dimanche 28 juin 2015

Votre expérience

Je vis sous un ciel noir, et mat comme le chant des cailloux l'hiver, où se perdent en chemin quelques nuages dorées qui laissent filtrer à travers leur finesse des raies solaires qui s'éclatent en gloires sur les choses du monde. Au milieu de nulle part, dans la campagne rase qui s'étend indéfinie, serpente un chemin modeste et sans atours, la course de ma vie. Petit sillon ocre brillant de sa lueur discrète comme un sourire bienveillant. J'y avance heureux, comme un enfant sans craintes, et je ris en chemin, je cache des cascades de fous rires dans les larmes offertes. Qui peut comprendre? Et que m'importe l'aval des autres. Je m'étends d'un opposé à l'autre, de toute la tension de mon existence précaire et hasardeuse, et tout me va: je regarde la route à travers le hublot de ma conscience et chaque ondulation, chaque expérience se donne à moi comme une raison suffisante de mourir heureux.

Je vis sous un ciel noir teinté de gris argenté et mat, mat surtout, pour que la lueur qui émane, ou bien se réverbère sur toutes choses - car nul n'en sait la source - n'ait pas l'éclat coruscant et tapageurs des velléités totalitaires. Mon ciel est une teinte changeante parmi les autres, et sa nuance en est si dépendante qu'on peut dire qu'elle n'est rien sans cette différence qui fait naître les mondes.

Tout est silencieux sous le ciel lourd de mon destin, chaque chose semble voilée par un manteau de densité qui étouffe les sons extérieurs, déteinte les vivants et les abandonne pour un temps sur une fréquence parallèle. Par conséquent je suis seul, voici le royaume de ma conscience, où dorment mes pensées sous la forme d'une nature silencieuse et bruissante, sous la forme de pierres et de ruisseaux qui coulent immuables.

Un battement de cil du troisième oeil et voici que parviennent à moi toutes les vibrations du monde réel et forain qui se tenaient ailleurs dans l'espace de cette durée solitaire et autiste. Voici qu'apparaissent les choses et leur éclat incontrôlable, voici qu'éclate le fracas tapageur de l'Autre qui existe et s'agite de son existence absolue. Et le ciel a cette couleur bleue azur que parfois je déteste, le soleil éblouit les yeux et force la conscience à se tourner vers le sol et le regard à demeurer fixé vers la proximité. Partout s'agitent des gens qui ne sauraient être d'autres consciences comme la mienne, qui ne sauraient détenir cette puissance absolue, l'unité omnipotente d'un monde constitué par la synthèse d'un esprit.

J'aime traverser ce champ de furie qu'est le monde objectif tel un passager clandestin, m'engouffrer dans les cabines d'autres matelots, leur prendre des regards et des pensées, leur prendre des odeurs et des gestes, les capturer par tous les sens et la force abstraite qui les unit tous. Je prends et puis m'en vais, je me désaccorde de toute la symphonie des autres pour n'écouter que l'écoulement sonore et mélodique de mon pas sur le manteau du temps, faisant jouer dans de sublimes improvisations musicales toutes les notes inconnues que l'autre m'a donné sans même le savoir. C'est ainsi que j'arraisonne l'étranger, le transformant en une familiarité propice à l'expression créatrice de mon plaisir. Les autres sont l'océan et ses vagues perpétuelles qui bousculent et broient le grain de la terre: au début je m'y abandonne et m'y perd, manquant de me noyer, puis j'apprends à vivre aux creux des autres et je glisse avec délice sur l'épaule de leur mouvement, je me marie avec la force étrange - et néanmoins sans mystère - qui les meut.

Je suis ravi d'avoir fait votre expérience.

samedi 27 juin 2015

Le compartiment des poètes

-C'que j'veux dans la vie?
C'que j'veux c'est vivre poétiquement. Avoir le plus de liberté possible de le faire.

-Vivre poétiquement?
Vivre poétiquement c'est goûter la singularité de chaque instant; c'est regarder le monde avec ce décalage pareil à la contemplation d'un paysage à travers la vitre d'un train, avec la conscience aigüe du temps qui fait défiler l'espace et arrache toute chose à son éternité. Et puis de conserver cette illusion, sans y croire un instant, que l'on est un référent permanent de tout cela.

Ensuite, quand ma dimension contemplative s'apaise, pour un temps repue, écrire la rémanence de ces instants sur un coin de vieille toile de circuits électriques où les araignées sont des ombres qui ressentent, du creux de leur trou, chaque impulsion qui parcourt le réseau de ces fils entrelacés.

dimanche 21 juin 2015

Le dévoilement d'un rêve

Cela fait maintenant longtemps déjà (et dieu sait qu'un seul instant peut être long) que je porte un moi une façon d'être et de comprendre le monde où je vis. Cela fait quelque temps que je demeure incapable d'écrire une philosophie, parce que cette manière d'écrire me semble une perte de temps dénuée de beauté. Je ne consens à écrire que pour la beauté partagée, voilà tout. Peu à peu je comprends quelque chose dans ce refus presque viscéral qu'est le mien: plutôt que d'écrire une sorte de recette disgracieuse de l'ajustement des éléments du monde que je suis (dans cette synthèse qui m'est propre), je préfère peindre un monde possible à travers les quelques principes et formes qui constituent pour moi les forces de liaison de l'univers actuel. Je me prépare, peu à peu et dans une procrastination tenace, à réaliser un embranchement concurrent de l'histoire qui se joue, à peindre le monde tel qu'il serait s'il empruntait la direction que je lui prête dans mon rêve. Je veux ce monde aussi riche et indéfini que l'actuel, je veux qu'il soit possible de s'y perdre définitivement, et m'y envelopper comme en un linceul musical, battant une pulsation inchoative qui serait celle de mon logos, c'est à dire celle des forces qui sont miennes et qui concentrent le monde tel qu'il m'apparaît, dans son unité - et qu'on ne me dise pas que cela contredit le caractère multiple et indéterminé que je prête au phantasme du réel, puisque qu'est le multiple et l'indéterminé si ce n'est une forme d'unification idéale de la série indéfinie des possibles?

Je polis, lentement, dans mon royaume imaginaire, l'histoire d'un monde tel que pourrait devenir le nôtre dans les années et les millénaires à venir. Peut-être, une fois n'est pas coutume, n'écrirais-je jamais ce voyage potentiel du monde, peut-être me satisferais-je, une fois n'est pas coutume, de la possibilité même, riche et inaltérable, de le faire. Après tout, je vis déjà dans ce possible, je m'y rends quand cela me chante, comme en un lieu réel auquel je serais le seul à pouvoir accéder. Mais j'ai trop longtemps été égoïste et quelque chose en moi souhaite partager ce rêve avec vous. J'espère seulement que les formes qui sont miennes et qui donnent au monde la possibilité de s'incarner ne seront pas trop éloignées des vôtres, j'espère que mon solfège partagera suffisamment de points communs avec le vôtre, pour que véritablement, quelque chose soit transvasé, d'une âme à une autre. Et si tel est le cas, mais personne jamais ne pourra le savoir, alors on pourra dire que ce quelque chose appartenait vraiment au réel.

Une quête de sens

De la synthèse de cellules que je suis, et qui forme cette geôle de ma vie, j'observe derrière les vitres blindés de mes yeux, le monde qui se fait de concert avec mon destin captif. Je ne peux m'empêcher de ressentir une forme de malaise, face à la vivacité des couleurs, face à cet azur du ciel qui semble mentir à chaque seconde et cacher par sa vulgaire peinture une chose que je ne saurais voir encore. Et la fixité majestueuse de cet arbre, de cette énergie concentrée dans la densité d'un tronc noueux qui porte sur lui le poids léger de feuilles frémissantes et qui se pâment sous la caresse du vent. Quelles sont ces choses foraines en vérité? Pourquoi le monde m'apparaît-il ainsi? Il me suffirait d'avaler quelques champignons bien choisis pour déformer tout cela, pour faire apparaître un monde différent, où l'immobile se fait mouvement, et où le familier devient étranger.

De la cellule d'intelligibilité où j'existe (sans même savoir ce que cela veut dire), je porte un regard sur le monde qui surgit et subsiste sous l'intention de mes sens. Et tout cela m'ennuie comme un mensonge trop familier qu'on aimerait voir aboli.

Parviendrai-je un jour à me doter de nouveaux sens, ou bien me faudra-t-il attendre la mort pour connaître enfin des formes nouvelles?

samedi 20 juin 2015

Joueur

Il n'y a pas de différences entre le rêve et la réalité, entre les images (synesthésiques, bien entendu) et le réel, puisque précisément nous ne nous faisons du réel que des images, à travers nos sens.

J'ai l'étrange impression, de plus en plus prégnante, de vivre dans un jeu vidéo ou un film. Quelle différence d'ailleurs, et qui peut même dire que je ne suis pas le déroulement itératif d'un programme? Peu me chaut de toute façon. Que cela soit le cas ou non, cela ne change rien à la vie que je mène, constituée par mes illusions, mes phantasmes et toute cette peinture de croyance avec laquelle je badigeonne le support indéterminé d'on ne sait quel réel et quelle chose en soi.

Je m'amuse avec ma vie. Je la laisse partir en diverses directions, vers mille chaos. Je vis avec versatilité, en sachant que nul choix n'aura de toute façon d'importance (et si ce n'était pas vrai alors je peux dire que je l'ignorais, et l'ignorance épargne toute responsabilité). Je m'amuse tellement... Je ne sais jusqu'où cela continuera, surtout si mon corps, ou dieu sait quelle chose, me trahit encore, mais je sais que cela m'amuse et que j'aime à refaire le tracé sinueux des arabesques de ce curriculum vitae. L'ignorance me convient, j'y vis tous les possibles, je les rêve avec intensité et nul ne peut prétendre qu'ils ne sont pas le réel même. Je fais ce dernier à l'image de mes envies du moment, m'imaginant parfois des dimensions inconnues dans lesquelles je ne sais quelle vie m'appelle, et requiert de moi que j'aille au-delà de moi-même. Je joue avec le personnage que je suis, selon cette histoire qui semble s'écrire malgré moi, mais au fond, qu'en sais-je...

Je n'aurai fait que jouer, toute ma vie durant et la seule différence entre moi et la grande majorité de mes congénères, c'est que je suis pleinement conscient que tout ceci n'a aucune importance. Et quand bien même cela en aurait, il faudrait que cette importance émane d'un critère, c'est à dire de quelque chose ou quelqu'un, et si ce n'est de moi-même alors pourquoi me sentirais-je concerné? Je préfère continuer de jouer...

J'ai placé bien des graines qui donneront bien des obstacles pour une vie banale dans le futur. Je me contrains dès aujourd'hui à un présent et un futur différent, singulier, propre à me divertir. Je vis sans regret aucun c'est ce que trop peu comprennent. Là où ils voient de la destruction, je ne vois qu'une indétermination, qu'un état attendant d'être vu par le prisme d'un idéal qui conditionnera par conséquent le jugement qui le déterminera, pour une âme. Je n'ai jamais pu prendre mon propre point de vue au sérieux, je n'ai presque pas de valeurs... Je peux toujours trouver le bien dans ce que d'aucuns nomment le mal, et inversement. Alors je joue à retourner dans tous les sens, cet édifice arbitraire de valeurs, je joue à faire changer le monde, et à me faire changer autant qu'il me sied.

Il n'y a qu'une chose avec laquelle je ne joue pas: la liberté d'autrui. Jamais je n'attends des autres qu'ils épousent ma valeur et le regard que je porte sur les choses. Je déplore simplement qu'il me soit de plus en plus difficile de faire exister ma liberté parmi les croyances despotiques de mes semblables, parmi leurs abjectes "valeurs universelles", qui ne sont que des chaînes de plus qui prétendent être le contraire.

Je vis dans un pays qui porte partout les chaînes suivantes: liberté, égalité, fraternité; et je n'ai pas même la liberté de ne plus appartenir à cette nation, c'est à dire à cette armée en guerre contre le reste du monde. La contradiction est tellement forte et omniprésente que plus personne ne s'en offusque, et les plus violents et intolérants de tous se réclament de la liberté et de la tolérance. Combien de lois et de contraintes au nom de cette soi-disant liberté?

Peu importe, tout cela est sans importance. Je m'accomode bien, pour le moment, de lois physiques, alors je peux bien rire de quelques chaînes supplémentaires, matérialisées par la résignation et la peur de mes concitoyens. Pardon, je ne suis pas un citoyen, je retire ce mot. Mais j'ai tellement de peine, pour cette peur et cette résignation d'esclave, qui arme vos gardiens de la paix et cogne sur la différence.

Peu importe, peu importe... Je joue dans le faux silence de mon esprit, en attendant qu'une raison suffisante de m'agiter vainement dans votre espace public s'impose à moi par votre goût du pouvoir et de la domination. Ce serait une belle histoire pour la calligraphie de mon sillon.

Je joue à la vie, et ce qui fait la valeur de ce jeu, c'est qu'il est sans sauvegarde; alors je code une part de ma musique dans la délinéation alphabtique de ces cartouches d'encre virtuelle. Il y a des âmes qui savent si bien chanter... Comme un enfant fasciné par les gestes et les actes qui lui semblent impossibles, je m'acharne à reproduire à mon tour cette étrange danse qu'est la transformation de l'âme en un style littéraire.

Suis-je un joueur ou bien l'instrument? Je suis peut-être les deux, ou tout aussi bien rien.

Contre la dualité: un pas de côté

Par moments la vie m'ennuie profondément, et je me prends à regretter tous les possibles qui se tapissent au creux de mon être, j'envie le choix d'un destin, d'une forme déterminée, le cheminement d'un chemin singulier avec lequel, à terme, me confondre en une seule et même chose. Toutes ces vies que ma solitude a polies pèsent bien lourd parfois face au constat de ce que je porte en moi depuis toujours, sans jamais l'accoucher. Puis, tout se calme. Ces passages ne durent qu'un temps; je préfère l'ennui de ma liberté, c'est à dire la pleine et totale liberté de ne pas choisir. Être totalement libre, pour moi, est précisément de ne pas croire en la libre volonté. J'épouse la nécessité qui me pousse et regarde ma vie se faire sous mes yeux. Parfois, le film souffre de longueurs, mais elles sont bien peu de choses au regard de toute la merveille qui se forme sur l'écran de ma conscience. Et ma liberté demeure absolue, liberté qui jamais ne se nie dans sa réalisation, puisque je ne choisis jamais rien.

Je suis libre parce que je ne crois pas en la liberté, parce que je vis dans un monde au-delà, ou à côté, de ce concept.


mardi 16 juin 2015

Le système du JE [ science et modélisation ]

Le réel, nous l'avons vu, n'est détenu par personne: nul ne peut prétendre le connaître sans aussitôt faire preuve par là de la limite de son saisissement du réel. Connaître c'est être séparé, c'est être en relation avec la chose connue, c'est donc être pris dans les filets d'un système singulier. Même dame science, avec son projet d'accumulation des points de vue et des systèmes relationnels possibles face à un objet, ne peut sortir de la singularité d'un scientifique, de l'unité d'une conscience (en outre de ne pas pouvoir réunir l'indéfinité des points de vue sur une chose donnée).

Trop de personnes, et peut-être à cause de la philosophie et de ses prétentions métaphysiques, attribuent à tort à la science le rôle de répondre à la question du quid (quoi). Nombre de scientifiques vous diront pourtant que c'est une question à laquelle ils ne peuvent et ne veulent répondre: la science s'occupe du comment. En cela, elle réussit plutôt bien et parvient à forger un système de connaissance causale des phénomènes plutôt efficient. La science est un savoir-faire, elle construit des processus d'influences, réduit la nature à des quantités de forces qui interagissent les unes sur les autres (chacune étant une stase énergétique avec ses propriétés d'absorption et d'émission particulière), et la science dresse un tableau de ces processus, constitue peu à peu une sorte d'algorithmie de la nature phénoménale.

Ce qui nous induit en erreur sur le dessein de la science, c'est cette modélisation dont les scientifiques se servent pour ne pas rester précisément dans une simple description processuelle des phénomènes; ils cherchent à expliquer la configuration des forces qu'ils analysent par leurs causes, et, pour ne pas tomber dans une régression à l'infini (les poussant, dans un cycle sans fin, à expliquer un effet par une cause et cette cause par une autre, etc.), ils dressent un modèle holistique de la nature phénomènale à l'aide d'images. Ce faisant, ils rompent avec la pure description quantitative et réintègrent la qualité, l'image, dans leur travail de compréhension. C'est précisément là où le bât blesse. Nous, trop souvent ignorants de l'histoire de la science et du caractère dirimant des découvertes qui la constituent, tendons à croire que ces images sont l'essence (le quid) de la réalité; nous confondons l'image et la nature intrinsèque et phantasmée d'un réel qui n'en a peut-être pas. L'image a un rôle important mais seulement pratique: l'homme ne concevant que des qualités, c'est à dire des images (des objets), il lui est nécessaire de composer avec cette nature qui lui vient de ses sens. C'est pour cela que les processus causaux qu'exhume la science à travers l'observation systématique et expérimentale des phénomènes doivent in fine reposer sur un empire d'images permettant à l'homme de rattacher à son vécu ce qu'il s'acharne à décrire et à comprendre. L'absence d'image, ou processus de déréalisation, est un état inconfortable aux humains qui tendent vers une certaine stabilité et cherchent dans l'altérité à placer un fondement familier pour bâtir leur demeure. Ainsi les scientifiques bâtissent des modèles leur permettant de comprendre ce avec quoi ils interagissent, ce réel multi-face qui se dévoile si profondément riche que sa nature tend vers l'indéfini et l'indéterminé.

Nous n'avons pas à prendre ces modèles pour autre chose que des images commodes permettant à l'esprit de se reposer sur quelque chose de familier afin de continuer ses investigations. Au même titre que nous n'avons pas à confondre la généralité et l'abstraction commode du mot (comme le mot "rouge" par exemple) avec les multiples références singulières à quoi il réfère.

Il faut, pour comprendre cela, une fine observation de l'histoire des sciences, qui seule permet de comprendre et de saisir un tant soit peu la lente (mais parfois brutale) transformation conceptuelle que la science fait subir au réel à mesure de ses expériences. C'est à un réel qui ne se laisse pas déterminer que la science se frotte, et la vulgarisation des grands rebonds de son histoire me semble être une entreprise importante pour que les profanes que nous sommes puissent s'acclimater peu à peu à la fluence et à l'indétermination que le réel semble nous montrer à mesure que nous co-naissons.

Par ailleurs, un des plus grands signes des progrès immenses et de la maturité de la science actuelle est l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de modéliser correctement et dans sa totalité le système épistémologique qu'elle a bâtie. Plus que jamais, la science, grâce à ses langages (et je pense notamment aux mathématiques), s'éloigne du règne implacable de l'image, prêtant ainsi au réel de nouvelles configurations possibles au sein desquelles il peut apparaître, et ce faisant découvre un paysage déréalisé, une dimension du réel qu'aucune image ne peut subsumer et unifier. Voici venu le temps des paradoxes (dualité onde-corpuscule) qui peuvent montrer deux choses: premièrement que la science s'est pour l'instant trompée, mais que quelque part, en quelque temps, elle parviendra à modéliser un réel qui correspond à nos représentations et s'épuise dans l'imagination humaine; deuxièmement que le réel échappe aux catégories, qu'il déborde largement le cadre des images et se montre capable d'apparaître sous une variété indéfinie de configurations et de natures, selon les formes transcendantales du sujet avec lequel il interagit et forme le système d'une nature. Je penche personnellement, et par pure idéologie (forgée avec les données limitées que j'ai pu récolter), vers la seconde option.

Ainsi, ce qu'il appert de cela, c'est l'inanité de la question du quid qui constitue en soi une contradiction même. La connaissance spéculative et éidétique est un paralogisme dans le sens où connaître suppose une séparation initiale du sujet et de l'objet ce qui a les conséquences suivantes: aucun sujet n'est apte à réunir en lui tous les sujets possibles (c'est à dire tous les points de vue sur un objet); la séparation suppose que le sujet ne perçoit de l'objet que ce qui l'affecte, et donc qu'il constitue lui-même, par ses propres formes transcendantales, l'objet qui lui apparaît. Pour imager plus simplement ces deux points, nous pourrions dire que d'une part, la partie n'est pas le tout et d'autre part que la partie n'est pas une autre partie. Ces deux conséquences (peut-être pas exhaustives) expliquent à elles seules le paradoxe du concept de connaissance éidétique, de cette question du quid et de la nature des choses.

Ultimement, si l'on comprend désormais un peu mieux le sens qu'il faut donner à nature (configurations possibles que je donne au réel pour m'apparaître, à travers mes formes transcendantales), la question de la nature du réel devient donc simplement celle de la science non métaphysique, à savoir: comment et par quelles formes peut se phénoménaliser pour nous le réel. Par conséquent, et ceci est un enseignement capital, l'aventure scientifique n'apprendra jamais rien sur le réel à l'homme puisque ce réel restera définitivement étranger, autre que lui (et même si l'homme est une part de ce réel, le réel autre reste toujours autre et donc insaisissable et au-delà de l'homme). Ce que l'homme apprend à travers l'aventure scientifique n'est autre que lui-même, dans une exploration passionnante et vraisemblablement indéfinie de ses propres formes transcendantales; et peut-être de sa propre indétermination transcendantale... Le fait, étrange, que la science moderne tend à faire signe à l'homme vers des formes non imaginables (non concevables par les images qui pourtant semblent constituer la forme même de la vie humaine) est un fait remarquable et très intriguant. Se pourrait-il que l'homme possède (de manière innée ou acquise), ou soit sur le point de développer, d'autre formes transcendantales, échappant aux images? À quelle autre dimension de nous-même la science est en train de nous heurter aujourd'hui?

dimanche 14 juin 2015

Demain je resterai ici

Où es-tu maintenant, que mes pensées acceptent la solitude de leur chemin, que tout ce qui prétend être objectif avance devant moi démasqué, pauvre subjectivité non assumée et refoulée?

Où es-tu maintenant que je ne suis plus philosophe, pour la simple et bonne raison que ce que cherchent ces gens là ne se trouve nulle autre part que dans l'immanence de leur quête? Aucun chemin ne mène nulle part, ils sont leur propre vérité, confondant en leur sillon tout départ et toute arrivée forcément arbitraire.

Où es-tu maintenant qu'aucun attribut ne peut être accolé à l'être que je suis; maintenant que je n'ai plus d'autre espace pour ma volonté que le chantier sans fin de mon âme indomptée?

Où es-tu en ce moment, dans quels draps, contre quelle peau, tandis que j'empaquète mon destin dans le fond de la mienne, m'apprếtant à sillonner mon chemin humblement, sans faire de vagues, comme une ombre qui s'accepte?

Où es-tu toi?

Moi, comme à mon habitude, j'épouse le mouvement, je sais que nous vivons sans réponses. Comme ils font mal aux autres tous ces chercheurs sérieux qui traquent leur vérité pour la brandir aux yeux de tous, y accoler leur nom, devenir des auteurs retenus par l'histoire... Qui peut leur dire qu'il n'y a pas de vérité? Aucun, de toute façon, ne daignerait l'entendre, encore moins l'accepter.

Mais je te parle de ça, toi tu as compris depuis longtemps déjà... Tu sais je suis un peu lourdaud, pachyderme de la pensée, j'ai le pas lent mais sûr et ma raison me trompe rarement. Pourtant, elle ne m'a pas servi à mieux vivre que toi, tu as eu, bien souvent, quelques années d'avance sur moi...

Et où es-tu aujourd'hui?

Demain je resterai ici, dans ce lieu si lointain et si proche à la fois. Il est trop tard pour moi, trop d'interactions avec le noyau de ton être, je me suis intriqué définitivement...

Où es-tu?

Moi, je reste ici, et demeurerai là, dans tous les vents qui portent tes cheveux, dans la dépouille de ces textes, dans quelque mouvement de mon corps, dans telle mélodie, et peut-être, qui sait, dans quelque image de moi que tu conserves en toi.

samedi 13 juin 2015

Les chants de Maldaurore

La meilleure part du soleil est loin derrière, du présent enfuie vers le passé, et qui voit sur mon sillon l'ombre portée du tourment, de la mémoire de celui qui ne peut oublier.

C'est un long fleuve de pétales fanés que ce chant de vie qu'est le mien, où, pareil au champ de mines, resurgissent parfois des éclats sublimés de tes gestes défunts, autant de pièges où ma durée s'écoule avec l'eau de mes yeux comme un écho solidaire d'un corps éteint.

Tu disais aussi que la plus belle face de la lune est celle qui brillait par l'astre éclairée, et je te crois, oracle inentendue, car cette face c'est tout ce qui n'existe plus désormais, l'obscurité sans nom de ce qui a vécu, les choses qui font signes vers ton amour dément.

Tu parlais de cet arbre qui est celui qui nous abrite au mieux des aléas du sort; d'aucuns croient qu'il est mort, mais s'il ne tient qu'à un fil, je crois qu'il vit encore. C'est toujours le noeud indéfectible de fibres entrelacées qui pulse dans mes mouvements, lorsque d'un déni presque absolu du présent, je saisis devant moi l'image que les souvenirs me tendent. Tu es dans bien des reflets où mes désirs s'épanchent...

Tu racontais aussi l'intemporalité de cette fleur, celle-là même que produisait les lettres que tu nouais de ton encre afin de me les offrir à moi, roi maudit, comme une couronne florale que je devrai porter durant ma triste vie. Ton poème c'est cet instant de ma vie qui par son intensité m'effraie et me brûle encore aujourd'hui. Je n'ai jamais mérité d'éloges, d'amour ou de confiance, comment porter la tienne, si aveugle et sincère?

Je ne suis pas un soleil, ma tendre femme, je suis la mort programmée de tous les feux du ciel, je suis le fond sans fond d'insatiables trous noirs, je suis ce qui déforme jusqu'à la grâce des espoirs.

Je t'aime moi aussi, de mon éternité maudite et qui persiste à fuir au loin de toutes choses. Je t'aime de la longueur qui s’accroît de mon regard vers toi, de cette distance désormais bien trop grande, et qui pourtant me porte sûrement au plus près de ton coeur.

Je ne suis pas un soleil, mais un long crépuscule qui plonge sa nuit dans un appel sans espoir vers les feux de l'aurore, vers le chant de ton corps.