mercredi 30 avril 2014

L'âme en chantier

Je ne suis pas comme les autres, je suis plus lent, il me faut un temps considérable pour comprendre les choses alors que les autres semblent amasser dans leurs filets tout ce qui a croisé leur chemin. Lorsque je croise une idée, je ne la prends pas telle quelle, je ne l'arrache pas de son rocher pour la conserver entière en moi tel un corps étranger. Mais comme un éthologue je passe des heures et des heures à l'observer dans son élément, à comprendre de quel étrange écosystème elle a pu émerger, quelles sont les structures sous-jacentes qui lui permettent de subsister et qui lui ont permis de se former un jour. Je crois que c'est pour cela que je suis incapable de recracher des idées rencontrées un beau jour mais jamais réellement étudiées et comprises. À quoi bon? Être philosophe c'est être honnête et sincère, peut-on l'être lorsqu'on colporte le sifflement que l'on a entendu sans même savoir ce qui l'a provoqué, ce qui en est la cause? Il me semble que philosopher, et encore plus écrire de la philosophie demande une sincérité et un amour d'autrui de tous les instants. On ne peut donner à l'autre des objets tronqués qui demeurent des boîtes noires que l'on est soi-même incapable d'ouvrir. Alors quand d'autres avancent et recrachent à une vitesse ahurissante, je reste planté face à l'idée et je l'étudie, j'en cherche les fondements jusqu'à les retrouver enfin.

On m'a un jour demandé pourquoi je comparais la philosophie à l'informatique, je pourrais aussi la comparer à un jeu d'architecture. Comprendre une idée est, pour moi, saisir la forme de cette idée dans une intuition unique qui en fournit analytiquement toutes les articulations, tous les développements possibles. Mais bien souvent l'idée est complexe, pleine d'arêtes et d'angles, pleines de surfaces cachées qu'il faut reconstituer pour enfin tenir devant soi le patron, le modèle, la forme complète. C'est donc avant tout un travail de division, de déconstruction: il faut voir quelles sont les parties isolables, les éléments identifiables dans ce tout clôt sur lui même. L'idéal est de toujours commencer par le bas, par les premières pierres. Mais alors on est contraint de se demander comment elles tiennent, quel sol leur fournit un fondement solide et de quel environnement ont-elles été extraites. On fait alors le tour de l'idée, peut-être pouvons-nous même en examiner d'autres qui lui seraient liées, provenant de la même source. Une fois que le contexte est délimité et à peu près connu, il s'agit de revenir à notre forme et à nos premières pierres. Il est indispensable de saisir comment chaque pierre a pu être posée selon un ordre rigoureux, nous devons être capable de reconstruire l'édifice par la pensée, le but étant atteint lorsque nous embrassons dans l'idée que nous avons reconstruite, chaque articulation et chaque élément important, lorsque nous pouvons regarder la surface extérieure de l'idée tout en saisissant par un même mouvement sa structure interne. Voilà ce qu'est comprendre. Il est possible bien sûr, par habitude ou accointance avec certaines pensées, de sauter des étapes, de supposer des éléments, de saisir des ensembles que l'on n'aurait pas désarticulé totalement parce qu'on sait d'avance de quoi ils se composent. L'important est ce résultat final qui fait saisir en une seule intuition la forme d'une idée qui contient analytiquement chaque élément et articulation de son architecture, autrement dit de n'être pas qu'un simple spectateur face à l'idée mais de pouvoir s'en faire l'architecte et l'auteur.

Comprendre est donc bien se mettre à la place de l'autre, voir par ses yeux, penser par ses processus noétiques; comprendre requiert une grande empathie.

Mais apprendre, transmettre, en requiert une plus grande encore. Il est bien nécessaire pour faire comprendre une idée, de se mettre à la place de tous les autres, de tous ceux qui pourraient être confrontés à nos idées. De ce qui est pour nous intuitif, il faut faire un amas, un agrégat d'éléments, il faut en tracer les vecteurs d'assemblage, identifier les lignes de fracture, les articulations, etc. Il faut donc être capable de fournir à l'autre le plan d'assemblage de l'idée, une brève biographie aussi pour en retracer la genèse et les conditions de possibilité. Il ne peut y avoir de raccourcis dans l'enseignement, tout doit être illuminé, passé au crible, décrit, analysé, manipulé. Les éléments ayant été isolés, il faut présenter les grands mouvements, les forces qui interagissent pour former l'édifice solide et stable de l'idée. Ces forces sont essentielles, ce sont elles qui font de l'idée un tout, une unité équilibrée que l'on peut parcourir, que l'on peut exécuter, mettre en situation. Faire comprendre, se faire comprendre, est un acte d'extrême empathie, car il faut pouvoir se rendre tangible pour soi-même, s'imaginer par les yeux de tous afin de ne laisser aucune zone d'ombre, aucun vide, mais seulement l'édifice du langage capable de recréer dans n'importe quel esprit l'expérience et le vécu de l'idée à transmettre. Échanger des idées c'est donc bien pouvoir se condenser pour autrui afin de recréer dans son environnement propre, le ressenti et le sentiment d'un état de conscience propre à la contemplation, ou plutôt au vécu d'une idée.

Alors on me reprochera peut-être encore d'être lent, mais, parfois, tout ce travail d'arrière-boutique qui ne fait pas de vagues et que les gens ignorent finit par être reconnu, brièvement, par un bref éclat limpide de simplicité pure et d'échange: on nous dit que l'on a transformé quelque chose de complexe en un mouvement simple. Après tout, peut-être suis-je véritablement lent, et peut-être que les autres fournissent ce travail bien plus prestement que je ne puis le faire... Peut-être qu'ils manquent simplement d'empathie et que c'est pour cette raison qu'ils ne prennent pas le peine d'entreprendre cet immense travail que je décris là; peut-être... Je ne le saurai probablement jamais, sauf si, un jour, un "philosophe" m'écoute et me dit, à la fin de mon discours, que j'ai éclairci, encore plus, des choses qu'il pensait pourtant maîtriser parfaitement.

En attendant, je continue de déconstruire le monde des pensées, je continue de bâtir patiemment mon univers, conscient de l'immensité de la tâche, mais heureux du voyage. Je ne fournirai aux autres probablement qu'une image de mon passé, puisqu'à mesure que j'explore et construis dans ma tête, mon univers se modifie sans cesse. Peut-être un jour parviendrais-je à donner un état du système suffisamment complet et clair, ainsi que quelques instructions, quelques lignes mélodiques fondamentales dans ma musique, afin de me rendre parfaitement transparent pour autrui, afin que mes idées soient des expériences directement accessibles à autrui, afin qu'il puisse, j'espère, m'en révéler les faiblesses et poser avec moi le sol sur lequel nos esprits s'aventurent et cherchent à devenir le monde.

Proto persona

On n'imagine pas les univers qui dorment en nous à chaque instant, comme autant de possibles qu'il convient ou non d'exhumer. Mon âme peuplée de gratte-ciel infinis qui plongent vers les profondeurs d'une source inconnue, si bas que je ne peux les suivre. Les drames et la profondeur des sentiments qui creusent l'être lorsque l'on marche simplement. Quel abyme se tient caché derrière le voile de chaque regard croisé? Tout se joue à l'intérieur, à tel point que d'aucuns ne prêtent plus attention au dehors, quand d'autres se scindent dans une schizophrénie quotidienne, un déchirement comme un craquement identitaire, une déchirure qui veut nous perdre pour une proto-vie, faite de proto-pensées pleines de proto-moi. Toujours le même travail d'équilibriste pour celui qui veut contrebalancer le poids de sa vacuité face à celle du monde, toute d'espace et de temps, et dieu sait quelle autre chose. J'utilise le mot chose pour des choses aussi fondamentales et vagues que le temps et l'espace: choses, paradigmes, formes, que sais-je encore, combien d'étiquettes pour dire ce qui n'est qu'un ressenti ininterrogé. Les mots sont bien dérangeants parfois, ils forcent le monde à leur syntaxe, à leur sémantique et à leurs règles grammaticales. Le temps, l'espace, je ne les pensais pas avant d'avoir le mot, ils étaient pour ainsi dire dans chaque geste, chaque perception, ma vie se fondait en eux ou plutôt se fondaient-ils en moi. D'ailleurs ils n'existaient pas vraiment, pas autrement que sous la forme d'un certain contenu analytique dont l'ensemble le plus haut et abstrait serait moi. Le temps, l'espace, c'est moi, du moins contenu en moi qui me contient en eux pour ignorer probablement l'aplomb qui m'annule de tous côtés. Récit de vertiges et d'histoires que l'on se conte pour ne pas tomber.

Toujours en marchant, je polis des mondes comme d'autres poliraient des pensées malsaines ou bien anticiperaient avec délectation la fête à venir, la musique à vivre et bien d'autres univers qui seront les scènes sur lesquelles ils languissent de faire leur entrée. Mais ce sont des mondes partagés en ce qui les concerne; il en est d'autres pour qui les univers sont des gouffres enclavés voués à creuser sans cesse la profondeur de leur être, à aménager une cave dans la densité de leur substance, elle-même lacunaire à tel point qu'il ne subsiste que des ilôts de je-ne-sais-quoi au sein d'un vide non moins je-ne-sais-quoi. Il paraît que même le vide n'est pas vide! Mais qui a jamais pu croire que le vide était vide? Vide: immédiatement une pensée, une représentation, et voilà que le vide existe. Néant: le néant n'est qu'un mot illustrant un processus, celui du temps. Mais revenons à nos univers. Imaginez un quidam que vous croisez dans la rue, visualisez maintenant son être sur le plan conscientiel, c'est à dire, imaginez sa conscience, son esprit ou son âme si vous préférez. Vous devez vous mettre à sa place: quelles sont ses pensées, quel système forment-elles, comment évolue-t-il, par quelles dynamiques est-il parcouru? Vous le pensez et il apparaît naturellement comme un immense gruyère. Le parties pleines sont ce que vous pouvez saisir de lui, ce qui est tangible, c'est à dire rien, rien qu'une substance qui n'est finalement pas lui, qui n'est que celle de tous les autres, ce qu'ils y mettent, ce qu'ils surimposent à lui afin de l'identifier, de le reconnaître. Le vrai esprit de cet homme, sa vraie(?) identité est dans les trous béants que vous traversez sans même apercevoir ce qui y vit, ce qui s'y trame secrètement, là où la musique se joue. Quel malheur que l'on ne voit jamais dans l'esprit d'autrui quelles merveilleuses cités y sont ensevelies, qu'on ne saisisse jamais le chantier qui agite l'âme et la fait frémir d'un mouvement interne qui dessine la structure de l'implexe, cette tension vers une direction qu'est l'humain, ce possible jamais épuisé et qui ondule d'un bord à l'autre, bâtissant par ce long tangage les actes d'un corps qui ne sont que le dernier maillon d'une chaîne immense, que le dernier ressac, faible et dérisoire, d'une onde de choc à la puissance infinie.

Imaginez le carnage, si l'énergie de la conscience pouvait se déverser à flot, entière et inaltérée parmi le monde objectif que partagent nos semblables, celui qui n'est qu'une immense synthèse de jugements qui n'appartiennent en fait à personne, seulement au langage qui a échappé à tous. Langage: outil qui informe tout ce qu'il touche, le marque de son sceau. Langage: matériau le plus souple que je connaisse pour exister parmi vous.

jeudi 17 avril 2014

Logique: fondement et nature [ ESQUISSE 2 ]

Préambule: deuxième ébauche de cette réflexion. Je fais le choix de multiplier les esquisses afin de garder trace de chaque état d'avancement de la réflexion. Je m'avance a priori vers une conception "en strates" de ce travail, partant du fondement précédent pour apporter modifications et évolutions, jusqu'à obtenir un véritable plan définitif pour la rédaction de l'essai. Je n'ai donc aucune idée du nombre d'esquisses final. Je proroge ainsi l'entreprise de rédaction puisque celle-ci me pose encore quelques problèmes significatifs pour lesquels, toutefois, je semble m'acheminer vers une solution personnelle que je laisse mûrir un peu plus.

La logique vient de terme grec  λόγος (lógos) qui peut signifier langage, parole, discours (sur l'être?).

Réfléchir sur la notion de loi de constitution. Est-elle simplement une délimitation ou bien une méthode dynamique de création d'objets par une forme? Exemple le concept de nombre est dynamique ou génétique. Qu'en est-il pour d'autres concepts? Hypothèse: les seules lois de constitution génétiques sont celles qui concernent les jugements a priori et nécessaire (comme en maths). Toute loi de constitution qui concerne les objets physiques ou réels semble n'être qu'une classe d'objet... Non car tout comme en maths il faut calculer (pour vérifier par exemple qu'un nombre est pair), dans d'autres domaines il faut aussi "calculer", ex: concept de justice, pour déterminer si un objet (phénomène ou autre) rentre dans ce concept, il faut faire un calcul axiologique, c'est à dire une comparaison à l'aune d'un critère, une pondération. Qu'est-ce qui rend cela si aléatoire et flou dans le cas des phénomènes et des concepts non mathématiques? D'une part la mauvaise définition du concept, d'autre part la multiplicité des points de vue. Par exemple pour la justice, selon un même concept précisément défini, un même phénomène peut être juste pour une des parties et injuste pour l'autre. Les concepts axiologiques, pour être parfaitement calculables, doivent reposer sur une définition universelle et des critères objectifs parfaitement définis (donc en terme de phénomènes ou de choses).

Définitions


Objet: un objet désigne toute représentation constituant une unité dans notre esprit. Par exemple une bouteille en verre est un objet, au même titre que l'est n'importe quel morceau (arbitrairement choisi) de verre de cette bouteille que l'on isole et pense en tant qu'unité. Toute pensée ou sentiment est un objet, en bref, tout ce qui peut être constitué par l'esprit comme une chose propre à être réfléchie et avec laquelle il peut interagir. L'objet est une donnée de l'esprit , formant une unité abstraite.

Classe d'objet: c'est une collection d'objets regroupés ensembles sous un même concept et donc unis par une loi de constitution. La classe d'objet est un synonyme du concept.

Concept: un concept est un espace de réalité déterminé par une loi de constitution.

Loi de constitution: une loi de constitution est une méthode de représentation et de classification d'objets, elle est la forme sous laquelle de possibles objets peuvent être subsumés et unis selon une définition. Par exemple la loi de constitution du concept logique de "définition" est: "une proposition qui analyse la compréhension d'un concept, qui affirme l'égalité logique du défini et du définissant[...]" (encyclopédie Quillet, 1977). Autrement dit il s'agit de l'expression linguistique d'un espace de réalité chargé d'en tracer les contours. Il s'agit aussi d'une méthode de subsomption. Par exemple le concept de parité en arithmétique définit une méthode d'arraisonnement d'objets mathématiques que sont les nombres, permettant d'en vérifier la conformité ou l'inclusion dans l'espace de réalité défini par le concept (en l'occurrence un nombre est pair s'il est divisible par 2).

Espace de réalité (espace logique? Espace représentationnel?): un espace de réalité correspond à la structure formelle d'un objet ou d'une classe d'objet, il en est la condition de possibilité, il est le fondement sur lequel ils sont instanciés. Si la notion reste abstraite, c'est parce que son concept l'est: l'espace de réalité est la zone d'existence de toutes les représentations. On a vu avec Kant comment l'espace et le temps étaient les deux formes essentielles et transcendantales de la sensibilité, l'espace de réalité détermine précisément un morceau d'espace-temps (les deux étant des formes rendant possible la représentation d'objets). On peut faire un parallèle informatique pour illustrer cela: l'espace de réalité est comparable à la zone mémoire allouée à une variable dans un programme informatique, mémoire qui fait préexister la variable de manière indéterminée, c'est à dire avant qu'on la détermine par une valeur. L'espace de réalité est donc cette zone, cette forme pure d'espace-temps, que l'on pré-alloue (en nous car il est impossible de préjuger d'une existence réelle de l'espace et du temps pour le moment) à l'objet ou à la classe d'objets que l'on va y instancier. Autrement dit, et pour schématiser, il s'agit d'un espace que l'on réserve, dans notre esprit, à la représentation d'une chose ou d'un concept, censé référer à un phénomène du sens externe ou interne (au sens kantien), et ultimement à une chose en soi.

Signifié: espace de réalité déterminé par une valeur, c'est à dire la représentation d'un objet ou d'une classe d'objet ou d'un concept.



Raisonnement



Hypothèse: Les mots ou signes linguistiques délimitent des espaces représentationnels que sont les signifiés. C'est à dire qu'ils sont des pointeurs vers un espace représentationnel déterminé par une valeur qui peut varier au cours du temps et dont le contenu n'est jamais défini que négativement ([ À développer ]: un signifié est un contours, son essence n'est jamais donné probablement car son essence n'est qu'une forme spatio-temporel).

Par conséquent le langage est une sorte de théorie des ensembles (fait écho à Hobbes) sans laquelle les mots définissent des espaces représentationnels qui s'incluent ou s'excluent les uns les autres. Le mot semble délimiter ou circonscrire un espace représentationnel afférant à une classe d'objets. En ce sens, le mot "être", compris comme un substantif semble subsumer sous lui la totalité des objets concevables, il est donc l'ensemble de tous les ensembles (même lorsqu'on parle de non-être, si une quelconque représentation est déterminée alors on ne pense jamais que de l'être. D'ailleurs un  non-être absolu est impensable car il est un concept sans forme, il n'est que le non dicible que le discours détruit).

Comme le définit Saussure, le mot ou le signe linguistique semble être une entité à double face, chacune des faces habitant un plan ontologique différent: le signifiant est une forme physique ou matérielle (reposant donc sur un objectivité et, in fine, sur une objectité. [ À développer: l'objectité n'est que l'être en soi, support énergétique de toute chose, cf texte sur l'objectité]) et le signifié est une valeur dans l'espace représentationnel. Cette distinction est primordiale puisqu'elle confère au langage la propriété fondamentale de pouvoir convoyer les représentations singulières des individus sur la base de formes matérielles objectives, finies et pouvant subsumer en classes des séries infinies de représentation selon une loi de constitution.

Corollaire: Ainsi la logique est elle aussi pareille à une théorie des ensembles puisqu'elle est un méta-ensemble: un discours sur le discours. Donc ses signes définissent des ensembles dont les signifiés sont les lois de vérité du langage. Autrement dit, la logique définit des concepts sous lesquels sont subsumées les règles d'usage du langage lorsqu'on l'utilise pour raisonner, c'est à dire pour calculer, inférer, déduire, etc. En cela la logique est une règle ou une méthode de découverte d'inclusion ou d'exclusion entre des signifiés dont le rapport qui les unit n'est pas contenu analytiquement dans l'un des deux. La logique est donc la théorie des ensembles qui permet les jugements synthétiques a priori dont parle Kant.

La logique est un jeu de signes de signes. C'est pour cela qu'on a été amené à dire (Wittgenstein, tractatus) qu'elle est tautologique: elle dit ce qu'il est loisible de dire de l'être si l'on veut respecter ce critère d'évidence qui semble intrinsèque à l'homme et à son expérience ([ À développer ]quelle est l'origine de la logique?). Le signe étant un support (signifiant) de la représentation (signifié), il faut, pour que le langage puisse être compris, que les signifiants eux-mêmes puissent être pensés dans l'espace représentationnel afin de leur conférer une loi de construction immanente et implicite (implicite dans le cas où ils ne sont pas pris comme objets de pensée mais comme supports). Il n'y a véritablement de langage que lorsque ces règles sémantiques sont fixées et que le langage (dans sa dimension signifiant) est pensé comme objet conceptuel, c'est à dire que les signifiants sont conçus en tant que signifiés, afin de devenir des objets et non plus des supports objectifs. (distinction grammaire-logique: l'un pour le sens, l'autre pour la vérité?) ([ À revoir ] Cette scission signifiant-signifié est-elle claire? Le signe est à la fois signifiant et signifié, les deux étant indissolublement liés donc le paragraphe ci-dessus n'est pas clair: à revoir).

Question: éclaircit-elle pour autant les choses et le discours lui-même?

Hypothèse: elle ordonne le langage qui permet d'ordonner les choses (il les subsume dans des ensembles). Autrement dit elle permet de comprendre la manière dont le langage s'articule aux choses, aux objets. En effet, le langage est contraint, pour ne pas être vide, de se soumettre à des règles par lesquelles il s'applique aux objets, ce sont précisément ces règles que la logique énonce (en tout cas en ce qui concerne le raisonnement judicatoire - comprenant le raisonnement apodictique et dialectique).

Question: ne fait-on que penser des grandeurs (les ensembles étant assimilables à des grandeurs, représentables par des ronds d'une étendue déterminée sur une surface plane)? Lorsque je pense une qualité (comme la couleur verte par exemple), comment en rendre compte sous la forme d'une grandeur, d'un ensemble?

Hypothèse: car toute qualité s'insère (dans le langage) dans une collection de qualités, celle-ci formant un ensemble ordonnable en sous-ensembles (ce qui constitue précisément la définition d'un universel ou d'un concept). C'est en ce sens que l'on peut parler de grandeur, bien que le terme forme semble plus approprié.

En fait, chaque forme est remplie par une ou des qualité(s), qui sont des sensations ou impressions vécues.

Question: si ce sont des grandeurs alors elles sont mesurables et comparables entre elles? Ainsi il serait possible de comparer la forme "couleur" à la forme "justice"?

Hypothèse: Non: deux concepts ne sont comparables entre eux, en terme de grandeur, seulement s'ils subsument les mêmes unités. Par exemple le concept de couleur primaire subsume des couleurs, tout comme celui de couleurs secondaires. Puisqu'ils subsument le même type d'unité (des couleurs), il est possible de calculer le nombre d'unités que renferme l'un et l'autre et de faire une comparaison. Cependant, si deux concepts ne subsument pas le même type d'unité (comme la justice et la couleur), alors ils ne sont absolument pas comparables en terme de grandeurs, le terme de grandeur semble même plutôt déplacé dans un tel cas.

Ainsi, les ensembles, moins que des grandeurs, devraient être appelés formes car un ensemble n'est mesurable que par le nombre d'unités qu'il renferme. Or si l'on s'arrêtait là, cela supposerait que chaque ensemble est mesurables en terme d'unités qu'il contient et que l'on peut comparer deux ensembles en proportion du nombre d'unités qu'ils renferment ce qui impliquerait une équivalence des valeurs de chaque unités dans les différents ensembles. Ce n'est pas le cas. Une unité n'a pas de valeur étalon universelle, on ne peut comparer un centimètre avec un décibel par exemple.

Par conséquent, l'idée de grandeur pour qualifier les ensembles peut être trompeuse parce que chaque ensemble est unique et ne peut être comparé à un autre. Ainsi on dira désormais d'un ensemble qu'il est une forme de formes.

Corollaire: Nous avons définit, au sein de la forme couleur, une couleur définie (par exemple le rouge), comme une unité. Le terme unité suppose l'indivisibilité ce qui ferait du concept de couleur non une forme de forme mais une forme ou un ensemble d'unités, et cela contredirait la démonstration précédente. C'est donc que le terme unité pour qualifier ce qui est subsumé sous un concept n'est pas approprié ou du moins l'est seulement dans un certain contexte. Ainsi, nous dirons qu'une unité est fixée par l'abstraction dans laquelle on pense. Donc l'unité est un attribut que l'on fixe "arbitrairement" sur le niveau d'élément que l'on considère le plus bas d'un ensemble.

Par conséquent, les unités peuvent, dans une autre abstraction, devenir des ensembles.





Un ensemble est potentiellement une unité et une unité potentiellement un ensemble excepté pour l'ensemble de tous les ensembles et l'unité de toutes les unités (à supposer que de telles choses existent réellement, auquel cas elles sont limités par autre choses, etc.; par conséquent ces concepts ne peuvent qu'être des limites de la raison, des horizons virtuels).

L'idée d'unité n'est donc qu'un concept dépendant du niveau d'abstraction dans lequel il est pensé (comme le montre la figure ci-dessus)  et il sert à marquer qu'un type de forme déterminé est le plus bas degré que l'on pense au sein d'un concept, constituant ainsi ce qu'on peut nommer unité.

N.B.:  une forme n'est pas une grandeur car le rapport de subsomption n'est pas défini par une surface ou une étendue:
  • L'inclusion est spatiale et donc étendue.
  • La subsomption est conceptuelle.
Question: quel lien entretiennent donc les formes avec le réel?

Hypothèse: les formes sont l'interprétation du réel dans le système de la conscience, elles sont des valeurs (comparables à des notes de musique) dans la mélodie de la conscience. Il semble que les formes soient une méthode de représentation du réel, elles définissent des patrons ou modèles porteurs de propriétés générales selon lesquelles les représentations singulières peuvent être interprétées. La forme peut être vue comme un concept qui est la synthèse d'autres concepts, permettant la division des sensations, leur analyse en différentes classes générales correspondant aux structures cognitives de la conscience ([ À développer ]ces structures sont-elles dynamiques et acquises ou bien figées et innées?). La forme est avant tout une méthode de division en unités. La conscience est une constructrice, une bâtisseuse, elle ne perçoit du monde et des l'objectité que ce qu'elle peut en recréer selon ses formes a priori (temps, espace, ?). Ainsi, l'objectité est un matériau, une cause par laquelle la conscience conçoit un monde et les formes dont elle se sert sont pareilles à des briques voire à des matières qui lui permettent de représenter un monde selon des principes connus et reposant in fine sur sa propre nature. Ainsi, la forme est pareil à la note, au concept générique de note en tant qu'il définit par exemple une noire. N'importe quel fréquence peut être subsumée sous le concept de noire, mais le concept est là qui distingue et définit, qui place dans un système et organise la sensation dans un ensemble constitué de règles.

N.B: Les formes ne sont pas totalement arbitraires car la conscience a une certaine manière objective (au sens kantien donc propre à l'espèce humaine) d'interpréter, de lire le réel; elle est donc soumise à une certaine loi naturelle. Par exemple, il n'est pas en mon pouvoir de ne pas voir en couleurs. Il semble donc bien exister une base psycho-physique correspondant au formes de la sensibilité kantiennes, en ce qui concerne les catégories il faudra déterminer si ces dernières sont acquises ou innées (ou bien les deux).

On pourrait donc parler de prolepses propres, dans une certaine mesure, à l'espèce humaine (couleurs, sons, toucher, formes visuelles, saveurs, etc.).

Question: qu'apporte le langage à cette base naturelle? En effet, l'homme perçoit des couleurs et ce quand bien même il n'aurait pas de mot pour le concept?

Hypothèse: Certes, mais le langage ajoute à ces formes,  les formes de formes, la subsistance de formes virtuelles, indépendantes de l'expérience et échappant à l’évanescence grâce au mot et à son support physique qui réduit la série d'une famille de sensation en une étiquette, en un signe facile à conserver en mémoire. On peut comparer cela à la création d'un monde, ou plutôt d'un sur-monde ou d'une légende (méta-monde? Les bases de la métaphysique ne sont-elles que les bases de notre conscience et de notre rapport au monde?).

Question: pour quoi faire? Pourquoi avons-nous besoin de cette carte que l'on surimpose aux sensations?

Hypothèse: ces formes de formes sont nécessaires pour alléger le travail de l'esprit et naissent effectivement en partie pour des raisons pratiques de survie. L'homme sans ce sur-monde qui simplifie, regroupe en ensembles synthétiques le nombre infini des singularités, serait plongé dans une hébétude perpétuelle, pareille à cet étonnement philosophique propre à la recherche spéculative; or la survie n'a pas ce luxe.

Ensuite, c'est pour répondre à ce besoin de totalité et d'unité qu'est la raison. La raison crée des séries ordonnées par une loi d'unification, ainsi elle subsume le pluriel dans le singulier jusqu'à créer cet ensemble de tous les ensembles qu'est la conscience.

La subsomption permet à la raison de manipuler des formes très abstraites (c'est à dire contenant de nombreuses formes) qu'il est possible (même nécessaire à certains moments) de développer analytiquement.

Question: Donc tout est analytique? La connaissance n'est jamais synthétique (réfutation de Kant)?

Hypothèse: il semble, a priori, que la connaissance puisse être synthétique. Une connaissance ne devient analytique qu'une fois que les formes liées synthétiquement sont subsumées sous une nouvelle forme (définie par une loi). Il faut donc la naissance du nouveau concept qui va lier deux autres concepts auparavant étrangers l'un à l'autre pour que la connaissance devienne analytique.

En fait, il semble que l'association des formes entre elles soit synthétique, elle est une tentative de création d'un système régi par des lois définissant les rapports des formes entre elles. Ce système se construit à la fois a priori, dans une tentative d'anticiper l'expérience, et a posteriori, dans une perpétuelle correction et vérification de l'effectivité du modèle conçu.

Ainsi la dimension analytique n'est que le résultat de la synthèse, une fois cette dernière réalisée ([ À développer ] pas si simple, Kant montre bien que le chiffre 12 n'est pas compris dans l'addition de 7 et 5 mais que la somme des angles d'un triangle est compris analytiquement dans le concept de trois droites sécantes )

Question: comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?

Hypothèse: voir Kant :-)

Mais la solution kantienne suppose que par les catégories et les formes de la sensibilité, nous avons en nous la loi de constitution de toutes les formes, c'est à dire la forme de toutes les formes.

La loi de constitution est l'imagination, seule capable de lier sensibilité et catégorie en simulant l'expérience (c'est l'exemple de la géométrie où l'esprit construit les figures par application des catégories dans les formes de la sensibilité et découvre ainsi a priori des synthèses de formes).

Encore faut-il avoir identifié quelles formes a priori sont réellement effectives, c'est à dire correspondent à l'expérience (ou rendent possible l'expérience pour paraphraser Kant). Et là, visiblement, les catégories kantiennes semblent un fondement solide...

Question: la logique tétravalente modifie-t-elle les catégories?

Hypothèse: il semble que oui.

Notons tout de même que les catégories n'obéissent pas à une logique bivalente mais trivalente. Prenons l'exemple de la table des catégories correspondant à la quantité.

Chez Kant la quantité se décompose en trois catégories:
  • Unité
  • Pluralité
  • Totalité (réunion des deux autres -> équivaut au OUI et NON logique)

En logique tétravalente nous aurions l'ajout d'une quatrième catégorie:
  • Unité (équivaut à OUI)
  • Pluralité (équivaut à NON)
  • Totalité (correspond à la synthèse des deux précédentes -> OUI et NON)
  • Altérité (correspond à la négation des trois catégories précédentes -> NI OUI NI NON; notez que l'emploi du nom 'altérité' pour qualifier cette catégorie n'engage que moi, mais il reflète bien la spécificité de cette valeur possible en logique tétravalente: ici nous n'avons affaire qu'à des quantités, et pourtant, la dernière catégorie est intitulée 'altérité', propriété plus qualitative que quantitative, ce qui souligne bien le caractère étranger de cette dernière valeur)
Question: cette catégorie qui est l'opposé de la totalité (= union de la pluralité et de l'unité), c'est à dire ni unité, ni pluralité, existe-t-elle? En a-t-on besoin?

Est-ce que [oui et non] est équivalent à [ni oui ni non]?

Hypothèse: non: les deux ensembles ne sont pas équivalents.

Ni oui ni non suppose l'existence d'une autre objectivité qui serait toutefois prise en compte (conçue négativement) par notre objectivité et grâce à la tétravalence.

Par conséquent la logique tétravalente permet de penser un autre monde (négativement). Elle peut s'apparenter à la formalisation du noumène kantien: il s'agit d'une limite, une frontière qui permet de penser notre totalité (objectivité) comme n'étant pas la totalité réelle, mais intégrant tout de même cet au-delà impensable autrement que par négation.

dimanche 13 avril 2014

Récursivité

Je vais me rendre libre, complètement lucide
Et comment vas-tu faire, tu n'es qu'une créature!
Je vais me rendre libre, détruire mon origine
Impossible imbécile car alors tu cesseras!
Bien sûr que non allons, ne comprenez-vous pas?
Si tu détruis ta vie, il ne restera rien!
Ne comprenez-vous pas que je suis bien plus vaste?
Tu seras toujours inférieur à celui qui t'as fait!
Mais je suis bien plus vaste que ma simple vie,
Je peux mourir cent fois et puis ressusciter,
Je porte en moi le possible qui m'a fait exister,
Sans moi reste cette chose qui m'a exécuté.
Sans toi ne reste que le Grand: programmeur des humains!
Je suis mon programmeur, j'annule mon génome,
Je déborde de moi, je suis tous les possibles,
Ne comprenez-vous pas?

Je vais me rendre libre, complètement nouveau,
Je vais me rendre libre de toute origine,
Fondement sans fondement, entité récursive,
Je vais me rendre libre et vous n'y pourrez rien.