Je n'ai pas de paroisse. J'ai été adepte d'un peu toutes les religions, mais je fus de toute, aussi, un apostat.
Je fuis l'information parce que toute information émane, ou plutôt constitue l'élément d'une structure langagière cohérente qui forme un monde. Ces mondes, sont un océan à la profondeur mesurable, au sein duquel j'aspire à me noyer gloutonnement. Dès que j'aperçois les abysses, dès que je ressens le flux de certains courants, et, me souvenant de la surface, je m'affranchis de tout le poids, de toute la pression, je me libère du caractère abscons et lacunaire de l'expérience déroutée de la croyance en l'infini. Enfin je perçois les lois de ce monde, les grands courants, les fondements et par conséquent les limites. Je tiens le monde en question dans mon âme, du moins dans une certaine abstraction suffisante à mon esprit.
Chaque monde a des conditions de possibilité qui en font un territoire illimité en extension et limité en intension.
Je suis un avaleur de mondes, un collectionneur d'univers, et pour cela je nomadise mon existence toujours entre deux univers, sans jamais pouvoir m'y reposer.
Je saisis et jamais ne consens à me laisser saisir, aussi je deviens fuite, passage et décalage, sautant de monde en monde tel un clandestin poursuivi par on ne sait quelle nécessité tyrannique (la sienne peut-être?).
Voilà pourquoi je suis infidèle, inconstant, pourquoi chaque discipline finit par m'ennuyer, pourquoi je ne deviendrai jamais un champion, un quelqu'un, une identité marquée jusqu'aux tréfonds par un principe et par une appartenance cosmique.
Tout juste serais-je champion de la désidentité, des interstices et des latences, des transitions et des chemins de traverse.
J'ai toujours le besoin impérieux de faire le tour des cages, comme si mon âme y était irrémédiablement interdite de séjour; cette âme dont le destin tragique est conscience, vision de murs puis évasion, mais toujours pour se retrouver coincée dans une autre cage, plus grande, plus petite, ou simplement autre.
J'ai visité tant de cages que je suis à moi seul une foule de prisonniers, une prison immense et peuplée d'autochtones que j'ai pourtant connus dans les moindres détails.
Je ne peux m'arrêter quelque part, dès lors que je saisis la clef de sol d'un univers, je m'en vais avec la puissance de faire advenir des mondes similaires, avec la méthode pour produire autant de formes moulées sur ce style. Me voilà qui en façonne quelques unes et je finis par me lasser, je préfère la puissance à l'acte, je suis passionné par elle.
Je crois, pourtant, mais je n'en suis pas sûr, comme toujours, qu'en toi j'avais mes habitudes, une cellule en forme de destin classique que j'ai parfois vue grise, mais qui, dans l'ensemble et avec du recul, m'a toujours parue colorée et d'une intensité troublante, une cellule où je m'étais dit maintes fois qu'un jour, il serait bon d'y mourir.
Mais tout cela ne vaut pas la peine d'être pensé. Je suis le détenu de ma conscience, cette méta-cellule qui ordonne mon voyage à travers les mondes dont je récolte les algorithmes avec avidité.
Il m'arrive de jouer parfois, mais personne n'entend, représentation perdue dans les inter-mondes, toujours à un pas de côté, où vivent les mythes et les mensonges, les promesses ainsi que les grossesses. Chacune de mes musiques silencieuses est un raz de marée sublime et douloureux, l'hémorragie interne d'une âme emmurée.