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vendredi 16 juillet 2021

Pessoa: littérature et servilité du rêve

 "J'ai laissé derrière moi l'habitude de lire. Je ne lis plus rien sauf un journal par-ci par-là, littérature légère, et, à l'occasion, des livres techniques en rapport avec ce que j'étudie à ce moment-là et quand ma seule réflexion ne suffit pas. Le genre défini par la littérature, je l'ai quasiment abandonné. Je pourrais le lire pour apprendre ou par goût. Mais je n'ai rien à apprendre, et le plaisir que l'on retire des livres est du genre à pouvoir être remplacé avec profit par ce que m'offre directement le contact avec la nature et l'observation de la vie. Je me trouve maintenant en pleine possession des lois fondamentales de l'art littéraire. Shakespeare ne peut plus m'apprendre à être subtil, ni Milton à être complet. Mon intellect a atteint une flexibilité et une projection telles qu'il me permet d'assumer n'importe quelle émotion que je souhaite ou de pénétrer aisément n'importe quel état d'esprit. Quant à ce pour quoi l'on lutte toujours, dans l'effort et l'angoisse, l'être complet, il n'y a aucun livre qui puisse servir. Cela ne signifie pas que j'ai secoué la tyrannie de l'art littéraire. Je l'accepte, mais simplement assujettie à moi-même. Il y a un livre qui m'accompagne toujours -- Les aventures de Pickwick. J'ai lu, à plusieurs reprises, les livres de M. W.W. Jacobs. Le déclin du roman policier a fermé, à tout jamais, une de mes portes d'accès à la littérature moderne. J'ai cessé de m'intéresser aux gens qui ne sont qu'intelligents -- Wells, Chesterton, Shaw. Les idées de ces gens-là sont celles qui viennent à l'esprit de beaucoup d'autres qui ne sont pas écrivains; la construction de leurs œuvres est de valeur entièrement négative. Il fut un temps où je ne lisais que pour l'utilité de la lecture, mais maintenant je comprends qu'il y a très peu de livres utiles, même ceux qui traitent de sujets techniques qui peuvent m'intéresser [...]. Tous mes livres sont là pour consultation. Je ne lis Shakespeare qu'en rapport avec le "Problème de Shakespeare"; le reste, je le sais déjà. J'ai découvert que la lecture est une forme servile du rêve. Si je dois rêver, pourquoi ne pas rêver mes propres rêves?"

 

Fernando Pessoa, notes personnelles, non datées. Traduction Léglise-Costa.

vendredi 21 mai 2021

La synthèse des faux souvenirs

Une boule élastique qui en heurte une autre en droite ligne communique à celle-ci tout son mouvement, par conséquent tout son état (si on ne regarde que les positions occupées dans l’espace). Or, posons, par analogie de tels corps, des substances dont l’une inspirerait à l’autre des représentations, en même temps que leur conscience: ainsi se pourrait penser toute une série de substances dont la première communiquerait son état, avec la conscience qu’elle en possède, à la seconde, celle-ci son état propre, avec celui de la précédente substance, à la troisième, et celle-ci, de la même manière, les états de toutes les précédentes,avec son propre état et la conscience qu’elle en a. La dernière substance aurait ainsi conscience de tous les états des substances qui auraient changé avant elle comme constituant ses propres états, puisque ceux-ci auraient été transférés en elle en même temps que leur conscience; et néanmoins elle n’aurait pourtant pas été la même personne dans tous ses états.

Kant, CRP, p. 294

J'ai été extrêmement intéressé par cette note de la critique de la raison pure à l'époque où je l'ai découverte. J'en ai inféré que la conscience est une sorte de poupée russe, une subsomption de consciences (d'états de conscience) qui s'accommode de chaque état qu'on lui propose en le faisant sien. Par quel procédé cela se passe-t-il? Ceci constitue une autre question (passionnante)... Ce qu'il est intéressant de retenir ici c'est que: une personne (une conscience) qui recevrait les souvenirs (aperceptions empiriques) d'autres personnes, aurait conscience alors de ces états comme étant les siens propres... Par conséquent, il serait possible d'instiller en autrui de faux souvenirs et faire en sorte qu'il les entre-tisse à son récit intime et les fonde ainsi dans la continuité de son aperception originaire (de sa conscience de soi). Étant donné que ces souvenirs seraient de véritables souvenirs produits par une conscience transcendantale (c'est à dire pure fonction logique, à ce titre universelle et propre à tout humain), ils ne pourraient être distingués des autres et se voir étiquettés comme "étrangers". La conscience serait instinctivement portée à les intégrer au récit de soi.

Je peux témoigner de la vérité (du moins en terme de possibilité empirique) d'une telle affirmation de Kant. Il m'a été donné de faire, il y a de cela quelques années, un rêve particulièrement réaliste et immersif, dans lequel je parcourais une région des Landes, près de laquelle j'habitais alors, pour y chercher un spot de surf dont on m'avait parlé et décrit l'existence. Je finissais par trouver, dans mon rêve, ce lieu, je me souviens parfaitement des incongruités de cet endroit puisqu'il me fallait traverser une portion de forêt dont la végétation ne ressemblait en rien à celle des Landes, mais tout était si bien agencé, les routes que j'ai du parcourir, les panneaux, les voitures croisées ou garées sur le lieu, etc., que je ne pouvais rationnellement pas exclure la possibilité que ce lieu fut réel. Je traversais donc cette forêt: j'ai encore, présents en moi, l'excitation qui m'habitait à ce moment, les sons des animaux, la luminosité oblique de ces sous-bois, et l'émerveillement de parvenir enfin à une plage de sable blanc qui bordait... Une rivière... Rivière sur les berges de laquelle déferlaient des vagues sublimes. Nous devions être en tout et pour tout deux ou trois surfers. Les sensations de la session, le chemin de retour à la nuit tombée dans cette forêt sombre, le chauffage dans la voiture pour me réchauffer, tout était si incroyablement semblable à ce que l'on pourrait attendre d'une expérience réelle, que j'ai immédiatement attribué cette qualité à ce souvenir dès mon réveil.

Il m'arrivait alors dans les jours qui suivirent, régulièrement, de tenter de me rappeler par quelle route j'étais passé pour atteindre ce lieu. Certains jours de houle, je me souviens d'avoir creusé ma mémoire, re-parcouru les panneaux routiers, les sensations, les images, afin de retrouver l'endroit désiré. Je me heurtais alors à quelques menues incongruités, à quelques incohérences, certes mineures mais qui barraient inexorablement le passage à mon esprit, faisant de cette expérience onirique un étrange îlot dans ma mémoire, étrangement éclatant de présence vécue, et néanmoins impossible à rattacher totalement à ma vie réelle.

Aujourd'hui encore, après quelques années, il m'arrive alors de replonger dans ce souvenir (réel en tant que souvenir vécu) et de ne plus savoir s'il s'agit bien d'un rêve ou d'une expérience mondaine dont les liens se seraient, avec le temps, distendus, si bien que je n'en trouve plus la place exacte, dans l'ordre de mes expériences mondaines et objectives. Ce souvenir semble alors flotter là, rattaché tout de même à ma vie objective par des données cohérentes, mais dont certaines obscurités tranchent les liens qui pourraient me permettre de le relier enfin à la réalité objective. Il reste en ma mémoire, comme une image péninsulaire dont la partie terrestre est désormais engloutie par les eaux, de telle manière que je ne peux m'y rendre pas à pas.

S'il n'y avait pas ces quelques détails incohérents et problématiques qui me font dire aujourd'hui que tout ceci n'était qu'un rêve, je suis absolument certain que cette expérience aurait naturellement trouvée sa place en moi sous la qualité d'expérience objective et non plus simplement onirique. Elle serait devenue ma réalité, elle aurait formé une partie du monde objectif pour moi et serait, en cela, devenue physiquement effective. D'ailleurs, même sans cela n'est-elle pas physiquement effective aujourd'hui, elle qui me fait relater ici ce singulier épisode...?

Rêve éveillé: rien ne résiste à la mer

 Ce matin, somnolant sur ma paillasse, une fois n'est pas coutume je rêvais d'océan: je rêvais de surfer. Pour une fois cela dit, ce n'était pas de moi qu'il s'agissait, puisque l'homme dont j'étais le fantôme dans la coquille n'était autre que Kelly Slater, multiple champion du monde. Nous étions dans une épreuve des jeux olympiques, sur la fin de la session. Kelly venait de prendre sa dernière vague, qui lentement s'éteignait refusant son épaule dans un fracas d'écume. Le champion, dans son dernier virage, se laissa aller vers l'eau lisse comme une glace, à peine ridée, il était presque parallèle à elle lorsqu'elle l'accueillît en son sein.

Kelly était tellement heureux, qu'il se laissait secouer par les vagues suivantes, rouler dans l'écume rageuse qui le poussait vers le rivage. Cette joie était celle d'avoir participé à un moment historique. Les premiers jeux olympiques de surf. Il arriva sur la plage, marcha quelques mètres sur le sable en pente que dominait une dune, puis il se laissa tomber à genoux, les mains sur le sol qu'il éleva et tapa contre le sable mouillé en criant: "j'y étais! J'y étais!!". Des larmes s'échappaient discrètement. Le ressac venait immerger d'une fine couche liquide la base du surfeur, il venait prendre l'émotion pour la ramener en lui.

En bas de la dune, il y avait de petits rochers lacunaires, criblés de trous et d'anfractuosités lisses qui formaient comme un corail érodé. Kelly se releva, il n'y avait plus aucun public, juste quelques plagistes épars. Il marchait le long de la dune, l'eau montait jusqu'à ses pieds pour repartir, happée par son origine, dans un petit crissement sableux de poussière musicale. La houle était tombée. L'eau était si lisse qu'elle se confondait avec le ciel. Chaque petite vague qui parvenait à casser doucement semblait effacer la précédente. L'atmosphère était silencieuse, le vent soufflait à peine et plus aucune trace des arabesques athlétiques ne persistait dans l'eau presque étale. Le moment était passé, les exploits à peine effectués disparaissaient peu à peu dans l'écho des mémoires (quelles mémoires?). La plage était redevenue comme toutes les plages, calme, immergée dans un présent qui semblait s'évertuer à refuser le témoignage d'un passé englouti.

Le vent, le ressac sur le sable, et l'eau bien calme. Une minute à peine était passée et rien ne subsistait.

lundi 26 avril 2021

Poussière gesticulante

 Il est singulier de vivre cet état paradoxal d'avoir le sentiment de désirer une situation, la réalisation d'une certaine œuvre, et dans le même temps l'inappétence totale de mener à bien cette entreprise même. Quelle étrange tension entre l'idéalité du rêve que l'on suppose objet de son propre désir et son incapacité manifeste à devenir principe d'une action volontaire... Ne serait-ce pas que ce rêve, que nous prenons pour l'objet d'un profond désir, n'est qu'une image que l'on surimpose à l'objet véritable? Mais pourquoi donc effectuer un tel geste? Pour quel profit?

Une voie d'explication possible serait la conscience que tout objet du désir n'est que prétexte à faire perdurer l'état même de désir comme fondement de l'existence et, par conséquent, de la vie même en tant que processus biologique temporel. La conscience ainsi lucide face au leurre que représente tout objet de désir se retrouve alors face à la nécessité du désir en tant que principe nécessaire de l'existence. Ce désir nu, sans plus aucune transcendance, devient alors réflexif et ne peut plus, dès lors, que porter sur lui-même. Mais l'intelligence nous a révélé l'impossibilité d'une telle modalité du désir pour servir de fondement à l'élan vital humain en tant qu'il se vit comme une chose pour soi, c'est à dire comme puissance d'être et non pas comme être en soi, défini une fois pour toute. Il est alors d'une urgence vitale de fixer au désir un objet transcendant capable d'ouvrir le système de la conscience, de l'égo, vers une altérité qui servira précisément de principe au processus de devenir. On se fixe alors pour objet de son désir une action, un état, que l'on n'avait auparavant encore jamais réalisé, certainement parce qu'il ne constituait pas la source d'une réelle appétence, capable de contrebalancer d'autres élans contraires. Et nous voilà à poursuivre une chimère, à ressentir jour après jour une mortifère vacuité qui enfle et enfle sans jamais cesser face au constat amer de notre indétermination, de notre inaptitude à devenir l'auteur de nos rêves supposés, le héros de notre propre destinée.

Mais alors, que faire pour remédier à cela? Est-il vraiment possible de ne plus rien désirer? Même un bouddhiste invétéré désire la cessation du désir, court après quelque chose, un état toujours plus pur et autre qui le pousse à entreprendre le voyage de son inexistence. Qu'en est-il de celui qui ne souhaite pas cesser de désirer (c'est à dire mourir), mais qui ne sait pas vers quel objet porter son désir? D'ailleurs, parler de savoir en matière de désir n'est-il pas inapproprié? Le désir peut-il, tel un cancer psychique, se retourner contre lui-même? Dans quel enfer vit un tel homme?

dimanche 31 mai 2020

Esquisses captieuses

Faux rêves qu'on accroche au plafond
Pour parodier la voûte
De vies que l'on croient belles.

Promesses suspendues
Petits paquets de mort
Emballés d'eau fleurie...

mardi 10 septembre 2019

Se lever encore

C'est toujours mon âme qui cherche à s'abolir, qui s'assomme par et pour le corps, afin que n'existe que lui, animal brut, mû par le seul instinct, inconscient, traversé d'une nature sans doute ni critique, élan absolu, mouvement pur.

À chaque fois, mon âme se tue et revient à la vie plus morose et neurasthénique qu'auparavant.

Mes nuits n'ont plus à voir avec le repos, j'y pleure, j'y meurs aussi doucement, comme traversé par un peloton de sabres tranquilles et méthodiques.

Je rêve de toi chaque nuit et ces rêves ont la teinte grise et sale des choses abîmées. Ces rencontres oniriques sont comme un mur qui s'écroule, une démolition ignoble qui figure ce qu'est mon cœur aujourd'hui privé de toi.

Peut-on accepter d'avoir perdu l'amour? Le substitut de mes mots est aujourd'hui plus que nécessaire. Il n'y a bien que cela qui me donne aujourd'hui la force de me lever encore.

Étrange comme mon amour vit hors du temps. Je suis à toi comme un objet oublié, le jouet d'enfance clôt dans une boîte au fond d'un vieux placard, et qui ne connaîtra jamais plus le toucher d'une main.

Quelque chose n'est pas terminé, ce quelque chose empêche mon sommeil, me prive de repos, sourde de mon corps, de mon âme, de tout ce que je suis et dégueule sur ma vie en ces tons de tristesse aride qui souillent mes aurores.

De quoi suis-je coupable pour que les choses fassent invariablement signe vers toi...

mercredi 24 avril 2019

[ Terres brûlées ] Érèbe



Il est un lieu en soi-même
Aux murs faits de ténèbres

Un dieu dort c'est Érèbe
Dans l'écrin des dilemmes

De cette chambre à laquelle je n'accède
Grondent des sons qui désormais m'obsèdent

Derrière la porte close
Les pétales sans couleur
De mes fleurs non écloses

Un Dieu dort c'est Érèbe
Qui fait fondre nos masques en un fleuve de plèbe

Personne... Tant que rien ne remonte
Qu'en l'abîme s'étouffe une mer que démonte

L'énergie sans limite une source empêchée
La tant avide vie que l'on veut entraver

Il est un lieu en soi-même
Où gît la vérité

Celle de tout un chacun
Le patron de notre âme
La clôture du chantier

À rebours du chagrin
Qui nous fait étouffer

Tandis que la pièce résonne
Me perce de ces traits enflammés
De ces charmes harponne
Un désir entamé

Quelque chose s'écoule
Un sang noir qui déroule
Le collier d'une vie
À son être ravi

Un dieu dort c'est Érèbe
Aux tréfonds de mon âme dans le lit de ma sève

Il est des dimensions qu'on peut seulement sentir
À un cheveu de soi, malgré tout si lointaines
Comme ce souffle de lyre
Jouant son théorème

Là-bas, où je ne peux aller
J'aimerais revenir
Galaxie spiralée
Où je veux tout cueillir

Car un Dieu y dort
Y rêve ma vie
Celle que j'ai sentie
En de précieux accords

Je souhaiterais revenir
Où le Dieu d'or et d'ombre
Rêve mon avenir
Sous le vieux masque sombre

Je ramènerai courageux
Du chaos imprenable
L'algorithme d'un jeu
Qu'on dit indéchiffrable

Je ferai se toucher chacun des deux pôles
Trouverai le chemin qui mène aux alizés

Je tracerai la route vers l'autre dimension
À travers les ténèbres je bâtirai les ponts

Je réveillerai le Dieu qui me ressemble tant
Ouvrirai grand les yeux où s'écoulent le temps

J'aurai peur, je le sais
Néanmoins je vivrai

Mon Dieu si vous saviez comme j'aspire tant
À ce que la vie ne soit plus un long rêve

lundi 1 avril 2019

[ Terres brûlées ] Le grand exorciste



Maison de paille au toit de tôle
Et lumineuse maille quadrillant les deux pôles
Réveil nocturne, dans le silence des pleurs
Pour le motif absurde que mourir fait peur

Horizons verticaux des abysses
Où se dessine en créneau l'abscisse
Escalier escarpé qui plonge aux limbes
De ténèbres informes que je regimbe

À affronter un jour
À saisir dans les sens
C'est en surface que vit l'amour
Et nulle chose n'a d'essence

Je flotte là et voilà ma sirène
Visage qui me suit de l'enfance
Au présent qui la traîne
Comme antique rémanence

De quelle vie abolie t'en viens-tu
Pour être là quand tout autour s'est tu
Tes yeux de chat tes joues creusées
Sont à mes sens comme imposés

Tu nages et je te suis par l'escalier
Tu es de l'eau je suis de l'air
Étrange mais il me faut voler
Vers cette ville familière

Ô toi cité que je n'ai jamais visité
Je te connais dès que mes yeux se ferment
Je ne sais qui de toi ou de moi nous a donc enfanté
Mais c'est ici que ma liberté germe

En haut, le soleil se réfracte
Et tombe comme un puits de lumière
Sur les bleus sombres de la mer
Et l'amas des cellules qui font pacte

Je me réveille le coin des yeux humide
Il fait noir et j'ai le coeur languide
Dans cette chambre qui n'est pas mon port
Mais le navire qui me condamne à mort

Terre de mon enfance
Du lit mouillé de mes errances
Ce rêve était mon grand exorciste
Expurgeant de mon âme le monde triste

Réseau complexe, tubulures lumineuses
Image de mon espace-temps
Je me demande si tu es menteuse
Lorsque tu m'offres un sein latent

Moi l'enfant qui tête le songe
Absorbant docile comme l'éponge
La couleur du Grand Totipotent
Qui dégorge en couleur outre-temps

C'est un récit sans histoire
Qui lie les lettres et narre
Ce qui ne peut être dit
Qu'au chant de mélodies


Sur l'étale et sombre mare
Qui naît de mon destin déteint
Flottent les fleurs pourpres de mes hématomes
Formant le macabre bouquet de ces vies monochromes

C'est là le sang de l'âme, où vacille la flamme
En encre noire imprimée qui reflète abîmé
Le mobilier infâme
D'un univers qu'en vain je m'échine à rimer

vendredi 7 décembre 2018

Les éclaireurs du temps

On m'a cru endormi
Je n'ai pas démenti
J'étais enveloppé
Dans la brume des soirs
Dans l'oeil ouvert et noir
Où luit le fond des pleurs
Et où ce qui n'est pas
Suscite la terreur

Je faisais un grand somme
Pour revenir en formes
En prose jaillissante
À l'oeil ravissante
Ainsi la vérité se sent
Plus libre qu'en les vers
Et peut sans ces verrous
S'ébattre dans l'hiver

Pauvre hère en hardes
Qui clame comme un barde
Sur les routes intracées
Que n'indiquent les cartes
Je montre les chemins
Me tient aux grands carrefours
Pointant les lendemains
Qui tissent entre eux les jours

Mais je suis comme vous
Chaque homme au temps dévoue
La sève de sa vie
L'élan inassouvi
Qui construit pas à pas
L'étoffe du futur
Et le berceau des rêves
Que le présent rature

mardi 4 décembre 2018

Voile azur

Je n'ose imaginer ce qu'il se passerait
Si insensible enfin je devenais
Et comme fleur se fanant
J'allais sans âme au fond des ans

Combien de peines à souffrir
Et puis de larmes à souffler
Le jour qui ne veut plus mourir
Malgré cette étoile apaisée

Je n'aurais cru qu'on puisse vivre
Sans trop savoir quoi désirer
Et qu'il suffise à se rendre ivre
De la saveur d'un seul souhait

Je me vois tourner dans cieux vides
Presque aussi pâles que yeux vides
Gavé de rêves ravalés
Je vois en couleurs délavées

Mais quelque part au fond de rien
Un grand rouage sans mesure
Un pieu courage un voile azur
Par la grand-voûte au ciel éteint
Jette au-dessus des sombres murs
Un peu d'espoir un pont de liens

mercredi 7 mars 2018

De tout et même du reste

Je me souviens de tout bordel, et même du reste. Saloperies de nuits où j'orbite autour de ton vortex. Même mes rêves abritent un trou noir de bonheur et tristesse entretissés d'amour. Je me réveille hagard, j'hésite avant d'ouvrir les yeux: prolonger ce rêve où nous sommes réunis, où je sens ta présence aussi vraie que vraie, ou bien mettre un terme à la mascarade, jeter les couvertures sur le côté, s'asseoir au bord du lit en soupirant, les poings posés sur le matelas, à reprendre le souffle d'une âme excitée. De toute façon il me faudra tout essuyer, d'un café noir et d'une chanson bien forte où mes pensées se taisent convaincues.

Je me souviens de tout, à tel point que je puis inventer. Et ces histoires de la nuit que sont-elles, sinon d'autres mailles à ce manteau des moires, celui que je revêt parfois plongé dans la nuit noire.

Je me souviens de tout et même du reste.

C'était une belle histoire.

mercredi 24 janvier 2018

Chu d'un songe



À l'aube oublié dans un ourlet de nuit
Je m'obombre et recule devant aujourd'hui
Dormeur sans sommeil que les rêves émerveillent
Mon destin se suspend entre chaque réveil

Jour me voilà tel que je suis
Insensible à tes cieux que tous mes yeux essuient
En mes oreilles bourdonnent la mesure du silence
Et le chant sidéral d'une atone élégance

Dis quand reviendra l'ombre qui émousse un peu
Cette arête aiguisée des faces diurnes du réel
Qui se plait à lancer sur mes plaies comme un sel
Ce rayon qui dissout l'image d'un monde où peut

S'exprimer sans limite l'âme immatérielle

jeudi 11 janvier 2018

Le rêveur et l'artiste

Il est si facile de commencer les choses par la fin, comme je l'ai toujours fait. Si facile de se prendre pour un vrai artiste lorsqu'on abrite en soi tant de sentiments sublimes, tant d'effets que l'art seul sait produire. Pourtant, ce n'est pas l'art qui les produisit alors, c'était simplement la vie, le destin, les milliards de regard du passé se fondant en celui du présent, et qui forment cette mélodie muette des poésies contemplatives, celles qui se taisent au dehors et hurlent au dedans.

Alors on se dit que: du regard que nous sommes à sa manufacture à partir de l'altérité matérielle il n'y a qu'un pas, et l'on se convainc ainsi d'être génial... Mais l'activité déçoit bientôt l'idée, tout devient laborieux, compliqué, et chaque geste ainsi analysé, séparé de la chaîne achevée, semble sans lien avéré avec le sentiment initial. On se trouve un peu perdu à effectuer mouvement après mouvement, détaché de l'effet qui est pourtant ce vers quoi l'on tendait, seul dans l'ineptie d'un artisanat qui n'a rien des atours aériens des idées qui se meuvent en l'âme, dociles et malléables. Le travail est difficile, il blesse le corps et déçoit l'âme trop impatiente. Il est inconfort et flegme, lenteur et inachèvement.

Je suis ce rêveur obstiné que le réel blesse aujourd'hui, jusqu'à parfois lui insuffler l'irrésistible envie de tout abandonner, encore et pour de bon. Suis-je un vrai musicien, moi qui ne suis capable de fournir au monde la partition et la genèse de ces vertiges intérieurs? Plutôt que d'agir une énième fois en philosophe, c'est à dire en poseur de questions, de problèmes, je vais agir aujourd'hui en créateur: je vais répondre à la question, apporter la preuve par la démonstration.

Peut-être faut-il savoir abandonner un peu ses sentiments en tant que pur vécu pour parvenir enfin à les transcrire en oeuvre?

mercredi 20 septembre 2017

Gravité

Tel un soleil dans les cieux noirs
L'herbe embouteille mille espoirs
Où se réfractent en la rosée
L'orbe que l'aube a déposée

Sac de chair repus de pesanteur
Tu es de ceux que rebute un labeur
Tu montes une charrue sans boeufs
Ta volonté est dénuée de voeux

Et la fleur sanglante du martyr
Qui s'offre tremblante au zéphyr
Ouvre sa blessure béante
À ces regards qui la violentent

Le poids d'un corps que l'on traîne
Est de toutes souffrances la reine
Sous lui s'effondrent chaque envie
Et la volonté même s'alanguit

Mais dehors, la lumière est partout
Qui fond rapide à pas de loup
Tandis que les corps s'amoncellent
Elle, liquide, ruisselle

Tu la regardes mais crains
De t'arrimer aussi au train
Et si le vrai voyage
Décevait bien plus que l'image...