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lundi 7 juillet 2025

Cours préparatoire

À mes yeux, je sais qu'un jour viendra... tu seras chose unique, embrumée de lumière, en halo singulier dans le ciel obscurci. Un jour... Toutes les étoiles déchues des nuits spatiales te seront un décor pour allumer un feu -- en moi. Il n'y aura plus que toi, et chaque geste de la vie, les actions commandées, l'énergie consentie, seront tous les prétextes à emprunter les ponts menant vers ta clarté.

De mes premiers regards sur tes formes d'éthiops les choses n'ont pas changé; j'avais trouvé la forme pour me pétrifier d'éternité, c'était si clair et si soudain: j'avais élu l'entrelacs de tes bras pour y saisir une âme à laquelle aspirer. Car aimer c'est vouloir se dissoudre en l'objet contemplé.

Les femmes que j'ai aimé furent les femmes que j'étais; mais il y avait encore trop de nature en elles, et je pouvais, par là, me passer de l'histoire. À travers toi, par contre, c'est bien l'œuvre des hommes qui m'élève à l'extase. Et je sais désormais que je suis bien humain à mesure que mon âme imprime en l'usine des jours ce poème où j'inhume un feu de ma durée.

samedi 10 mai 2025

Arcanes

La poésie est comme la musique, elle est comme toute chose: une découverte et non une création. Cela ne veut pas dire que ce qui est découvert est une chose exogène, peut-être que nous ne faisons (à travers les mathématiques, les sciences, les arts) que retrouver l'expression de nos propres lois internes.

Pour cela je ne fais pas partie de ceux qui récusent l'inspiration. Écrire de la poésie, vibrer d'ivresse créatrice, n'est rien d'autre pour moi que d'être effectué par une certaine tonalité vibratoire du réseau des choses qu'on nomme expérience ou vécu. C'est tout l'agencement du contexte qui produit sur ma personne l'état extatique par lequel me parviennent des profondeurs de l'être les fragments de beauté-vérité que les sons indiquent.

La partition de tout cela n'est pas le fruit d'un calcul et l'homme ne sait pas créer au sens authentique du terme. Je conçois l'activité du poète comme celle d'une pythie avec l'enthousiasme en moins, à moins de voir la divinité non plus comme une transcendance exotique mais comme une tonalité particulière, une harmonique par laquelle le poète résonne avec des notes englouties dans l'accord complexe du vécu naturel.

On trouve la vérité: de là découle le caractère d'évidence en tant que réminiscence; pas au sens platonicien cela dit, du moins si l'on veut prendre le mythe d'Er le pamphylien au pied de la lettre, mais plutôt une réminiscence de ce qui est toujours donné à l'intuition mais de manière confuse, enfoui dans l'écheveau du divers que le poète tisse en séparant les fils pour en faire ressortir les motifs inaperçus.

Travailler ce n'est pas agencer morceau par morceau un ouvrage par tatônnements successifs, l'art n'est pas identique à la prodction technique. Travailler, pour le poète, c'est s'entraîner encore et encore à intégrer la technique afin qu'elle lui soit un nouvel organe, capable de remplir sa fonction sans que l'on ait à y penser: il n'y a qu'ainsi que la technique peut devenir pur signifiant sans empiéter sur le vécu à ressentir.

Travailler c'est avoir répété suffisamment de brouillons pour que la vérité puisse frayer son chemin sans encombre, sans rupture, par un souffle ininterrompu qui expulse la délicate haleine de la poésie se déposant sur la vitre d'un miroir. Il faut que le geste soit parfait, fluide, et qu'il pogresse avec facilité, comme la nature. Plus le poème sort spontanément, plus il est expulsé par une poussée jaculatoire, et plus il retient pure et concentrée la vérité dont il est signe.

Le poète est condamné à la poésie jusqu'à sa mort, car l'idéal acméique de l'expression pure et achevée ne peut être, par essence, qu'un horizon intangible.

Toute tentative de s'éterniser est en droit vouée à l'échec, car ce n'est pas la nature de l'homme d'être.

[ ENTROPOLOGIE ] Plasma

Si cela doit prendre

Que cela soit soudain

Brutal et spontané

Pas de délai

Pas de travail

Il faut que la beauté suppure

En un plasma vital

Matrice amniotique des formes

Et que tout coule au néant d'être

Le chat gracieux

Qui dans son saut s'éteint

Les pattes libellules

Aux ailes empreintes de visage

Ses formes qui s'animent

Vois-en les yeux

Et l'iris nébuleux

C'est sous ce ciel que nous vivons

Un œil pleure

Cet hémisphère pleut

Des clochettes enfermées

Dans d'hyalines cellules

En s'écrasant au sol

Éclatent un maints fragments

De sauterelles ingambes

Qui planent supersoniques

Avions à réacteurs

Qui fonctionnent à l'encre

Peinturlurent les cieux

De glyphes mythologiques

Une phrase demeure

En l'âme éteinte, un roi

Trouve une porte de sortie

Et la couture des cieux

Se défait là pour lui

La nuit, la nuit

Est envers de lumière

Et dans la forme d'un désir

Hurlent nos rêves en muselière

Où le calice floral

De crocs pointus s'hérisse

L'être frémit d'angoisse

Il sait son avenir

La vie dévore l'altérité

Vorace elle digère

Le monde annihilé

[ ENTROPOLOGIE ] Où vont les choses

Rameau brisé qui se déssèche

De vert à brun

Bientôt à la lisère de Rien

S'articule et devient

Myriade d'ailes autour de la colonne

Et ce vaisseau léger s'agite

S'envole et puis lévite

Lorsque les ailes allongées s'étirent

En un réseau entretissé de fils

Autour de l'araignée ligneuse

Les bords concaves sont des galaxies

Iris d'un œil ouvert

D'une mère oublieuse

Du sacrifice offert

Et sa cornée dessine

En clair-obscur une famille

Est-ce encore la sienne

L'enfant aux cheveux longs

ces longs serpents qui sifflent

La gueule ouverte, crochets en avant

Les maxillaires se séparent

Pour chuter mollement

La peau d'une banane

Se lisse en un sépale

De fleurs pressées

Dans la bouche du temps

Où chaque rien s'écoule

Où chaque rien s'écroule.

jeudi 8 mai 2025

Arc-en-ciel

 À la sortie des matrices

Pensif esseulé fait son stop

Mais la vitesse est circulaire

Et les roues tournent, bien sûr,

Autour d'elles-mêmes.

 

Entre deux mondes,

Tout aussi dévastés que lui,

Passif errait dans les différents sables:

Béton des zones périurbaines

Ondoiement vaporeux d'un désert de nature

 

Où donc est la pilule?

Et lapin blanc qui ne vient pas...

Où donc est la pilule

Qui renverse les yeux?

 

Hors de la Cité

Néanmoins citoyen

Et immatriculé

C'est qu'on ne demande pas de grands calculs

Un tout petit vaccin

Un peu de singe en la cellule

 

La banlieue est cyclopéenne

En ses babels encore dressées

Pléthore d'Icares

S'y cachent en les sous-sols

De ce monde inversé

 

Est-ce que les arbres parlent?

Est-ce qu'ils défient les dieux?

Ce sont les hommes qu'il faut rosser

Parler au cœur le dévaster

 

Tout est poussière, tout univers

Incongrument aggloméré en concrétions

De Narcisses turgescents

Sous des cieux pleins d'hivers

 

De larmes translucides

Réfracteurs de lumière

On peut aller au bout de tout

Et ne fouler un arc-en-ciel

lundi 28 avril 2025

Eccéité

Ronce les Bains, le 26 Avril 2025.

Je n'ai jamais été écrivain. J'ai toujours attendu l'inspiration tombée d'astres distants et, il faut l'admettre, une certaine clarté a pu, par épars instants, choir en la perspective de mes yeux. C'est autre chose qui parle à travers moi... bien que ce soit impossible. Impossible car on reconnaît trop ce style, ces limitations qui font tourner les phrases dans le même manège insipide à force d'être goûté. Le vécu lie à quelque transcendance, mais la capture se fait toujours par l'entremise de ces formes, tous ces tropismes de l'eccéité. Et c'est exactement la raison pour laquelle cet avorton dont on accouche nous déçoit puis écœure. On ne parvient pas à se hisser à la hauteur, à se faire aussi vaste qu'un vague océan et retranscrire la forme de ce qui n'en a pas. Alors pourquoi ne pas renoncer à écrire, et se décider à dissoudre cet égo dans la pureté de l'instant -- faire enfin de la concrétion de ce soi la poudre qui s'envole aux vents? L'on veut caresser les peaux et les âmes et néanmoins conserver les contours, la délinéation du corps parce que ne sait saisir  de l'âme une autre identité. Il n'y a pourtant pas de style plus complet que le souffle enveloppant d'une présence stéréotopique. On se rappelle aussi très bien de ce qu'on n'a pu saisir pour le figer en son immobilier; on se souvient des fous mistrals, de l'alizé comme du zéphyr.

Renonce à être humain si tu veux être prosodie, émotion qui se tisse en des syntagmes. Accepte de n'avoir jamais existé tel que tu te connais aux yeux des autres, et qu'ils ignorent tout du prosaïsme odieux de ta vie, des circonstances où tu te recroquevilles hideusement, araignée silencieuse, pour cracher la salive de tes lettres. Deviens l'œuvre. Il n'y a qu'alors que tu pourras enfin te reposer de toi, faire vivre autre chose qu'une fierté qui emprisonne. Habite les mots comme si tu n'avais pas d'autre nature que la seule poésie.

mercredi 23 avril 2025

Poesis conscia

Poème libre contenant les cinq mots suivants: loquèle; oblation; acédie; cénesthésie; érubescent

 

Les voix de la conscience sont des loquèles à enfermer pour toujours afin qu'il ne reste de nous qu'une cénesthésie trop vague pour donner lieu à l'idée d'un égo. Mais elles discourent toujours, et toujours trop s'égosillent en ce désert de l'âme -- infini néanmoins achevé.

L'existence, à nous autres élimés tissus qu'un souffle empyréen purifie chaque instant, est une oblation arrachée contre un gré fait d'haleines à peine expulsés, anhèlement pudique des cœurs asphyxiés.

Ce n'est pas la suite inane de nos gestes abscons qui viendra contredire cette tendance maladive à l'acédie qui cloue nos ailes de papillons à des cieux perforés. Nous jouons, comme les autres, une partition cosmique: en instrument désaccordé par un Mozart en quête de disharmonie.

Notre visage, érubescent à force de persévérer dans son être, parvient à arborer les traits hilares d'un cynique antique au sein même des larmes... Nul ne peut plus bien lire le sens d'une expression brouillée, arrachée de force par un supplice de Danaïdes qui aura fait chuter au sol la pluie discrète d'un poème inaudible.

Ce poème, pourtant, c'est notre vie qui convole de caniveaux en caniveaux d'inculture, par des chemins de lumières sous-marins qui percent les abysses -- tout cela pour se perdre dans l'impasse de nos yeux seuls, et la trop impossible ipséité.

mercredi 16 avril 2025

[ INSTITUTION ] Caberdouche

 Une institution, c'est normalement quelque chose qui tient, quelque chose de ferme, une sorte de monument d'airain dans le branloire du monde. Et pourtant celle qui m'accueille et suce ma sève en parasite est d'une impéritie notoire, aussi mal faite que cette vie sans but pour une humaine nature dont toute l'essence réside, précisément, dans le sens...

Dieu que tous les eudémonismes me sont intolérables, il y a bien plus de manières de se suicider ou se détruire que de parvenir au bonheur. On trouve même souvent de la joie à se détruire jusqu'à l'os. Et toutes les pathétiques joies qu'on se donne ne mènent à rien d'autre qu'à cet instant qui nous tient dans sa toile, en relative bonne santé, dans une situation sociale relativement réussie, et tout ce relatif achèvement nous donne une nausée absolue -- sans qu'on parvienne toutefois à vomir.

Même les mots s'abîment de cotôyer notre médiocrité: radieux qu'ils étaient, ils se mettent à arborer cette grisaille universelle des civilisations, la plupart sont d'un ennui terrible, il faut en chercher de nouveau que nous salirons de nos mains afin qu'ils deviennent, comme les autres, une unité de la langue commune.

Savoir que rien n'a d'importance ne fait pas léviter pour autant les pavés dans le ciel, une gravité cosmique nous arrime au quotidien de plomb, nous achemine sur un comptoir en bois massif, une jour de semaine, le matin, pour y poser le cercle hyalin d'une libération éphémère, avec sa mousse qui nous coule sur les doigts qui finiront poisseux. Et l'on pourra sentir alors l'odeur douceâtre qui nous rappellera, plus tard, dans la geôle d'une heure ouvrée, la possibilité d'une île -- où il serait si bon de se laisser engloutir par les eaux...

Pour le bonheur il faut croire, or d'églises où vivent encore quelques divinités, je ne connais que tous ces caberdouches de villages endormis où des nageurs amateurs s'échinent à demeurer jute au-dessous de la ligne de flottaison, offrant le sacrifice du dipsomane à des idoles lagéniformes qu'on aligne en rangs serrés. Quelques milliers de Saint-Pierre entrouvrent les portes du seul paradis qui soit, de la seule réalité indubitable, c'est-à-dire cette arche où s'accrocher quand le déluge du monde menace d'asphyxie. Tout le spectacle de cette souffrance venue se réfugier réchauffe le cœur autant que les liqueurs qui s'accrochent paresseusement aux parois de nos verres. Il n'y a qu'ici qu'on puisse alors être ensemble, et s'acheminer au néant sans cette solitude qui nous dévore jusqu'au trognon.

mardi 15 avril 2025

À une amie

 En passant sur le trottoir de cette ville, le souvenir chute, éclate à mes pieds, devant moi, en mille éclats qui forment une iridescence mnésique où chaque reflet m'offre un monde où se perdre. Je continue ma route et face à la devanture du bistro se mettent à crépiter sous mes pieds de fines gouttes contenant chacune l'histoire érodée d'un morceau de vie: la bruine de ces souvenirs me couvre les cheveux et s'étend ruisselante sur le sol et sur chaque pavé que je foule. Nous avons vécu d'innombrables vies ramassées dans les nuits de la jeunesse: tu étais là, accrochée au comptoir, comme à ce bastingage où nous tanguions allègrement, matelots isolés sur une mer d'absurde. Chacun capitaine d'un frêle et grinçant esquif que nous menions à quai, dans les odeurs de bières et de whisky, réunis là pour un temps -- que l'on souhaitait si long qu'il s'étire aujourd'hui sur la moitié de notre vie -- avant de repartir seuls, sur la galère du destin.

Demain je repasserai, peut-être, par ces ruelles étroites, et j'y verrai, sûrement, quelques poussières de rêves incrustées dans le sol, vomies un soir sans lune où j'ai fait du béton une excroissance de ma mémoire.

 Toi... toi tu es dans bien des souvenirs, Phaéton dans son char de soleil, en route pour allumer le Sud, mêle-casse au comptoir de l'aurore qui se confond parfois au crépuscule. Les eaux t'ont emportée, mais nous te retenons dans les filets de l'âme, et nous sentons encore ta peau brunie, l'enrouement de ta voix et les regards de ta lunaire face. Je n'en ai connu qu'une, il en existait tant à découvrir...

Nous te gardons avec nous, imparfaitement mais tout de même, la flamme éclaire encore des cœurs qui tous, comme une ville nocturne, forment le réseau lumineux de ton absence. Et que sommes-nous finalement, si ce n'est les sémaphores obstinés qui adressent au ciel l'interrogation lancinante -- la seule que partage tout humain --: pourquoi?

samedi 29 mars 2025

Titanomachie

Oh cet œil ouvert sur les choses, se peut-il qu'il cesse un jour d'approfondir ce regard térébrant? Voir le monde tel qu'il est: et s'étourdir d'hyperalgie. Absorber le flux d'information nocif compulsivement, et vivre ce destin scototrope qui fait de tout votre être l'ensemble de toute ombre. Mais pour que tout cela s'arrête il faudrait bien savoir, un peu du moins, se délester d'anankastie, accepter de ne pas comprendre, de ne pas savoir; se laisser, en somme, saisir par l'ignorance, en être l'apôtre et le pantin. Mais on préfère demeurer gyrovague, et se gaver de monde, tisser l'inextricable réseau de représentations épistémiques, étendre sa conscience à ce qui même est inconçu. Mais pourquoi diable habiter cet espace en herméneute acharné, soumettre chaque chose à une allégorèse? Ce n'est pas à la Terre que nous finirons par mettre feu ainsi, comme Phaéton, mais c'est au noyau vain de l'âme -- cette âme asidérale d'avoir avalé toute l'ombre et toute la lumière tant et plus.

Stylites nous vivons sur la colonne escarpée de la conscience et nous n'avons dès lors plus de repos; même la nourriture n'est plus qu'information, concept, connaissance: un réseau lacunaire d'atomes intangibles.

La lave qui coule dans nos gorges n'a plus rien de matérielle, elle est la couleur du monde pestilentiel qui se déverse dans le caniveau des œsophages: propagande, corruption, profit, pédocriminalité et leur allégorie humaine sur le papier glacé d'affiches publicitaires, sur l'étendue hyaline de nos écrans connectés. Nous sommes le peuple enchaîné qui vénère ses Belial et ses Mamons - ce nom si proche du mot maman...

De savoir tout cela ne sert à rien. Ce n'est plus de connaissance dont le monde a besoin, mais d'action, de l'homme qui franchit l'Achéron et chacun des cercles de l'enfer pour s'enfoncer au cœur de l'odieuse Géhenne. Ce qu'il nous faut: c'est le courage de parler à la mort en l'appelant par son nom, de plonger dans ses yeux un regard scyalitique, capable de porter au point de fusion le mal en nos idoles hideuses.

Écrire ce n'est pas descendre de la colonne, c'est encore dépendre des autres, c'est encore accepter dans le calme lénifiant de sa minable citadelle. Attraper le glaive de la justice et sauter lourdement sur les pavés du sol, ensemble, armée d'humains aux yeux bandés qui font trembler le nouveau monde pour qu'il s'effrite en un tas de passé. Voilà ce qu'il faut faire, stylites du monde entier, anachorètes en guenilles, gyrovagues éparpillés, ermites hallucinés. Que la justice lie les hommes en un nouvel état des choses, qu'advienne enfin ce nouvel âge du monde. N'ayez crainte car chacun de nous qui périra dans cette titanomachie revient d'emblée à Esculape: le sang lilial de ces martyrs sera la grande Aurore du renouveau.

Frères stellaires dont le réseau de lumière fait vibrer l'univers...

 

Marchons!

mercredi 19 mars 2025

Croque-mort

Qu'est-ce que cela fait donc

D'être de l'autre côté?

Celui dont on saisit les pieds?

 

Qu'on dépose en silence

En un contreplaqué,

Sans plus voir autour de soi

Les larmes des vivants

(Qui jonchent les cimetières

De liquides monades) ?

 

Oh la dégringolade

Des années qui se pressent

Se chevauchent et s'entremêlent

Dans un regard, une odeur, un regret.

 

Il faut combattre seul

(Avec d'autres),

Le mal dévorant de ce siècle.

 

À quoi servent les croyances?

Pourquoi se détourner du doute?

Que tout cela n'aura été pour rien,

Un interlude musicale et gratuit

Entre deux colosses, invincibles.

 

Et si vous pouvez contempler

D'une hauteur fantasmée

L'écheveau des destins

Que nos déroutes composent,

 

Quelle curieuse poésie alors

Que cette improbable prose.

 

Il faut bien mettre des cloisons

À l'infini sans direction

Donner un sens

Et feindre qu'il fût là

Déposé par le temps.

 

Quelle aventure tout de même...

Et apprend-on de ces erreurs

Où il n'y a plus de vérité?

Est-il encore possible d'éprouver

Un sentiment tel le regret?

 

Oh non, ce  ne doit être

Qu'une errance des vivants,

De ceux qui cherchent encore

Un principe à ce qui s'y dérobe,

Et s'acharnent à enclore

Ce qui n'a pas de forme;

Et qui hurle en tous sens

Une essence dynamique.

 

Il y eût tout de même quelques joies

Mais aussi tant de peines...

Et la somme était nulle

Bien qu'il soit toujours possible

À tout un chacun

De se dire le contraire.

 

Nous continuerons de mentir

À travers un souvenir

Déraisonnablement enjolivé

Qui permet aux carcasses

De réduire la distance

Entre là et Ailleurs.

 

Tout ici, de toute façon

N'aura été qu'un songe

Alors ne pleurons pas tant

Ceux qui sont réveillés.

 

La vieille église sonne les cloches

Et dans un drap bon marché

Vous avez levé le voile

Évohé! Évohé!

Origines abolies,

J'aimerais tant savoir

Ce qui dès aujourd'hui

Est pour vous être là.

samedi 15 mars 2025

De furie et de prose

 Dans un champ d'âmes assises, fauchant les jeunes pousses de ma croissance exquise; un tronc noueux coupé en trogne élance des têtards zélés vers un vague illétré. Chaque jour élaguer les folles et immatures branches afin d'alimenter l'âtre d'une résistance à l'ordre qui produit ces débris d'âmes éparpillés que sont les plans euclidiens des nations -- où d'atomiques consciences têtent compulsivement la si captieuse science au goulot de médias anticorps de vérité.

Et toute cette arbitraire force, fardée d'institutions, se présente en Nature tandis que sous le voile du mensonge, les moissonneurs des corps résignés tranchent dans l'aubier: butineurs de résine au cœurs amidonnés.

Pour cela, j'étête ma bicéphale entité afin que des racines une révolte pousse, innombrable: de furie et de prose.

mercredi 12 février 2025

Ruse de la Raison

 À mesure que se fait jour l'incommensurable écart entre mes sentiments transcendants et l'œuvre si pesante, se défait une part de l'illusion nécessaire à coudre son destin sur le réel indifférent. C'est qu'une médiocrité coruscante me tient en son orbite; elle est le champ de gravité d'où mes sentiments seuls parviennent à s'enfuir. Le reste, la lumière réelle capable de dessiner dans l'espace le théorème des choses, reste piégé dans l'horizon fermé du moi. Depuis la médiocrité cellulaire s'envolent mes rêveries astrales que nul n'atteint, en flot de particules que ni tourment ni gravité universelle ne peuvent retenir. Il faut que tous ces éléments psychiques ne soient pas grand-chose pour traverser sans frein la lumière des années et la demeure spatiale des choses commune, peut-être qu'ils ne sont particules de rien.. que la noblesse convoitée n'est que cet idéal régulateur qu'on se raconte afin de persister, dans l'être-là absurde -- celui de la conscience qui s'éclate à tous vents, en toutes directions, comme un projet holographique de sa totalité.

Et si l'intériorité ne peut s'exprimer sans périr alors tout art est ruse de la Raison, afin qu'on ne meure pas de tant de vérité.

Orphelinat

 La fatigue creuse à l'intérieur de l'homme; à tel point que l'intime subjectivité n'est plus que gouffre, anfractuosité. La douleur de l'effort d'avoir à demeurer simplement au repos fore et perce la substance qui est, à tout autre, le combustible de la joie et de l'accomplissement. L'homme épuisé, malade, souffreteux, est une cave de vacuité où résonne l'écho d'un passé virulent dont il ne reste rien de tangible, que toute la cruelle existence a fini par ronger.

Cette fatigue dont je parle est tel un accident ischémique constitué, elle cèle l'âme en un tombeau d'inertie, de chairs, de sensations algiques, elle tisse par nociception le pandémonium atopique où se débat un homme que les ombres habitent. Plus de matériau pour créer, plus de pétrole pour que le moteur à explosion des désirs et des rêves puisse encore acheminer dans les choses la volonté qui enrage.

Personne ne sait ce qui se passe à l'intérieur de la conque où semblent résonner tous les sons de la vie ordinaire, en sourdine, certes, mais tout de même audibles... Mais cette musique de malheur qu'un cœur en fusion psalmodie, n'est qu'un risible filet qui affleure à la surface d'un univers limbique, empli d'éruptions furieuses, de hurlements et de coups qu'aucun lieu de l'espace ne consent à tenir.

Abandonné dans le temps qui s'écoule, tourbillon de vie syphonné par la bonde d'une maladie inconnue, l'homme dévasté s'en va vers l'entropie, comme une marée trop hardie que l'océan rappelle -- et qui s'accroche encore, dérisoirement faible, aux sables du présent...

En peu de temps, des milliards d'astres étincelants sècheront de la grève la mémoire de la houle qui soulevait, il y a peu, des montagnes de vie de la surface aqueuse.

On peut mourir à l'intérieur de soi, sans que personne ne le remarque, sans faire l'ombre d'une différence, d'une maladie sans nom qui n'a pas d'existence. Le monde, ainsi guéri, pourra bien sacrifier un coq au grandiose Esculape. La vie ne connaît qu'elle-même et renie ses enfants.

mardi 11 février 2025

Pierre tombale

 Peut-on porter une œuvre en sa poitrine

Dont les racines sont les veines

Et qui s'étiole de n'être point expectorée

En mille éclats diaprés de bruine?

 

Tout ici ravale en moi

Ce qui devrait dégueuler de mes doigts

Je ne sais être libre

Et je m'encombre de la moindre chose

Comme d'un fardeau d'éternité.

 

Le mont de mes désirs

Est une nécropole éclose

Au sein de l'abandon

Qu'un astre inauthentique

Éclaire de névrose


Cesser ou poursuivre...?

Quelle importance pour des os

Qui, depuis si longtemps,

Ont bien cessé de vivre.

 

Il faut de la longueur

Au poète éreinté

Pour contrer la langueur

De ne rien inventer

 

C'est ainsi qu'on poursuit

Le sinueux destin

Dont, à contre-courant des autres,

On prie le dénouement

 

Être suisse apatride

Au bout de l'intestin

Et prier que la mort

Ne soit commencement

 

Partout couvrir

Les traces de sa vie

En bon technicien

De surfaces ontiques

Effacer pieusement

De flatteurs immondices

La nature de son être

 

Et faire de son profil

Un reflet scriptural

Bien plus inamovible

Que tant de pierres tombales

mardi 21 janvier 2025

Faire des cendres

Tu me demandes encore

Tu oses

De me brancher sur la radio des astres

Qui perce de ses rais

Mon âme de lumière

Tout ça parce que tu aimes à entendre

Mes cris qui percent l'atmosphère

Et forment mélodie

En d'avides cochlées

Sais-tu que c'est bien là ma vie

Qui se mue en musique

Et ne reviendra pas?

...

N'est-ce pas mieux ainsi...

Que des venimeuses psychés

Produisent à certains l'ivresse

Par de savantes posologies

Dont se soignent des vies

Désirant un avenir

Qui tienne dans la main

 

Il n'y a pas jusqu'au temps

Qu'on ne souhaite figer

Dans l'ambre d'une identité

Faire des cendres

Et de soi tout éterniser

Des néants sans image

Il est un Dieu

Dans la musique au fond de soi

Un dieu sans pouvoir ni loi

Qui, d'un geste, liquéfie les âmes

Invoque des trous noirs

Comme de vains concepts apotropaïques

Pour contrer l'univers

 

Celui qui lie les hommes

À sa dérive autoritaire

Et les fait suffoquer

Sous des flux de durée

 

Mauvaise marée

J'avale des goulées

D'eau-de-vie avortée

De styx empaquetés

Pour démarrer l'incendie cellulaire

 

Le dragon pyrophobe

Disent-ils en riant

Et tout ce feu grégeois

Qui coule en mes artères

Tient son homme bien droit

Son cœur est un cimetière

 

Cimeterre de vers égosillés

S'élèvent à l'éther

Et parlent d'horizons

À ceux qui rampent au sol

Pourquoi ne coucherions-nous pas

Tous ensemble dans la boue

Nos corps extatiques

Pour refluer élémentaires

En des parties sans tout

 

Que cette force

Qui maintient les celulles

Et nous tient en son joug

S'épuise et se récrée

 

Car de quel droit la vie

Se bâtit des palais

De chairs anéanties

Un temple abandonné

 

Refais-moi coquillage

Sur la grève stellaire

Et que nul Dieu moqueur

Ne sorte plus jamais de moi

Un son sur son oreille

 

Que l'on nous laisse enfin

Des néants sans image

mercredi 18 décembre 2024

Désunis vers

Le soleil pourrait tout aussi bien s'éteindre que rien, dans le grand Tout entier, n'aurait bien vacillé. Alors, que l'âme disparaisse quel changement cela fait? On peut s'éteindre amis humains, calmement et sans peine, car c'est la fin du mouvement qui nous tord les entrailles. L'axe des choses n'en sera bouleversé -- il n'y a pas d'axe à ce qui est. Rien, personne, ne nous regrettera, car ce qui vit est plein de la souffrance en lui, tendu vers l'avenir et la nécessité, oublieux par destin. Vous fermerez les yeux: un monde singulier se drapera dans le linceul obscur de vos paupières: mais il ne s'agit que d'un monde, le seul que vous ayez connu -- et que personne ne connaîtra jamais. Voyez? vous ne perdrez rien, puisqu'on ne se perd pas soi-même, l'on ne perd que ce que l'on possède, et non ce que l'on est. Personne ne vous perdra non plus. Personne ne fait la différence dans ce grand univers; Des civilisations entières demeurent anéanties, du fond d'inaccessibles impasses tracées au fond des âges.

Elles n'ont su faire la différence... Personne ne fait la différence dans ce grand univers. C'est tout ce qu'il faut lire dans mes désunis vers.

mardi 22 octobre 2024

Âme-monde

Visiter son âme, du plafond jusqu'aux limbes -- et même au-delà --, quel réconfort peut-il y avoir à cela? Le tourment est une chose qui tord, essore en l'âme toute substance, et les quelques gouttes qui sourdent au-dehors contiennent les principes actifs de toute métamorphose, elles sont l'essence même du conatus. Parvenir au fond de l'abîme pour s'apercevoir qu'il se perd toujours plus loin, qu'aucun fond ne se donne pour fondation et qu'un vide incommensurable est le milieu de l'âme, voilà le sort du tourmenté. Quel électuaire trouvera-t-il, cet homme, pour parvenir à souffrir ce destin?

C'est de son propre sang, de ces rivières de poésie qui semblent sortir du chaos par l'ineffable mariage de la forme et du Rien que l'aliéné tire sa force. Car le sang qui le couvre, épais, obstrue sa vision, certes, mais l'oint d'une aura surnaturelle qui fait de sa silhouette un signe vers ce qui se tient bien au-delà; et les yeux clos laissent toute latitude à l'âme de plonger en son centre où s'offre, panoptique, l'indéfini du monde.

C'est le flux du néant -- de celui qui contient, achevé, toute chose -- que parvient à extraire du cœur de la douleur celui qui endure l'absurdité de l'Être -- parce qu'à tout instant il la mesure de son terrible sentiment.

À tout le moins, la souffrance est la voie de ceux qui font croître le monde.

samedi 28 septembre 2024

Dithyrambe

De l'aorgique au repos dans ton être

Tu tires cette passivité

Ainsi ta vie bouillonne

Car deux fois contenue:

Par le dessein de la nature

Et par trop d'absolus

 

La totalité de l'en-puissance

A pour signifiant vacuité

Combien de temps encore

Résistera ce corps

D'attente suspendu

Qui te voue sans espoir

À l'irréalité


Peut-être une Action valeureuse

produirait un destin

De ce germe inexpliqué

Mais si dans l'Éternel

Tu veux placer ta fin

Tout bruieras de promesse

Dans le déchirement de soi


La membrane qui clôt ta cellule

Ne te sépare pas seulement de l'extérieur

Mais tout autant de toi-même

Ainsi tu gis sans adresse

Exilé de la forme

Et de l'Illimité


À l'homme est promis l'infini

Certes

Mais seulement s'il empoigne Kairos

Et se résout dans la durée

À l'âme seule est promis le Repos

Par les temps abolis

Des hauts champs-Élysées


Figure du devenir

Ton espoir est mortel

Ton être aussi néant

Te fais tout temporel

Pour le meilleur

Et pour le pire

Tu veux l'Altérité


Animal sans instinct

Se désire minéral

Croyant par ta nature

Et néanmoins sans foi

Tu cherches le Savoir

Et ne trouve que ta loi


Mesure de la mesure

Sans critère transcendant

Ton legs est un parjure

À tous les descendants

Qui rêvent de substance

Et renient le néant


Être de l'oubli

C'est dans la vacuité

Que tu t'acharnes à fuir

Que gît ton anamnèse

Ton essence dynamique

Te voue à l'équilibre

Mais en tant qu'horizon


Ta main ne saurait pas saisir

Ce qui n'est que l'envers

De ta vaine hypostase

Une lampée d'abîme

T'étires du tourment

Jusqu'à la folle extase


Vivre, encore, toujours

Entre les deux Néants

Ivre du vide enclôt dans chaque chose

Et si la mort n'était qu'une inversion

Qui de l'Illimité

Sait déssiner les âmes...