque étant. Ramenés dans le mouvement harmonieux et ordonné du cosmos, nous pouvons marcher convenablement, d'un pas souple et aérien que mille causes d'aliénation nous font perdre peu à peu, jusqu'à ce que l'homme au crépuscule de ses jours demeure dans l'immobilité. Nous sommes faits pour le mouvement harmonieux, celui où chaque mesure, chaque battement chaque note est lourde du passé, celui où le futur prend mille visages différents mais qui tous paraissent familiers car ils répondent nécessairement au sillon du passé.

La régularité du mouvement musical nous ramène en nous-mêmes, attentifs à la partition que nos destins orchestrent patiemment, à nos rythmes lents mais qui s'avancent sûrement vers toujours plus de liberté. Qu'est-ce que la musique si ce n'est l'homme qui s'est emparé de sa temporalité, qui a marché sur son propre tempo, afin de vaincre l'espace et cette inertie que la matière impose à la volonté de son esprit, à sa propre réalisation. Apprendre la musique, c'est apprendre à vivre, et, peut-être qu'apprendre est la modalité d'existence de tout humain, la leçon que nous dispenserait gracieusement le monde.

mardi 22 janvier 2013

Cartographe

On dit bien parfois que la vie est un combat, un voyage, que l'on perd, mais que celui qui n'abandonne pas finit par gagner, d'une manière ou d'une autre, un pied devant l'autre, se relevant toujours de ses chutes; on dit tout ça non? Et ce sont pourtant toujours les mêmes travers qui nous accrochent de leurs griffes tenaces: l'amour des raccourcis. On souhaiterait doubler le temps, faire plus en une vie que ce que l'on pense possible; et pourtant, tellement de choses seraient possibles si l'on ne perdait pas ce temps à rêver de bottes de sept lieues... Combien de temps...

J'en ai vu briller là-haut, sur les toits du monde; je les regarde d'en bas, de ma caverne abhorrée (et ô combien adorée). Ils me prêtent des yeux pour voir l'immensité de tout. Ils parlent de leur voyage, de ses détours et embûches avec l'assurance de celui qui les a surmontées. Mille chemins et mille cimes accessibles au marcheur, et j'ai préféré fermer les yeux pour m'inventer des ballons qui me mèneraient plus haut que tous. Je traçais ma route à l'intérieur de moi, là où, évidemment, personne ne pouvait me suivre. J'ai ramené de ces concrétudes étranges qui se tiennent un instant dans vos mains puis filent entre les doigts, ne laissant qu'un souvenir sur lequel on s'est tenu: les vérités du dedans. Je clos les paupières et regarde dehors du dedans, sans rien laisser filtrer à l'intérieur et ma vision est pure, parfois si pure que j'en perd le goût de l'ailleurs, de l'action, de la vie. On peut aller si loin à l'intérieur des songes, sous le manteau de la conscience que je ne sais plus parfois s'il me faut revenir ou pas.

Mais cette histoire ne peut s'arrêter là pas vrai? On ne saurait passer sa vie à se nourrir des autres, des récits de leurs itinéraires, de leur carnet de bord pour se fermer à eux, ne rien laisser derrière soi que deux ou trois pressentiments de tous ces paysages enfouis... Je me décide enfin, à prendre la route qui part de mon chaos pour traverser la couche épaisse de mon inertie, affronter la résistance de la matière avec mes mains, l'esprit comme arrière-boutique bienveillante, comme une carte aux trésors. Mes doigts sont des pinceaux à l'aide desquels je vais calligraphier les noms et descriptions de ces quelques lieux fantastiques qui existent réellement, entre une cause et ses effets: les vérités. Je passerai sans canne dans la vie des hommes, à la périphérie des villes. J'ajouterai au monde ce que j'ai entrevu là bas et que je pleure de contempler en moi, si souvent, si seul. Et d'aucuns cesseront de m'interroger sur la raison du thème récurrent de mes anciennes oeuvres, toujours sombres, toujours désespérées. C'est que j'avais besoin de chanter alors, de faire sortir de moi la douleur de l'esprit face aux contraintes de la matière. C'était le chant d'un prisonnier qui voulait partager la liberté de sa cellule avec le monde.

Je mets aujourd'hui une fin à cela, si seulement je le veux bien... À mon tour, peut-être, d'imprimer dans l'atome un peu de mon existence, de mes voyages à l'autre bout du monde; à mon tour de faire rêver ceux qui, comme moi, voudraient relier d'un pas sûr, chaque recoin de l'univers à l'autre, pour que l'on marche enfin ensemble. Je vois ma bulle et je vois les vôtres... Les mots ont été la musique que votre existence a fait sourdre de vous-même. Ils sont aussi la mienne qui vous appelle. C'est le chemin, dorénavant, qu'il faut continuer de tracer, encore et sans rechigner. Ce chemin c'est la raison et je l'écrirai pour vous, comme une randonnée que nous pourrons tous faire. Ce sera long probablement. Je devrais affronter le temps et l'espace, m'armer de toute la patience qui me fait défaut. Mais il faut absolument que je fasse d'un coin de matière, une part de mon identité, que je dessine les cartes pour les voyageurs d'aujourd'hui et ceux à venir.

Aujourd'hui, si je le veux bien, je prend la route qui part de mes ténèbres aériennes pour traverser la chair et m'inscrire dans l'espace. Je prend le chemin qui mène d'un silence à l'autre. Je tends la main et vous montre l'universel, l'unité de ce monde que nos consciences morcellent. Je prend la route, enfin, et viens à vous.

lundi 21 janvier 2013

Un enfant capricieux

Je sais ce matin en me levant, avec certitude, que je suis prisonnier. Je le vis dans chacune de mes pensées et de mes sensations. L'univers dans son infinité me retient prisonnier, m'enferme comme une partie du tout. Je dois sortir de là, je dois m'enfuir de moi-même, emprunter vos yeux, emprunter vos âmes. Si je ne puis sortir de cette prison, je veux devenir cette prison. Tous les outils sont là, autour de nous, à disposition. Il me faudra apprendre toutes les langues, tous les langages de ce monde et des autres; ensuite? j'en créerai de nouveaux, autant de regards singuliers dont j'emprunterai la route pour rentrer dans les choses. Je ne dois pas mourir, je ne peux pas mourir. Comment mener à bien cet objectif insensé sous la contrainte du temps, de ma propre durée? Je trouverai des replis d'univers où terrer mes souvenirs, je reviendrai sous d'autres formes les incruster en moi, et nous continuerons ensemble l'oeuvre  ainsi entamée. Je suis un prisonnier? Je n'aurais de cesse de trouver la sortie. Je vais comprendre chaque cause et chaque effet, je dessinerai tout le cosmos pour me connaître enfin, pour me sortir de là, de vos règles, de votre ordre! Un jour, plus rien ne me contraindra, je serai partout, je serai l'univers, prison de toutes les prisons.

J'emprunterais vos yeux si vous daigniez les prêter charitablement à ma vieille identité souillée. Mais, même ainsi offerts, je ne sais si j'aurais le courage de les adapter à la délinéation de mon âme. Trop de travail, toujours du travail que de se rendre plus vaste, d'accroître sa liberté en rongeant sur les limites que la résistance du monde nous impose. La résistance du monde, je la plie lentement, tellement lentement que j'en perd tout espoir d'un jour, ressentir la libération salvatrice de toute cette énergie qui veut s'exprimer. Pourquoi ne puis-je vivre dans un monde où les pensées sont des actes. Je serais fort alors et loin de moi tous les barreaux étouffants, qui voudraient retenir ce que je suis dans cette ridicule forme d'humain. D'ailleurs l'humain ça n'est rien, rien d'autre qu'un contenant empli de vacuité. J'y imposerai la forme qui n'est pas encore mienne, cette absence de forme de tout ce qui est en mouvement, sans cesse à rogner sur le reste. J'ai la curiosité insatiable, je suis inarrêtable. Je mangerais des trous noirs au petit-déjeuner, je ferais tourner des galaxies sur le dos de ma main pour jouer des étoiles. Je mettrai le cosmos dans un atome, dans une simple équation sans inconnues, puis je ferais tout exploser pour tout recommencer.

Le temps, je n'en veux pas! Fini la finitude et les secondes comptées à regarder se perdre ce qui réside dans la moindre étincelle de mes songes. Fini la technique et sa dictature de la mémoire habitude, cette tricherie qui veut celer le passé douloureux dans la facilité de l'instant présent, dans le geste libre. Mais le geste n'est pas LIBRE! Il est enfermé, enclos dans ces heures de répétition à rendre naturel l'inconfortable, à polir cette illusion de puissance que tous vont admirer. Fini la finitude! Fini la durée, fini la distance, voici l'instantané qui viole le temps. Je ne veux point abolir le temps mais simplement le prostituer à mon éternité. Je suis un enfant capricieux, je sais...

jeudi 17 janvier 2013

Phoenix

On se retournera au terme de sa vie pour constater tout d'un coup que l'on a vécu, que le temps est passé, à travers nous, contre notre gré. On jette un coup d'oeil derrière, pour voir d'où l'on est parti mais on n'y voit plus très clair, on reconstruit dans sa tête la fiction des origines. Tout ce que l'on reconnaît, d'ailleurs, c'est une succession d'instants, de gestes, de pensées, autant de fragments d'un être brisé par le temps. On a été bébé puis enfant, on aimait ceci ou cela que dorénavant l'on aime plus.
-"Qui sont tous ces gens sur qui j'ai bâti mon existence présente? Y a-t-il une dimension dans laquelle nous sommes toutes ces identités unies?"

 Aujourd'hui, on est là, perché sur la pointe du présent renouvelé, par-delà les abîmes, surplombant les cadavres de nos vérités antérieures. On se demande quel est donc le sens de tout cela, ce qui nous lie finalement à tous ces états enfuis. Probablement rien au fond, et la mort qui s'approche à pas de loup, sûre de sa prise, n'est peut-être qu'une nouvelle occasion de renaître de ses cendres, d'être celui qui se nourrit de la mort du présent.

Il faut peut-être croire à cette légende du phoenix, seulement les légendes ne sont pas à prendre à la lettre, et cet entité mythologique n'a probablement rien d'un oiseau. Le phoenix c'est le temps, et nous en sommes les enfants, plumes plantées sur  ses ailes de géant.