mardi 14 mai 2024

Exhausser

Des niveaux d'énergie que d'exister, et j'existe au plus bas du bas des vibrations primordiales, proche de l'absorption définitive dans le grand vide -- non pas celui qui contient toute chose en son indétermination, mais celui qui ne veut plus rien dire. À de rares moments d'un quotidien uniforme -- qui à force de me repasser m'enferme en ses deux dimensions -- je tente d'un effort sans espoir de rallier le niveau supérieur. Comme les souvenirs sont vifs en moi de l'ancien temps où brûlait en mon for un cœur d'étoile en fusion... Le réacteur mort de ma vitalité redémarre, parfois, par quelques soubresauts pathétiques qui ressemblent plus, au fond, à de poignants sanglots. Personne ne comprend cela, les autres autour de vous continuent de percevoir votre forme imprimée sur la matière du vide, comme avant, ils continuent d'être affecté par le son de vos paroles qui franchissent le bord de vos lèvres, comme avant, ils contemplent votre regard franchissant cet ourlet de vos paupières, comme avant, observent le mouvement de vos membres qui singent une existence normale, comme avant... La solitude qui en découle est plus absolue que ne l'est Dieu Unique... Personne ne saura ce qu'il en coûte d'être là, comme une ombre que tout le monde confond avec l'être même, crucifié sur la surface d'une énième caverne que les badauds fascinés habitent -- sans même pouvoir envisager un instant qu'il existe autre chose. Tant pis, je combattrai implosif à l'intérieur de cette citadelle de silence, j'y souffrirai de maux réels -- et qui sont incapables, ne serait-ce qu'un instant, de harponner les bons mots capables de tisser un pont vers un Ailleurs... Peut-être au fond qu'un jour, un saut ontique me verra débouler dans la marée lumineuse qui fut ma demeure d'alors, et tout, de nouveau, se mettra à pulser du rythme de cette énergie qui sait créer des mondes nouveaux.

Chacun de ces poèmes d'ethiops sera le témoignage de mon travail pour réintégrer cette noosphère que j'ai quitté il y a maintenant plus d'un couple d'années. Comme une marée montante, je n'ai de cesse que l'océan furieux de mon âme lèche le noyau de mes cellules, qu'il comble de vitalité le désert de mon corps; et lève cette houle qui soulève cœurs et âmes, exhausse les pensées à des cimes d'horizons.

Évohé! Évohé!

Chant du cygne ou non: que mes mots m'exhaussent aujourd'hui!

mercredi 8 mai 2024

Fact-checking

C'est toujours avec la fascination un peu morbide du pré-suicidé que j'observe la totale dépendance de mes semblables. Troupeau servile et grégaire inapte à vivre par soi-même dans la grande Nature. La fille des paysans me racontait comme il arrive parfois, qu'en un troupeau de moutons bien dociles, surgisse l'idiosyncrasie rebelle d'un ovin atypique. Celui-là n'a de cesse de taquiner les autres, de faire le tour de son enclos et de trouver partout des failles qu'il s'empresse de franchir, exposant à ses congénères le triste spectacle de ce qu'on pourrait nommer liberté. Alors, me dit-elle, il n'y a pas le choix, il faut abattre cette bête afin qu'elle ne contamine pas le reste du troupeau de son mauvais genre, ce reste qui aurait tôt fait de reproduire l'odieux péché. Et vous: ce troupeau ne vous rappelle-t-il rien? Engeance issue d'une longue domestication, bouquet de gènes par l'homme agencé -- dans le but de servir? Incapables de survivre en la grande Nature... moutons et hommes: morne pâture.

Au lieu d'entretisser nos frêles tiges en de solides lianes d'entraide, nous dérivons atomiques et résignés, transis de peur face aux aboiements des bergers et de leurs chiens. Nous habitons des boxs et pâturons dans des enclos, tous réglés sur la même horloge, tous synergiquement dressés pour perfuser nos maîtres de nos sangs giratoires, leur insuffler ce concentré de temps qui rend l'illusion plus tenace d'être libre à jamais.

La grande ferme des animaux a dissous les liens sociaux de jadis -- de cet archaïsme d'homme -- dans le diffus de flux institutionnels. La confiance est accordé à des choses et à des principes et non plus aux gens. Et nous nous côtoyons tous dans le grand troupeau sans jamais nous connaître, défiants a priori de l'autre, jaloux de ce qu'obtient la plus faible brebis, incapables d'imaginer même que la complexion de nos vies n'a pas toujours été ainsi, révoltés, même, lorsqu'un importun croit bon de nous le faire remarquer, indignés qu'on puisse avoir encore l'impardonnable courage de rêver autre chose... Et tout cela est si pronfondément ancré en nous que rien ne peut sembler plus naturel. Alors, l'outrecuidant qui voudrait bouleverser l'ordre des choses, le grand Cosmos éternel, doit être rappelé à l'ordre; et le mouton -- qui, peut-être, n'en a jamais été un -- sait sortir les crocs du loup pour son semblable égaré. La servitude est désormais un organisme autonome, homéostatique, et toute velléité de liberté se voit dévorée par de zélés anticorps.

Tiens, j'ai lu ce matin, sur un panneau publicitaire, ou était-ce un fil de clôture... que la devise de mon pays vient d'être fact-checkée par les "zététiciens"... il ne s'agissait, en fait, que d'une vulgaire fake news. C'est vrai qu'en y repensant d'un peu plus près, ces trois petits mots sont vulgaires... Ont-ils jamais parlé de quelque chose de réel? Et celui-là alors! Mais qu'est-ce qu'il vient s'approcher de moi avec sa laine d'obscurité? Le suint n'y luit même pas! Et regardez-le baffrer comme pas deux, ça engloutit la part d'une famille entière et en plus ça vous coupe l'herbe sous le pied! Crois-moi bien p'tit gars que tu n'auras pas une miette de ma ration.

C'était quoi déjà cette devise au fait? Oh puis quelle importance après tout...

Le Trou

Est-il vraiment nécessaire de se faire comprendre d'autrui? Comme s'il fallait sans cesse justifier son existence et tout ce petit mobilier insipide qui -- le croit-on -- constitue ce qu'on est? Est-il si intolérable de laisser le monde -- une partie du moins -- vous vomir et mépriser? Le Surhomme n'est pas de ceux qui réclament l'amour d'autrui: je suis tout sauf un Surhomme.

Alors, cahin-cahan, je tente d'expliquer à l'autre qui fait face ce qu'il en coûte d'être moi. Mais les mots vous font tantôt paraître hyperbolique, tantôt euphémique. Que d'emphase et de broderies ne faut-il pas déployer pour rendre un tant soit peu palpable à autrui ce grand trou noir qui vous habite; dévore votre présent d'énergie, absorbe la vitalité en cathéter invisible jusqu'à laisser ce petit tas d'ombre salie qui coule entre les murs de son destin ce bien triste sillage.

Rien ne saura donner la mesure de la souffrance qui est mienne -- aussi risible soit-elle... De quoi me plains-je enfin..! À celui qui sent, de toutes les manières, le nuancier du vide par tous les pores de son âme, celui-là sait la profondeur du tourment qui charrie les fragments perdus de soi au travers des jours. Et je l'aime comme un frère algique écartelé par les étoiles -- lui aussi. En ce qui me concerne, je ne les regarde même plus, clos sur le centre actif de ma déréliction je me fige en posture de garde, protégeant de mes membres frêles et improductifs les organes vitaux qui me maintiennent, végétativement, en survie. Je peux me prévaloir de la santé de mes intestins qui déversent leur torrent quotidien d'excréments qui n'ont pas même pour eux d'être le souvenir de plaisirs réels, mais plutôt le fantôme affairé de mes angoisses à reboucher le trou.

Le trou: tout est affaire de trou. De l'enceinte jusqu'à la tombe: un trou pour se chuter.

dimanche 5 mai 2024

S'envelopper de monde

Brouillon de 2015
 
Je suis parfois coincé à la surface de moi-même, loin de la puissance féconde et de son coeur pulsatile, si loin que je ne peux l'entendre respirer. Tout entier dans les gestes qui fouillent l'extériorité projetée d'un monde qui n'est que le rejeton d'un réel qui complote avec les âmes. Je suis dans la distance si courte entre la surface de mes yeux et celle des choses observées, comme si toutes mes images ne parvenaient pas à cet esprit artisan qui assemble les couleurs, dessine des formes avec la prolixité d'un démiurge enivré de lui-même.

Cette église sans dieu qu'est mon âme demeure alors sans écho, rien ne vient résonner, chaque son semble se perdre sur les murs extérieurs.

Je ne contiens pas ces heures, ce sont elles qui me contiennent, et je me sens l'enveloppe externe de mes propres actes.

C'est que le monde est cet espace entre deux horizons: celui qui se joue devant nous par les sens, et celui, inobservé, que les pensées figurent par leurs formes abstraites. Il est cet espace que j'ai sous les yeux et ce que j'imagine par deçà et par delà, par souci de continuité et de cohérence.

Le monde en ces moments n'est plus que le terrain atopique de mes sens, sans fondement imaginatif, ou bien réduit à sa portion congrue, carte miniature et schématique d'un territoire qui a perdu ses mots.

Le monde, une fois n'est pas coutume, se referme sur moi - mais n'est-ce pas moi qui me recouvre de lui?