lundi 22 février 2021

Origine néant

Exercice de sécurité, brouillon d'ennui, tentative de digestion... C'est un texte comme les autres: un simple assaut technique, avant le vrai combat

 

Crevure

Éraflure d'elfe des cités / cicatrice orbe / empaquetée de chair

Vitupère insigne / Barbelés molotov / Cage aux barreaux durs / déglingue

Épars / démarre pour un futur

 

Étoile cassée / souillée / givrée / de larmes insipides

Radicelles limpides / Ancrée au champ du ciel

Terrain de jeu / de rut / de rêves écrasés / D'amours / en reconditionné


Flèche tendu de temps / impétrant qui recule / les choix ça soigne

De trop de liberté / racoler un destin / partir avec rien

Pas grave / le pire que soi existe / on continue / on continue

 

Battre le pavé / suite royale / pas maintenant / brelan / pourquoi pas

C'est mieux que rien / mieux qu'un soi se branlant

Mieux qu'un vieux lit d'hôtel / en la gare inconnue


Toute nue / de force / aveugle et transparente / violence exquise

Esquisse et trop latente / j'attends / le haut / en bas

J'attends / le vieux Godot / j'attends le vieux Godot


Dans des godasses / concrétion de pétrole / mains fines

Jeunesse d'usine / c'est beau la Chine / ça fait des vocations


Kafka dans les menottes / Départ / radeau / pour nuitée en cascades

Corde / nœud / et coule la rivière / du sang / artère

Du sang / mais sens inverse / perverse / essence


Frondaison chevelue / point de départ / origine / néant

dimanche 21 février 2021

Aphorismes du faux prophète

 Lorsque l'hideuse couleur de l'ego s'orne des reflets du doute, nul ne peut reconnaître un précieux électuaire du venin scripturaire.

 

Vil venin scripturaire, opium de la conscience qui se regarde naître.

 

Si tu brilles à l'extérieur, sois sombre en ton cœur.


Méfie-toi de ceux dont la haine est amour et le regard s'observe: ils vivent au sein des signes et tout leur est moyen.


Diable: conscience double. Les enfants de l'abîme sont tous de faux prophètes.

Du centre de la Terre aux banlieues étoilées

 Je ne veux pas ma poésie actuelle, je ne la veux pas contemporaine ou à la mode d'aujourd'hui; je la veux éternelle et que l'esprit du temps s'y profile congrûment, bien en rang dans la file des ères.

J'ai la prétention large, à la mesure de mes doutes; et pour cela la chute ou bien s'extirpera du monde, ou crèvera le ciel d'un tout nouveau soleil.

Du centre de la Terre aux banlieues étoilées: mon fleuve-encre de prose.

samedi 20 février 2021

Souffrons lucides

J'ai découvert aujourd'hui une forme de poésie sur laquelle je ne suis pas porté mais dont, toutefois, j'admets l'originalité. Comme toujours, je digère. Verra bien ce qui en adviendra dans l'immense chantier.

 

 Le réel

Des mots pour le dire

Oxymores, anaphores

Y a-t-il seulement deux contraires en ce monde?

Deux choses identiques?

Répétition de la répétition

L'idée de notre idée

Tas de lemmes mit bout à bout

Des sèmes ne font pas un caillou

Les mots les choses

L'abîme entre eux -- les deux

L'alcool: un feu

Images phantasmatiques du monde

Du monde qui demeure une image

Jamais donné, toujours absent

Derrière les signes

Et sensations

Seul absolu des sensations

Sol absolu des sens, action

Des nerfs sur le cerveau

Image sur l'écran noir de songes

La toile, un film qui s'écoule

Dégueulé du labo

Crânien jusqu'à l'atome

Et puis voilà, c'est tout

Des cages

Dégage

Toute forme est une mirage

Nos sèmes un mensonge

Et ceux qui s'aiment rongent

Un os inexistant

Trop dur d'être poreux

Idée trop pure pour eux

S'y cassent les dents d'ivoire

Six as pour voir

Au fond du jeu

Au fond tout ça, n'est pas sérieux

La chose en soi rigole

Quand prose dégringole

On ne sort pas de soi

On s'y calfeutre à perpétuité

Feutre ou crayon de bois

On s'y dessine réalité

Souffrons lucides:

Le réel? Une idée!

vendredi 19 février 2021

Actualités sempiternelles

 Je vis avec le cœur d'une étoile qui s'effondre.

Nous sommes colocataires des vacuités cosmiques, tous deux centre de gravité, tous deux creusant jour après jour le vieil espace-temps vers notre point de singularité, celui que plus une équation ne sait décrire.

Celui que je me fais passion d'écrire. Avec mes propres formules, avec toute l'exactitude lyrique de ma géométrie intime.

Cette étoile qui implose est à côté de moi: dans l'écrin de sobriété du salon en ce jour qui s'élance, et que la pièce recompose en un équilibre un peu triste d'ombres et de lumières. La luminosité change, l'éclat des murs, leur carnation, s'altère imperceptiblement, seconde après seconde, et je reste immobile. Je reste immobile et m'aperçois, finalement, que les murs ont changé, que la poussière lumineuse suspendu entre les fenêtres a pris une configuration nouvelle, qu'elle danse de nouveaux pas, et que cette maison exhale un sentiment qui s'évanouit continuellement en autre chose. Comme mon existence, comme ma conscience qui ne se reconnaît qu'en tant qu'essentielle différance.

La salle à manger a ses bouches, avalant la lumière et son plancton photonique invisible à mes sens limités. Existe-t-il un être dont les sens perçoivent les photons? Je m'interroge et l'interrogation flotte au milieu des poussières, parmi les particules: elle est de même nature qu'eux. Dès que je n'y pense plus, tout disparaît...

Ces hautes fenêtres sont peut-être après tout des yeux qui mangent la lumière et qui, comme ma tête, se la projettent intérieurement dans un jeu de reflets récursifs qui manifestent un monde à l'intérieur des choses. Et ce faisant l'intérieur plus intérieur encore s'éloigne toujours plus en-dedans. Qu'y a-t-il entre les murs de ma maison? Qu'y a-t-il sous la surface des électrons? Des quarks? Jusqu'où peut refluer l'intérieur, l'intimité des choses?

L'étoile à côté semble se stabiliser dans son effondrement. Son voyage est sans fin, du moins nul ne saurait déterminer où il commence et où il cesse... Je ne vois pas cette étoile, de la même manière que je n'ai jamais vu de photon. Je me la représente et je ressens les effets de cet acte mental, je sens le réagencement total du monde-objet, artefact personnel qui se construit éternellement dans le chantier de tout.

Nous sommes dans la maison, à travers le cri des oiseaux, à travers les plis de l'atmosphère, à travers la durée silencieuse figurée par les sons, à travers l'idée de nous-même et sa présence ressentie.

La lumière de l'ampoule dans la cuisine attenante perce le tableau que je me peint des choses et fore un puits de lumière qui se prolonge en crissement de nerfs, en crispation de mes muscles oculaires, et tout cela résonne en ondes concentriques à travers la masse de chair qui se maintient unie et détachée du reste. La seule vérité, le seul absolu, c'est cette sensation anonyme, cette sensation qui n'est pas même un véritable objet, une chose délimitée dans le ruban de ce qui est senti et forme mélodie pour un destin.

Derechef, je me remets pourtant à clore cet écoulement dans une goutte de pensée, une bulle noétique qui me la rend pareille à cette ampoule extérieure et néanmoins présente en moi...Une pensée me traverse. Écrire sur l'actualité...

Écrire sur l'actualité? L'éternité n'est-elle pas toujours actuelle?

mardi 16 février 2021

Fonction eidétique de l'artiste

Avertissement: Il ne s'agit bien évidemment pas ici d'une tentative de définition de l'art. Je n'ai nulle prétention à réduire l'art à mes points de vue actuels (et j'espère être à même d'en subsumer bien d'autres encore au long de ma vie). Je ne fais ici qu'exprimer une certaine perspective prise sur l'art, perspective personnelle mais que j'ai eu aussi l'impression de retrouver chez des artistes m'étant chers. L'art, est bien d'autres choses que l'angle par lequel il est abordé ici. Nulle velléité d'autorité, nulle velléité de réduction.

 

Saisir une fonction eidétique  statique

 Ce qu'on veut transmettre à travers l'écriture, c'est sa propre essence, c'est à dire la fonction qui nous définit en tant qu'être qui digère et transforme des altérités pour perdurer dans son essence. L'expression de cette fonction est, en droit, impossible à donner sous un quelconque produit de l'art ou de la réflexion. L'expression de cette fonction est un enchevêtrement causal opaque et indéfini, ce qu'Aristote pourrait appeler cause formelle et cause finale. Elle n'est pas donnée telle quelle dans l'action de l'être qui en est la réalisation en acte, à travers chaque acte de cet être ne se donnent que les résultats de sa fonction eidétique. Prenons une analogie mathématique: l'expression d'une fonction mathématique ne peut être donnée par ses résultats puisqu'une fonction n'est pas une valeur et inclut notamment des variables. La variable illustre et signifie le rôle de morphogenèse de la fonction: cette dernière prend en paramètre une valeur (un être) pour lui appliquer des opérations qui produiront un résultat. Autrement dit la fonction est un processus de transformation et de mise en forme (mise en ordre) du monde.

Si l'expression d'une fonction ne peut être retrouvée par ses résultats, puisqu'il existe pour une série donnée de résultats une infinité de fonctions possibles, il n'en demeure pas moins que plus le nombre de résultats augmente et plus la fonction devient définissable. En effet, plus la série des résultats augmente et plus certaines formes de fonctions seront éliminées, plus on augmentera la probabilité de tendre vers telle ou telle forme de fonction. Par ce processus, les résultats permettent bien de pallier l'interdit originel, du moins de manière relative, puisqu'il devient possible de cerner peu à peu la nature de la fonction qui est à l'origine de ces résultats. C'est exactement ce qu'il se passe avec un auteur: plus le nombre de ses productions augmente, plus son style se définit dans sa forme essentielle. Nous avons, à notre époque bénie, une merveilleuse illustration de ce procédé avec l'intelligence artificielle. Nous avons réussi à faire en sorte qu'une intelligence artificielle soit à même de produire de nouveaux tableaux dans le style d'un peintre particulier, en nourrissant l'IA d’œuvres de cet artiste. Néanmoins, afin de saisir la fonction eidétique avec certitude, il faudrait que la série de ses productions soient infinie. Il n'y a qu'ainsi que l'on peut être certain que l'ordre identifié dans une partie de la série donnée ne pourra pas subitement varier. Autrement dit, tant que la fonction n'aura pas traitée toutes les valeurs possibles, il est impossible de la reconstituer avec certitude à partir de ses résultats. Mais plus le nombre des résultats tend vers l'infini, plus cette certitude augmente.

Imaginons par exemple un auteur qui, durant le cours de sa vie, découvre un autre auteur ou bien vit un événement marquant (traduisible par la détermination d'une valeur singulière donnée en argument d'une fonction) qui va transformer son écriture, ce qui aura pour conséquence de lui faire produire des textes originaux et qui semblent dévier de sa ligne initiale. On ne pourrait pas dire que sa fonction ou son essence d'écrivain ait changée: par nature son essence ne peut se transformer, elle est une donnée éternelle qui fixe son identité et subsume sous sa forme l'ensemble des variations qu'elle peut prendre au cours de l'histoire. On peut comprendre cela par le fait qu'il faut toujours postuler la continuité de l'identité dans les différents états d'un même être sous peine de dissoudre son identité et de ne pouvoir hypostasier en une substance unique l'écheveau des mois empiriques et de leurs formes singulières.

Ainsi donc, ce changement dans l'écriture de notre auteur n'aurait pu être anticipé par nos tentatives (antérieures à l'événement) de déterminer la nature de son essence: il nous fallait ces nouvelles données, ces nouveaux résultats pour les intégrer à nos recherches. Imaginons maintenant que ce type d'événement puisse se reproduire un nombre de fois indéterminable jusqu'à la mort de l'auteur: vous comprendrez pourquoi seule l'infinité du nombre de résultat peut assurer le caractère nécessaire de l'induction de l'expression de sa fonction. C'est le propre de l'induction d'avoir besoin d'une infinité de cas pour fonder la certitude du résultat induit. C'est précisément ce que pallie la déduction a priori.

Ceci dit, l'infinité est bel et bien nécessaire pour atteindre à la certitude apodictique, mais on pourrait penser qu'il suffit de la mort pour régler ce problème. En effet dès lors que l'auteur est mort, on peut considérer que la série totale de ses productions étant fournies, il n'est pas possible que sa fonction puisse produire des résultats imprévus ou simplement inconnus puisque l'on considère que le domaine des valeurs admissibles en tant qu'arguments de sa fonction est déterminé et fini. Dans ce cas, il devient alors possible de trouver la fonction qui est à même de produire ces résultats à partir de ces valeurs. Mais ici aussi il faut être prudent car il existe une infinité de fonctions possibles et aptes à produire ces résultats. De la même manière qu'entre un point A et un point B existent une infinité de chemins possibles, dès lors qu'on postule un espace infini.

Mais pire, en adoptant cette posture, on clôt artificiellement, par l'actuel, le domaine des valeurs que peut traiter la fonction, et l'on fait abstraction de l'ensemble des valeurs possibles qui n'ont pas été traitées mais auraient pu l'être. Or ces valeurs auraient pu produire des résultats inattendus... Imaginons que l'auteur ait vécu plus longtemps, et, qu'à un moment donné, il se mette à produire des œuvres étonnantes compte tenu de sa ligne directrice antérieure... C'est précisément l'effet de la mort que de figer en éternité ce qui était par nature dynamique (ou bien de finir ce qui était indéfini), mais la mort donne une solution de fait à notre question et non de droit. Il reste toujours impossible de reconstruire l'homme à partir de l’œuvre.


Saisir une fonction eidétique dynamique

Maintenant imaginons que la fonction n'est pas définie une fois pour toute, a priori, mais qu'elle soit dynamique. L'identité ne pourra plus être fondée sur le principe tautologique A = A. Il faudra la refonder à partir de la traçabilité et de la reconnaissance. Le sujet entraîné par le temps, voit son état changer à chaque instant, il doit donc faire un effort pour assimiler dans son nouvel état les états antérieurs et les faire siens. C'est à dire qu'il doit précisément assurer la fonction de mémoire, qui lie divers instants en une durée commune leur assurant le fond nécessaire de permanence. Afin de lier la multiplicité et de la subsumer sous une unité, il est nécessaire que ce fondement identitaire et permanent existe auparavant. Il semble donc impossible d'imaginer une fonction eidétique dynamique puisqu'une telle chose reviendrait à créer autant de fonctions nouvelles qu'il y a d'états de la fonction: chaque état de la fonction deviendrait une fonction à part entière, indépendante et absolument étrangère à la précédente.

Le seul moyen de pallier cette diffraction dirimante serait de considérer qu'il existe un substrat permanent qui sous-tend l'évolution des états et subsume sous son unité la variété des fonctions. Mais alors, cela reviendrait à affirmer qu'il existe une fonction statique, et déterminée une fois pour toute, une méta-fonction, qui serait la seule véritable expression de la fonction de l'artiste. Celle-ci étant donnée a priori, nous retomberions dans l'aporie du paragraphe précédent.

Il est donc impossible à l'artiste de se saisir lui-même à travers ses productions. Son essence reste fantomatique et semble revêtir certains caractères du noumène kantien. Tout ce que l'artiste pourra faire, c'est de collectionner les traces de son essence et supputer à partir de ces concrétions inertes la forme de l'élan qui demeure à la base (en tant que source) de sa créativité.

lundi 15 février 2021

La culture classique et les sous-hommes

 La culture est un enjeu de pouvoir. La culture classique est dite de première classe, c'est celle des "élites" et du pouvoir. La connaître est une nécessité pour qui prétend diriger les autres mais elle n'apporte pas en soi une valeur plus grande au divers du monde qu'elle prétend ordonner. Le monde en son ensemble, qu'il s'agisse de sa dimension politique, économique ou encore artistique est parsemé de références à cette culture des classes dominantes. L'empire grec est partout, alimentant tous les phantasmes de grandeur et de culte de la personnalité. C'est une culture éminemment violente et colonialiste, éminemment aristocratique aussi et c'est pourquoi tous les hommes de pouvoir de notre triste époque s'en réclament.

À l'individu dépourvu de cette culture, toute une partie du monde, qui impose pourtant à son élan vital sa structure d'exploitation, demeure absconse. Il ne sait lire les signes qui partout sont disposés à l'adresse des initiés (il ne comprend pas ce qu'est le panthéon qu'il admire et ce qu'il véhicule de verticalité axiologique; il ignore l'esprit de compétition que développe la marque de ses baskets; il va durant l'adolescence dans une école au nom qui lui est étranger, etc.). Il vit dans un monde opaque et dépourvu de sens.

Mais il existe d'autres cultures. Toute habitude transmise et partagée en tant que patrimoine est une culture. Ces individus relégués au rang de seconde classe, partagent bel et bien une culture et ce qui permet à certains de qualifier cette dernière de "sous-culture" n'est que l'arsenal institutionnel (au sens large du terme) nécessaire à l'hégémonie de leur regard sur le monde. Ces impérialistes du corps et de l'esprit désirent ardemment se faire les juges divins de la nature réifiée. Ils ne cherchent qu'à imposer leur us et leurs coutumes en absolus indépassables, allant jusqu'à les naturaliser pour qu'ils ne puissent être discutés pour ce qu'ils sont: des choix collectifs. Cette culture classique leur sert à se distinguer et surtout à se reconnaître les uns les autres.

Mais, il suffirait que la force change de main et devienne l'apanage des (sous-)hommes de la sous-culture pour que l'ordre ancien se renverse.

L'ordre n'est jamais qu'un jugement relatif, il n'en est pas un seul qui soit universel et nécessaire. Pour qu'un regard sur le monde puisse s'ériger en véritable universel totalitaire, les deux moyens les plus efficaces sont: l'éradication physique de toutes les paires d'yeux existantes, ou bien l'imposition à tous d'une même paire de lunettes.

N'oublions pas cela, et tâtons-nous le haut du nez lorsque l'espace socio-économico-politique et son double discours se plaît à produire de nous-mêmes de viles anamorphoses et empourprer de honte nos visages dociles.

dimanche 14 février 2021

Aphorismes de l'égocentrisme

 L'inévitable égocentrisme est une souillure du monde. Tous les artistes, tous les prétendants à l'expression en sont les plus viles représentants, appelant à eux la lumière des autres, tels d'insatiables trous noirs. Mais il faut admettre... Que... Le fumier forme un formidable engrais pour d'exquises récoltes...


L'ego est sans limite sans le regard d'autrui pour le contenir. La conscience, excroissance folle, dédouble chaque étant par un abîme infâme; il n'y a plus rien, pas un objet du monde, qui ne soit séparé de lui par un vide infini.


L'ego a besoin d'humiliation, il n'y a qu'en elle qu'il trouve un vrai plaisir. Dans la douleur de sa dissolution demeure son véritable désir. Les religions, mieux que quiconque, ont compris ce principe et sont en outre les seules à avoir su l'appliquer durablement. Le martyr est l'idéal transcendant de toute l'humanité.

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

samedi 13 février 2021

Aphorismes méta-lyriques

 Je cherche à être aimé pour l'ordre que je donne au chaos de mon âme.


Nous écrivons pour coudre de mot l'abîme en soi; déguiser nos faiblesses; se rendre aimable -- à nous-même et à l'Autre.

Sémiotope

 Composer un recueil. Quel drôle d'idée lorsqu'on y pense. C'est un peu demander à un champ, une prairie, d'offrir à la vue du monde ses fleurs sous formes de bouquets bien ficelés, en ordre. Je suis une prairie. Un petit carré de verdure sur lequel poussent d'étranges fleurs et fruits dont je ne sais si la saveur synesthésique est sublime ou ignoble. Ce n'est pas à moi d'en juger. L'arbre ne goûte pas ses propres fruits.

Je ne suis pas fleuriste. Alors je m'entête à produire, saison après saison, les récoltes inégales de ma terre. Je suis la traduction de cette terre, en un écosystème végétal. Il faudra bien que quelque jardinier vienne ordonner tout ce divers uni par la nécessité, y appose son ordre, sa croyance, impose sa vision et tisse son propre récit à partir de l'alphabet offert. Il ne me revient pas d'opérer ce travail. J'obéis aux lois d'un chaos éloigné. Il existe une indéfinité de bouquets possibles, adaptés au goût et à l'envie de chacun, à la raison d'un moment. Chaque fleur est unique. Elle n'est pas liée à d'autres fleurs par une disposition particulière, il n'y a que le désir d'une âme, que le souhait formulé qui puisse produire la réponse à la question posée un jour, par quelqu'un, pour lui-même. Mais nous sommes nombreux à nous poser les mêmes questions. Même lorsque nous croyons le contraire...

vendredi 12 février 2021

Marathon

 J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.

Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.

Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.

Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.

Quanta ontiques

 J'ai de toute évidence -- mais n'est-ce pas le cas de tout un chacun? -- plusieurs personnalités en moi. Mais peut-être devrais-je plutôt parler de couleurs ou d'harmoniques puisqu'il s'agit bien de notes présentes en mon accord du moment... Cela dit, il m'arrive d'agencer tout cela de telle manière que la fondamentale change, et c'est alors toute la résonance de mon être qui varie, et je deviens comme enfermé dans une de ces notes qui, pour n'en être pas moins présente auparavant, demeurait alors récessive. Je suis parfois terrifié de cet exil à moi-même, non parce que je m'y perdrais -- je reconnais tout profil possible comme le mien -- mais pour la violence et l'incompréhension de cette soudaine perte chez ceux avec qui j'ai eu la faiblesse et l'irresponsabilité de tisser des liens d'amour. Car alors, comment comprendraient-ils l'apparition de ce nouvel individu, ce nouvel équilibre, qu'ils n'avaient jamais perçu auparavant...

Je suis comme la lumière blanche: la somme de toutes les couleurs qu'une âme peut revêtir. Mais il faut préciser ceci: certaines teintes ne me sont pas naturelles et je ne peux les maintenir dominantes que pour un temps limité et par un effort continu. Tel un électron, j'ai moi aussi mes niveaux d'énergie, mes quanta loisibles, autour de cet abîme de noyau.

dimanche 7 février 2021

Enseigne du néant

Tentative peu-heureuse (peureuse?) d'écrire pour tuer le temps et de combler la médiocrité poétique par une mise en forme novice probablement inapte à remplir sa fonction de cache-misère... Pourquoi publier alors? Mais pourquoi diable ne pas publier un énième brouillon, un énième exercice d'entraînement? Tout ici n'est que brouillon appelant l'apothéose d'une défection totale de l'être dans l'entité de lettres...

 

 Sonne le glas sous la grêle

Demain nouvelle tentative pour mieux s'annihiler

Depuis les six fenêtres,

Ombre et lumière

      Emplissent

                        tout

                                mon

                                        vide ( . )


Il est terrible ce vide neuf

Car il n'est plus de toi

Mais bien plutôt de moi,

De lui-même et de TOUT ( ... )


Sonne le glas sous la grêle

Éclate les fenêtres

Ouvre au vent voltigeur

L'espace ici vacant ( | .|. | )

 

Ci-gît: le désir, l'absent

Qu'est la présence honnie

De ce qui se dérobe

Et peut-être déborde ( )


Quelque gouttes d'encre

En sanie du présent

Lentement je m'échancre

                                            

     Enseigne du ant (  )    

                                            

Aphorisme éidétique

 Souffrance est mon essence, combattre ma vérité, mourir est mon destin.

vendredi 5 février 2021

Le fond diffus de soi

 Je me suis immergé dans le bruit ces derniers temps. Le bruit, c'est liquide, c'est dense et c'est profond; et parfois tellement lourd que ça vous noie sous la pression. L'océan noir de sons est une broderie diaprée où tout phonème ouvre la porte vers d'indéfinis récits que l'on s'invite à suivre, un chant de sirènes qui peut endormir son humain jusqu'au bout du grand sablier, jusqu'à son dernier grain.

Je me réveille aujourd'hui, de plus en plus souvent; les paupières lourdes, hagard et ensuqué d'être resté si longtemps en suspens, dans le sommeil cryogénique de spectacles extatiques. Sortir du néant, du silence assourdissant d'exister...

Mais je me réveille... J'y reviens dans ce lac étal de mon identité, avec son fond fuyant et son eau qui ressemble à de l'air, cet air si lourd qu'une seule inspiration vous noie comme cent goulées de sable.

J'y reviens, j'y reviens... Et ramasse en mes sables de nuit de bien étranges étoiles aux formes si exquises qu'elles ressemblent à ces motifs que l'effort vital sait imprimer à la matière rétive -- au bout de millénaires entiers. Des objets millénaires... Dans mes sables à moi... Mes sables trentenaires... À quelle vitesse s'écoule donc le temps dans le manteau céleste de mes profondeurs?

Quelles étranges astres... Poudroyant de lueurs irisées, cascades de teintes obscures et d'ombres de couleurs antiques... Et tout cela danse en rythme, émerge de ces sables en des constellations orphiques tissant une grammaire indéchiffrable pour l'entendement et simplement sensibles.

Il faut sentir les pensées, semblent-elles dire à l'âme atone et perplexe. Il faut tremper la pointe en ce réseau de signes, exhumer de ces souterrains l'ineffable surface du fond diffus de soi.

Épilogue?

 Quel monde merveilleux! Quelle époque formidable...

Ne sentez-vous pas la "densité atmosphérique" incroyable qui enserre en sa gravité sans mesure la horde des petits humains dociles, petits produits manufacturés sortis des fières usines sociales.

Quelle cure de jouvence a-t-on fait prendre à l'esclavage et toutes les formes de violence qui sont désormais des systèmes multi-étagés, d'interminables chaînes itératives où chaque cause est si lointaine de ses effets qu'il en devient presque impossible d'en retisser le lien!

Quel monde! Je respire le grand air, m'y brûle les poumons d'absurdité malsaine, je m'oint de résignation, m'enduit du suint de nos âmes paissantes dans le cours de l'éternité qui engloutira, je l'espère, à tout jamais, le moindre souvenir de cette honte que nous représentons.

Frères, aux armes!

Mais ceux qui les portent réellement, ont fait interdire l'injonction, les mots, l'idée... C'est à la racine même de l'homme que la soumission est instillée, de l'âme jusqu'à la chair.

Marchons, marchons, qu'un sang d'esclave abreuve nos sillons!

N'est-il pas permis d'espérer, au cœur de l'agonie, un ultime et nécessaire sursaut?

Amis pensons à ceux qui, peut-être, un jour futur, auront à lire dans les décombres de nos vies, le bref roman humain. Il est de notre devoir de peaufiner la chute.

Aphorismes de l'en-soi

 Dieu est la chose en soi.


La chose en soi n'est pour personne. Elle ne peut faire l'objet ni d'une connaissance, ni, plus généralement, d'une expérience (qui toutes deux impliquent la relation). Elle ne peut être objet.